Teamsters/Conférence des communications graphiques, section locale 41M et Journal de Montréal et Imprimerie Mirabel inc. (grief syndical) |
2015 QCTA 815 |
TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o de dépôt : 2015-8527
Date: 21 septembre 2015
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : Me Pierre Laplante
ENTRE
Teamsters/ Conférence des communications graphiques, section locale 41M
(Conférence des communications graphiques)
Ci-après appelé le syndicat
ET
Journal de Montréal et Imprimerie Mirabel inc.
Ci-après appelé l ’employeur
Grief : Teamsters-CCG-2010-168 / Quantum
(Demande de remise)
Pour l’employeur : Me Hubert Graton
Quebecor
Pour le syndicat : Me Michel Morissette
Poudrier Bradet
DÉCISION ARBITRALE INTERLOCUTOIRE
(En vertu du Code du travail du Québec, art. 100 et ss)
LES FAITS
[1] Le ou vers 20 décembre 2010, le syndicat a déposé un grief à infraction continue alléguant que l’employeur utilisait illégalement une procédure de surclassement d’aides-manutenteurs au détriment des manutenteurs.
[2] Les 23 octobre 2013 et le 20 octobre 2014, des audiences d’arbitrage eurent lieu concernant ce grief.
[3] Le 11 novembre 2014, l’arbitre soussigné a rendu une décision dont la conclusion qui, pour partie, se lit comme suit :
ACCUEILLE le grief Teamsters-CCG-2010-168;
ORDONNE à l’employeur d’indemniser les salariés qui auraient dû être appelés au travail, le tout avec intérêts tel que prévus au Code du travail;
[4] Le 28 janvier 2015, les parties n’ayant pu s’entendre sur les sommes dues en raison de la décision arbitrale, le syndicat a demandé à l’arbitre de fixer le quantum dû.
[5] Le 26 février 2015, de consentement avec les parties, les dates des 8 juin et 27 août 2015 furent retenues.
[6] De fait, aux dates susmentionnées, eurent lieu deux journées d’arbitrage lesquelles cependant ne permirent pas de terminer l’audience sur ledit quantum.
[7] Le 11 juin 2015, avec l’accord des parties, une autre journée d’audience fut fixée au 30 septembre 2015.
[8] Le 1 er septembre 2015, l’employeur a décrété un lock-out.
[9] Le ou vers le 8 septembre 2015, l’employeur a demandé une remise de l’audience fixée au 30 septembre 2015.
[10] Le ou vers le 9 septembre 2015, le syndicat s’est « vigoureusement » opposé à la demande de remise et a demandé de produire des notes et autorités.
[11] Le 16 septembre 2015, la partie patronale réitérait sa demande de remise tout en appuyant le fait que la partie syndicale n’avait pas encore produite ses notes et autorités et que l’audience en arbitrage était prévue pour le 30 septembre 2015.
[12] Le 16 septembre 2015, dans l’heure qui suivit la dernière missive du procureur patronal, la partie syndicale transmit ses notes et autorités.
[13] Le 17 septembre 2015, la partie syndicale répliquait de nouveau aux motifs invoqués par la partie patronale dans sa demande de remise du 16 septembre 2015.
[14] Le 17 septembre 2015, après étude des représentations écrites des parties, j’ai demandé, par courriel, des précisions à l’employeur.
[15] Le 18 septembre 2015, l’employeur a produit les précisions demandées.
[16] Le 21 septembre 2015, le syndicat a commenté les précisions de l’employeur et a réitéré son opposition à la demande de remise.
LA DÉCISION
[17] Dans un premier temps, quelques remarques préliminaires.
[18] Il me faut préciser que, dans mon courriel du 17 septembre 2015, je n’ai pas « exprimé » le fait que la demande de remise de la partie patronale serait refusée. J’ai souligné mon insatisfaction quant aux motifs invoqués pour cette demande de remise et ce, compte tenu de l’opposition de la partie syndicale.
[19] Au lieu de rejeter d’emblée la demande de remise, j’ai cru préférable de donner l’opportunité à la partie patronale de répondre à mes interrogations comprenant que cette dernière ne bénéficiait pas d’un temps d’audience favorable à un débat contradictoire plus poussé sur sa demande de remise.
[20] Ceci dit, les principaux motifs invoqués par l’employeur dans sa demande initiale de remise de l’audience du 30 septembre 2015, sont les suivants :
A) Le conflit de travail à l’usine de Mirabel rend l’exercice d’arbitrage de grief difficile compte tenu de la non-disponibilité des témoins patronaux pour fins de préparation et de présence à l’audience du 30 septembre prochain;
B) L’existence d’un conflit de travail fait en sorte qu’il est difficile de penser que l’exercice arbitral pourra s’exercer dans un climat de sérénité nécessaire à son exercice;
C) Il n’y a pas urgence à traiter du grief. En outre, le syndicat ne subit pas de préjudice et la question litigieuse est essentiellement monétaire et soumise à des intérêts et il s’agit d’une première demande de remise dans cette affaire;
D) D’autres dates d’audience ont été fixées en 2016 pour la continuité de cette affaire;
E) Le refus syndical de consentir à la demande de remise de l’employeur constitue une tentative visant à immiscer l’arbitre dans un conflit de travail en attaquant la capacité de l’employeur de respecter le Code du travail en continuant ses activités;
F) Des arbitres ont accepté de remettre des audiences prévues à l’automne 2015, entre ces mêmes parties et ce, pour les motifs que ceux ci-haut énoncés.
A) Le positionnement des arbitres :
[21] Il appert que six arbitres de griefs sont saisis de griefs liant les parties et que cinq d’entre eux ont consenti aux remises demandées et ce, pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans la présente affaire.
[22] En pareille matière, chaque cas est un cas d’espèce et je ne suis pas lié par des décisions qui concernent d’autres affaires même si elles s’apparentent à celle sous étude.
[23] Cela m’apparait d’autant plus important que cette affaire date de 2010 et que tout initié sait que le temps est de l’essence des relations de travail, de l’essence du droit du travail.
[24] Qu’il y ait des inconvénients des suites du déclenchement d’un lock-out, cela fait peu de doutes. D’autre part, l’existence d’inconvénients ne constitue pas, en soi, un motif justifiant une demande de remise. Encore faut-il que ces inconvénients empêchent ou, à tout le moins, rendent difficile la tenue d’une audience en arbitrage.
[25] Les parties s’étant préalablement engagées à une date fixe dans le temps, un arbitre, en cas d’opposition à une demande de remise, doit décider du bien-fondé de cette demande de remise sur la base des faits reliés à cette demande.
B) « Immiscions » de l’arbitre de grief dans un conflit de travail :
[26] L’employeur a retiré ce moyen dans ses précisions du 18 septembre 2015.
[27] Dans la présente affaire la compétence du tribunal d’arbitrage se limite à déterminer les sommes dues par l’employeur dans le cadre d’un grief dont les parties l’ont saisi.
[28] Cette compétence est totalement étrangère au conflit de travail décrété par l’employeur le ou vers le 1 er septembre 2015.
[29] En outre, rien ne démontre que l’audience du 30 septembre 2015 empêchera l’employeur de continuer ses activités ou de « respecter » le Code du travail.
C) Des dates d’audience pour la poursuite de cette affaire ont déjà été prévues en 2016;
[30] Il y a eu des discussions d’amorcées en fin d’audience en août dernier sur la possibilité qu’il y ait nécessité de prévoir une ou plusieurs autres journées pour la continuité de cette affaire qui ne se terminera pas, selon toutes probabilités, avec l’audience du 30 septembre 2015.
[31] Par ailleurs et contrairement à ce qui a été écrit par la partie patronale dans sa demande de remise du 16 septembre 2015, il n’y a pas d’autres dates d’audience d’arrêtées ou de convenues entre les parties et l’arbitre.
[32] Il n’y a donc pas d’autres dates d’audience de prévues en 2016.
[33] D’autre part, les remises accordées dans d’autres affaires l’ont été pour libérer temporairement l’employeur de ses obligations en matière d’arbitrage compte tenu du conflit de travail. Je ne suis pas d’avis qu’il faille rétablir indirectement des obligations identiques en convoquant la poursuite de l’audience à ces dates.
D) Sérénité des débats et de l’audience :
[34] Les parties sont diamétralement à l’opposé de néophytes en matière de relations de travail, en matière d’arbitrage.
[35] De toute façon, l’une des fonctions d’un arbitre de grief est de faire en sorte que chaque partie puisse faire valoir ses droits dans le respect des règles de justice naturelle et dans le respect de la procédure arbitrale. À cet égard, il revient à l’arbitre d’assumer la gestion d’une audience et ce, dans toutes ses dimensions. Une saine gestion d’une audience est une fonction qui relève de l’arbitre qui, en ce domaine, est maître de la procédure et du mode de preuve [1] . J’ajouterais que l’arbitre est investi de pouvoirs très larges comme celui de rendre toute ordonnance propre à sauvegarder le droit des parties. [2]
[36] Rien ne démontre que l’audience du 30 septembre s’exercerait autrement que dans un climat empreint de sérénité.
E) Absence d’urgence et de préjudice:
[37] Un tribunal d’arbitrage doit agir avec diligence, mais il est exact de prétendre qu’il n’y a pas urgence dans la présente affaire.
[38] Il est cependant inexact de prétendre que le syndicat et les salariés lésés ne subiraient aucun préjudice du fait que l’audience serait remise.
[39] La perte de revenus depuis 2010 est très certainement un préjudice.
[40] Ceci dit, Il faut cependant admettre que ce préjudice n’a pas l’importance que lui donne le syndicat, puisqu’il est déjà acquis que l’affaire ne se terminerait pas, de toute façon, le 30 septembre prochain.
[41] Il est exact de dire qu’en toutes circonstances, la remise de l’audience du 30 septembre 2015 aura pour effet de retarder au final la décision sur le quantum, mais ce préjudice temporel doit s’apprécier en parallèle avec les difficultés de procéder que rencontre la partie patronale.
[42] De plus, la réclamation porte intérêts.
[43] Enfin, sur ce point, il nous faut également tenir compte de l’engagement complémentaire de l’employeur dont je traite ci-après.
F) Le conflit de travail à l’usine de Mirabel rend l’exercice d’arbitrage de grief difficile compte tenu de la non-disponibilité des témoins patronaux pour fins de préparation et de présence à l’audience du 30 septembre prochain;
[44] C’est, à mon avis, l’argument principal de la partie patronale dans la justification de sa demande de remise.
[45] Dans sa demande initiale, l’employeur déclare lapidairement que l’existence d’un conflit de travail rend l’exercice d’arbitrage de grief difficile compte tenu « de la non-disponibilité de nos témoins pour préparer et être présent pour témoigner le 30 septembre prochain… ».
[46] Compte tenu de l’opposition de la partie syndicale qui, en sous-entendu, met en doute la non-disponibilité des témoins en déclarant : « … Le procureur patronal n’identifie pas le nombre ou les témoins qui seraient essentiels à la poursuite… », l’arbitre ne pouvait se déclarer satisfait d’un allégué général de non-disponibilité. D’où notamment la demande de précisions ultérieure.
[47] Le 18 septembre 2015, la partie patronale devait préciser son allégué général de non-disponibilité en déclarant que le témoin prévu en contre-interrogatoire le 30 septembre prochain était M. Mathieu St-André, responsable de la gestion des horaires. Or, d’écrire le procureur patronal, en raison du conflit de travail ce dernier, en plus de ses tâches habituelles, doit maintenant s’occuper de plusieurs autres tâches reliées à la gestion quotidienne puisque des personnes responsables de ces activités sont directement affectées au plan de contingence.
[48] À la lumière de cette précision, les difficultés reliées à la « non-disponibilité » invoquée par l’employeur m’apparaissent réelles.
CONCLUSION
[49] Compte tenu de la démonstration de difficultés réelles à faire entendre le témoin assigné Mathieu St-André le 30 septembre prochain;
[50] Compte tenu de l’évidente difficulté qui en découle pour le procureur patronal de préparer adéquatement son dossier avec la collaboration dudit témoin St-André;
[51] Compte tenu de l’engagement exigé de l’employeur à fixer, avant le 30 septembre 2015, trois journées d’audience qui se situeront entre le 20 janvier 2016 et le 30 juin 2016;
[52] Compte tenu du fait qu’il était déjà annoncé, bien avant le 1 er septembre 2015, que l’affaire ne se terminerait pas avec l’audience du 30 septembre 2015;
[53] Compte tenu du fait que le préjudice occasionné par la remise est limité;
[54] Finalement, compte tenu du fait qu’aucune autre date d’audience n’avait été fixée en 2015, pour ces motifs, le tribunal d’arbitrage
ACCORDE CONDITIONNELLEMENT la demande de remise formulée par la partie patronale;
Les conditions sont les suivantes :
A) Avant le 30 septembre 2015, l’employeur devra avoir consenti à 3 journées d’audience qui devront prendre place entre le 20 janvier 2016 et le 30 juin 2016;
B) Les frais de la demande de remise seront assumés par la partie patronale;
C) La partie patronale devra donner son accord auxdites conditions au plus tard le 28 septembre 2015.
Blainville, ce 21 septembre 2015
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Me Pierre Laplante
Arbitre de grief
Annexe I
DESCRIPTIF
Date du mandat :
- 8 septembre 2015
Date d’audience :
- Aucune
Notes et autorités :
- Partie patronale : 16 et 18 septembre 2015;
- Partie syndicale : 16 et 21 septembre 2015.
Les témoins :
- Aucun.