169836 Canada inc. c. Cartier |
2015 QCCQ 9942 |
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COUR DU QUÉBEC « Division administrative et d'appel » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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LOCALITÉ DE |
ST-JÉRÔME |
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« Chambre civile » |
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N° : |
700-80-008091-149 |
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DATE : |
16 octobre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GEORGES MASSOL, J.C.Q. |
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169836 Canada inc. |
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Requérante |
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c. |
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Michel Cartier |
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Intimé |
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JUGEMENT EN APPEL |
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[1] Le 19 janvier 2015, le soussigné autorisait l’appel d’une décision rendue par la Régie du logement en date du 5 août 2014 sous la plume du régisseur Marie-Louisa Santirosi, uniquement sur la détermination des dommages auxquels le locataire avait droit suite aux agissements de la locatrice.
[2] Par le fait même, le Tribunal ordonnait une audition de novo concernant ladite question.
[3] L’audition eut lieu devant le soussigné le 9 septembre 2015.
[4] Le résumé du contexte et de la décision attaquée a déjà été effectué dans le jugement accueillant partiellement la permission d’en appeler, mais il convient de reprendre ses paragraphes pour une meilleure compréhension de la cause.
Le contexte
[5] Le 20 août 2013, le locataire Michel Cartier achète, d’un dénommé Gilles Champagne, une roulotte installée sur un terrain appartenant à l’appelante locatrice, le tout pour la somme de 1 000 $.
[6] Il semble que monsieur Champagne était propriétaire de la maison mobile et locataire du terrain depuis 1988.
[7] Dès son acquisition, monsieur Cartier avise la locatrice de son intention de faire des rénovations et d’habiter la roulotte ; il tente donc d’obtenir le transfert du bail auprès d’elle.
[8] Dans un échange de correspondance qui suit, la locatrice refuse de reconnaître la qualité du nouvel acquéreur et qualifie le contrat passé entre messieurs Cartier et Champagne comme étant illégal.
[9] Le 19 septembre 2013, le locataire Cartier transmet une mise en demeure à la compagnie appelante, exigeant qu’on reconnaisse la transaction.
[10] Le 10 octobre qui suit, la locatrice répond qu’elle n’a aucunement l’intention de renouveler le bail et ce, principalement à cause de l’état de la roulotte qui est désuète.
[11] Dans une correspondance datant du mois suivant, la locatrice réitère son opposition à la sous-location du terrain.
[12] Dans l’intervalle, monsieur Cartier paie les loyers des mois de septembre, octobre et novembre 2013 à monsieur Champagne, son vendeur qui, lui, les remet à la locatrice.
[13] Le 10 décembre 2013, une autre missive en provenance de la locatrice rappelle à monsieur Cartier que celui-ci n’a aucun droit à la sous-location et que s’il poursuit ses démarches, un avis d’expulsion sera émis.
[14] Le locataire interprète ces réactions comme si on lui interdisait de rénover sa roulotte. On lui aurait même dit, verbalement, qu’on refuserait l’accès à un « container ».
[15] Le représentant de la locatrice explique sa position par le changement de vocation du parc de maisons mobiles. Dorénavant, les roulottes, comme celle appartenant au locataire, ne sont plus acceptées et sont remplacées par des maisons mobiles plus modernes. La situation de monsieur Champagne était tolérée considérant les nombreuses années au cours desquelles il a habité son unité.
[16] Les photographies déposées montrent l’état de décrépitude avancée de la roulotte.
[17] Avant d’intenter son recours devant la Régie du logement, le locataire fait parvenir à la locatrice une mise en demeure en date du 9 mai 2014, lui réclamant des dommages évalués à 91 500 $, justifiant ce montant par l’usure prématurée de la roulotte durant l’hiver en raison du refus de la locatrice à ce qu’il procède à la réparation du toit et rénove la maison mobile. Il justifie également ce montant du fait qu’il a dû se loger et se nourrir principalement à l’hôtel pendant les mois qui ont suivi.
[18] Le locataire réduit sa réclamation à la somme de 69 999 $ afin que la Régie du logement conserve sa juridiction et ainsi éviter que sa cause ne relève de la Cour supérieure.
La décision de la Régie du logement
[19] La décision comporte trois pages et fait suite à une audition ayant duré environ 1 heure 30 minutes.
[20]
Le régisseur explique d’abord que la locatrice
ne pouvait agir
ainsi à cause des prescriptions contenues aux articles
[21] Après avoir analysé le comportement de la locatrice, le régisseur conclut qu’elle est à l’origine du litige et des déboires du demandeur (paragraphes 33 et 34).
[22] Par la suite, le régisseur détermine, en cinq courts paragraphes, la raison pour laquelle elle condamne la locatrice à payer des dommages de l’ordre de 29 660 $. Voici ses motifs :
« [36] Le demandeur déclare qu’il a épuisé son capital de 25 000 $ prévu pour les travaux afin de se loger et se nourrir. Le demandeur n’a cependant pas déposé ses factures pour vérifier les pertes financières.
[37] La preuve démontre qu’il n’a pas eu accès à son logis entre septembre 2013 et juillet 2014 pour une période de 11 mois. Durant cette période, le locataire devait se nourrir et se loger. Il aurait pu diminuer ses dommages en louant un logement temporairement.
[38] Pour ces motifs, le tribunal lui accorde un dédommagement de 2 000 $ par mois pour 11 mois pour un sous-total de 22 000 $. Il sera ordonné au locateur de rembourser la somme de 1 000 $ payée pour la roulotte.
[39] Le locataire n’ayant eu aucune jouissance de sa propriété depuis l’achat, il sera ordonné au locateur de lui rembourser ses loyers des mois de septembre, octobre et novembre 2013 pour un sous-total de 660 $.
[40] Finalement, le tribunal considère que le locataire a droit à des dommages pour ses inconvénients, stress, déplacements, vicissitudes qui sont évalués à 5 000 $. »
Le jugement accueillant la permission d’appeler
[23] Analysant les critères normalement applicables à la permission d’appeler, le soussigné mentionnait, dans le jugement accordant la permission, que celle-ci sera accordée lorsque la décision attaquée révèle une faiblesse apparente et une erreur manifeste déterminante ou grossière dans l’appréciation des faits ou une mauvaise application des règles de preuve [1] .
[24] Dans ce contexte, le soussigné énonçait les motifs suivants :
« [36] Il semble qu’à sa face même, le régisseur a étalé le dédommagement de 2 000 $ par mois sur une période de 11 mois simplement parce que l’audition a eu lieu en juillet 2014, 11 mois après l’achat de la roulotte.
[37] Ainsi, si par hasard l’audition avait été tenue en mars 2014, l’indemnité l’aurait été sur une base de 9 mois au lieu de 11. On voit déjà là la fragilité d’un tel raisonnement.
[38] Mais, il y a plus.
[39] Le régisseur alloue 2 000 $ par mois pour septembre, octobre et novembre et ordonne, en plus, à la locatrice de rembourser ce que monsieur Cartier avait payé comme loyers pour ces trois mois.
[40] Or, en achetant la roulotte pour la somme de 1 000 $, sachant que celle-ci était inhabitable, monsieur Cartier devait s’attendre à ce qu’il ne puisse habiter les lieux immédiatement. La période pendant laquelle il devait effectuer les réparations ne pouvait lui laisser entrevoir une occupation de ladite roulotte.
[41] Ainsi, il semble douteux que pendant ces mois, à tout le moins, le locataire avait droit, en plus du remboursement du loyer qu’il avait à payer, aux dommages déterminés par le régisseur.
[42] Concernant le montant de 2 000 $ attribué par mois, le jugement ne laisse voir aucun motif intelligible pour permettre à quiconque de déterminer sur quelle base le régisseur s’est appuyé.
[…]
[45] Il est pour le moins questionnable qu’après 1 heure 30 minutes d’audition, et avec si peu de détails dans une décision, on en arrive à condamner une partie à payer près de 30 000 $.
[46] La décision ne fait état d’aucune base juridique pour appuyer la conclusion ; celle-ci est basée sur un syllogisme incongru à sa face même et qui contient, au surplus, une erreur arithmétique élémentaire. »
La preuve administrée lors de l’audition de novo
[25] Outre le témoignage du locataire Michel Cartier, sa preuve reposait sur les éléments suivants :
- Pièce P-1 (contrat de vente entre Gilles Champagne et Michel Cartier) ;
- Pièce P-2 (reçus de location du terrain pour les mois de septembre, octobre et novembre 2013) ;
- Pièce P-3 (reçus pour entreposage des meubles signés par Linda Richard et émis entre octobre 2013 et juillet 2014) ; cette dernière est venue témoigner ;
- Pièce P-4 (rôle de taxation de la Ville de Terrebonne pour la maison mobile, affichant une valeur uniformisée de 37 500 $).
[26] La preuve est complétée par les documents suivants déposés devant la Régie du logement :
- Trois photographies montrant l’extérieur de la maison mobile ;
- Correspondance entre Michel Cartier et les représentants de la locatrice ;
- Bail conclu entre Michel Cartier et Gilles Champagne ;
- Mise en demeure de l’intimé datée du 9 mai 2014 ;
- Décision de la Régie du logement rendue la même journée que le jugement en litige opposant la locatrice à Gilles Champagne (pièce P-5).
[27] Dans son témoignage, l’intimé Michel Cartier explique essentiellement les raisons l’ayant mené à acquérir de son ami Gilles Champagne la maison mobile pour le montant de 1 000 $.
[28] Ses explications diffèrent peu du résumé effectué par le régisseur Santirosi dans sa décision.
[29] Il ajoute cependant que vers le 25 août 2013, la locatrice a interrompu l’alimentation en eau, l’empêchant ainsi de vivre dans sa maison mobile. Ce détail est vivement contesté par Pierre-Alexandre Juneau, représentant de la locatrice.
[30] Interrogé sur sa situation antérieure, monsieur Cartier explique qu’il possédait une maison en Beauce. Il désirait vendre pour se rapprocher de la région métropolitaine. Bien que son témoignage soit vague à cet égard, il semble qu’il voulait habiter la maison mobile en litige, même si les acquéreurs de celle qu’il possédait en Beauce avaient l’intention d’intégrer celle-ci que plus tard durant l’automne 2013.
[31] Dès lors, il a demandé à son amie Linda Richard si elle acceptait d’entreposer ses meubles en attendant qu’il rénove la maison mobile.
[32] Il complète en mentionnant que devant le refus de la locatrice qu’il procède à des travaux, il a habité ça et là jusqu’à ce qu’il décide de louer un logement en décembre 2014, à raison de 600 $ par mois.
[33] Ainsi, selon le témoignage de monsieur Cartier, il aurait habité par moments chez des amis, des parents et dans plus de 10 motels, le tout ayant engendré des coûts mensuels variant entre 800 $ et 1 000 $. Interrogé sur l’existence de factures à cet effet, l’intimé répond qu’il n’en possède pas car elles lui auraient été subtilisées en juin 2015.
[34] Il ajoute cependant que le paiement aux divers motels s’est toujours effectué comptant.
[35] De même, le montant payé à son amie Linda Richard pour l’entreposage de ses meubles s’est toujours fait aussi en argent comptant. Cette dernière paie un loyer subventionné de 245 $ par mois et aurait obtenu, selon les reçus faits à la demande de monsieur Cartier, 250 $ par mois de ce dernier.
Analyse et décision
1. L’application des normes de contrôle
[36] L'auteur Denis Lamy [2] analyse la question et reconnaît, de prime abord, qu'une nette tendance semble se dégager à l'effet que la Cour du Québec serait dispensée de l'obligation de recourir à l'application de l'analyse relative à la norme de contrôle lorsqu'une enquête est nécessaire au niveau de l'appel. Il se prononce, cependant, à l'effet que la faculté de présenter une preuve lors de l'appel ne conduit pas inévitablement à l'inapplication de la norme de contrôle [3] .
[37] Il est loin d'être sûr que cette position reçoive l'aval de la jurisprudence.
[38] Dans une décision récente [4] , notre Cour entendait une preuve lors de l'audition en appel. Se penchant sur l'application de l'analyse relative à la norme de contrôle, le juge Jacques Paquet apporte la nuance suivante :
« [9] Cette preuve n’est pas en tous points identique à celle présentée devant la Régie . Dans ces conditions , il n’est pas requis de déterminer une norme de contrôle au sens de l’arrêt Dunsmuir . » (soulignements du soussigné)
[39] Il faut donc conclure que lorsque la Cour du Québec entend, en appel d'une décision de la Régie du logement, une preuve qui a ou non été soumise à la Régie du logement, il y a, dans un tel cas, ouverture pour la Cour du Québec aux pleins pouvoirs conférés par l'article 101 de la même loi, sans ambages aux normes de contrôle [5] .
2. Les frais de relocalisation
[40] Le régisseur accorde un dédommagement de 2 000 $ par mois pour 11 mois, soit un total de 22 000 $.
[41] Comme indiqué dans le jugement du soussigné sur la permission d’appeler, le délai de 11 mois représente la période encourue entre le premier mois de sous-location de monsieur Cartier pour le terrain et l’audition devant la Régie du logement.
[42] Quant au montant 2 000 $, le régisseur accorde celui-ci même si elle affirme que monsieur Cartier n’a déposé aucune facture pour vérifier les pertes financières [6] .
[43] Tel que mentionné dans le jugement accueillant partiellement la permission d’appeler, il n’est aucunement question que le débat sur les raisons ayant motivé la locatrice d’agir soit réouvert [7] .
[44] Ainsi, les conclusions suivantes du régisseur doivent être tenues comme avérées :
« 32. Dans la présente affaire, le locateur était mal fondé de ne pas reconnaître la vente et de refuser le transfert du bail. Le demandeur est en vertu de la loi locataire du terrain depuis septembre 2013.
33. Le comportement subséquent du locateur est à l’origine du litige et des déboires du demandeur.
34. Il prétend ne pas avoir refusé l’accès au parc mais convient qu’il n’était pas question que M. Cartier rénove la roulotte. Cette position est déraisonnable puisqu’elle a provoqué une usure prononcée de l’unité et empêcher (sic) le locataire d’habiter sa propriété. »
[45] L’appel porte sur les paragraphes subséquents, dans lesquels le régisseur Santirosi attribue les dommages.
[46] Soulignons qu’outre ce recours et celui de la locatrice contre Gilles Champagne, le locataire Michel Cartier n’a entrepris aucun recours contre la locatrice en exécution en nature ou en injonction.
[47] Ainsi, monsieur Cartier n’a pas convaincu le Tribunal qu’il n’existait aucun recours disponible afin de forcer la locatrice à accepter ses intentions de rénover la maison mobile qu’il venait d’acquérir. Il explique cette inaction par le fait qu’il ne connaissait pas la loi.
[48] Le temps ayant fait son œuvre et l’hiver s’étant installé, la maison mobile serait devenue presque irrécupérable.
[49] Par ailleurs, la preuve révèle que monsieur Cartier est toujours propriétaire de l’immeuble.
[50] Les représentants de la locatrice témoignent d’une certaine activité aux alentours de la résidence.
[51] Ainsi, des stores auraient été récemment changés, la pelouse est coupée et des poubelles se trouvent à l’avant du bâtiment.
[52] La preuve a convaincu le soussigné que par ses agissements et ses refus répétés, la locatrice a empêché monsieur Cartier de réaliser son projet. Étant lui-même dans une situation vulnérable, il n’a pas su exercer les bons recours pour forcer la locatrice à lui laisser le champ libre.
[53] Le comportement des représentants de la locatrice est sans nul doute fautif et devra être sanctionné.
[54] Le Tribunal ne partage cependant pas les bases laconiques employées par le régisseur.
[55] D’abord, elle évalue à 2 000 $ par mois les frais de relocalisation pendant 11 mois, bien qu’elle affirme également que le locataire n’a déposé aucune preuve valable à cet égard.
[56] La même conclusion s’impose devant la preuve administrée devant cette Cour puisque les explications fournies par le locataire concernant les frais d’habitation payés aux différents motels sont cousues de fil blanc et souffrent grandement d’un problème de crédibilité. À titre d’exemple, il se serait fait subtiliser ses factures en juin 2015, donc après l’audition devant la Régie du logement. Or, à cette occasion, il n’a déposé en preuve aucun reçu !
[57] Le soussigné ne croit pas non plus le témoignage de l’intimé et de madame Richard concernant le paiement des frais d’entreposage. Ceux-ci admettent que les reçus de 250 $ à cet égard produits (pièce P-3) l’ont été pour l’audition tenue devant la Régie du logement en juillet 2014. Madame Richard aurait demandé à son ami Cartier un montant mensuel plus élevé que ce qu’il lui en coûte pour se loger.
[58] Il y a plus.
[59] Selon monsieur Cartier, celui-ci a intégré un logement seulement en décembre 2014, soit plus de 15 mois après les premières manifestations de refus de la locatrice.
[60] Or, dès l’automne 2013, il savait que la locatrice s’opposait (même sans droit) à son projet. Il aurait dû, dès lors, minimiser ses dommages comme la loi lui impose le devoir [8] et louer un logement à moindres coûts que ce qu’il prétend avoir payé.
[61] De tout cela, le Tribunal conclut que le montant accordé de 22 000 $ ne repose sur aucune assise et doit être remplacé par un montant général pour dommages, troubles et inconvénients, dont il sera question subséquemment.
3. Les autres dommages
[62] Concernant les 1 000 $ que le régisseur alloue au locataire, représentant le prix d’achat de la maison mobile, là encore l’attribution de ce montant pose problème puisque monsieur Cartier est toujours propriétaire de la maison mobile et peut théoriquement en disposer, même si sa condition s’est détériorée.
[63] Le régisseur accorde également le remboursement des trois mois de loyer que l’intimé aurait payé en trop, soit les mois de septembre, octobre et novembre 2013, pour un total de 660 $.
[64] Le Tribunal maintiendra ce chef de dommage et ce, même si monsieur Cartier n’avait pas l’intention d’habiter la maison mobile, du moins en septembre 2013, voulant y apporter des rénovations.
[65] Le fait qu’il ait été empêché d’effectuer les réparations constitue tout de même une perte de jouissance de sa propriété.
[66] C’est au niveau des dommages pour inconvénients, stress, déplacements et vicissitude que le Tribunal interviendra afin de rétablir un certain équilibre.
[67] À cet égard, le régisseur accorde à l’intimé la somme de 5 000 $. Le soussigné estime que ce montant devrait plutôt être réévalué pour le porter à 10 000 $ et ce, pour les motifs suivants.
[68]
Non seulement la locatrice a enfreint les dispositions des articles
« 6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
7. La demeure est inviolable. » [9]
[69] Ainsi, le locataire (propriétaire de sa demeure) a été privé de ses droits civils suivants :
« 947. La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.
Elle est susceptible de modalités et de démembrements. »
« 952. Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est par voie d'expropriation faite suivant la loi pour une cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. » [10]
[70] Bien que la demande initiale ne comporte pas de réclamation du locataire en dommages exemplaires, il convient de mentionner qu’une atteinte à un droit reconnu par la Charte confère à la victime le droit d’obtenir la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte, et, lorsque l’atteinte est intentionnelle, le droit à des dommages et intérêts punitifs :
« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. » [11]
[71]
Comme le mentionnent les auteurs, la Charte ne fait qu’énoncer un
ensemble de droits fondamentaux de la personne antérieurement reconnus par la
jurisprudence et dont la sanction est assurée par le biais du principe général
de l’article
[72] Ainsi, transgresser un droit protégé par la Charte, reconnu par un autre texte ou la jurisprudence, est manquer au devoir légal de respecter les règles de conduite énoncées à l’article 1457 C.c.Q. [12] .
[73] Ces enseignements sont conformes aux principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés des services publics inc. [13] .
[74] Dans l’affaire sous étude, l’insistance de la locatrice, la façon cavalière avec laquelle elle a traité le locataire et la durée pendant laquelle l’atteinte s’est poursuivie, militent pour l’attribution de dommages moraux qui ne feraient pas double emploi avec des dommages punitifs, lesquels n’ont pas été demandés.
[75] Par ces gestes, la locatrice a littéralement bafoué les droits de l’intimé dans un des aspects les plus fondamentaux que possède un individu et que reconnaissent la Loi et la Charte.
[76] À cause de la gravité des gestes de la locatrice et de la condition du locataire, ainsi que de l’état de découragement dans lequel la situation l’a mené, le Tribunal estime que le montant de 10 000 $ correspond à un dédommagement pouvant compenser ses troubles et inconvénients ainsi que l’atteinte contre ses droits fondamentaux dans une mesure que reconnaît la jurisprudence [14] .
[77] Le total de la somme allouée sera donc de 10 600 $.
Pour ces motifs, le Tribunal :
Accueille partiellement l’appel ;
Modifie le jugement rendu entre les parties le 5 août 2014 par le régisseur Marie-Louisa Santirosi ;
Condamne
la locatrice
169836 Canada inc.
à verser au locataire
Michel Cartier
la somme de dix mille six
cents dollars (
10 600 $
) plus les intérêts au taux légal et
l’indemnité additionnelle prévue à l’article
Condamne la locatrice 169836 Canada inc. à payer les frais judiciaires des deux instances.
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__________________________________ Georges Massol , j.c.q. |
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Maître Éric Marquette De Chantal, D’Amour, Fortier Pour la requérante
Maître Dominic Pichette Martin, Pilon et Associés Pour l’intimé
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Date d’audience : |
9 septembre 2015 |
[1] Jugement du 19 janvier 2015, paragraphe 34
[2]
LAMY, Denis,
[3] Idem , page 333
[4]
Shekter c. Dion
,
[5]
9179-0212 Québec inc. c. Forgues
,
[6] Jugement a quo , paragraphe 36
[7] Jugement sur permission d’appeler du 19 janvier 2015, paragraphe 48
[8]
Article
[9] Charte des droits et libertés de la personne
[10] Code civil du Québec
[11] Charte des droits et libertés de la personne
[12] BAUDOUIN, Jean-Louis et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, Volume I - Principes généraux, 8e édition, 2014, paragraphe 1-265
[13]
Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés des services
publics inc.
,
[14]
deMontigny c. Brossard (Succession)
,