Section des affaires sociales
En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales
Référence neutre : 2015 QCTAQ 10345
Dossiers : SAS-M-221226-1402 / SAS-M-228168-1408
MARIO ÉVANGÉLISTE
c.
MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE
[1] La requérante (ci-après madame) conteste deux décisions rendues en révision par l’intimé (ci-après le Ministre).
[2] Dans le premier dossier, soit celui portant le numéro 221226, madame conteste la décision en révision du Ministre rendue le 3 février 2014. Elle a introduit sa requête au Tribunal le 12 février 2014.
[3] Par sa décision en révision, le Ministre refuse de procéder à la révision du dossier de madame estimant que madame n’avait pas de motifs pour déposer sa demande en révision hors délai. La décision est ainsi motivée :
« L’avis de décision du 16 mai 2013 a été envoyé au […]
Selon maître Assaf, vous avez présenté votre demande en retard parce que beaucoup de choses se sont croisées, vous ne compreniez pas les motifs, vous ne saviez pas que vous pouviez contester.
[…] L’étude de votre dossier démontre que votre demande de révision a été reçue le 29 novembre 2013, soit plus de 90 jours après avoir été avisée de la décision contestée.
En effet, nous constatons que l’avis de décision du 16 mai a été transmis à l’adresse où vous déclariez résider à cette date. Cet avis n’a pas été retourné par le service postal et les explications fournies ne démontrent pas que vous ne pouviez recevoir ce courrier. Nous considérons donc que vous avez reçu l’avis du 16 mai 2013.
Les motifs que vous avez fournis ne démontrent pas que vous étiez dans l’impossibilité d'agir à l'intérieur du délai prévu.
Par conséquent votre demande est irrecevable. »
[4] Dans le deuxième dossier portant le numéro 228168, madame conteste la décision rendue en révision par le Ministre le 27 novembre 2013. Elle introduit sa requête auprès du tribunal le 29 août 2014 (date de réception). Une objection est soulevée par le Ministre à l’effet que la requête introductive serait irrecevable parce que logée hors délai.
[5] Sur le fond, la décision en révision a pour effet de considérer que la vente de sa maison à son fils à une valeur moindre que la valeur marchande ce qui, selon le Ministre, serait une disposition d’un bien sans juste considération. Le Ministre a donc réévalué la valeur du bien et le besoin de prestations de madame pour conclure :
« Ainsi, à compter de septembre 2012, un montant décroissant de mois en mois réduira vos prestations jusqu’à épuisement de la valeur cédée ou pendant une période maximale de deux ans de la disposition du bien. »
[6] Afin de permettre une meilleure compréhension de ces deux affaires, le Tribunal a regroupé sous une seule décision les deux dossiers en exposant la preuve de façon chronologique.
[7] Dans les deux dossiers, la preuve documentaire est constituée des dossiers administratifs préparés pour l’audience par le Ministre. Le Ministre a complété sa preuve documentaire en introduisant les documents ci-après :
· I-1 GDI : extrait informatique de l’historique des adresses déclarées au MESS
· I-2 SIRAD : extrait informatique des notes des agents au dossier (page 2)
· I-3 Avis d’acceptation du 19 novembre 2013 du pouvoir discrétionnaire (pages 3 et 4)
· I-4 relevé d’emploi de janvier 2014 (page 5)
[8] La procureure de madame fait une déclaration sur son serment d’office qu’elle avait un mandat général de représenter madame depuis le 25 novembre 2014 dont plusieurs dossiers émanant de décisions de 2010. Elle réfère le Tribunal à la page 37 du dossier administratif. Concernant la décision du Ministre du 27 novembre 2013, elle a constaté en conciliation le 28 août 2014 que cette décision n’avait pas été contestée. Dès le lendemain, elle a introduit une requête au Tribunal pour contester cette décision.
[9] Deux témoins furent entendus, soit madame et sa sœur, madame A. D.
[10] Il ressort essentiellement de ces deux témoignages, les éléments non contestés qui suivent:
· Elle a fait sa demande d’aide sociale sur l’insistance de sa sœur. Cette dernière a constaté que la santé de sa sœur dépérissait suite à la perte de sa maison et de son emploi et à son opération. Madame n’achetait pas ses médicaments dont elle avait pourtant besoin. Sa sœur l’aidait tant qu’elle pouvait financièrement et moralement. Elle a donc décidé d’amener sa sœur au bureau de l’aide sociale pour qu’elle fasse sa demande.
· Quand madame a reçu son premier refus d’aide, elle était désemparée. Encore là, c’est sa sœur qui l’a amenée au bureau d’aide sociale, et ce, dans le délai de 90 jours de contestation en révision. Madame dit qu’elle ne comprenait pas qu’on lui refuse l’aide sociale, c’était la première fois de sa vie qu’elle en faisait la demande et elle éprouvait une certaine gêne face à sa situation. Au bureau d’aide sociale, on lui a répondu qu’on ne pouvait rien faire pour elle et qu’elle devait attendre deux ans. En aucun cas, ni l’un ni l’autre des fonctionnaires qu’elle rencontrait (elle dit avoir été transférée d’un fonctionnaire à l’autre) ne lui a remis un formulaire de contestation et ne l’a informée qu’elle pouvait contester la décision pendant la période de deux ans. Ce qui est corroboré par le témoignage de sa sœur. Cette dernière dit s’être présentée plusieurs fois au bureau d’aide sociale et c’était toujours la même réponse. Cela affectait la santé de sa sœur qui déprimait de plus en plus en se sentant toujours un peu plus humiliée.
· Elle dit avoir lu la décision apparaissant en page 2 et c’est pour cela qu’elle s’est présentée au bureau d’aide sociale.
· Elle se sentait devant une impasse parce qu’elle était démunie et incapable de se défendre sans l’aide juridique et, au bureau d’aide sociale, on lui disait qu’elle n’avait pas le droit à l’aide juridique.
· La sœur de madame a contacté son conseiller municipal; ce dernier l’a dirigée vers le bureau d’aide juridique et c’est là qu’elle a réussi à obtenir de l’aide pour sa sœur.
· Quand elle a enfin rencontré sa procureure, elle était soulagée que quelqu’un puisse s’occuper d’elle et la diriger; elle était confuse par rapport à tous les documents qu’elle recevait. (Le Tribunal a pu constater que madame demeure très confuse sur les dates bien qu’elle puisse présenter les événements dans la bonne séquence.)
ANALYSE ET DÉCISION
[11] La Loi sur l'aide aux personnes et aux familles [1] (ci-après la LAPF ) stipule ce qui suit:
« Objet.
1. Dans le cadre des principes et orientations énoncés à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale (chapitre L-7), la présente loi vise à mettre en œuvre des mesures, des programmes et des services afin de favoriser l'autonomie économique et sociale des personnes et des familles.
Objet.
La présente loi vise également à encourager les personnes à exercer des activités permettant leur insertion sociale, leur intégration en emploi et leur participation active dans la société.
Autonomie économique et sociale.
2. Les mesures, programmes et services mis en œuvre en vertu de la présente loi sont établis afin d'accompagner les personnes dans leurs démarches vers l'atteinte et le maintien de leur autonomie économique et sociale, celles-ci étant les premières à agir pour transformer leur situation et celle des membres de leur famille.
Demande de révision.
107. Toute personne visée par une décision du ministre rendue en vertu de la présente loi peut par écrit, dans les 90 jours de la date à laquelle elle en a été avisée , en demander la révision.
Aide du ministre.
111. Le ministre prête assistance à toute personne qui le requiert pour la formulation d'une demande de révision .
Demande hors délai.
112. La demande de révision ne peut être refusée pour le motif qu'elle est parvenue après le délai lorsque le demandeur démontre qu'il a été dans l'impossibilité d'agir plus tôt .
[…] »
(Nous soulignons)
[12] La Loi sur la justice administrative [2] (ci-après la LJA) :
« Objet.
1. La présente loi a pour objet d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité, la célérité et l'accessibilité, de même que d'assurer le respect des droits fondamentaux des administrés .
Règles de procédure.
Elle établit les règles générales de procédure applicables aux décisions individuelles prises à l'égard d'un administré. Ces règles de procédure diffèrent selon que les décisions sont prises dans l'exercice d'une fonction administrative ou d'une fonction juridictionnelle. Elles sont, s'il y a lieu, complétées par des règles particulières établies par la loi ou sous l'autorité de celle-ci.
[…]
Équité.
2. Les procédures menant à une décision individuelle prise à l'égard d'un administré par l'Administration gouvernementale, en application des normes prescrites par la loi, sont conduites dans le respect du devoir d'agir équitablement .
Responsabilité.
4. L'Administration gouvernementale prend les mesures appropriées pour s'assurer :
1° que les procédures sont conduites dans le respect des normes législatives et administratives, ainsi que des autres règles de droit applicables, suivant des règles simples, souples et sans formalisme et avec respect, prudence et célérité, conformément aux normes d'éthique et de discipline qui régissent ses agents, et selon les exigences de la bonne foi ;
2° que l'administré a eu l'occasion de fournir les renseignements utiles à la prise de la décision et, le cas échéant, de compléter son dossier;
3° que les décisions sont prises avec diligence, qu'elles sont communiquées à l'administré concerné en termes clairs et concis et que les renseignements pour communiquer avec elle lui sont fournis;
4° que les directives à l'endroit des agents chargés de prendre la décision sont conformes aux principes et obligations prévus au présent chapitre et qu'elles peuvent être consultées par l'administré.
110 Le recours au Tribunal est formé par requête déposée au secrétariat du Tribunal dans les 30 jours qui suivent la notification au requérant de la décision contestée ou qui suivent les faits qui y donnent ouverture; ce délai est cependant de 60 jours lorsque le recours concerne des matières traitées par la section des affaires sociales. Aucun délai n'est applicable dans le cas d'un recours résultant du défaut de l'autorité administrative de disposer d'une demande de révision dans le délai fixé par la loi.
Dépôt.
Cette requête peut également être déposée dans tout greffe de la Cour du Québec, auquel cas le greffier transmet sans délai la requête au secrétaire du Tribunal.
« 106. Le Tribunal peut relever une partie du défaut de respecter un délai prescrit par la loi si cette partie lui démontre qu'elle n'a pu, pour des motifs raisonnables, agir plus tôt et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave . »
(Nous soulignons)
[13] Dans le premier dossier, la preuve non contredite est à l’effet que madame, accompagnée de sa sœur, s’est présentée au bureau d’aide sociale dans le délai de 90 jours pour introduire une demande de révision (art.107 de la LAPF ) .
[14] L’avis de décision indique que les formulaires sont disponibles au centre local d’emploi (appelé aussi bureau d’aide sociale dans le langage courant) (page 26).
[15] Lorsque madame et sa sœur se présentent au bureau d’aide sociale, on ne fait que leur répondre qu’il n’y a rien à faire et que madame doit attendre deux ans. Cette preuve est non contredite. Le témoignage de madame corroboré par sa sœur est crédible et rend probable la véracité de cette déclaration.
[16] Or, lorsque le fonctionnaire fait une telle affirmation à madame et sa sœur, il induit en erreur ces deux dernières puisque si la décision est maintenue, elle s’étale alors sur deux ans mais madame a aussi la possibilité de contester, et cela, le fonctionnaire ne lui dit pas.
[17] Ce faisant, il fait défaut de prêter assistance à madame dans la formulation de sa demande de révision tel que l’oblige expressément l’article 111 de la LAPF . En se présentant, après la décision initiale, au bureau d’aide sociale, et en requérant l’aide d’un fonctionnaire, ce dernier se devait de donner une information complète à madame; ce qu’il n’a pas fait.
[18] Aussi, le défaut d’assistance qui va ici jusqu’à induire madame dans l’erreur constitue, au sens de l’article 112 de la LAPF, une incapacité d’agir. D’autant plus que le fonctionnaire aurait pu au moins lui remettre le formulaire de demande de révision.
[19] Concernant le deuxième dossier, la preuve révèle que madame et sa sœur ont dû se démener pour réussir à trouver de l’aide nécessaire dans la défense du dossier de madame. Encore là, la preuve non contredite est à l’effet que le représentant du Ministre a mal informé madame en lui déclarant qu’elle n’avait pas droit à l’aide juridique manquant encore une fois à son devoir d’assistance.
[20] Mais il y a plus, sous son serment d’office, la procureure de madame dit qu’elle avait un mandat général de représentation de madame et qu’elle n’a pris connaissance de la décision en révision que tardivement. Cette déclaration solennelle de sa procureure qui n’a pas été contredite dans son contre-interrogatoire et qui est appuyée sur le mandat au dossier établit de façon probable que la procureure de madame a commis une erreur en ne vérifiant pas le dossier suffisamment. Cette erreur n’est pas opposable à madame.
[21] Madame n’est pas négligente dans le processus de contestation, elle prend les moyens pour se trouver de l’aide pour contester en écoutant et suivant les conseils de sa sœur. Pour le reste, madame demeure confuse et la preuve établit de façon probable que madame, dans sa confusion et mal informée par les différents fonctionnaires rencontrés quant à son droit de contestation et quant à sa possibilité d’avoir l’aide juridique, avait un motif raisonnable de ne pas déposer son recours dans le bon délai.
[22]
Compte tenu que l’essence du litige dans les deux cas porte sur l’impact
de la vente de l’immeuble de madame sur son droit aux prestations, le Tribunal
ne croit pas utile et même contraire aux objectifs poursuivis par la
LJA
de retourner le premier dossier en révision. Le Tribunal, conformément aux
articles
POUR TOUS CES MOTIFS, le Tribunal :
CONSTATE que madame a eu un empêchement d’agir plus tôt dans le dossier portant le numéro 221226;
CASSE la décision rendue en révision le 3 février 2014;
RETOURNE le dossier au Secrétariat pour qu’il soit entendu sur le fond;
CONSTATE l’erreur commise par la procureure de madame de ne pas avoir contesté la décision du 27 novembre 2013 dans le dossier 228168;
CONSTATE que madame n’a pas été négligente dans le traitement de son dossier 228168;
CONSTATE l’absence de préjudice pour le Ministre en relevant madame de son défaut de contester dans le bon délai;
RELÈVE madame de son défaut de ne pas avoir contesté devant notre Tribunal la décision du 27 novembre 2013 dans le bon délai dans le dossier 228168;
RETOURNE le dossier 228168 au Secrétariat pour qu’il soit porté sur un rôle régulier et qu’il soit entendu sur le fond;
ORDONNE la fusion des deux dossiers devant notre tribunal.
Bureau d'aide juridique A
Me Amanda Assaf
Procureure de la partie requérante
Me Danielle Tremblay
Procureure de la partie intimée