Unifor et Stablex Canada inc. (grief collectif) |
2015 QCTA 838 |
TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o de dépôt : 2015-9237
Date: Le 26 octobre 2015
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : Me André G Lavoie
ENTRE
Unifor
Ci-après le syndicat
ET
Stablex Canada Inc.
Ci-après l ’employeur
GRIEF : 171-13-06 (Jean-François Ménard, Hugo Lepage, François Fillion, Gabriel Lemay)
Pour l’employeur : Me Stéphane Gaudet
Loranger Marcoux avocats
Pour le syndicat : M. Normand Nault
DÉCISION ARBITRALE
(En vertu du Code du travail du Québec, art. 100 ET ss.)
PRÉLIMINAIRES
[1] J’ai reçu mandat du ministre du travail, afin d’entendre le grief collectif déposé par le syndicat, le 28 février 2013, contestant la rémunération qu’accorde l’employeur, aux salariés qui occupent un poste temporaire. Le syndicat réclame que l’employeur paie les avantages reliés au poste occupé temporairement.
[2] Les parties ont convenu des admissions d’usage quant au respect de la procédure de grief, de ma compétence et de ma juridiction pour disposer du présent grief.
[3] La question en litige porte sur la justesse de la décision de l’employeur de ne pas comptabiliser, dans la rémunération, les avantages liés à un poste temporairement occupé par un salarié.
LES FAITS
[4] Les faits sont relativement simples et ne sont pas véritablement contestés.
[5] Fondé en 1983, l’employeur est une entreprise de traitement des résidus non organique. À partir d’un procédé technologique, elle traite, stabilise et solidifie des résidus industriels pour les enfouir par la suite, de façon sécuritaire pour l’environnement.
[6] Le procureur syndical dépose deux conventions collectives [1] . La première entre en vigueur le 17 juillet 2009 pour prendre fin le 31 décembre 2011. La seconde entre en vigueur le 20 juin 2013 et se termine le 31 décembre 2017.
[7] Le grief étant déposé le 28 février 2013, soit avant l’entrée en vigueur de la deuxième convention, il est convenu que l’analyse de la présente affaire se fera à lumière des dispositions de la première convention.
[8] Les articles pertinents de la convention collective sont les suivants :
15.01 AFFECTATION TEMPORAIRE
a) Tout poste vacant pour une période de (30) jours calendrier ou moins est une affectation temporaire et est comblé à la discrétion de l’employeur sans affichage. À l’expiration de ce délai, le poste est comblé selon l’article 14 de façon temporaire. S’il est prévu d’entrée de jeu que ce délai sera dépassé, un poste doit dès le départ être comblé de façon temporaire selon l’article 14.
Lorsqu’une affectation temporaire se termine, le salarié reprend son poste et ses fonctions habituelles pour autant qu’il y ait toujours du travail pour lui eu égard à son ancienneté.
[…]
Pour les salariés qui ont atteint le taux horaire de leur classification :
Un salarié affecté temporairement à un poste reçoit, pour les heures effectuées sur l’autre poste, le taux horaire le plus élevé entre son taux horaire régulier et le taux horaire de la classification sur laquelle il est affecté temporairement selon l’Annexe A.
ARTICLE 14 - PROMOTION ET AFFICHAGE
14.01 Tout poste vacant de façon permanente ou nouveau poste créé de façon permanente doit être affiché sur les tableaux d’affichage de l’employeur pour une période de dix (10) jours ouvrables.
L’affichage précise la classification, le département ou secteur concerné, le taux de salaire, l’horaire de travail, les exigences normales du poste et la date limite pour apposer sa candidature. Une copie de cet affichage est remise au syndicat.
[9] François Fillion travaille chez l’employeur depuis le 23 janvier 1989. Au moment de l’audition, il est coordonnateur de la salle de contrôle.
[10] Le 27 novembre 2012, alors qu’il occupe un poste d’opérateur A, il accepte un poste temporaire de coordonnateur de la salle de contrôle. Il remplace alors Daniel Brodeur, qui a quitté en congé de maladie.
[11] Il restera sur ce poste jusqu’au 30 septembre 2013, date à laquelle il l’obtient, mais de façon permanente, suite à un mouvement de main-d’œuvre.
[12] Conformément à la convention collective [2] , à l’annexe A, tableau des salaires, pour l’année 2012, le taux horaire pour un opérateur A est de 22.55$ de l’heure, alors que le taux horaire d’un coordonnateur de salle de contrôle est de 31.51$ de l’heure. Ce taux est applicable jusqu’au 20 juin 2013, date à laquelle un ajustement rétroactif de salaire a eu lieu, par l’effet de la nouvelle convention collective [3] .
[13] Dans les faits, le taux horaire, à compter du 20 juin 2013 et rétroactivement au 1 er janvier 2013, sera de 24.15$ pour un opérateur A et de 33.75$ pour un coordonnateur de salle de contrôle.
[14] François Fillion dépose en preuve ses relevés de paies pour les périodes du 24 février 2013 [4] et du 31 mars 2013 [5] .
[15] On constate que le taux horaire applicable pour les heures travaillées pour ces périodes est de 22.55$ soit le taux horaire d’un opérateur A.
[16] Un ajustement du salaire apparaît à ligne REPL MAX et qui est l’équivalent de la différence du taux horaire entre l’opérateur A et le coordonnateur de salle de contrôle, soit 8.96$ de l’heure.
[17] L’ajustement dont il est question à cette ligne ne s’applique qu’aux heures travaillées, soit en temps régulier ou temps supplémentaire.
[18] C’est ainsi que le paiement des congés fériés, des congés mobiles, des congés de maladie, les appels de service et le pourcentage applicable pour le régime de retraite, se font sur la base du taux horaire du poste détenu de façon permanente.
[19] Pour François Fillion, le taux horaire applicable pour ces congés est donc celui d’opérateur A, à 22.55$ et non le taux du coordonnateur de salle de contrôle à 31.51$.
[20] Hugo Lepage est chez l’employeur depuis le 16 février 1998.
[21] Il occupe, au moment de l’audition, des fonctions syndicales comme président de l’unité locale. Au moment du dépôt du grief, il occupait les fonctions de vice-président.
[22] Le 30 septembre 2013, il est affecté temporairement au poste de coordonnateur de salle de contrôle sur le quart de jour/soir, en remplacement de Daniel Brodeur, qui est en congé de maladie.
[23] Il occupe à ce moment-là, de façon permanente, le poste d’opérateur A sur le quart de jour/soir.
[24] Son taux horaire, au 30 septembre 2013, à titre d’opérateur A est de 24.15$ alors que le taux horaire pour le poste de coordonnateur de salle de contrôle est de 33.75$.
[25] Il dépose son bulletin de paie pour la période du 20 octobre 2013 [6] , qui confirme son taux horaire de 24.15$ et un ajustement de 245.90$ à ligne REPL MAX.
[26] Comme pour François Fillion, il s’agit là de l’ajustement de son taux horaire, en fonction de celui applicable au coordonnateur de salle de contrôle.
[27] Il confirme, à cet égard, que l’ajustement dont il est question n’est applicable qu’aux heures travaillées en temps régulier et en temps supplémentaire.
[28] Contre-interrogé sur les motivations du syndicat de déposer le présent grief, Hugo Lepage explique que pour la partie syndicale, toutes les affectations de plus de 30 jours doivent être affichées et celui qui obtient le poste temporairement devient, par l’effet de l’article 14 de la convention collective titulaire du poste, et ce jusqu’au retour du salarié à qui il appartient de façon permanente.
[29] Ce faisant, il a droit non seulement au taux horaire applicable, mais également à tous les avantages qui y sont reliés.
[30] Dans le cas d’un remplacement de moins de 30 jours, il convient que le salarié affecté temporairement ne devient pas titulaire du poste.
[31] C’est en substance l’interprétation qu’en retient le syndicat.
[32] Mélyna Panneton est conseillère en ressources humaines chez l’employeur, depuis le 22 janvier 2012.
[33] Elle dépose, au soutien de son témoignage, les suivis et progressions internes, les feuilles de temps et les bulletins de paie des quatre salariés touchés plus directement par le présent grief, soit François Fillion, Hugo Lepage, Gabriel Lemay et Jean-François Ménard.
[34] Elle témoigne ensuite sur la méthode de calcul, que l’employeur applique dans les cas d’affectation temporaire, confirmant du coup, les témoignages de François Fillion et Hugo Lepage, quant au taux horaire applicable et à l’ajustement fait par l’employeur sur les heures travaillées en temps régulier ou en temps supplémentaire.
[35] Contre-interrogée sur la détermination de l’affectation temporaire, elle confirme que le remplacement est attribué par ancienneté, parmi les salariés qui ont apposé leur candidature sur le formulaire de progression interne.
[36] Sur cet aspect, elle précise que le même formulaire est utilisé pour les affectations temporaires et les affectations permanentes.
PRÉTENTIONS DU SYNDICAT
[37] Pour la partie syndicale, la question en litige se résume de la façon suivante : quel est le taux horaire d’un salarié en affectation temporaire ?
[38] Interprétant l’application simultanée des articles 14 et 15 de la convention collective, le procureur syndical fait une distinction entre les affectations temporaires de moins de 30 jours et les affectations de plus de 30 jours.
[39] Si dans le premier, le salarié a droit au taux de salaire pour les heures effectuées, dans le second, par l’effet de l’article 14, il devient titulaire temporairement du poste, et a droit, non seulement au taux horaire applicable pour ce poste, mais également autres avantages reliés au poste.
[40] C’est ainsi qu’il a droit à l’application de ce taux horaire pour le calcul des congés fériés, les congés mobiles, les appels de service et pour le pourcentage applicable au régime de retraite.
[41] En définitive, le salarié qui obtient le poste a droit à tous les avantages qui s’y rattachent et on doit calculer les avantages selon le taux horaire de ce poste, occupé temporairement.
[42] Il demande donc d’accueillir le grief et d’ordonner à l’employeur de procéder aux ajustements, et ce de façon rétroactive.
PRÉTENTION DE L’EMPLOYEUR
[43] Pour le procureur patronal, l’interprétation que suggère la partie syndicale, particulièrement en ce qui concerne l’article 14, n’est pas supportée par le texte de la convention collective.
[44] Pour lui, « nulle part à l’une ou l’autre des clauses citées ci-dessus n’est-il prévu que le versement des avantages pécuniaires réclamés par le syndicat doit être calculé sur le taux de salaire majoré d’un salarié en affectation temporaire, ou sur le taux de salaire de la classification à laquelle il est affecté .»
[45] Au soutien de son argument, il ajoute que les expressions «taux horaire régulier majoré» «salaire de base» «salaire régulier» ne sont pas définies dans la convention collective.
[46] Pour lui, il importe donc « de rechercher la signification que les parties ont voulu leur donner. À cet égard, la jurisprudence reconnait que les mots employés doivent recevoir leur sens usuel, celui que l’on retrouve notamment dans les dictionnaires courants ou les dictionnaires spécialisés en droit du travail. »
[47] Or, il argue, qu’en aucune façon il est possible, du texte de la convention collective, de soutenir la prétention syndicale, et d’ajouter au taux horaire d’un poste temporairement affecté, le calcul des autres avantages tels que les congés fériés, congés mobiles ou le pourcentage applicable au régime de retraite.
[48] Il demande donc le rejet du grief.
LA DÉCISION
[49] Je résumerais la question en litige de la façon suivante : le salarié affecté temporairement à un poste, pour une période de plus de 30 jours, peut-il réclamer, outre le taux horaire de son affectation, que ce taux soit également applicable au calcul des autres avantages reliés à son poste ?
[50] En matière administrative, comme c’est le cas ici, les règles sont bien connues.
[51] Le litige qui m’est soumis porte essentiellement sur l’interprétation et l’application de la convention collective. Or, on le sait, les dispositions de la convention collective constituent le droit qui lie les parties.
[52] Dans ce cadre, les parties ont prévu qu’en cas de litige sur l’interprétation ou l’application de l’une de ces dispositions, celui-ci serait soumis à un arbitre afin de trancher sur la question. [7]
[53] Je note que les pouvoirs qui me sont dévolus ne sont pas infinis et que je dois me conformer aux dispositions de cette convention sans ajouter, retrancher, changer ou rendre une décision qui serait contraire à ces dispositions. [8]
[54] Conséquemment, pour décider du droit des parties, je devrais m’en remettre aux règles d’interprétation, afin de faire ressortir la véritable portée qu’elles ont voulu donner aux dispositions. Cet exercice rationnel d’analyse m’empêche, dès lors, de tenir compte des autres facteurs, que peuvent révéler la situation des parties ou encore les prétentions défendues par celles-ci.
[55] Ce qui importe, dans le rôle du décideur, c’est d’appliquer, à sa plus juste compréhension, les dispositions qui lui sont soumises, en se gardant d’ajouter ou de modifier au sens réel qui doit leur être donné.
[56] Les parties s’en remettent à l’arbitre pour interpréter la convention collective et non l’écrire. Ce faisant, le principe général veut qu’il écarte toute interprétation qui l’amènerait à supprimer ou ajouter aux termes de la convention, lorsque les dispositions en cause sont, par ailleurs, sans ambiguïté.
[57] À tous égards, cette règle de la disposition claire vise à limiter le rôle de l’arbitre et à le ramener à son devoir strict d’appliquer la convention collective, lorsqu’il est en présence d’un texte qui ne souffre d’aucune amphibologie.
[58] Il doit présumer que chaque terme a été utilisé pour produire un effet, les parties n’étant pas censées parler pour ne rien dire.
[59] Dit autrement, l’arbitre ne peut s’autoriser à accorder des droits ou imposer des obligations qui ne sont pas prévues dans la convention collective, et ce, au seul titre qu’il estimerait plus juste ou plus équitable de le faire. Agir autrement contreviendrait à la finalité et à la compétence qui lui est donnée par la loi et la convention collective.
[60] Partant de ces principes, voyons maintenant les dispositions applicables à notre affaire.
[61] La partie syndicale réclame que le salarié, affecté temporairement à un poste, pour une période de plus de 30 jours, puisse bénéficier de tous les avantages associés à ce poste.
[62] Pour reprendre le témoignage d’Hugo Lepage, la partie syndicale soutient qu’étant donné que toutes les affectations de plus de 30 jours doivent être affichées, celui qui obtient le poste temporairement devient, par l’effet de l’article 14 de la convention collective titulaire du poste.
[63] La conséquence directe de cette titularisation du poste est la majoration des congés mobiles, des congés de maladie, des appels de services et du pourcentage attribuable au fonds de retraite, au taux de salaire du poste occupé temporairement.
[64] Toute la question porte donc sur les mécanismes d’affectation temporaire.
[65] L’article 15 de la convention collective traite spécifiquement de cette question.
15.01 AFFECTATION TEMPORAIRE
a) Tout poste vacant pour une période de (30) jours calendrier ou moins est une affectation temporaire et est comblé à la discrétion de l’employeur sans affichage. À l’expiration de ce délai, le poste est comblé selon l’article 14 de façon temporaire. S’il est prévu d’entrée de jeu que ce délai sera dépassé, un poste doit dès le départ être comblé de façon temporaire selon l’article 14.
Lorsqu’une affectation temporaire se termine, le salarié reprend son poste et ses fonctions habituelles pour autant qu’il y ait toujours du travail pour lui eu égard à son ancienneté.
b) Tout salarié effectuant du remplacement de vacances n’est pas visé par l’article 15.
Pour tout remplacement de vacances d’une durée d’une (1) semaine continue ou plus, l’affectation se fait comme suit :
[…]
15.02 Pour les salariés qui n’ont pas atteint le taux horaire de leur classification :
Un salarié affecté temporairement à un poste reçoit, pour les heures effectuées sur l’autre poste, le taux de salaire le plus élevé entre son taux horaire régulier et son taux horaire régulier majoré d’une prime maximale de quatre-vingt-dix cents (0.90$) de l’heure pour chaque classification supérieure au niveau salarial selon la classification sur laquelle il est affecté temporairement (jusqu’à un maximum de deux dollars soixante-dix (2.70$/heure de prime), sans dépasser le taux horaire de cette classification pour l’année pertinente selon l’Annexe A.
Pour les salariés qui ont atteint le taux horaire de leur classification :
Un salarié affecté temporairement à un poste reçoit, pour les heures effectuées sur l’autre poste, le taux horaire le plus élevé entre son taux horaire régulier et le taux horaire de la classification sur laquelle il est affecté temporairement selon l’Annexe A.
[66] Une lecture attentive de cet article permet de le diviser en deux paragraphes différents, soit la mécanique d’affichage à l’article 15.01 et la méthode de calcul de la rémunération, à l’article 15.02.
[67] Les trois premières sections de 15.01 traitent de la mécanique qui sera utilisée pour combler les postes temporairement vacants.
[68] La première section traite des affectations temporaires de moins de 30 jours, lesquelles sont comblées à la discrétion de l’employeur.
[69] On comprend que pour ce genre d’affectation, l’employeur a pleine discrétion pour effectuer le remplacement, sans égard au département ou à l’ancienneté.
[70] La deuxième section vise les affectations temporaires de plus de 30 jours. Dans ces cas, la mécanique sera différente, la discrétion de l’employeur faisant place cette fois à une procédure d’affichage, le poste étant attribué selon les exigences relatives à la nature du poste et à l’ancienneté. La procédure d’affichage et les exigences qui sont prévues à l’article 14 de la convention collective sont alors applicables.
[71] La troisième section concerne le remplacement des vacances d’une durée d’une semaine ou plus.
[72] Finalement l’article 15.02 traite de la rémunération à laquelle a droit un salarié affecté temporairement, faisant une distinction entre les salariés n’ayant pas atteint le taux horaire de leur classification et les salariés ayant atteint leur taux horaire de classification.
[73] Aux fins de notre affaire, les salariés impliqués ont atteint leur taux horaire de classification.
[74] Pour l’essentiel, la partie syndicale soumet que le salarié affecté temporairement à un poste pour une période de plus de 30 jours a droit à tous les avantages, majorés au taux horaire de ce poste, puisque, par l’effet de l’article 14 de la convention collective, il devient titulaire du poste en question.
[75] Avec égard pour l’opinion contraire, je ne peux souscrire à cette prétention.
[76] Je m’explique.
[77] Toute cette affaire est d’abord et avant tout une question d’interprétation.
[78] À cet égard, il convient de souligner que l’arbitre appelé à interpréter une ou plusieurs dispositions d’une convention collective doit s’assurer, de respecter la nature et la portée du texte soumis à son interprétation.
[79] Il importe donc, à ce stade de la discussion, de reprendre certaines règles d’interprétation qui sont bien connues. Aux fins de mon analyse, j’en retiendrai quatre :
1) Les dispositions de la convention collective claires et précises ne souffrent pas d’interprétation.
2) Les dispositions de la convention collective sont interdépendantes et s’expliquent dans leur ensemble.
3) Une convention s’interprète en favorisant la réalisation de ses effets ordinaires et généraux et, à ces fins, en limitant ses effets d’exception. [9]
[80] Les parties ont convenu, à l’article 15 de la convention collective, d’encadrer les mécanismes applicables, dans les cas d’affectation temporaire des postes vacants.
[81] Pour ce faire, ils ont prévu la façon dont sera comblé le poste, par l’article 15.01, et la rémunération à laquelle aura droit le salarié qui y sera affecté, par l’article 15.02.
[82] Ce faisant, il est juste, à mon avis, de conclure que toutes les questions d’affectation temporaire doivent nécessairement passer par les dispositions de cet article.
[83] Il est vrai, comme le prétend le syndicat, que l’article 15.01, dans les cas d’affectations temporaires de plus de 30 jours, réfère à l’article 14 de la convention collective.
[84] Or, avec égard, j’estime que la référence à l’article 14 de la convention collective, que l’on retrouve à l’article 15.01, ne vise que la mécanique d’attribution du poste, ou dit autrement, la façon dont il sera comblé.
[85] D’ailleurs le libellé me parait clair : «À l’expiration de ce délai, le poste est comblé selon l’article 14 de façon temporaire.»
[86] En référant à l’article 14, les parties se sont assurées d’une procédure plus exhaustive d’attribution du poste, passant par un affichage, respectant ainsi l’ancienneté et les exigences requises pour le faire, étant entendu que l’affectation dont il est question devra nécessairement s’étendre sur une période de plus de 30 jours.
[87] Cette procédure plus exhaustive s’inscrit d’ailleurs dans la logique de l’article 15.01 qui prévoit que les affectations temporaires de moins de 30 jours, pour leur part, sont comblées à la discrétion de l’employeur.
[88] Partant de ce constat, force est d’admettre que la distinction qui est faite entre les affectations de moins de 30 jours et de plus de 30 jours ne vise que la procédure d’attribution de l’affectation temporaire.
[89] Rien dans le libellé de l’article 15.01, ne permet d’inférer que la référence à l’article 14 et à la procédure d’affichage, aurait pour effet non seulement de combler le poste, mais aussi d’en accorder la titularité au salarié à qui il est attribué.
[90] Si tel avait été le cas, les parties l’auraient spécifiquement prévue.
[91] Dans ce sens, je ne peux retenir l’argument de la partie syndicale voulant que, par l’attribution d’un poste en affectation temporaire de plus de 30 jours, le salarié devienne titulaire de ce poste et se voit accorder la rémunération qui s’y rattache.
[92] Franchir ce pas nous amène inévitablement à ajouter aux dispositions de l’article 15.01, ce qui en tout état de cause ne m’est pas permis sans outrepasser ma juridiction.
[93] Une fois l’attribution du poste en affectation temporaire accordée, reste à savoir à quelle rémunération a droit le salarié ainsi affecté.
[94] L’article 15.02 vise spécifiquement le mode de rémunération pour ce genre de situation.
«Un salarié affecté temporairement à un poste reçoit, pour les heures effectuées sur l’autre poste, le taux horaire le plus élevé entre son taux horaire régulier et le taux horaire de la classification sur laquelle il est affecté temporairement selon l’Annexe A.» (Notre soulignement)
[95] Je retiens que, tant pour le salarié affecté moins de 30 jours que pour celui affecté plus de 30 jours, le mode de rémunération est le même. La distinction que fait l’article 15.02 ne concerne que les salariés ayant atteint ou non le taux horaire de leur classification. Or, aux fins de notre affaire, je tiens pour acquis que les salariés touchés ont tous atteint le taux horaire de leur classification.
[96] C’est ainsi que la rémunération à laquelle a droit le salarié affecté temporairement est équivalente au nombre d’heures travaillées, au taux horaire le plus élevé entre son poste habituel et le poste temporairement occupé.
[97] Cela dit, je comprends que deux notions sont essentielles à l’application de cette disposition, soit les heures effectuées et le taux horaire.
[98] Le premier constat impose donc que la rémunération à laquelle a droit le salarié se calcule uniquement sur les heures effectuées sur le poste en affectation. On comprend que ces heures effectuées correspondent aux heures effectivement travaillées, en temps régulier ou en temps supplémentaire.
[99] Le taux horaire, quant à lui, sera multiplié par le nombre d’heures effectuées afin de déterminer la rémunération totale à laquelle a droit le salarié affecté temporairement.
[100] La partie syndicale soutient que le taux horaire, auquel fait référence l’article 15.02, doit inclure les avantages liés au calcul du régime de retraite, des jours fériés, des congés mobiles et des appels de services.
[101] C’est ainsi que le salarié affecté temporairement verrait, par l’effet de l’article 15.02, le calcul des différents avantages mentionnés plus haut, majorés au taux de salaire du poste occupé en affectation.
[102] Partant de là, la question qui se pose est donc de savoir si le taux horaire auquel fait référence l’article 15.02 inclus la majoration du régime de retraite, des congés et des appels de service.
[103] La convention collective ne définit pas la notion de taux horaire.
[104] Ce faisant, il est généralement reconnu qu’en pareil cas, l’intention des parties se reflète dans le sens usuel des mots et dans leur interprétation communément utilisée.
[105] Ma collègue Louise Viau s’exprime ainsi :
«(…) À défaut de définition des termes dans la convention collective elle-même, on peut penser que les mots employés doivent recevoir leur sens usuel, celui que l’on retrouve notamment dans les dictionnaires courants ou les dictionnaires spécialisés en droit du travail. » [10]
[106] L’auteur Gérald Dion [11] retient la définition suivante de la notion de taux horaire:
Taux horaire : taux de salaire fixé par heure. C’est un mode de rémunération fondée sur la durée du temps de présence au travail. Contractuel ou légal, ce taux horaire ne doit pas être confondu avec les gains horaires, qui représentent le montant effectivement gagné par heure de travail; contrairement aux gains horaires, le taux horaire n’inclut ni prime, ni majoration pour heures supplémentaires ou pour toutes autres raisons, ni d’autres avantages pécuniaires de quelque nature qu’ils soient.
[107] Le taux horaire se définit donc comme étant un taux fixe, pour une heure de travail, versé à l’exclusion de tous autres avantages liés à la rémunération.
[108] À première vue, l’intention des parties, si tant est qu’elles aient utilisées les mots dans leur sens commun, était de ne pas inclure dans la rémunération, une majoration des avantages liés au taux horaire du poste en affectation temporaire.
[109] On devrait donc, partant de ce constat, écarter de la rémunération d’un salarié en affectation temporaire, toute majoration des avantages, dont ceux réclamés par la partie syndicale.
[110] J’ajouterai que pour prétendre, comme le fait la partie syndicale, à tout autre droit, dont le droit aux avantages associés à la rémunération, il est essentiel, à mon sens, que les parties en fassent mention de façon spécifique.
[111] Sur cet aspect, je rejoins l’interprétation générale que retiennent les tribunaux concernant les dispositions de la convention collective attributive d’avantages pécuniaires.
[112] Je fais miens les propos retenus par mon collègue Devine dans l’affaire Cardinal [12] :
«Where a monetary benefit is asserted, it normally falls to the Union to show in clear, specific and unequivocal terms that the monetary benefit is part of the employee’s compensation package. Such an intent is not normally imposed by interference or implication. »
[113] Encore une fois et avec respect pour l’opinion contraire, j’estime que si les parties avaient voulu inclure dans la notion de taux horaire les avantages auxquels prétend la partie syndicale, ils l’auraient spécifié de façon claire et non équivoque.
[114] Or, en l’absence d’une telle précision, je suis d’avis qu’il n’appartient pas à l’arbitre de présumer de cette inclusion.
[115] Mais il y a plus.
[116] Comme on l’a vu plus haut, il est expressément prévu à l’article 15.02, que le salarié temporairement affecté à un poste a droit au taux de salaire le plus élevé entre son taux habituel et le taux applicable à la classification du poste occupé temporairement.
[117] L’article 17 de la convention collective traite du temps supplémentaire.
[118] Or, au paragraphe 17.02 d) il est également expressément prévu que « Le salarié recevra le taux horaire de la classification sur laquelle le temps supplémentaire est effectué selon l’Annexe A. »
[119] J’en comprends donc que, tant pour l’affectation temporaire que pour le temps supplémentaire, les parties ont convenu d’appliquer le taux horaire de la classification la plus élevée ou de la classification occupée.
[120] Par contre, l’article 18 qui traite de la rémunération minimale prévoit au paragraphe 18.02 :
Un salarié qui a quitté l’Établissement après avoir terminé sa journée de travail et qui rappelé au travail avant le début de la journée ouvrable suivante, est rémunéré en heures supplémentaires selon l’article 17, mais en aucun temps il ne reçoit moins que l’équivalent de trois (3) heures à son taux horaire régulier, et ceci pour chaque rappel . (Notre soulignement)
[121] De même, l’article 20.01 qui traite de jours fériés et des congés mobiles stipule que « les salariés réguliers ne subissent, pour ces jours, aucune perte de salaire régulier en raison de ces congés… » (Notre soulignement)
[122] L’article 29.06 qui concerne l’invalidité courte durée du régime d’assurance-groupe se lit comme suit :
Un salarié régulier absent du travail par la suite d’une hospitalisation, d’une maladie ou d’un accident non relié (e) au travail qui se qualifie pour l’assurance invalidité courte durée selon le régime applicable recevra son salaire régulier conformément au tableau ci-dessous. […] (Notre soulignement)
[123] Finalement, la lettre d’entente #4 qui confirme les modalités du régime de retraite à cotisation déterminée stipule :
[…] Les points saillants du Plan sont une contribution par la Compagnie d’une valeur de 5% du salaire horaire de base annuel de l’employé, l’employé étant éligible à contribuer jusqu’à son maximum tel que défini par l’Agence du revenu du Canada. […] (Notre soulignement)
[124] De ce qui précède, force est d’admettre qu’en ce qui concerne les appels de service, les congés fériés, le taux applicable en assurance invalidité et au régime de retraite, la base retenue est celle du salaire régulier.
[125] Or, comme on l’a vu plus haut, lorsque les parties ont convenu d’une autre base de calcul que le taux de salaire régulier, ils l’ont expressément prévu et énoncé.
[126] Conséquemment, tant par l’application de l’article 15.02 que par une lecture des dispositions pertinentes de la convention collective, j’en conclus qu’un salarié, affecté temporairement, a droit à une rémunération égale au taux horaire le plus élevé entre son taux de salaire régulier et celui du poste occupé temporairement, et ce, à l’exclusion de toute majoration en regard du régime de retraite, du régime d’assurance invalidité, des jours de congé et des appels de service.
[127] Pour tous ces motifs, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et sur le tout délibéré, le tribunal d’arbitrage.
REJETTE le grief.
Blainville, ce 26 octobre 2015
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Me André G. Lavoie
Arbitre
Conférence des arbitres du Québec
ANNEXE I
Date du mandat : 18 juin 2014
Date d’audience : 6 mai 2015 et 2 septembre 2015
Lieu de l’audience : Blainville
Témoins : François Fillion - coordonnateur salle de contrôle
Hugo Lepage - opérateur A
Mélyna Panneton - conseillère en ressources humaines
ANNEXE II
AUTORITÉS PATRONALES
Cardinal Transportation B.C. Inc. and Canadian Union of Public Employees, Local 561 , [1997] B.C.C.A.A.A. No 83;
Heath Employers Association of B.C. representing the Vancouver Hospital and Health Sciences Center , [1996] B.C.C.A.A.A. No 646;
Long Harbour Employers Association Inc. Lockerbie & Hole Eastern and Resource development trades council of Newfoundland and Labrador, 2013 CanLII 89491;
Fraternité des policiers de la
Régie intermunicipale de la Rivière-du-Nord et Régie intermunicipale de police
de la Rivière-du-Nord,
Maritime Electric Company Limited and The International brotherhood of electrical workers, local 1432, 1993 CanLII 1629;
Hinton Pulp & Hinton Wood Products and Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, local 855 , 2008 CanLII 88078;
Syndicat des cols bleus de la
Ville de Laval Inc. section locale 4545 SCFP et Ville de Laval,
Thames Valley District School Board and Canadian Union of Public Employees, local 4222B , [2009] O.L.A.A. No 638;
Fraternité des policiers de
Candiac et Ville de Candiac
,
Syndicat internationnal des travailleurs du verre, mouleur, poterie, plastique et autres, section locale 342 et Supérieur Propane Inc., DTE 2015-572;
Syndicat des employés (es) du
Centre communautaire juridique de Montréal et Le Centre communautaire juridique
de Montréal
,
DION, Gérald, Dictionnaire des relations du travail , 2 e Édition, Les presses de l’Université Laval, Québec, 1986;
BROWN, Donald J.M. BEATTY, David M., DEACON, Christine E., Canadian Labour Arbitration , Canada Law Book, July 2014;
REY-DEBOVE, J., REY A. Le petit Robert , Paul Robert;
MORIN Fernand, BLOUIN Rodrigue, Droit de l’arbitrage de grief , 6 e édition, Les Édition Yvon Blais;
MAYRAND, Albert, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit , 3 e édition, Les Éditions Yvon Blais;
AUTORITÉS SYNDICALES
MORIN Fernand, BLOUIN Rodrigue, Droit de l’arbitrage de grief , 6 e édition, Les Édition Yvon Blais,
[1] Pièce S1 et S3
[2] Pièce S1
[3] Pièce S3
[4] Pièce S7
[5] Pièce S6
[6] Pièce S9
[7] Article 10.08
[8] Article 11.02
[9] BLOUIN ET MORIN, Droit de l’arbitrage de grief , Édition Yvon Blais, 6 e édition, p.498-499.
[10]
Syndicat des travailleuses et travailleurs de PJC entrepôt (CSN) et Le Groupe
Jean Coutu (PJC) Inc.,DTE
[11] DION, Gérald, Dictionnaire des relations du travail , 2 e Édition, Les presses de l’Université Laval, Québec, 1986
[12] Cardinal Transportation B.C. Inc. and Canadian Union of Public Employees, Local 561 , [1997] B.C.C.A.A.A. No 83;