Motifs de décision

Stéphane Bergeron,

plaignant,

et

Unifor,

intimé,

et

Transport Jacques Auger inc.,

employeur.

Dossier du Conseil : 30946-C

Référence neutre : 2015 CCRI 776

Le 26 mai 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de M e  Annie G. Berthiaume, Vice-présidente, ainsi que de M e Richard Brabander et M. Daniel Charbonneau, Membres.

Représentants des parties au dossier

M. Stéphane Bergeron, en son propre nom;

M. Marcel Rondeau, pour Unifor;

M me Hélène Maurice, pour Transport Jacques Auger inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par M e Annie G. Berthiaume, Vice-présidente.

I. Nature de la plainte

[1] Il s’agit d’une plainte déposée le 25 février 2015 par M. Stéphane Bergeron (le plaignant) en vertu du paragraphe 97 (1) du Code canadien du travail (Partie I - Relations du travail) (le  Code ) , dans laquelle il allègue qu’Unifor (le syndicat) a manqué au devoir de représentation juste auquel il est tenu en vertu de l’article 37 du Code .

[2] Le plaignant allègue que le syndicat a agi de manière discriminatoire dans le cadre de l’administration de la police d’assurance collective. Plus spécifiquement, le plaignant allègue que le président de la section locale 1213, M. René Royer, lui refuse le remboursement de la contribution de l’employeur au régime d’assurance collecti ve, auquel il allègue avoir droit depuis des années. De plus, le plaignant remet en question l’intégrité de M. Royer ainsi que sa capacité d’exercer ses fonctions à titre de dirigeant syndical et de gestionnaire de la police d’assurance et du fonds de pension.

[3] Comme mesures de redressement, le plaignant demande que les sommes qui, selon lui, lui sont dues lui soient remboursées avec intérêts et que ces sommes soient validées par un tiers. De plus, le plaignant exige que M. Royer transmette une lettre aux membres expliquant les moyens qu’il entend employer pour effectuer ses tâches de président de la section locale 1213 et de gestionnaire de la police d’assurance et du fonds de pension, et ce, éthiquement et de façon non discriminatoire. Si M. Royer ne répond pas aux demandes du plaignant, ce dernier exige la mise en tutelle de la section locale 1213.

II. Contexte et faits

[4] Le plaignant travaille pour Transport Jacques Auger inc. (l’employeur) et est membre du syndicat. Le syndicat, plus précisément la section locale 1213, est le détenteur de la police d’assurance collective couvrant les employés syndiqués. En vertu de ladite police, l’employeur contribue à 50 % de la prime mensuelle d’assurance collective. Le plaignant a déposé au soutien de sa plainte des extraits de la convention collective des sections locales 1211 et 1213, dont l’article 25 qui prévoit ce qui suit :

ARTICLE 25 - ASSURANCE COLLECTIVE

25.01 Le syndicat est détenteur de la police maitresse ( sic ) d’assurance collective couvrant les employés syndiqués.

25.02 L’employeur contribue cinquante pourcent (50 %) de la prime mensuelle d’assurance collective. Ce 50 % sera appliqué rétroactivement au 1 er novembre 2008.

25.03 Le syndicat ne peut augmenter les couvertures prévues par le régime d’assurance sans l’accord de la compagnie.

25.04 L’employeur maintient sa contribution aux régimes d’assurance collective y compris durant une période de lockout.

[5] Or, le plaignant soutient qu’en raison de la disponibilité d’une autre couverture d’assurance par l’entremise du régime d’assurance de sa conjointe, il ne prend pas avantage de la police d’assurance collective en vigueur chez Transport Jacques Auger inc., et allègue être relevé de l’obligation de verser au complet la prime d’assurance applicable. Le plaignant allègue qu’au cours des dernières années - à l’époque où M. Marc Varin était le gestionnaire de la police d’assurance pour le syndicat -, comme il n’avait pas recours au régime d’assurance collective en vigueur, il recevait le remboursement de la contribution de l’employeur de 50 % versée en son nom.

[6] Le plaignant allègue que, depuis plus d’un an, il est tenu de verser la contribution de l’employé, mais qu’il n’obtient plus le remboursement de la quote-part de l’employeur, soit 50 % de la prime mensuelle applicable. Ainsi, le plaignant allègue que, vers le mois de janvier 2015, il a demandé à M. Royer, président de la section locale 1213 et gestionnaire de la police d’assurance collective, à quel moment ce dernier comptait lui remettre le remboursement de la contribution mensuelle de l’employeur. Le plaignant allègue avoir essuyé un refus de la part de M. Royer. Par surcroît, ce dernier aurait répondu que le plaignant lui devait des sommes d’argent, ce que le plaignant nie.

[7] Le plaignant soutient avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire, citant l’article 16 de la convention collective en vigueur, « Discrimination, harcèlement et langue de travail », et remet en question l’intégrité du président de la section locale ainsi que sa capacité d’exercer ses fonctions. De plus, dans les circonstances, il se dit sans recours étant dans l’impossibilité de déposer un grief, puisque celui-ci serait contre le président de la section locale du syndicat.

[8] Le 25 février 2015, le plaignant a déposé la présente plainte fondée sur l’article 37 du Code et sur « l’article 3 des statuts d’Unifor et [sur] tout autre article s’y rattachant ».

[9] Le 27 février 2015, le Conseil a demandé au plaignant des précisions afin de traiter ladite plainte, soit, entre autres, de confirmer et de fournir les articles de la convention collective ayant été enfreints, ainsi qu’une copie de toute décision et de tout grief ou toute communication en lien avec la situation invoquée. La présente décision est fondée sur l’ensemble des renseignements transmis par le plaignant, y compris les précisions et la documentation qu’il a fournis en date du 19 mars 2015.

III. Analyse et décision

[10] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Dans la présente affaire, le Conseil est d’avis que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre une décision sans tenir d’audience.

[11] L’article 37 est ainsi libellé :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[12] Lorsque le Conseil reçoit une plainte en vertu de l’article 37, il détermine d’abord si le plaignant a établi une preuve suffisante à première vue d’une violation du  Code (voir  Crispo 2010 CCRI 527 ).

[13] Pour ce faire, l e plaignant doit démontrer suffisamment de faits concrets qui, pour autant qu’ils ne soient ni contredits ni contestés, permettraient au Conseil de conclure que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi et qu’il a, dès lors, manqué au devoir de représentation juste auquel il est tenu en vertu de l’article 37 du Code (voir Blanchet ,   2008 CCRI 467 , confirmée par la Cour d’ appel fédérale dans Blanchet c. Association des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 712 , 2009 CAF 103 ). Le Conseil examine donc la plainte telle qu’elle a été déposée pour décider si les éléments de preuve fournis permettent d’établir une violation à première vue du Code . Une plainte ne consiste pas simplement à dénoncer une injustice ou simplement à alléguer que le syndicat a agi de manière arbitraire, ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Si, compte tenu des faits allégués par le plaignant, le Conseil ne peut pas conclure à une violation du Code , la plainte sera rejetée sans que le syndicat et l’employeur soient tenus d’y répondre.

[14] De plus, dans le cadre de cette analyse, il importe de rappeler que, pour trancher une plainte fondée sur l’article 37 du Code , le Conseil doit être satisfait que deux conditions distinctes sont réunies, tel qu’il est précisé dans l’affaire Powell , 2000 CCRI 97 :

[ 20 ] … il doit exister un agent négociateur pour l’unité de négociation, et… il doit y avoir un employé membre de l’unité à qui des droits sont reconnus par la convention collective

(c’est nous qui soulignons )

[15] Bien que le Conseil n’effectue pas une analyse exhaustive des dispositions de la convention collective (ce qui relève de l’arbitre de grief), le Conseil doit à tout le moins s’assurer que les droits allégués découlent de la convention collective, tel que le prévoit l’article 37 du  Code (voir Dumontier , 2002 CCRI 165). Or, après avoir examiné la plainte, le Conseil n’est pas convaincu que la conduite du syndicat dans la présente affaire découle de l’exercice d’un droit reconnu au plaignant par la convention collective.

[16] Le plaignant déplore la position prise par le syndicat et allègue que ce dernier a agi de façon discriminatoire dans le traitement de sa demande de remboursement de la prime d’assurance collective versée par l’employeur en son nom. La convention collective prévoit, à l’article 25, que le syndicat est détenteur de la police d’assurance collective, suggérant qu’il en est le gestionnaire. Or, les extraits de la convention collective qu’a fournis le plaignant ne prévoient pas un droit au remboursement, comme l’allègue ce dernier. Le plaignant, sans offrir aucune preuve au soutien du droit allégué, semble plutôt suggérer que le remboursement découle d’une pratique passée, à l’époque où M. Varin était le gestionnaire de la police d’assurance collective. Les modalités de remboursement des primes d’assurance n’étant pas un droit prévu par la convention collective, ce droit allégué ne saurait relever de l’article  37 du  Code et être assujetti à l’obligation de représentation juste. De plus, même si cette question pouvait relever de l’article 37, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire, le Conseil est d’avis que, mis à part le refus du syndicat de rembourser au plaignant les sommes demandées, ce dernier n’a fourni aucun élément de preuve ou autre information permettant de conclure que le syndicat a agi de façon discriminatoire dans le cadre du traitement de sa demande.

[17] Le plaignant, manifestement mécontent du refus de M. Royer de lui verser le remboursement auquel il allègue avoir droit, remet de plus en question l’intégrité du président de la section locale 1213 et sa capacité d’exercer ses fonctions à titre de dirigeant syndical et de gestionnaire de la police d’assurance et du fonds de pension. À cet égard, il importe de citer l’affaire Gower ,   2012 CCRI 622 , qui rappelle que l’article 37 du Code ne s’étend pas aux affaires internes du syndicat :

[83] L’objet de l’article 37 n’est pas de régir les différends entre des dirigeants ou des représentants du syndicat et le conseil d’administration de ce syndicat. Le Conseil et son prédécesseur ont constamment conclu que la portée du devoir prévu à l’article 37 ne s’étend pas aux affaires internes du syndicat : Wilson et autres (1986), 66 di 201 (CCRT n o 583), à la page 210. En d’autres mots, l’article 37 du Code ne doit pas être utilisé comme véhicule procédural pour instruire des différends purement internes du syndicat quant à des questions relatives à l’administration ou à l’application de ses statuts et de ses règlements, y compris l’élection et la nomination de dirigeants et l’administration interne du syndicat.

(c’est nous qui soulignons )

[18] Dans la même veine, les responsabilités et les obligations qui incombent aux dirigeants syndicaux relèvent de la régie interne du syndicat. D’ailleurs, les statuts et les règlements d’un syndicat prévoient des mécanismes afin de permettre aux membres de se faire entendre et de faire valoir toute préoccupation à l’endroit de leurs dirigeants syndicaux. Une plainte devant le Conseil ne saurait servir de mécanisme pour traiter une plainte ou encore pour pallier le défaut d’avoir suivi les recours internes disponibles visant les dirigeants. Ainsi, les doléances du plaignant à l’égard de M. Royer, ne peuvent faire l’objet d’un examen par le Conseil.

[19] Pour tous les motifs exposés précédemment, et étant donné que l’objet de la plainte ne relève pas de droits prévus à la convention collective, le Conseil se doit de rejeter la plainte, puisqu’il n’y a aucun élément de preuve au dossier qui permettrait de conclure que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des droits reconnus au plaignant par la convention collective.

[20] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

 

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Annie G. Berthiaume

Vice-présidente

 

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Richard Brabander

Membre

 

 

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Daniel Charbonneau

Membre