Kalo Appliance inc. c. Swatow Development Inc.

2015 QCCQ 10754

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-141674-145

 

DATE :

 Le 22 octobre 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

VINCENZO PIAZZA, J.C.Q.

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KALO APPLIANCE INC.

Partie demanderesse

c.

SWATOW DEVELOPMENT INC.

Partie défenderesse

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JUGEMENT

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[1]            Deux contrats sont intervenus entre les parties [1] . L’un de ces contrats prévoit la fourniture et l’installation par Kalo Appliance inc. («  Kalo  ») d’un système de ventilation et climatisation dans l’immeuble de Swatow Development inc. («  Swatow  »). L’autre contrat prévoit la fourniture et l’installation par Kalo d’un système de réfrigération commercial dans le restaurant que Swatow exploite dans cet immeuble.

[2]            Kalo réclame 7 000,00 $ à Swatow en paiement du solde impayé de sa facture de 20 000,00 $ pour des travaux de réparation du système de ventilation [2] .

[3]            Suivant des défectuosités du système de réfrigération également installé par Kalo, les parties acceptent de réduire la facture de 20 000,00 $ à 16 655,72 $. Swatow remet à Kalo une série de onze chèques totalisant ce montant [3] .

[4]            Les représentants de Swatow témoignent que le système de réfrigération faillit de nouveau après la conclusion de cette entente. Swatow donne alors à sa banque un contrordre de paiement quant à trois des chèques qui avaient été remis à Kalo, totalisant 4 545,00 $.

[5]            Selon Kalo, en donnant ce contrordre, Swatow a révoqué l’entente suivant laquelle les parties ont accepté de réduire la facture de Kalo de 20 000,00 $ à 16 655,72 $. Puisque les huit chèques de Swatow que Kalo a encaissés totalisent 12 110,72 $, Kalo considère donc que Swatow lui doit 7 889,28 $, qu’elle accepte de réduire à 7 000,00 $ pour procéder devant la Division des petites créances.

[6]            Swatow plaide que les travaux effectués par Kalo ne sont pas conformes aux contrats et n’ont pas été exécutés selon les règles de l’art. Le système de réfrigération a connu de nombreuses pannes, ce qui a causé des pertes d’inventaires considérables. Le système de ventilation a aussi fait défaut à de nombreuses reprises. Il faisait si chaud dans le restaurant au cours des étés 2012 et 2013 que l’achalandage de Swatow en a été sévèrement affecté.

[7]            L’ingénieur ayant signé les plans et devis, Nicolas Farley, témoigne que Kalo n’a pas effectué l’équilibrage de l’eau et de l’air dans le système de climatisation. C’est pourquoi ce système n’était pas fonctionnel jusqu’à ce que cet équilibrage soit effectué par un autre entrepreneur en 2013. Monsieur Farley ajoute que Kalo n’a pas isolé les conduits de climatisation dans l’entre-toit de l’immeuble, ce qui est contraire aux plans et devis ainsi qu’aux exigences du Code national du bâtiment. L’accumulation de chaleur dans l’entre-toit fait donc en sorte que le système de climatisation, vu cette absence d’isolation, ne performe pas adéquatement.

[8]            Monsieur Farley estime à 19 348,00 $ avant taxes le coût des travaux d’isolation thermique des conduits de climatisation que Kalo a installés sans les isoler [4] .

[9]            Le 14 août 2014, Swatow forme une demande reconventionnelle contre Kalo et accepte de réduire sa réclamation à 7 000,00 $ pour que le dossier demeure devant la Division des petites créances.

[10]         Le 29 septembre 2015, Swatow amende sa demande reconventionnelle et réclame 15 000,00 $ à Kalo. Au soutien de cet amendement, Swatow n’allègue aucun fait nouveau qui serait survenu depuis le 14 août 2014.

ANALYSE ET DISCUSSION

[11]         La question de savoir s’il est possible, depuis le 1 er janvier 2015, d’amender un recours introduit à la Division des petites créances avant cette date pour réclamer plus de 7 000,00 $, a donné lieu à une controverse jurisprudentielle au sein de la Cour [5] .

[12]         Or, la Cour d’appel s’est depuis prononcée sur la question, bien qu’indirectement [6] .

[13]         Le Tribunal retient des enseignements de la Cour d’appel que pour les affaires en cours au 1 er janvier 2015, le législateur a voulu maintenir le statu quo eu égard aux droits substantiels [7] des justiciables ayant accepté de réduire leurs créances à moins de 7 000,00 $ pour procéder devant la Division des petites créances. En l’absence de faits nouveaux survenus depuis le 1 er janvier 2015, ce statu quo ne doit pas être rompu par l’augmentation d’une réclamation au nouveau seuil de compétence pécuniaire de la Division des petites créances.

[14]         À cet égard, le Tribunal fait siennes les observations suivantes de monsieur le juge Landry dans l’affaire Syndicat des copropriétaires, du 926, 928 et 930 Marcil c. Lebrun [8]  :

[15]    Concernant l’augmentation de la réclamation de 7 000 $ à 15 000 $, ce sujet fait l’objet d’une jurisprudence contradictoire de notre Cour.

[16]    En effet, notre Cour est divisée sur la question de savoir si la hausse du plafond monétaire de 7 000 $ à 15 000 $ entrée en vigueur le 1 er janvier 2015 peut s’appliquer aux poursuites déjà déposées avant le 1 er janvier 2015, comme c’est le cas ici.

[17]    Pour s’en convaincre, on peut lire le jugement rendu par Monsieur le juge Jean Faullem le 16 mars 2015 dans Corthals c. Zanolini qui fait une revue élaborée des jugements rendus sur cette question depuis le début de l’année 2015.

[18]    À cette date, j’avais rendu deux jugements déclarant recevables de tels amendements.

[19]    Depuis ce temps, plusieurs autres jugements se sont ajoutés qui acceptent ou refusent les demandes d’amendements dans les poursuites déposées avant le 1 er janvier 2015.

[20]    Le 23 juillet 2015, la Cour d’appel s’est prononcée sur l’article 13 de la Loi modifiant le Code de procédure civile et d’autres dispositions  («  LMPCP  ») concernant les transferts des dossiers entre la division régulière de la Cour du Québec et celle des petites créances :

13- «  Les affaires qui, à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi deviennent de la compétence de la Division des petites créances de la Cour du Québec se poursuivent devant la chambre civile de la Cour du Québec qui en est déjà saisie.  »

[21]    Dans l’affaire dont était saisie la Cour d’appel, une poursuite de 8 309,55 $ avait été déposée en division régulière le 23 décembre 2014 mais celle-ci n’avait été signifiée que le 6 janvier 2015.  Le défendeur prétendait qu’il pouvait demander le transfert de la poursuite en Division des petites créances puisque la poursuite ne lui avait été signifiée qu’après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi le 1 er janvier 2015 et que la Division des petites créances avait maintenant compétence sur des poursuites de ce montant.

[22]    À l’opposé, la demanderesse argumentait que c’était la date du dépôt de la poursuite au greffe qui compte et que le dossier devait donc demeurer en division régulière.

[23]    La Cour d’appel pose la question en litige en ces termes :

LA QUESTION EN LITIGE

[ 7 ] «  L’appel pose une question. À quel moment la Cour du Québec est-elle « saisie » d’une demande, au sens de l’article 13 de la LMCPC? Est-ce au moment où la procédure est déposée au greffe du tribunal ou plutôt lorsque celle-ci est signifiée à la partie défenderesse? »

[24]    La Cour d’appel tranche en faveur de la demanderesse parce que le mot «  saisie  » utilisé à l’article 13 cité précédemment réfère à la date du dépôt d’une poursuite et non à celle de sa signification.  Le résultat concret de la décision de la Cour d’appel fut que le dossier devait demeurer en division régulière et ne pouvait donc être transféré à la Division des petites créances.

[25]    En soi, cet arrêt de la Cour d’appel porte donc sur une question en litige qui n’est pas là la nôtre, à savoir la recevabilité des demandes d’amendements au delà de 7 000 $ dans les instances déjà en cours au 1 er janvier 2015.  L’arrêt ne fait pas mention non plus du conflit jurisprudentiel qui prévaut à ce sujet.

[26]    Toutefois, certains passages de cet arrêt amènent à s’interroger s’il n’aurait pas de manière incidente une portée plus large qu’une simple question de transfert des dossiers inter-divisions.  Par exemple, les passages suivants :

[ 2 ] « L’appel pose une question d’interprétation législative. Il s’agit de déterminer à quel moment s’applique la hausse de la compétence d'attribution de la Division des petites créances de la Cour du Québec. Cela exige de définir le mot « saisie » utilisé à l’article 13 de la Loi modifiant le Code de procédure civile et d’autres dispositions (ci-après LMCPC) 5 .

[ 3 ] Les deux articles de la LMCPC applicables sont les suivants :

2. L’article 953 de ce code est modifié par le remplacement de « 7 000 $ » par « 15 000 $ », partout où cela se trouve.

1 3. Les affaires qui, à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, deviennent de la compétence de la Division des petites créances de la Cour du Québec se poursuivent devant la chambre civile de la Cour du Québec qui en est déjà saisie .

[leurs soulignés]

2. Article 953 of the Code is amended by replacing both occurrences of “$7,000” by “$15,000”.

 

13. Cases that would, on the date of coming into force of this Act, be under the jurisdiction of the Small Claims Division of the Court of Québec continue before the Civil Division of the Court of Québec already seized of the matter.

 

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5.   L.Q., 2014, c. 10.

[ 45 ] Après considération des principes d’interprétation applicables et de l’arrêt rendu par la Cour dans Tomaz-Young c. Miller, je suis d’avis que la hausse du seuil monétaire prescrite par l’article 13 LMPCP s’applique aux demandes déposées après le 1 er janvier 2015 . En conséquence, je propose d’accueillir l’appel, avec dépens, d’infirmer le jugement de première instance et de rejeter la requête pour transférer le dossier à la Division des petites créances, avec dépens. »

(nos soulignés)

[27]    Si cet arrêt s’applique à notre affaire, la règle de l’autorité des tribunaux («  stare décisis  ») exige que l’on s’y conforme.

[28]    Après plusieurs lectures, je conclus que le paragraphe 45 du jugement de la Cour d’appel à l’effet que «  la hausse du seuil monétaire prescrit par l’article 13 LMPCP s’applique aux demandes déposées après le 1 er janvier 2015  », la hausse ne peut s’appliquer aux demandes déposées avant cette date, ce qui est le cas en l’espèce.

[29]    Toute la réflexion de la Cour d’appel sur la protection des droits substantiels et des droits acquis me porte à croire qu’elle arriverait à la même conclusion l’application de la hausse aux instances en cours.

[30]    Par conséquent, dans une poursuite déposée avant le 1 er janvier 2015, on ne pourrait hausser la réclamation au delà de 7 000 $ pour profiter de la loi nouvelle.

(Références omises)

[15]         L’amendement sera donc refusé.

[16]         Sur le fond, la preuve prépondérante établit que le système de réfrigération fourni et installé par Kalo a de nouveau fait défaut après que les parties eurent convenu de régler la facture impayée de Kalo pour la somme de 16 655,72 $. Les représentants de Swatow témoignent que lorsque le système de réfrigération tombe en panne, les règles sanitaires régissant l’industrie de la restauration exigent de jeter tout ce qu’il contient.

[17]         Le Tribunal considère donc que Swatow était bien fondée de donner un contrordre de paiement des trois chèques que Kalo n’avait pas encore encaissés.

[18]         La preuve établit également que le système de climatisation et ventilation de l’immeuble n’a pas été installé conformément aux plans et devis ni aux règles de l’art. Selon la preuve non contredite, le coût des travaux d’isolation thermique des conduits de climatisation dans l’entre-toit de l’immeuble excède largement la somme réclamée par Swatow en demande reconventionnelle.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

REJETTE la demande d’amendement de la demande reconventionnelle de Swatow Development Inc.;

REJETTE l’action de Kalo Appliance Inc.;

ACCUEILLE la demande reconventionnelle de Swatow Development Inc.;

CONDAMNE Kalo Appliance Inc. à payer 7 000,00 $ à Swatow Development Inc., avec intérêts au taux légal augmenté de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 14 août 2014;

CONDAMNE Kalo Appliance Inc. à payer à Swatow Development Inc. les frais judiciaires de 206,00 $ pour sa contestation et de 94,50 $ pour sa demande reconventionnelle.

 

 

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VINCENZO PIAZZA, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

Le 20 octobre 2015

 



[1] Pièce P-1.

[2] Pièce P-2.

[3] Pièce P-3.

[4] Pièce D-6.

[5] Voir entre autres Joseph c. Hydro-Québec , 2015 QCCQ 6463 .

[6] Mayco Financial Corporation c. Rosenberg , 2015 QCCA 1231 .

[7] Le droit de faire appel du jugement et le droit d’être représenté par avocat, essentiellement.

[8] 2015 QCCQ 9366 .