Fermes Marines du Québec inc. c. Gaspé (Ville de)

2015 QCCS 5095

JB4487

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 GASPÉ

 

N° :

110-17-000733-155

 

 

 

DATE :

  30 octobre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DANIEL BEAULIEU, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

FERMES MARINES DU QUÉBEC INC.

 

Demanderesse

 

c.

 

VILLE DE GASPÉ

 

Défenderesse

 

et

 

OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE GASPÉ

 

           Mis en cause

 

et

 

2851-9049 QUÉBEC INC.

 

           Intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

[1]            Par leurs requêtes respectives en passation de titre, la demanderesse Fermes Marines du Québec Inc. ( ci-après appelée FMQ ) et l’intervenante 2851-9049 Québec Inc. ( ci-après appelée 28 51 ) se disputent le droit à se porter acquéreures de l’un des immeubles propriété de la défenderesse, la Ville de Gaspé ( ci-après appelée La Ville ).

LE CONTEXTE

[2]            Suivant la convention de bail qui intervient le 6 novembre 2008 (P-1), la Ville loue à FMQ un bâtiment sis au 7, rue du Chantier-Maritime à Gaspé.

[3]            Ce bail est initialement consenti pour une durée initiale de trois ans, soit du 1 er  octobre 2008 au 30 septembre 2011. Il comporte une option de renouvellement pour trois années supplémentaires, faculté dont choisit d’ailleurs de se prévaloir FMQ afin d’ainsi prolonger le contrat de location jusqu’au 30 septembre 2014.

[4]            L’usage qu’entend faire FMQ des espaces ainsi loués est décrit à la clause 5 du bail :

« (5 ) Destination des lieux

            L’utilisation des lieux ne pourra servir qu’à la fin d’entreposage temporaire de produits d’élevage maricole et d’équipements maricoles . Aucune transformation desdits produits ne devra être effectuée à cet endroit … ». (nos soulignements)

[5]            Ce même bail, et il s’agit là de la source du litige, comporte en outre la clause suivante :

« 22) CLAUSE DE PRÉFÉRENCE

            Si le Bailleur décidait de vendre ou d’autrement aliéner l’immeuble faisant l’objet du présent bail à une entreprise dans le domaine de la pêche , le Locataire pourra par préférence s’en porter acquéreur. Par conséquent, le Bailleur s’engage à aviser le Locataire par écrit de toute offre qui pourrait lui être faite ou qu’il pourra faire lui-même en lui faisant parvenir une copie de telle offre. Le Locataire aura un délai de quinze (15) jours de la réception de cet avis pour informer le Bailleur de son intention d’acheter l’immeuble pour le même prix et aux mêmes conditions énoncées dans l’offre. À défaut d’informer le Bailleur dans ledit délai et de la façon précitée de son intention de se prévaloir de ce droit d’achat, le Bailleur aura le droit de donner suite à l’offre en question.

 

Le Locataire reconnaît que la présente clause est opposable uniquement au Bailleur dans le cas de la vente de l’immeuble faisant l’objet du présent bail à une entreprise dans le domaine de la pêche ». (nos soulignements)

[6]            Moins d’un mois avant la fin du bail, soit le 10 septembre 2014, la Ville adresse une lettre par courrier électronique au président de FMQ afin de l’informer que l’immeuble dont elle est locataire sera vendu à la fin du mois (P-10) :

« Bonjour Monsieur Hébert,

La présente est pour vous aviser que l’immeuble dont vous êtes locataire depuis octobre 2008 sera vendu d’ici la fin du mois de septembre à Monsieur Jacques Dufresne, tel qu’en fait foi la résolution adoptée par le Conseil municipal à sa séance du 2 septembre dernier.

(S) Isabelle Vézina greffière Ville de Gaspé » (nos soulignements)

[7]            Il convient ici de reprendre les termes de l’extrait du procès-verbal de cette séance du Conseil du 2 septembre 2014 et qui est joint à cette même lettre :

« EXTRAIT du procès-verbal de la séance ordinaire du Conseil municipal, tenue en la salle de l’hôtel de ville, mardi le 2 septembre 2014.

RÉS. 14-09-23     VENTE DU 7, RUE DU CHANTIER-MARITIME

À 2851-9049 QUÉBEC INC.

 

CONSIDÉRANT QUE la Ville de Gaspé a acquis l’immeuble situé au 7, rue du Chantier Maritime aux termes d’un acte exécuté le 17 septembre 2008 et publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Gaspé le 18 septembre 2008 sous le numéro 15594264;

CONSIDÉRANT QUE cette acquisition a été réalisée en conformité de la Loi sur les immeubles industriels municipaux;

CONSIDÉRANT la proposition d’acquisition de la propriété située au 7, rue du Chantier Maritime par 2851-9049 Québec Inc.;

CONSIDÉRANT QUE le projet consiste en l’aménagement d’un entrepôt et espaces extérieurs à des fins d’entreposage d’équipements, de conservation de bacs de moules en attente de cueillette et de contention de moules en fin de saison jusqu’à la formation de couvert de glace suffisant pour la récolte hivernale et la fourniture des marchés jusqu’à la récolte printanière;

CONSIDÉRANT QUE l’article 6 (1) L.I.I.M. stipule qu’une municipalité locale peut aliéner à des fins industrielles, para-industrielles ou de recherche un immeuble qu’elle a acquis en vertu de cette loi;

CONSIDÉRANT QUE l’article 6 (2) L.I.I.M. stipule que le prix pour lequel un immeuble est aliéné doit couvrir les coûts d’acquisition de cet immeuble et les frais engagés à son égard pour des services professionnels;

CONSIDÉRANT QUE l’article 6 (3) L.I.I.M. stipule que lorsque l’immeuble constitue, au moment de son aliénation, une unité d’évaluation distincte inscrite au rôle d’évaluation foncière de la municipalité, le prix d’aliénation doit être égal ou supérieur au moins élevé entre le total des coûts et des frais visés au deuxième alinéa et la valeur inscrite au rôle de cet immeuble;

CONSIDÉRANT QUE le coût total pour l’acquisition et les frais visés au deuxième alinéa est de 301 186.75 $;

CONSIDÉRANT QUE la valeur inscrite au rôle est de 269 590 $;

EN CONSÉQUENCE, il est proposé par le conseiller Ghislain Smith,

QUE la Ville de Gaspé accepte de vendre à 2851-9049 Québec Inc., l’immeuble situé au 7, rue du Chantier Maritime, sans garantie et aux risques et périls, pour un montant de 269 590 $, plus les taxes applicables.

QUE la greffière soit mandatée afin de préparer la promesse de vente.

QUE le maire et la greffière soient autorisés à signer tous les documents requis.

QUE le mandat de préparer l’acte requis soit confié à Me Claude Abdelnour, notaire.

QUE les frais d’arpentage, s’il y a lieu, et de notaire, soient à la charge de l’acquéreur.

QUE la vente doit être signée avant le 30 septembre 2014 .

Gaspé, le 3 septembre 2014

(s) Daniel Côté                                                                (s) Isabelle Vézina

Daniel Côté, maire                                                         Isabelle Vézina, greffière »

(nos soulignements)

[8]            Ce même jour, soit le 10 septembre 2014, le président de FMQ, Monsieur Hébert, s’empresse de rencontrer Madame Vézina à l’Hôtel de Ville de Gaspé. Il cherche alors à obtenir copie écrite de l’offre d’achat dont aurait effectivement pu être favorisée la Ville.

[9]            Le lendemain même, soit le 11 septembre 2014, le représentant de FMQ écrit à Madame Vézina (P-11). Il s’exprime alors comme suit :

 

« Bonjour Madame Vézina

Comme je n’ai pas reçu de retour de la part de la Ville de Gaspé, par rapport à notre discussion d’hier. Auriez-vous l’amabilité de me confirmiez que, tel que discuté lors de notre rencontre à l’hôtel de ville de Gaspé, le 10 septembre 2014, que la transaction de vente adoptée par résolution à la séance ordinaire du Conseil municipal, tenue en la salle de l’hôtel de ville, mardi le 2 septembre 2014 et signifié à Fermes Marines du Québec, par courriel le 10 septembre 2014, entre la ville de Gaspé et la compagnie 2851-9049 Québec Inc. appartenant à M. Jacques Dufresne est suspendue , jusqu’à ce que la ville nous informe par écrit de l’offre d’achat reçu pour la vente de l’immeuble et du terrain situé au 7, RUE DU CHANTIER-MARITIME, tel que stipuler à la clause 22, de la convention de bail :

22) Claude de préférence

Si le Bailleur décidait de vendre ou d’Autrement aliéner l’immeuble faisant l’objet du présent bail à une entreprise dans le domaine de la pêche, le Locataire pourra par préférence s’en porter acquéreur. Par conséquent, le Bailleur s’engage à aviser le Locataire par écrit de toute offre qui pourrait lui être faite ou qu’il pourra faire lui-même en lui faisant parvenir une copie de telle offre. Le Locataire aura un délai de quinze (15) jours de la réception de cet avis pour informer le Bailleur de son intention d’Acheter l’Immeuble pour le même prix et aux même conditions énoncées dans l’offre. À défaut de l’informer le Bailleur dans ledit délai et de façon précitée de son intention de se prévaloir de ce droit d’Achat, le Bailleur aura droit de donner suite à l’offre en question

JE VOUS CONFIRME PAR LA PRÉSENTE de mon intention de me prévaloir de mon droit de préférence et d’acheter l’immeuble aux mêmes termes et conditions que ceux acceptés par le Conseil municipal suite à l’offre de Jacques Duchesne . » .

. . . (texte intégral) (nos soulignements)

[10]         La preuve entendue lors de l’audience laisse voir que la Ville n’a tout au plus, reçu qu’une proposition « verbale » de 2851.

[11]         Ainsi et malgré cette demande formelle, aucune copie d’une offre d’achat ne sera effectivement transmise par la Ville à FMQ.

[12]         De fait, et constatant qu’elle avait oublié l’existence de la clause de préférence incluse au bail, comme elle l’admet d’ailleurs à sa défense, la Ville interrompt alors tout le processus visant à vendre l’immeuble à 2851.

[13]         C’est dans ce contexte et connaissant maintenant l’intention de la Ville de vendre cet immeuble, que les procureurs de FMQ acheminent, le 23 septembre 2014 (P-12), une mise en demeure formelle à celle-ci l’informant qu’un contrat notarié sera préparé en respect des modalités apparaissant à la résolution du 2 septembre 2014 (P10).

[14]         Dès le lendemain et à l’intérieur du délai prévu à la « clause de préférence » incluse au bail, la Ville est effectivement interpelée par le notaire de FMQ et informée de l’intention de cette dernière d’acheter l’immeuble pour le même prix et aux mêmes conditions qu’indiqués à la résolution. Copie de l’acte notarié, signé par le représentant de FMQ, avec confirmation que les sommes sont disponibles pour le paiement du prix de vente, sont alors remises à la Ville.

[15]         Bien que l’une des conditions de ladite résolution spécifie « que la vente doit être signée avec 2851 avant le 30 septembre 2014 », cette dernière n’entreprendra aucune démarche visant à la signature d’un tel acte avant cette même date.

[16]         De fait, ce n’est que le 17 novembre 2014, préalablement à la réunion du Conseil municipal qui doit se tenir le même jour, que 2851 met en demeure la Ville de donner suite à la résolution qu’elle a adoptée le 2 septembre. À défaut de le faire, elle menace alors d’entreprendre un recours en dommages et intérêts ou en passation de titre.

[17]         Le 19 novembre 2014 (P-15) la Ville, par ses procureurs, répond aux mises en demeure respectivement adressées par FMQ et 2851.

[18]         Elle les informe ainsi qu’elle n’a toujours pas adopté de résolution concernant la disposition de son immeuble. Elle incite par ailleurs FMQ et 2851 à trouver un terrain d’entente, sans quoi elle verra à prendre position, au plus tard le 1 er  décembre 2014, ce qu’elle ne fera pas.

[19]         La requête en passation de titre de FMQ est donc entreprise le 24 mars 2015 alors que celle de 2851, le sera le 22 avril 2015.

  POSITION DES PARTIES

            FMQ

[20]         Selon elle, la clause de préférence prévue à l’article 22 du bail (P-1), trouve application en l’espèce.

[21]         Ainsi, la Ville se devait, conformément à cette disposition, de l’informer de son intention de vendre afin qu’elle puisse acheter suivant les mêmes conditions que celles proposées par un tiers. À cet égard et bien qu’elle n’ait jamais pu être favorisée d’une copie quelconque d’une offre, elle soumet avoir répondu à la Ville et fait part de sa position dans les délais prescrits.

[22]         Elle indique finalement qu’aucune vente n’est réellement intervenue entre 2851 et la Ville puisque cette dernière a suspendu tout le processus visant à compléter cette transaction. Au surplus, elle prétend que les conditions requises afin que 2851 devienne propriétaire de l’immeuble n’ont jamais été remplies. Fort de ce raisonnement, elle demande à être déclarée propriétaire de l’immeuble visé, moyennant paiement du prix indiqué à la résolution.

La Ville

[23]         Celle-ci reconnaît avoir oublié la clause de préférence incluse au bail.

[24]         Eu égard à la position prise par 2851, laquelle nie le droit de FMQ à bénéficier de cette clause, elle choisit purement et simplement de s’en remettre à la décision du Tribunal.

2851

[25]         Dans un premier temps, elle fait valoir que la clause de préférence prévue au bail P-1 ne peut trouver application, puisqu’elle-même n’est qu’une compagnie de gestion, œuvrant principalement dans le domaine immobilier. Elle nie donc être une «entreprise dans le domaine de la pêche » tel que stipulée à la clause de préférence.

[26]         Subsidiairement, elle fait valoir que si FMQ peut effectivement bénéficier de la clause de préférence, elle ne peut toutefois, suivant les dispositions de l’article 1397 du Code civil du Québec, exercer un recours en nature afin de se faire déclarer propriétaire de l’immeuble, puisqu’une vente en bonne et due forme est déjà intervenue entre elle-même et la Ville. Ainsi, FMQ ne pourrait exercer contre la Ville qu’un simple recours en dommages et intérêts.

QUESTIONS EN LITIGE :

            - La clause de préférence incluse au bail est-elle applicable en l’espèce, eu égard aux activités respectives de FMQ et de 2851?

            - Dans l’affirmative, FMQ a-t-elle ouverture au recours en nature (passation de titre) à l’encontre de la Ville?

ANALYSE ET DÉCISION

La clause de préférence incluse au bail est-elle applicable en l’espèce, eu égard aux activités respectives de FMQ et de 2851?

[27]         2851, qui soumet que FMQ ne bénéficie d’aucun droit de préférence, s’en remet d’abord à ses propres statuts afin de faire valoir qu’elle n’est pas une «entreprise dans le domaine de la pêche ».

[28]         De fait, l’état des renseignements d’une personne morale du registre des entreprises émis pour cette entité (R-1), décrit les activités de 2851 comme «bureaux de conseillers en gestion ».

[29]         Lors de son témoignage, son président, M. Jacques Dufresne, vient par ailleurs expliquer que 2851 investit principalement dans l’immobilier, soit dans l’achat de terrains et de bâtisses, particulièrement dans le secteur de Rivière-au-Renard.

[30]         S’il est vrai que les statuts de 2851 prévoient qu’elle se consacre principalement à la gestion, qu’en est-il de ses activités réelles et notamment celles qu’elle souhaite alors exercer dans l’immeuble qu’elle projette d’acheter?

[31]         Le quatrième « considérant » de la résolution adoptée par la Ville lors de la séance ordinaire de son Conseil, le 2 septembre 2014 (P-10) répond bien à cette question :

CONSIDÉRANT QUE le projet consiste en l’aménagement d’un entrepôt et espaces extérieurs à des fins d’entreposage d’équipements, de conservation de bacs de moules en attente de cueillette et de contention de moules en fin de saison jusqu’à la formation de couvert de glace suffisant pour la récolte hivernale et la fourniture des marchés jusqu’à la récolte printanière; (nos soulignements)

[32]         Il convient donc de se demander si ces activités relèvent du « domaine de la pêche » au sens où FMQ et la Ville l’ont entendu lorsqu’elles ont négocié le bail P-1 en 2008.

[33]         Le témoignage de Monsieur Sébastien Fournier, directeur général de la Ville et qui était alors à l’emploi de celle-ci en 2008, éclaire objectivement le Tribunal à cet égard. C’est lui qui a négocié ce bail.

[34]         Plus particulièrement, la correspondance (P-17) alors échangée entre le président de FMQ et Monsieur Fournier, laisse voir comment ceux-ci en sont venus à retenir cette expression.

[35]         Le 18 août 2008, la Ville propose le texte suivant :

« Si le bailleur décidait de vendre ou d’autrement aliéner l’immeuble faisant l’objet du présent bail à une entreprise de myticulture , le locataire pourra par préférence s’en porter acquéreur ».

Les activités visées sont alors exclusivement rattachées aux moules.

[36]         Le 26 août 2008, FMQ suggère plutôt que la clause se lise ainsi :

« Si le bailleur décidait de vendre ou d’autrement aliéner l’immeuble faisant l’objet du présent bail à une entreprise d’aquaculture, mariculture, de pêche ou de transformation des produits marins, le locataire pourra par préférence s’en porter acquéreur ».

La portée de la clause est alors élargie puisque l’aquaculture et la mariculture visent l’élevage de diverses espèces, en eau et en mer.

[37]         Le 29 août 2008, la Ville propose à FMQ le libellé suivant :

« Si le bailleur décidait de vendre ou d’autrement aliéner l’immeuble faisant l’objet du présent bail à une entreprise d’aquaculture/mariculture, excluant toute autre entreprise de pêche, le locataire pourra par préférence s’en porter acquéreur ».

[38]         Le 3 octobre 2008, les parties retiennent finalement l’expression « domaine de la pêche » comme comprenant : «aquaculture/ mariculture , de pêche ou de transformation des produits marins». (nos soulignements)

[39]         Il ressort de ces négociations que FMQ souhaite, d’abord et avant tout, s’assurer qu’un tiers désirant éventuellement se porter acquéreur de l’immeuble, à la fin de son bail, n’exerce pas dans ses lieux, d’activité semblable à la sienne. En pareil cas, à son choix, elle bénéficie d’une préférence afin d’user de l’immeuble à titre de propriétaire et ainsi assurer le maintien de ses activités.

[40]         À cet égard, il ne faut pas oublier que la clause 5 du bail « destination des lieux » prévoit alors l’usage que FMQ peut faire de l’immeuble loué :

« L’utilisation des lieux ne pourra servir qu’à la fin d’entreposage temporaire de produits d’élevage maricole et d’équipements maricoles». (nos soulignements)

[41]         De l’avis du Tribunal, le projet d’achat de 2851 et qui est plus amplement décrit au quatrième « considérant » de la résolution de la Ville (P-10) est quasi similaire aux activités exercées par FMQ durant les six années où elle fut locataire.

[42]         Compte tenu du sens qu’ont voulu donner FMQ et la Ville à la clause de préférence lorsqu’elles ont négocié le bail en 2008, il y a lieu de considérer que l’activité projetée par 2851 dans l’immeuble visé en est bien une rattachée au «domaine de la pêche ».

[43]         Ainsi, FMQ était en droit de se prévaloir de cette même clause de préférence.

[44]         Compte tenu des conclusions à laquelle en arrive le Tribunal à cette question, il y a donc lieu de procéder à l’étude de la deuxième question en litige.

Dans l’affirmative, FMQ a-t-elle ouverture au recours en nature (passation de titre) qu’elle a entrepris ?

[45]         FMQ a choisi d’exercer un recours en passation de titre, puisqu’elle soumet que l’immeuble visé est toujours la propriété de la Ville et n’a jamais changé de mains puisque d’une part, les conditions nécessaires pour ce faire n’ont jamais été remplies et d’autre part, parce que l’immeuble est toujours enregistré au nom de la Ville à l’index aux immeubles (P-2).

[46]         Le droit de préférence dont dispose FMQ en est un strictement personnel. Il n’est pas opposable au tiers et n’est pas non plus admissible à la publicité.

[47]         Dans la présente affaire, personne ne conteste qu’une telle clause de préférence puisse, en principe, donner naissance à une exécution en nature, soit la passation de titre. Il n’est pas contesté non plus que certaines conditions de base nécessaires à son exercice sont remplies, dont l’intention de vendre de la Ville et le respect par FMQ des conditions et délais prévus à la clause de préférence stipulée au bail.

[48]         De fait, à l’encontre de la démarche entreprise par FMQ, 2851 soulève plutôt les dispositions de l’article 1397 du Code civil du Québec :

« art. 1397 :  Le contrat conclu en violation d'une promesse de contracter est opposable au bénéficiaire de celle-ci, sans préjudice, toutefois, de ses recours en dommages-intérêts contre le promettant et la personne qui, de mauvaise foi, a conclu le contrat avec ce dernier.

 

Il en est de même du contrat conclu en violation d'un pacte de préférence ».

[49]         Ainsi, 2851 fait valoir qu’un contrat en bonne et due forme est effectivement intervenu entre elle et la Ville, qu’elle est ainsi propriétaire de l’immeuble visé, de sorte que  le seul et unique recours ouvert à FMQ en est un en dommages et intérêts contre la Ville.

[50]         À la lumière de la preuve entendue, il y a donc lieu de se demander si une vente est effectivement intervenue entre 2851 et la Ville en septembre 2014.

[51]         Plusieurs éléments doivent être pris en considération afin de répondre à cette question.

[52]         Dans un premier temps, il apparaît du témoignage de Monsieur Sébastien Fournier, directeur général de la Ville, que le projet que souhaite alors réaliser 2851 est plus large que ce qui est indiqué au quatrième «considérant» de la résolution qui fut adoptée. En effet, Monsieur Dufresne lui indique alors, qu’outre les activités d’entreposage énumérées à la résolution, il souhaite faire de la transformation, soit une activité non autorisée par le règlement de zonage alors en vigueur.

[53]         Or et comme le confirme la greffière, Me Isabelle Vézina, lors de son témoignage, le règlement modifiant le zonage permettant une telle activité dans ce secteur ne sera jamais adopté, bien que le comité d’urbanisme ait donné son accord à une telle modification (P-21).

[54]         D’autre part, la résolution elle-même adoptée par la Ville laisse voir que différentes conditions doivent être remplies afin de mener à terme le transfert de la propriété visée, dont notamment, la préparation par la greffière d’une promesse de vente en bonne et due forme, ce qui n’a jamais été fait.

[55]         C’est sans doute la raison pour laquelle la Ville, au troisième «considérant» de sa propre résolution, parle d’une « proposition d’acquisition » par 2851, plutôt que d’une offre ferme ou d’une promesse d’achat. La preuve démontre par ailleurs que cette proposition ne fut que verbale, d’où l’impossibilité pour FMQ d’en obtenir copie.

[56]         La lettre de transmission signée par Me Vézina et adressée à FMQ le 10 septembre 2014 (P-10), par laquelle est transmise la résolution du 2 septembre, laisse d’ailleurs voir qu’elle ne considère pas comme «complétées » les modalités nécessaires à une pareille vente lorsqu’elle indique que l’immeuble « sera vendu d’ici la fin du mois de septembre ».

[57]         Or, l’on sait que tout le processus visant le transfert de propriété en faveur de 2851 a été suspendu à compter de cette même date, soit lors du rappel par FMQ à la Ville de cette clause de préférence que le temps lui a permis d’oublier …

[58]         De l’avis du Tribunal, il n’y a donc pas eu de transfert de propriété en faveur de 2851. Aucune offre, ni même le détail de ce qui aurait pu en constituer une, n’a été transmise à FMQ, ni même prouvée au Tribunal. Tout au plus, sommes-nous en présence de pourparlers visant éventuellement à conclure un engagement.

[59]         Dès lors, il apparaît que FMQ a ouverture au recours en passation de titre entrepris.

[60]         Lors de l’audience, 2851 soulève finalement que le Tribunal ne peut faire droit à la requête de FMQ, puisque l’offre de paiement (P-14) du prix de vente, accompagnant le contrat de vente notarié dûment signé, ne respecte pas les conditions prescrites en la matière.

[61]         Avec respect, 2851 a utilisé la même technique lorsqu’elle a mis en  demeure (R-4) la Ville de signer le contrat de vente, soit une lettre de l’institution financière (R-3) confirmant que les fonds sont disponibles pour l’acquisition du bâtiment visé. Dans son cas, 2851 a toutefois omis de signer le contrat notarié présenté à la Ville lorsqu’elle a mis cette dernière en demeure de signer ce même contrat.

 

LE DÉLAI POUR  LA SIGNATURE DE L’ACTE NOTARIÉ ET LES FRAIS

[62]         La Ville, qui doit faire face à différents délais pour la tenue d’une séance du Conseil et l’adoption d’une résolution, demande à ce que l’ordonnance à être rendue afin de signer l’acte notarié pour le transfert éventuel de l’immeuble soit de 30 jours plutôt que de 10, tel qu’indiqué à la requête de FMQ. Cette demande ne fait l’objet d’aucune contestation et l’ordonnance sera donc rendue en ce sens.

[63]         Par ailleurs, la Ville ne souhaite pas, compte tenu de son absence formelle de contestation et du fait qu’elle a suspendu tout le processus de vente dès qu’elle a été informée de son oubli, faire l’objet d’une condamnation pour frais.

[64]         FMQ ne conteste pas cette demande, mais souhaite toutefois que des dépens lui soient accordés à l’encontre de 2851.

[65]         Dans la présente affaire, le Tribunal préconise plutôt que les frais inhérents aux procédures instituées soient supportés par chacune des parties.

[66]         Bien que le Tribunal fasse droit à la requête en passation de titre de FMQ et non à celle de 2851, il ne faut pas perdre de vue que les démarches instituées par cette dernière n’étaient pas pour autant mal fondées.

[67]         Il faut se rappeler que le droit de préférence détenu par FMQ en est un de nature personnelle et rien n’indique que 2851 en était informée, au contraire.

[68]         D’autre part, il faut garder à l’esprit qu’une résolution laissant voir son intention de vendre l’immeuble a tout de même été adoptée par la Ville en faveur de 2851 ce qui en soit, pouvait justifier la participation de cette dernière au débat.

[69]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[70]         REJETTE la déclaration d’intervention de l’intervenante 2851-9049 Québec Inc.;

[71]         ACCUEILLE la requête amendée de la demanderesse Fermes Marines du Québec Inc.

[72]         DÉCLARE suffisante la somme dont dispose Me Richard Deraîche, notaire, soit 269 590 $ quant au paiement du prix de vente en faveur de la défenderesse Ville de Gaspé suivant le contrat préparé et déposé sous la cote P-13;

[73]         ORDONNE à la défenderesse Ville de Gaspé de se présenter au bureau de Me Richard Deraîche, notaire, afin de signer, moyennant le versement du prix de vente, ledit acte dans un délai n’excédant pas 30 jours de l’avis qui lui sera donné à cet effet par Me Deraîche et ce, suite au présent jugement;

[74]         À défaut, DÉCLARE la demanderesse Fermes Marines du Québec Inc. propriétaire de l’immeuble ci-après décrit, à l’expiration du délai de 30 jours du présent jugement :

Désignation

« Un immeuble sis et situé en la Ville de Gaspé, mieux connu comme étant le lot QUATRE MILLIONS CINQUANTE-QUATRE MILLE SEPT CENT SOIXANTE-SEIZE (4 054 776) du Cadastre du Québec, dans la circonscription foncière de Gaspé.

Avec bâtiment dessus construit, circonstances et dépendances.

Adresse : 7, rue du Chantier-Maritime, Gaspé (Québec) G4X 2E8 »;

[75]         DÉCLARE que le présent jugement vaut titre en faveur de la demanderesse Fermes Marines du Québec Inc. et que l’immeuble ci-dessus décrit sera la propriété de la demanderesse à l’expiration dudit délai de 30 jours;

[76]         ORDONNE à l’Officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Gaspé, d’inscrire contre l’immeuble ci-dessus décrit, le présent jugement pour valoir titre au profit de la demanderesse Fermes Marines du Québec Inc. et ce sur présentation d’une réquisition d’inscription conforme aux prescriptions de la loi et paiement des droits prescrits;

[77]         ORDONNE que le prix de vente au montant de 269 590 $ soit remis à la défenderesse Ville de Gaspé dans les 24 heures de la publication du titre de propriété de la demanderesse Fermes Marines du Québec Inc.;

[78]         CHAQUE PARTIE PAYANT SES FRAIS.

 

 

__________________________________

DANIEL BEAULIEU, j.c.s.

 

Me Damien St-Onge

St-Onge & Assels

Procureurs de la demanderesse

 

Me Monia Minville

Cyr & Mainville

Procureurs de la défenderesse

 

 

Me Francis Bernatchez

Procureur de l’intervenante

 

Date d’audience :

8 octobre 2015