COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-2001-5969

Cas :

CM-2015-2496

 

Référence :

2015 QCCRT 0574

 

Montréal, le

30 octobre 2015

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Alain Turcotte, juge administratif

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Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et de commerce, FAT - COI - CTC - FTQ - TUAC, Section locale 1991-P

Requérante

c.

 

Cascades groupe tissu - papersource, une division de Cascades Canada ULC

Employeur

 

Procureur général du Québec

Mise en cause

 

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DÉCISION INTERLOCUTOIRE

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[1]            Le 30 avril 2015, l’Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et de commerce, FAT - COI - CTC - FTQ - TUAC, Section locale
1991-P (l’ Union ) dépose une requête en accréditation en vertu du Code du travail ,
RLRQ, c. C-27 (le Code ) pour représenter :

« Tous les salariés au sens du Code du travail de Québec à l’exception des employés de bureau, magasiniers, acheteurs, vendeurs, contrôle qualité, responsables santé-sécurité ainsi que toutes les personnes exclues par la loi. »

De :    Cascades groupe tissu - papersource, une division de Cascades Canada ULC

            772, rue Sherbrooke Ouest

            Montréal (Québec)  H3A 1G1

Établissements :

875 et 901, boulevard Industriel

            Granby (Québec)  J2J 1A6

Les questions en litige

Le désaccord sur l’unité

[2]            Le 15 mai suivant, Cascades groupe tissu - papersource, une division de Cascades Canada ULC (l’ employeur ) signale son désaccord sur l’unité de négociation.

[3]            À son avis, l’unité proposée exclut les magasiniers et les employés au contrôle qualité qui ont la même communauté d’intérêts que les salariés visés par la requête. Au surplus, l’employeur soutient que la fonction de responsable santé-sécurité n’existe pas, bien qu’il soit d’accord à l’exclure. En conséquence, l’unité devrait plutôt être la suivante :

« Tous les salariés à l’exception des employés de bureau, acheteurs, vendeurs, responsables santé-sécurité et de tous ceux exclus par la loi. »

[4]            En l’occurrence, au moment du dépôt de la requête, il y a un magasinier, Daniel Scott, et un employé contrôle qualité, Steve Gagner. Selon ce qui a été fourni par l’employeur, la liste des salariés visés par la requête contient 161 noms. Elle passerait donc à 163 si l’unité qu’il propose est accueillie.

[5]            L’Union réplique que sa requête vise les salariés de la production et elle est d’avis que les deux postes mentionnés ne font pas partie de celle-ci.

Les désaccords sur la liste des salariés

[6]            Outre son opposition à l’unité proposée par l’employeur, l’Union conteste la présence d’un certain nombre de noms sur la liste soumise par l’employeur. Après l’échange d’informations et les audiences, il reste, lors de la prise en délibéré, les cas de neuf personnes à trancher.

Le caractère représentatif

[7]            Le 15 mai 2015, l’employeur signale à la Commission que certains salariés se sont plaints d’avoir fait l’objet de harcèlement et d’intimidation de la part des recruteurs de l’Union. À la première journée d’audience, le 5 juin, l’employeur avise qu’il entend soulever l’inconstitutionnalité de la méthode du calcul des formules d’adhésion prévue aux articles 32 et 36.1 du Code. À son avis, seul un vote au scrutin secret permet de déterminer le caractère représentatif d’une association de salariés requérante de manière objective. En raison de cet argument, un avis au Procureur général du Québec est envoyé le 10 juin 2015. Celui-ci comparaît le 22 juin suivant.

[8]            À l’audience du 5 juin, un salarié, Éric Carrier, en son nom personnel et à titre de représentant de certains de ses collègues, se présente devant la Commission. Il entend contester le caractère représentatif de l’Union.

[9]            Il est finalement convenu de poursuivre les audiences sur l’unité de négociation et sur la liste des salariés. En effet, le résultat de l’enquête de la Commission pourrait faire en sorte qu’un vote au scrutin secret soit nécessaire pour déterminer le caractère représentatif. Dans une telle éventualité, tant l’employeur qu’Éric Carrier seraient satisfaits du résultat et il n’y aurait pas lieu d’aller plus loin.

[10]         En d’autres termes, ce n’est que dans l’hypothèse où le scrutin secret n’apparaîtrait pas nécessaire de la seule décision concernant l’unité et la liste de salariés qu’il y aura lieu de convoquer les parties pour étudier la question du caractère représentatif et la constitutionnalité des dispositions du Code.

[11]         Il y a eu cinq jours d’audiences. Lors de celles-ci, les témoins de l’employeur ont été le directeur de l’usine, Jérôme Porlier, et la directrice des ressources humaines,
Marie-Karine Leblanc. Du côté de l’Union, les témoins furent Mario Chabot,
aide-opérateur et Alain Pommerleau, opérateur. Des notes supplémentaires ont été transmises le 27 août 2015. Une autorisation pour dépasser le délai fixé par l’article 133 du Code a été obtenue.

[12]         La Commission traitera en premier lieu de l’unité de négociation. Par la suite, il y aura l’étude des neuf contestations portant sur la liste des salariés.

l’unité de négociation

[13]         Jérôme Porlier est directeur de l’usine depuis le mois d’octobre 2014. Il explique que le groupe Cascades possède 19 usines, dont 11 aux États-Unis et 5 au Québec.

[14]         L’employeur se spécialise dans deux grands types de produits : 1.- les produits à la consommation (papiers mouchoirs, essuie-tout, papier hygiénique); 2.- les produits «  hors foyers  » c’est-à-dire le même type de production, mais pour les édifices publics comme les hôtels, les aéroports, etc. Les clients pour ces produits sont les magasins de grandes surfaces et des distributeurs. La clientèle de l’usine de Granby se concentre
à 70 % au nord-est des États-Unis et 30 % seulement au Canada.

[15]         L’usine est alimentée par des rouleaux géants de papier qui sont achetés sur le marché, principalement des usines du groupe Cascades. Ceux-ci sont acheminés vers les chaînes de conversion qui fabriquent les différents produits. Ils sont emballés dans des boîtes et placés dans des caisses qui seront entreposées par des véhicules robots.

[16]         Jusqu’en 2011, le groupe Cascades était partenaire de la firme Papersource dans l’exploitation de l’usine. Cette année-là, Cascades a acquis la totalité de la participation. Après une année de transition en 2012, l’employeur a commencé des changements dans l’usine pour se conformer davantage à la manière de faire du groupe.

L’organisation de l’usine

[17]         L’usine de Granby compte différents services : production, maintenance, expédition / réception, qualité, ressources humaines, finance et planification, achats / production.

[18]         Dans l’organigramme de l’usine, on trouve sous la direction de Jérôme Porlier, un directeur de la production, un directeur de la maintenance, une directrice des ressources humaines et un contrôleur.

[19]         Il y a quatre superviseurs de la production et trois superviseurs de soutien : un pour la maintenance, un pour la qualité et un pour la réception / expédition. C’est de Jérôme Porlier que relève directement les deux derniers.

[20]         C’est le directeur de l’usine qui donne les lignes directrices concernant la production au planificateur François Arès. Jusqu’à maintenant, le cycle de production de l’usine suivait le cycle de consommation, c’est-à-dire qu’il se basait essentiellement sur les commandes obtenues, en se gardant une marge de stock sécuritaire.

[21]         Toutefois, à partir de la fin de l’année 2013, l’employeur a commencé à implanter un logiciel (le système AS400) déjà utilisé par Cascades dans ses autres usines. Celui-ci permet de suivre, en temps réel, l’évolution de la production. C’est ainsi que l’on peut obtenir l’état des stocks de produits finis, des ventes, des commandes, des stocks de pièces, etc. Ce système est installé sur tous les postes informatiques dans l’usine, dont ceux près des machines.

[22]         L’implantation du système AS400 a été faite par une équipe spécialisée afin de former, entre autres, les chefs d’équipes, les superviseurs et des «  super-utilisateurs  », c’est-à-dire certains salariés dont le rôle sera d’aider les collègues dans l’utilisation du système pour leurs tâches quotidiennes.

[23]         Vers le mois de novembre 2014, une autre équipe spécialisée a implanté un système complémentaire, le SAP. Celui-ci permet une harmonisation avec les autres usines du groupe Cascades. Il permet de connaître l’état de stocks de l’ensemble des gros rouleaux disponibles. Comme pour le AS400, les opérateurs de production sont appelés à saisir des données dans le système. À terme, avec l’aide de ces deux systèmes, il deviendra possible de planifier la production en fonction de la prévision des commandes des clients, donc mieux répartir celle-ci.

les conditions de travail dans l’usine

[24]         L’employeur fait une preuve comparative en décrivant les conditions applicables au personnel de la production en général et celles concernant le personnel de bureau.

L’embauche

[25]         Les postes d’entrée en production à l’usine sont les postes de journaliers qui sont affichés à l’externe. Les postes de métiers comme ceux de mécaniciens ou de techniciens en électrodynamique sont affichés à l’interne et généralement octroyés par ancienneté. Pour tous les postes dans l’usine, l’employeur demande de pouvoir conduire un chariot élévateur.

[26]         Les employés de bureau sont souvent recrutés à l’interne ou proviennent du groupe Cascades.

Les horaires de travail

[27]         Il y a au total cinq quarts de travail :

Quart « A » :   7 h à 15 h 30 du lundi au vendredi (40 heures /semaine)

Quart « B » :   15 h 30 à 23 h 30 du lundi au vendredi (40 heures /semaine)

Quart « C » :  23 h 30 à 7 h 30 du lundi au vendredi (40 heures /semaine)

Quart « D » :  11 h 30 (le samedi) à 23 h 30 (le samedi)

                       11 h 30 (le dimanche) à 23 h 30 (le dimanche)

Quart « E » :   23 h 30 (le vendredi) à 11 h 30 (le samedi)

                       23 h 30 (le samedi) à 11 h 30 (le dimanche)

[28]         Les heures travaillées la fin de semaine totalisent 24 heures et sont payées l’équivalent de 36 heures. En pratique, il y a des «  trous  » dans l’horaire hebdomadaire afin de permettre aux salariés de la fin de semaine de compléter, sur une base volontaire, leur nombre d’heures. Les employés de la production peuvent être appelés à faire des heures supplémentaires.

[29]         Les employés d’usine ont une demi-heure payée pour manger dans les lieux de travail et une pause de 15 minutes le matin.

[30]         Pour ce qui est des employés de bureau, ils travaillent du lundi au vendredi de 7h30 à 16h30 (avec un horaire d’été). Il n’y a pas d’heures supplémentaires. Ceux-ci ont une heure non payée pour le repas.

L’évaluation des salariés et les salaires

[31]         Il n’y a pas d’évaluation de rendement comme telle à l’usine. La même charte salariale s’applique aux employés de la production qui sont payés selon un taux horaire. L’ancienneté n’est pas un facteur pour le salaire.

[32]         Les employés de bureau sont rencontrés et évalués en janvier de chaque année. La hausse salariale est en vigueur à partir du mois de février.

Les avantages sociaux

[33]         Les employés de l’usine bénéficient d’un régime d’assurance collective après 600 heures travaillées.

[34]         Le personnel de bureau a droit à un régime d’assurance après trois mois, mais il ne s’agit pas du même que celui de la production.

La discipline

[35]         Ce sont les superviseurs qui font les enquêtes sur les fautes qui auraient été commises. Pour les mesures disciplinaires impliquant une suspension ou une mesure plus sévère, la directrice des ressources humaines, Marie-Karine Leblanc, participe à l’enquête.

[36]         Les employés de bureau relèvent d’un directeur qui impose les mesures disciplinaires requises. La directrice Leblanc participera dans les cas de congédiement.

les postes mis en cause par la description de l’Unité

Le poste de magasinier

[37]         Le magasinier Daniel Scott travaille dans le secteur de la maintenance depuis mars 2013. Il a d’abord été opérateur sur des machines, puis cariste pour la production. Il a obtenu son poste sans qu’il n’y ait d’affichage. Ses principales tâches sont de s’occuper du magasin des pièces. Pour le directeur de l’usine Porlier, le travail du magasinier est la prolongation de celui des mécaniciens et des électriciens.

[38]         Daniel Scott travaille pendant le quart de jour de la semaine (le quart « A »). Son supérieur immédiat est Marcel Lachance, superviseur de la maintenance, qui a
30 salariés sous sa direction, dont des mécaniciens, des électriciens et du personnel d’entretien ménager. C’est d’ailleurs une salariée de l’entretien ménager qui remplace Daniel Scott lors de ses absences.

[39]         L’usine dispose de 12 machines principales et de machines connexes qui font l’objet d’un programme d’entretien préventif cyclique chaque six semaines. Dans le cadre de ce programme, des arrêts complets de certaines machines sont prévus pendant le quart de jour, ce qui se produit chaque semaine. Daniel Scott reçoit les bons de commande et la liste des pièces à préparer de la part de son superviseur. Il prépare les pièces requises pour ces arrêts et collabore aux différents travaux. Ces tâches l’occupent deux jours par semaine. Il y a lieu de noter qu’il ne s’agit pas des petites pièces d’équipement comme des lunettes ou des gants. Ce genre d’équipement est mis à la disposition des salariés dans des magasins satellites.

[40]         Daniel Scott est par ailleurs appelé à se déplacer dans l’usine pour aller porter des pièces sur les chaînes de production. Il peut aussi apporter son aide à la solution de problèmes à ces occasions. Il saisit les informations dans le système informatique AS400 qui prévoit des minimums et des maximums pour les pièces. C’est le système qui commande automatiquement selon le niveau disponible. Daniel Scott peut prévenir son superviseur si des besoins se font sentir, mais, en pratique, il ne peut commander lui-même des pièces, cela revenant à l’acheteur.

[41]         Son lieu de travail est situé dans le secteur de la maintenance, à la mezzanine, dans la partie du magasin où sont entreposées les différentes pièces. Il place celles-ci sur les étagères et les enregistre dans le système. L’accès à ce local est limité, la porte étant commandée par une carte magnétique. Tous les employés d’entretien peuvent aller au magasin. En cas d’urgence, les mécaniciens et les électriciens ont la permission de circuler dans le magasin et inscrire un bon de travail dans le système informatique.

[42]         Daniel Scott utilise le vestiaire des employés de maintenance, les autres étant ceux de la production et de la réception / expédition. Marie-Karine Leblanc ajoute que les conditions de travail de ce dernier sont celles des employés de la production en général (taux de salaire, pauses, possibilité de faire des heures supplémentaires, avantages sociaux, application de la discipline).

[43]         Selon le témoin syndical, Mario Chabot, qui a été cariste pendant sept ans et travaille à titre d’aide opérateur pendant le quart de jour depuis environ un an, ce sont les mécaniciens qui apportent les pièces à réparer au magasin et qui rapportent les nouvelles pièces. Il lui était déjà arrivé d’aller chercher une paire de gants au magasin dans le passé, mais depuis environ deux ans, les salariés n’ont plus le droit d’y aller. Ils font la demande à leur superviseur qui a accès aux locaux satellites où se retrouve ce genre d’équipement. En ce qui concerne Daniel Scott, il ne le voit qu’à l’arrivée le matin et au repas le midi.

[44]         Ce témoignage est corroboré par Alain Pommerleau qui est opérateur, et autrefois cariste. Il travaille également au quart de jour. Ainsi, lorsqu’une pièce se brise, explique-t-il, il alerte le contremaître qui va envoyer le chef d’équipe en chercher une de rechange pour qu’il procède à la réparation. Sinon, ce sera un mécanicien si cela dépasse ses compétences. Il n’a jamais vu Daniel Scott aller à une machine.

Le contrôleur de la qualité

[45]         Steve Gagner travaille durant le quart de jour. Autrefois cariste à la production, il est au contrôle de la qualité depuis novembre 2014. Celui qui occupait le poste auparavant, Sylvain Fortier, est devenu cariste. Pour être exact, selon Jérôme Porlier, le titre du poste devrait être «  cariste qualité  ».

[46]         Des rapports intitulés «  INSPECTION ET VÉRIFICATIONS DE LA QUALITÉ  » sont signés par les superviseurs ou les chefs d’équipe. Ces rapports sont inventoriés par la direction de la qualité. Les tâches du titulaire du poste de «  cariste qualité  » est de manipuler, à l’aide d’un chariot élévateur, les rouleaux de papier qui sont rejetés ou en attente en raison de différents défauts (trous, matières collantes et ainsi de suite) et de suivre l’état des stocks de ce type de matériau. Le contrôleur travaille en étroite collaboration avec le superviseur de la qualité.

[47]         Par exemple, si un opérateur signale un défaut quelconque, Steve Gagner prend le rouleau et le place dans l’aire d’attente. Il récolte des échantillons et recueille les informations pour le superviseur de la qualité Stéphane Raymond. Les rouleaux identifiés comme devant être rejetés sont mis en quarantaine dans la zone de rejet. Après décision, ils seront retournés au fournisseur. Il est à noter que ce travail ne se fait pas pendant les quarts de soir et de fin de semaine, les rouleaux problématiques sont mis en attente pour que Steve Gagner puisse les inspecter lorsqu’il est présent.

[48]         Outre ces tâches qui occupent environ 60 % de son temps, Steve Gagner fait la tournée des chaînes de production pour effectuer des tests de qualité que ce soit pour les produits finis ou même sur les emballages. Il fait rapport à son superviseur après avoir discuté avec les opérateurs et signale les anomalies. Il travaille un peu partout dans l’usine que ce soit dans les chaînes de production (par exemple, il fait le calibrage des balances), dans l’entrepôt de la marchandise rejetée ou dans celui des produits finis ou dans le bureau du superviseur. Il peut questionner les systèmes AS400 pour la localisation de la marchandise et a été initié à l’utilisation du système SAP pour lequel il pourrait former d’autres caristes.

[49]         L’employeur affirme que Steve Gagner fait partie de l’équipe de maintenance dirigée par Sylvain Fortier qui compte sept hommes de service qui traite les rebuts de la production. Lors de ses absences, Steve Gagner est d’ailleurs remplacé par un cariste.

[50]         Steve Gagner utilise le vestiaire des employés de production.
Marie-Karine Leblanc ajoute que les conditions de travail de ce dernier sont celles des employés de la production en général (taux de salaire, pauses, possibilité de faire des heures supplémentaires, avantages sociaux, application de la discipline).

[51]         Pendant l’été 2015, Steve Gagner a remplacé des caristes à l’usine.

[52]         Selon le témoin syndical, Mario Chabot, Steve Gagner travaille surtout au bureau de Stéphane Raymond, situé à la mezzanine. Il ne le voit que rarement dans l’usine pour faire ses tests. Toutefois, en contre-interrogatoire, il concède que de son poste de travail, il ne peut voir toutes les machines ni l’entrepôt. Mario Chabot admet savoir que Steve Gagner peut travailler pendant les fins de semaine à titre de cariste.

argumentation sur l’unité

L’employeur

[53]         L’unité proposée par l’Union est inappropriée parce qu’elle ne tient pas compte de trois critères essentiels parmi ceux identifiés par la jurisprudence : la communauté d’intérêts, la structure organisationnelle et l’intérêt de la paix industrielle.

[54]         Ainsi, il est clair que les tâches du magasinier font en sorte qu’il est membre à part entière de l’équipe de maintenance. À raison de deux quarts de travail complets chaque semaine, il assiste les autres salariés dans la préparation et la réalisation des «  arrêts-machines  ». Il est également disponible pour les aider en cas d’urgence. Il veille à l’entretien de son magasin et à la réception des marchandises.

[55]         Il existe une certaine mobilité avec les autres employés de la maintenance puisque c’est un collègue de ce service qui le remplace quand il s’absente. Il a les mêmes conditions de travail que les employés de l’usine. Son superviseur dirige aussi les électriciens, mécaniciens et hommes d’entretien. En fait, l’exclure serait poser un risque inutile à la paix industrielle, car il n’a manifestement pas d’intérêts communs avec le personnel de bureau.

[56]         Le même type de raisonnement s’applique au poste de coordonnateur qualité («  cariste qualité  »). En fait, la preuve démontre que ce sont les opérateurs de machines qui doivent remplir les rapports de qualité et s’assurer d’exercer un contrôle à tout moment. Le rôle de ce coordonnateur est certes d’assurer un soutien, mais, surtout, d’agir comme cariste dans l’organisation des rouleaux mis de côté, accomplir des tâches reliées à la production et d’être en contact avec les autres salariés travaillant sur les machines. Il y a une interchangeabilité avec le poste de cariste et les conditions de travail sont les mêmes.

[57]         L’employeur conclut qu’il est d’accord à ce que l’unité comporte une exclusion pour le titulaire du poste de «  responsable santé-sécurité  » dans la mesure où cela ne vise pas Yanick Leblanc, dont le nom figure sur la liste (nous traiterons de ce point plus tard).

L’Union

[58]         La requête est déposée en champ libre et la partie syndicale peut choisir le groupe qu’elle désire représenter. En l’espèce, les salariés de la production veulent être représentés par un syndicat. L’unité qui est proposée n’a pas à être la plus appropriée et le fardeau de la preuve de démontrer qu’elle est inappropriée revient à l’employeur.

[59]         Les deux postes qui sont ici en cause ne sont pas reliés à la production. Il s’agit de salariés qui ne travaillent pas «  sur le plancher  ». Daniel Scott travaille dans un bureau fermé auquel les autres n’ont pas accès. Il n’est remplacé que lors de ses vacances ce qui ne signifie pas que ses fonctions sont interchangeables, car lui-même ne remplace personne. Pareillement, Steve Gagner travaille comme cariste, mais personne ne le remplace.

[60]         Pour ce qui est de l’exclusion du «  responsable santé-sécurité  », l’Union renvoie à la propre nomenclature du poste qui est faite par l’employeur.

décision sur l’Unité de Négociation

[61]         La question en litige ici est de déterminer si l’unité de négociation proposée par l’Union est appropriée. Comme l’explique l’abondante jurisprudence en la matière, il ne s’agit pas de déterminer l’unité la plus appropriée ou souhaitable.

[62]         Les décisions de base en matière d’accréditation remontent à 50 ans ( International Union of United Brewery, Flour, Cereal, Soft Drink and Distillery Workers of America (local 239) c. Coca-Cola Ltd , [1978] R.L. 391 [mais remontant à 1963] et Sicard inc. c. Syndicat national des employés de Sicard (C.S.N.) [1965] R.D.T. 353). Celles-ci établissent certains critères qu’il faut pondérer dans l’évaluation du caractère approprié de l’unité de négociation. Il est reconnu qu’il faut apporter une grande importance à la communauté d’intérêts des salariés dans le groupe que la partie syndicale veut représenter. À cet égard, la doctrine a résumé ainsi ce qu’il faut examiner :

[…] Cette communauté d’intérêts s’apprécie en tenant compte, notamment, de la nature des fonctions exercées par les salariés, de l’interrelation entre ces fonctions, des qualifications requises, de la structure des relations de travail et de l’autorité appliquée aux salariés, du partage des mêmes conditions de travail, d’une cohésion interne du groupe, des salaires et des formes de rémunération, ou encore de la mobilité du personnel.

(Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec , 7 e  éd., par
Yann BERNARD, André SASSEVILLE, Bernard CLICHE (dir.), Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2013, p. 466
, paragr. 514.)

[63]         L’Union soutient que son unité vise les salariés de la production, d’où l’exclusion des employés de bureau, acheteurs, vendeurs et responsable santé-sécurité. Cette liste d’exclusion indique qu’on ne veut pas représenter les personnes qui «  n’ont pas les mains dans la pâte  », pour employer une image. À l’audience, plusieurs mentionnaient également l’expression «  sur le plancher  ».

[64]         En soi, l’unité proposée n’est pas inappropriée. Cependant, une autre question surgit : les deux postes en cause ne sont manifestement pas reliés à des emplois de bureau ou à des fonctions administratives. En utilisant les critères usuels, au premier chef celui de la communauté d’intérêts, il faut examiner la compatibilité de ces postes avec l’unité recherchée.

Le poste de magasinier

[65]         Il ressort clairement du débat que les gens de la maintenance comme les mécaniciens et électrotechniciens sont visés par l’unité. D’ailleurs, leur présence sur la liste des salariés n’est aucunement remise en cause. Ces personnes assurent le bon état de marche des diverses machines. Elles sont donc essentielles à la production, bien que de manière indirecte.

[66]         Or, les fonctions de Daniel Scott sont intimement liées aux tâches de l’équipe de maintenance. Par exemple, il n’est pas contesté qu’une partie régulière de son travail est consacré à la préparation des arrêts des machines aux fins d’entretien. Dans le même sens, il s’assure que les pièces sont disponibles dans le magasin et il représente un lien important avec le travail des mécaniciens. Il utilise le même système (AS400) que les autres salariés.

[67]         Le fait qu’il travaille en grande partie dans son local constitue un aspect secondaire tant son travail apparaît être associé à celui de la maintenance (Voir Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9414 c. Teckn-O-laser ,
2004 QCCRT 0622 ). Par ailleurs, ses conditions de travail sont semblables à celles des salariés de l’usine.

Le poste de contrôle qualité

[68]         Dans ce poste également, on constate une très forte interaction avec le travail des opérateurs. L’examen de la qualité des produits finis fait partie de la production. Ainsi, la preuve démontre que les opérateurs doivent remplir des rapports en ce sens. Cela étant, Steve Gagner travaille en lien avec la production : il manipule les rouleaux de papier qui n’offrent pas la qualité requise pour qu’ils soient renvoyés aux fournisseurs, il fait des tests, il collabore au calibrage des balances, fait des vérifications et ainsi de suite.

[69]         Son travail fait partie de la maintenance et de la production au sens large. Ses fonctions sont très proches de celles des caristes (Jérôme Porlier affirme que le titre exact du poste devrait être «  cariste qualité  »). Ses conditions de travail sont semblables à celles des salariés de l’usine.

conclusion

[70]         La Commission est d’avis que le critère de la communauté d’intérêts doit primer. Le travail de ces deux postes est étroitement associé à celui de la production et ils ont des intérêts communs évidents avec les salariés de l’unité recherchée. Avec raison, l’employeur plaide que l’unité qui les isolerait serait inappropriée ( Syndicat des travailleurs et travailleuses de Norascon - CSN c. Béton Fortin inc. ,
2009 QCCRT 0564 ).

[71]         Ces deux postes sont déjà intégrés dans la structure de l’usine et leur inclusion ne nuira d’aucune façon à la négociation d’une convention collective.

[72]         Par ailleurs, les parties sont d’accord pour exclure le poste de «  responsable santé-sécurité  ». Il y a lieu d’ajouter cette exclusion dans le texte de l’unité.

[73]         Par conséquent, l’unité appropriée est la suivante :

« Tous les salariés à l’exception des employés de bureau, acheteurs, vendeurs, responsables santé-sécurité et de tous ceux exclus par la loi. »

la liste des salariés

argumentation préalable de l’employeur sur la liste

[74]         L’employeur présente en début de plaidoirie des observations qui sous-tendent ses prétentions pour chacun des cas. Il y a lieu d’aborder immédiatement ces considérations.

[75]         L’employeur se réfère à la définition du salarié au sens du Code : «  une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas  […]  ». L’ancienne jurisprudence du défunt Tribunal du travail avait adopté une interprétation libérale de la notion de salarié pour considérer que, dès lors que le lien d’emploi n’est pas rompu, son nom doit être inscrit sur la liste.

[76]         Un virement jurisprudentiel a été fait en 1979 dans la décision Syndicat des travailleurs de la mine Noranda (CSN) c. Noranda Mines Ltd , [1979] T.T. 20. Le juge Bernard Prud’homme a exigé une «  réalité présente, ou du moins prochaine, de prestation de travail fournie à un employeur  ». Ce critère a été adopté par le Tribunal du travail d’abord, puis par la Commission où l’on exigerait même que cette réalité prochaine «  doit être probable et imminente  ».

[77]         Or, il n’y a qu’une seule définition de «  salarié  » au Code. En utilisant une définition aussi restrictive, il faudrait conclure qu’un salarié en invalidité ou en mise à pied sans réalité probable de retour au travail ne pourrait bénéficier des recours prévus aux articles 15 ou 47.2 du Code.

[78]         Par ailleurs, la définition de «  salarié  » de la Loi sur les normes du travail , RLRQ, c. N-1.1 est presque identique à celle du Code. Cette loi étant considérée d’ordre public, a été interprétée de manière large et libérale. Il y aurait lieu d’adopter le même raisonnement si l’interprétation doit être faite dans le but de respecter une liberté fondamentale comme celle de la liberté d’association. En pratique, l’interprétation restrictive de la Commission constitue une atteinte à cette liberté de choix, car elle exclut des salariés du processus d’accréditation. Pourtant, ces derniers seront représentés par l’association si elle est accréditée et seront assujettis à la convention collective.

[79]         Somme toute, cette interprétation adoptée par la Commission à la suite de celle du Tribunal du travail ne satisferait pas aux critères de la Cour suprême énoncés dans la décision R. c. Oakes , [1986] 1 R.C.S. 103  : il n’y a pas d’objectif urgent et réel et, même si c’était le cas, il n’y a pas de lien rationnel avec les moyens choisis pour empêcher que l’accréditation ne soit entravée. Il ne s’agit pas non plus d’une atteinte minimale alors qu’une interprétation fondée sur le lien d’emploi le serait.

L’Union

[80]         L’Union réplique en déposant la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Gaylor c. Couture , [1988] R.J.Q. 1205 qui portait sur une contestation de la date limite pour la révocation d’une adhésion, soit la date du dépôt d’une requête en accréditation. Les appelants en l’instance plaidaient que ce choix contrevenait à la liberté d’association des salariés. En l’espèce, il s’agissait de démissions survenues un mois et demi après le dépôt de la requête. La Cour a rejeté cette théorie non seulement en ne voyant aucune atteinte à la liberté d’association, mais plutôt une garantie du droit d’association.

décision sur le statut de salarié et la réalité prochaine du retour au travail

[81]         Bien que plaidée avec éloquence, la position de l’employeur qui demande de revenir sur plus de 35 ans de jurisprudence ne peut être retenue.

[82]         Dans la décision Noranda Mines ltd , précitée, le juge Prud’homme du Tribunal du travail a interprété la définition de «  salarié  » du Code :

Reste la définition du code. J’ai déjà mentionné qu’il s’agit d’une définition à caractère restrictif : «  Une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération  ».

Le législateur aurait pu utiliser les mots «  à l’emploi d’un employeur contre rémunération  » ou encore «  lié à un employeur par un contrat de travail prévoyant rémunération  ». Il a retenu plutôt l’expression «  Qui travaille pour un employeur moyennant rémunération  », expression dont la connotation la plus claire est celle d’une réalité présente , ou du moins prochaine , de prestations de travail fournies à un employeur en retour d’une rémunération.

( Page 36, soulignement ajouté)

[83]         L’interprétation du juge Prud’homme a été adoptée par le Tribunal du travail et par la suite, la Commission. Le Code est également une loi d’ordre public qui assure le droit d’association des salariés, droit également reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne , RLRQ, c. C-12 (la Charte ). Pour employer l’image bien connue, puisque la «  photographie  » des salariés compris dans l’unité se prend au jour du dépôt de la requête en accréditation, il faut s’assurer que la liste des salariés reflète la réalité du moment. C’est la raison de cette interprétation :

Cette approche vise à s’assurer que toutes les personnes réellement à l’emploi d’un employeur auront leur mot à dire et à éviter que le nombre de salariés soit monté artificiellement en incluant tous ceux qui éventuellement pourraient être rappelés au travail , même s’il n’est pas prévisible qu’ils le soient bientôt.

( Syndicat démocratique des employés de garage du Saguenay-Lac Saint-Jean c. Galeries Ford inc. , 6 novembre 1996, AZ-97147025 (T.T.) pages 9-10. Soulignement ajouté .)

[84]         Sans faire d’étude exhaustive de ce qui était décidé avant 1979, l’examen des quatre décisions citées par le juge Prud’homme n’indique pas nécessairement que la position du Tribunal du travail était aussi catégorique que l’on veut le présenter. Dans au moins deux d’entre elles, on peut soutenir qu’on appliquait déjà la notion de retour prochain.

[85]         Dans Hôpital Sainte-Rita c. Union des employés de service d’édifices (FTQ) , [1971] T.T. 225, il s’agissait d’une employée qui était en congé sans solde d’environ un mois au moment du dépôt de l’accréditation. Dans Transport Darveau inc. c. Syndicat des employés des produits forestiers M.P. (CSN) , [1972] T.T. 87, il s’agissait d’une requête déposée le 13 octobre 1971 et l’employeur n’avait pas appelé au travail un certain nombre de camionneurs pour la période du 6 au 17 octobre en raison de pluies qui rendaient les chemins de forêt impraticables. Le Tribunal a estimé que ceux-ci étaient dans une relation d’emploi et que ce n’est qu’à cause de circonstances particulières qu’ils n’étaient pas au travail.

[86]         Bref, il ne s’agit que d’une modalité particulière d’application de l’article 36.1 du Code qui n’est pas incompatible avec les autres dispositions de cette même loi. Un salarié mis à pied pour une longue période pourra recourir aux dispositions des articles 15 et suivants s’il subit une mesure quelconque en raison de ses activités syndicales, même pour une association en voie de formation. Cependant, son nom pourrait ne pas figurer sur la liste des salariés au moment du dépôt s’il n’est pas en situation de retour prochain puisqu’il faut fixer une liste certaine à un moment donné.

[87]         Pour ce qui est du recours des articles 47.2 et suivant, il ne faut pas oublier qu’il concerne un devoir de l’association accréditée . En raison de son monopole de représentation, elle doit défendre tous les salariés de l’unité de négociation, membres ou non. Ce devoir demeure tant que l’association de salariés est accréditée. Par définition, il n’y a donc pas de limite de temps ou de moment précis à considérer autre que ceux liés à l’existence de l’accréditation.

[88]         Finalement, la Cour d’appel s’est déjà prononcée sur l’application de l’article 36.1 du Code en regard de la liberté d’association dans l’affaire Gaylor c. Couture , précitée :

[…] L’article 36.1 n’interdit pas à un salarié de révoquer son adhésion syndicale, il ne fait que déterminer une façon d’établir le caractère représentatif d’un syndicat et un temps où le décompte des adhésions doit être fait .

( Juge Jacques, pages 1207-1208, soulignement ajouté )

Cette procédure, et le moment du calcul des adhésions en est un aspect, n’a donc rien à voir avec l’exercice de la liberté d’association au sens de la charte des droits et libertés : l’effet de la reconnaissance du caractère représentatif d’une association de salariés est de lui conférer des droits, dont la représentation de tous les salariés, membres ou non, à l’égard de la conclusion d’une convention collective de travail et d’autres questions de relations de travail. À mon avis, ces droits, ainsi attribués, « sont des créations de la loi qui mettent en jeu un équilibre entre des intérêts opposés », pour reprendre les termes de M. le juge Le Dain, déjà cité.

( Juge Gendreau, page 1209 )

[89]         En d’autres termes, la Cour d’appel a été d’avis qu’il n’y avait pas d’atteinte à la liberté d’association et qu’il s’agissait plutôt d’une question d’ «  équité procédurale à l’égard du processus de reconnaissance du caractère représentatif d’une association de salariés au sens du Code du travail  » (Juge Jacques, p. 1209).

[90]         L’employeur a annoncé son intention de contester le système même d’adhésions du Code. Il y aura lieu alors d’évaluer le tout à la lumière de la preuve et des argumentations. Cependant, aux fins de l’établissement de la liste des salariés, la Commission entend suivre l’approche de la réalité prochaine, telle que résumée dans le passage suivant :

[89] Ainsi, la liste des personnes visées par une unité de négociation se détermine au jour du dépôt de la requête en accréditation. Seuls les salariés qui travaillent cette journée sont visés par celle-ci. Toutefois, dans le cas où le salarié est absent du travail pour diverses raisons (CSST, maladie, travail occasionnel, temporaire ou saisonnier, mise à pied, etc.), il doit se trouver en réalité prochaine de retour au travail, au jour du dépôt de la requête pour être inclus dans la liste des salariés visés par l’unité de négociation, voir [liste de décisions omise].

[…]

 

[99] Ainsi, le concept de la réalité prochaine de retour au travail est d’origine jurisprudentielle. La réalité de retour au travail d’un salarié absent se décide au jour du dépôt de la requête en accréditation, sans considérer les faits postérieurs, sauf avec prudence et en guise d’éclairage. La réalité d’une prestation de travail doit être probable, mais non certaine. Elle doit être sérieuse et non une simple expectative. Elle doit surtout être prochaine, c’est-à-dire à une date prévue ou prévisible dans un avenir rapproché. Chaque cas en est un d’espèce et d’application restrictive. Ce dernier aspect implique qu’un salarié absent du travail ne doit pas être inclus sur la liste des salariés visés par l’unité de négociation, à moins qu’il soit établi que ce salarié est en situation de réalité probable, sérieuse et prochaine de retour au travail.

 

( Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), section locale 3057-47 c. Eaux vives Water inc .,
2010 QCCRT 0542 , soulignement ajouté
)

[91]         Nous reprendrons maintenant les différents cas en litige.

Les «  employés de bureau  » et Le «  responsable de la santé-sécurité  »

[92]         Il s’agit d’une part de deux postes pour lesquels l’employeur soutient qu’il s’agit de salariés visés par l’unité, mais qui accomplissent des tâches de manière temporaire. D’autre part, de façon similaire, d’un autre employé, salarié couvert par l’unité selon l’employeur, qui occupe un poste dont l’utilité tire à sa fin.

Le «  planificateur  »

[93]         Tommy Lacoste est un chef d’équipe à la production qui connaît très bien le fonctionnement de presque toutes les machines ainsi que les produits fabriqués à l’usine. Lors de l’implantation du système SAP, la direction lui a confié un mandat spécial, sans affichage. Il fallait notamment codifier dans le système les quelque
600 produits fabriqués à l’usine, les «  recettes  » de fabrication, les normes de productivité, etc. Jérôme Porlier déclare que celui-ci était déjà en poste à son arrivée à l’automne 2014.

[94]         Tommy Lacoste travaille avec le planificateur François Arès qui est aussi un «  super-utilisateur  » du système. Il peut aller aux rencontres de production et placer les horaires de production dans l’usine.

[95]         Pour les témoins syndicaux Mario Chabot et Alain Pommerleau, Tommy Lacoste travaille «  en avant  » dans les bureaux, non «  sur le plancher  », depuis presque deux ans. Il s’agit d’une section où ils ne sont pas admis.

[96]         Jérôme Porlier explique que l’affectation de Tommy Lacoste aura une fin prochaine. Le Groupe Cascades a ouvert des postes corporatifs en février 2015, dont celui de «  Planificateur, groupe conversion, produits hors foyer - Canada  ». Le titulaire de ce poste a été nommé en février et s’occupera de la planification à long terme. Des ajustements ont été nécessaires et celui-ci devrait commencer son travail en octobre 2015.

[97]         À ce moment, chez l’employeur, François Arès s’occupera de la planification
bihebdomadaire. Tommy Lacoste sera alors retourné au poste de chef d’équipe.

Le «  responsable de l’informatique  »

[98]         Alexandre Rancourt, un aide opérateur qui connaît bien les machines de l’usine a été formé par l’équipe d’implantation du système AS400 pour donner un soutien aux opérateurs dans ce domaine vers le mois d’octobre 2013. Il s’occupe également du système SAP depuis le mois de mai 2014, toujours sans affichage. C’est ainsi qu’il a formé des opérateurs sur ces systèmes. Il travaille en étroite collaboration avec Tommy Lacoste et François Arès. Il est payé au taux de salaire des aides opérateurs avec une prime de formateur d’un dollar par heure

[99]         Pour Mario Chabot, ce salarié est principalement un employé de bureau. Lorsqu’il y a un problème à l’ordinateur, les salariés appellent d’abord le chef d’équipe, mais c’est Alexandre Rancourt qui vient si le problème est plus complexe. Ce dernier vient aussi deux ou trois fois par semaine à la fin du quart de jour pour faire l’inventaire des stocks de boîtes. C’est Alexandre Rancourt qui l’a formé pour l’utilisation du système informatique.

[100]      Jérôme Porlier déclare qu’il y a eu l’affichage d’un poste temporaire d’aide-opérateur de nuit le 27 mars 2015, pour le remplacement de durée indéterminée d’Alexandre Rancourt. Ceci est la procédure habituelle pour les remplacements d’une durée de six mois ou plus. En fait, il voulait laisser passer la haute saison pour voir l’état de la situation. Cependant, il est en mesure d’affirmer que le mandat de ce dernier se terminera en octobre 2015 et qu’il n’a pas d’autres affectations prévues pour celui-ci.

[101]      Marie-Karine Leblanc déclare qu’elle a travaillé à l’implantation du programme SAP dans les usines du Groupe Cascades pendant trois ans. De son expérience, il faut entre douze et dix-huit mois pour implanter le système en fonction de la taille de l’usine.

Le « responsable santé-sécurité »

[102]      Le débat porte sur les fonctions de Yanick Leblanc.

[103]      Jérôme Porlier déclare que celui-ci est d’abord un chef d’équipe à la production. Il explique qu’il y avait à l’usine des enjeux de santé et de la sécurité et que la direction lui a confié, sans affichage, un mandat partiel, tâches qu’il exerçait de manière intermittente. Puis, pour une période temporaire, on lui a demandé de consacrer tout son temps à la question.

[104]      Ainsi, Yanick Leblanc participe aux enquêtes lors d’accidents de travail et accompagne le superviseur du salarié concerné. Toutefois, il ne remplit pas les formulaires de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST ). Son rôle, affirme Jérôme Porlier, est essentiellement de recueillir des informations, de mettre en place des rencontres quotidiennes sur la santé et la sécurité avec les chefs d’équipe, de faire le suivi sur un tableau et d’apporter un soutien en la matière.

[105]      Il utilise un ordinateur et a une adresse courriel comme d’autres dans l’usine (chefs d’équipe, superviseurs, certains mécaniciens, caristes et opérateurs de machines).

[106]      Dans son témoignage, Mario Chabot affirme que Yanick Leblanc a été présenté par l’ancien directeur de l’usine comme coordonnateur de santé et sécurité du travail en 2013. Il voit celui-ci régulièrement faire le tour des installations aux fins de prévention. Mario Chabot a lui-même vécu un événement en 2013, alors qu’il était cariste. Après une collision avec des robots élévateurs, c’était Yanick Leblanc qui était venu faire enquête et lui avait fait remplir les documents pertinents à la cafétéria. Il n’avait toutefois pas vu les notes qu’il a prises à cette occasion.

[107]      Alain Pommerleau témoigne dans le même sens : il voit régulièrement Yanick Leblanc se promener sur les lieux de travail avec sa tablette pour faire de la prévention. Lorsqu’il a subi un accident de travail à l’automne 2013, c’est ce dernier qui a pris des photos des lieux. Par la suite, il est allé au bureau du directeur de la production avec Leblanc pour consigner ce qui s’était passé. Cependant, il n’a pas obtenu les notes de celui-ci.

[108]      Mario Chabot concède que Yanick Leblanc a fait des remplacements d’opérateurs à l’été 2014 et 2015, mais ceci était pour donner un coup de main, car, selon les dires de Leblanc, «  il avait de l’ouvrage en masse dans son bureau  ».

[109]      L’Union dépose également un extrait du registre de paie où le titre de ce dernier est décrit comme «  coordonnateur SST  » et la photographie d’une affiche où Leblanc est décrit comme «  responsable de la prévention SST  ».

[110]      En réplique, Marie-Karine Leblanc affirme qu’elle seule remplit les formulaires de santé et sécurité en cas d’accident de travail. Yanick Leblanc a obtenu de la formation de la part de la responsable d’entreprise Cascades. Leblanc fait de l’observation dans l’usine sur les façons de faire et les comportements sécuritaires. Elle-même le rencontre une fois par semaine pour discuter de ce genre de questions. Pareillement, il y a un comité de salariés composé de caristes, d’un mécanicien, d’un chef d’équipe et d’un opérateur. Yanick Leblanc participe aux séances à titre de conseiller.

[111]      Jérôme Porlier affirme que l’affectation de Yanick Leblanc devrait se terminer au mois d’octobre 2015, car l’employeur veut que tout le monde soit sensibilisé à l’importance de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail, en particulier les chefs d’équipe. Un comité a été constitué auquel Leblanc va participer, mais l’essentiel est fait. Le poste de coordonnateur santé-sécurité n’existe qu’au groupe Cascades, pas chez l’employeur.

Les conditions de travail des deux «  employés de bureau  » et du «  responsable de la santé-sécurité  »

[112]      Les témoins syndicaux indiquent que Yanick Leblanc travaille dans un cubicule situé à l’entrée des bureaux. Il s’agit d’un espace séparé de la zone de production, mais près de la salle de conférence et des bureaux du personnel administratif. Dans cet espace travaillent, en plus de Leblanc, Alexandre Rancourt et Tommy Lacoste. Les deux premiers sont inscrits au répertoire téléphonique. On y retrouve aussi le planificateur François Arès, le responsable de l’amélioration continue, la commis à l’expédition. Ces cubicules sont tout près des bureaux des ressources humaines.

[113]      Cette zone n’est pas normalement accessible aux salariés de la production. Un nombre restreint d’employés, les chefs d’équipe et superviseurs, détient la carte magnétique requise pour se rendre à cet endroit.

[114]      Les trois titulaires de ces postes peuvent sortir manger à l’extérieur avec l’autorisation de leur superviseur, mais cela est exceptionnel. La durée du repas dans leur cas peut être plus qu’une demi-heure sur approbation du supérieur.

[115]      En ce qui concerne les horaires, les trois travaillent pendant la semaine, huit heures par jour (quart « A »). Ils peuvent faire des heures supplémentaires s’ils rentrent plus tôt ou finissent plus tard. Yanick Leblanc et Alexandre Rancourt utilisent la pointeuse, Tommy Lacoste inscrit ses heures sur des cartes de temps.

[116]      Yanick Leblanc, Tommy Lacoste et Alexandre Rancourt ont pu prendre leurs vacances sans restrictions.

Argumentation de l’employeur

[117]      Tommy Lacoste, Alexandre Rancourt et Yanick Leblanc sont fondamentalement des salariés qui ont été temporairement affectés à des projets spéciaux. La preuve démontre que leur affectation devrait prendre fin à l’automne 2015.

[118]      Le premier est un chef d’équipe qui n’a pas reçu de nomination et qui a conservé son droit de retour dans son ancien poste. Il a été assigné pour la mise en place du système SAP en raison de ses compétences, habiletés et connaissances techniques. Cette affectation, commencée en mai 2014, se terminera à l’automne 2015 tant par la fin de l’implantation comme telle que par la décision du Groupe Cascades de nommer un planificateur moyen et long terme pour ses usines, le travail à court terme étant fait par François Arès.

[119]      Alexandre Rancourt est un aide-opérateur qui, lui aussi, a été assigné à un dossier particulier en raison de ses habiletés, compétences et connaissances techniques. Il n’a pas reçu de nomination dans ce poste et reviendra à titre d’aide-opérateur en octobre parce que la formation des intervenants dans les systèmes SAP et AS400 tire à sa fin.

[120]      Finalement, Yanick Leblanc est un chef d’équipe qui a contribué au virage en santé-sécurité dans l’usine. En raison de sa connaissance des processus et des machines, il a apporté une contribution précieuse en la matière. Encore une fois, cependant, il a terminé en pratique son mandat, les chefs d’équipe et les superviseurs étant devenus autonomes.

Argumentation de l’Union

[121]      En ce qui concerne les postes de Tommy Lacoste et d’Alexandre Rancourt, il s’agit de postes de bureau à n’en point douter. Ils ont été nommés depuis longtemps, sans affichage, et leur travail se fait principalement dans une aire située près des bureaux de l’administration. Ils peuvent se déplacer un peu partout dans l’usine, mais l’inverse n’est pas vrai, les salariés de la production n’ont pas accès à leurs locaux. Ils reviendront peut-être dans l’unité, mais pour le moment ils sont des employés de bureau et doivent être exclus de la liste.

[122]      Il en va de même pour Yanick Leblanc qui occupe un poste pour lequel il n’y a pas d’interchangeabilité et qui n’est pas remplacé pendant ses vacances. Dès 2013, il est présenté comme coordonnateur santé et sécurité et travaille à plein temps dans ce poste depuis le mois de novembre, ce n’est que par exception qu’il a travaillé à la production pour dépanner. Il est difficile de croire que son poste prendrait fin dans quelque temps.

DÉCISION SUR LES POSTES «  BUREAU  » ET LE RESPONSABLE SANTÉ-SÉCURITÉ

[123]      Il faut rappeler que la requête en accréditation a été déposée le 30 avril 2015. Le fait qu’il y ait eu plusieurs jours d’audience, interrompus de consentement pour la période estivale, et que des questions complexes aient été soulevées ne peut faire en sorte que la liste des salariés soit nécessairement influencée par l’arrivée d’événements à l’automne.

Les postes de «  bureau  »

[124]      Même si à l’origine Tommy Lacoste et Alexandre Rancourt sont des salariés de la production, ils occupent, au moment du dépôt de la requête, des postes de nature «  bureau  » qui sont exclus de l’unité de négociation. Manifestement, ils s’occupent l’un de la planification et l’autre des systèmes informatiques, et ce, depuis plusieurs mois. Malgré une présence ponctuelle dans l’usine, leur travail est essentiellement un travail dans les systèmes informatiques. D’ailleurs, ils ont tous les deux des bureaux situés dans l’aire administrative de l’usine, près de ceux des ressources humaines.

[125]      Il est vrai qu’ils n’ont pas perdu leur droit de revenir dans leur poste, mais la question qui se pose est de savoir s’ils sont véritablement en situation «  probable, sérieuse et prochaine  » de retour. La Commission ne le croit pas.

[126]      Dans le cas de Tommy Lacoste qui s’occupe de la planification, l’employeur présente qu’il y aura un planificateur corporatif qui a déjà été nommé en février 2015. Lorsque celui-ci sera en fonction, ce sera François Arès qui s’occupera de la planification à court terme, le reste relevant de celui du Groupe Cascades. Pourtant, au moment des audiences, le planificateur corporatif n’a pas encore débuté son travail, des ajustements étant à faire. Selon la preuve, il devrait probablement commencer à l’automne 2015. En d’autres termes, en regard de la date du dépôt du 30 avril 2015, le retour de Tommy Lacoste dans un poste couvert par l’unité apparaît trop incertain pour qu’il figure sur la liste.

[127]      Il en va de même pour Alexandre Rancourt. L’employeur a affiché un remplacement temporaire pour son poste «  pour une durée de six mois ou plus  »
le 27 mars 2015. Jérôme Porlier le dit bien, il voulait voir ce qui allait se passer dans la haute saison pour savoir à quel moment Alexandre Rancourt reviendrait à son poste. Ce n’est pas là le signe d’un retour prochain. Au 30 avril, ce salarié n’était pas en situation probable et sérieuse de retour, même si, au mois d’août, Jérôme Porlier affirme qu’il reviendra à l’automne.

Le « responsable santé-sécurité »

[128]      Qu’on l’appelle coordonnateur ou responsable, il est clair que Yanick Leblanc s’occupe principalement de la santé et de la sécurité dans le milieu de travail. L’affirmation des témoins syndicaux selon laquelle celui-ci est présenté comme responsable depuis 2013 n’est pas contestée, la situation existant même avant l’arrivée du directeur actuel, Jérôme Porlier. Dans le même sens, la preuve documentaire comme la photographie de l’affiche portant le nom de Yanick Leblanc et le titre «  responsable de la prévention SST  », tout comme l’extrait du registre de paie («  coordonnateur SST  » ) illustrent parfaitement la manière dont l’employeur considère le poste.

[129]      Lors du dépôt de la requête, tout indique qu’il n’était pas prévu que Yanick Leblanc revienne dans un poste de production dans un avenir rapproché. La Commission croit que c’est plutôt la syndicalisation qui amène l’employeur à considérer que le mandat de ce dernier est terminé, bien qu’il continue à faire partie du comité de santé-sécurité. Son nom ne doit pas figurer sur la liste.

absences en raison de l’état de santé

[130]      À la date du dépôt de la requête, trois salariés sont absents en raison de leur état de santé

[131]      Manon Gareau occupe le poste permanent «  d’homme de service  » (sic) pour les machines numéro 4, 5 et 7, depuis le 17 janvier 2010. Elle a subi un accident de travail le 26 novembre 2011. Elle reçoit des prestations de la CSST. Il n’y a pas de date de retour prévu. Sur le formulaire de la CSST, il est indiqué qu’elle subira des séquelles permanentes.

[132]      Patrick Breault est un aide-opérateur pour la machine 16 depuis 2008. Il est en absence pour maladie depuis le 12 février 2014. Il n’y a pas de date de retour prévu.

[133]      David Grégoire est un opérateur de la machine numéro 10 qui a quitté son emploi pour un congé parental le 5 octobre 2014. Le 2 février 2015, il envoie un certificat médical établissant son incapacité à travailler. D’autres certificats médicaux sont envoyés pour prolonger la période d’invalidité initiale, le plus récent indiquant une absence au moins jusqu’en novembre 2015, sans indiquer une date de retour.

Argumentation de l’employeur

[134]      Ces trois personnes sont des salariés au sens du Code et souffrent de handicap au sens de la Charte. Le critère jurisprudentiel d’une réalité probable, sérieuse et imminente de retour au travail a pour effet d’exclure ces employés en raison de leur handicap, les empêchant ainsi d’exercer leur liberté d’association. Si on applique ce critère dans ces cas, il y aura donc violation de l’article 10 de la Charte et de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés , L.R.C. (1985), App. II, n o 44, Annexe B.

argumentation de l’Union

[135]      L’employeur plaide pour autrui, en l’espèce, seuls les salariés concernés ont l’intérêt juridique pour soulever ces questions ( Syndicat des travailleurs de Partagec
c. Partagec inc. , AZ-85144044 [C.T.]). Au surplus, la présence sur la liste des salariés est un «  droit  » rattaché à la présence au travail. En l’occurrence, leur handicap ne peut conférer plus de droits à ces salariés qu’à ceux qui n’ont pas de handicap, par exemple des salariés mis à pied.

[136]      En réplique, l’employeur soutient que ce n’est pas en raison d’un intérêt général qu’il avance cet argument, mais bien parce qu’il est une partie prenante dans une procédure contraignante. En effet, l’accréditation a pour effet de lui imposer de négocier avec le seul interlocuteur reconnu par l’État. Il est donc directement touché et a un intérêt véritable.

DÉcision sur les absences pour raison de santé

[137]      La Commission est d’avis que le seul argument de l’intérêt suffirait à rejeter la prétention de l’employeur.

[138]      Outre la décision du regretté commissaire Jacquelin Couture dans l’affaire Partagec , précitée, la Commission s’est prononcée sur le sujet dans l’affaire Résidences du Manoir Tro inc. c. Syndicat des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) , 2012 QCCRT 0509 . Dans celle-ci, tout comme dans notre cas, l’employeur n’invoquait aucune atteinte à ses propres droits fondamentaux, mais plutôt «  une éventuelle atteinte à la liberté d’association d’autrui  » (par. 29), aussi la Commission écrit :

[31] L’employeur par sa requête tente de faire valoir les droits d’un tiers, ceux des salariés ou de l’association, ce qu’il ne peut faire même s’il s’agit de droits constitutionnels. N’ayant pas l’intérêt requis pour le faire, sa contestation fondée sur l’atteinte aux droits d’autrui est irrecevable.

[139]      Nous sommes ici en matière de rapports collectifs. Comme nous l’avons rappelé, le Code est également une loi d’ordre public afin de protéger le droit d’association. Si elle répond aux exigences et qu’elle obtient la majorité d’adhésions des salariés compris dans l’unité de négociation recherchée, l’Union requérante sera accréditée, que cela plaise ou non à l’employeur.

[140]      Les personnes en absence en raison de leur handicap ne sont pas privées de leur droit d’adhérer ou non à une association de salariés. La règle de la date du dépôt n’est, selon la Cour d’appel dans l’affaire Gaylor c. Couture , précitée, qu’une question d’ «  équité procédurale  » qui n’a rien à voir avec la liberté d’association. Il faut bien arrêter un moment où il faut compter les adhésions. La règle jurisprudentielle ne vise qu’à s’assurer que les salariés au travail ou en réalité prochaine puissent se prononcer.

[141]      Cela étant, en application cette règle, il est clair qu’aucun de ces trois salariés n’est en réalité prochaine de travail. Leurs noms ne doivent donc pas figurer sur la liste.

Absences au moment du dépôt de la requête

Jean Lacasse

[142]      Jean Lacasse est un mécanicien à l’usine de Granby depuis l’année 2003. Il travaillait auparavant à l’usine de Cornwall. Il a été responsable de l’installation de chaînes de production et possède une grande expertise dans le domaine.
Le 29 novembre 2014, le vice-président exécutif du Groupe Cascades écrit à Jérôme Porlier pour signaler qu’il aurait besoin de Jean Lacasse «  pour quelques mois  » pour l’installation d’une chaîne de production à l’usine de Candiac. Le directeur de l’usine accepte et, dans les circonstances, décide de ne pas le remplacer parce qu’il s’agit d’un prêt de services. C’est l’usine de Granby qui paie le salaire de ce dernier, mais elle est remboursée.

[143]       C’est la raison pour laquelle à la fin de l’année 2014, Jean Lacasse a donné un coup de main pour la mise sur pied de la chaîne de production « E » à l’usine de Cascades située à Candiac en travaillant 8 heures en décembre. Il est revenu travailler quelques jours au mois de janvier 2015, mais, depuis le 2 février, il travaille pour ce projet spécial sous la supervision du directeur du projet, Mathieu Laferrière.

[144]      À la mi-juin, le directeur de l’usine de Candiac écrit à Jérôme Porlier pour lui dire que l’installation des derniers équipements se fait et qu’il aimerait garder Jean Lacasse jusqu’à la semaine du 6 juillet 2015. Ce dernier est effectivement de retour à Granby depuis ce temps. Jérôme Porlier déclare qu’il s’agit d’une première dans le cas de celui-ci et qu’il n’y a pas d’autres affectations prévues dans son cas.

[145]      En contre-interrogatoire, le directeur Porlier concède que l’affectation de Jean Lacasse faisait beaucoup plus son affaire, car il demeure sur la Rive-Sud de Montréal et que l’usine de Granby est loin de son domicile.

Thomas Robitaille

[146]      Depuis peu, le groupe Cascades a ouvert une usine aux Etats-Unis, à Wagram, en Caroline du Nord. Certaines machines de l’employeur ont été démontées pour être installées à cet endroit.

[147]      Thomas Robitaille est chef d’équipe à l’usine de Granby. Depuis le 23 mars 2015, il accorde un soutien technique pour le démarrage de cette nouvelle usine. Celle-ci est déjà en production et Thomas Robitaille donne de l’aide pour les différentes chaînes de production.

[148]      Jérôme Porlier explique qu’il s’agit d’un contrat d’une durée de six mois et qu’il revient le 28 septembre 2015, à preuve, ce salarié a conservé son domicile à Granby. C’est l’usine de Granby qui assume le salaire de celui-ci, bien qu’elle se fasse rembourser par l’établissement américain, et qui rembourse ses dépenses, car il est revenu brièvement au Québec au mois d’avril. Comme son collègue Lacasse, Thomas Robitaille a bénéficié du régime de partage de profits au mois de juin.

[149]      Thomas Robitaille n’a pas été affecté ailleurs dans le passé et il n’y a pas de plan pour l’avenir. À son départ, l’employeur a ouvert son poste. L’affichage du 27 mars 2015 énonce qu’il s’agit d’un poste temporaire d’une durée de six mois.

[150]      Alain Pommerleau raconte que lors d’une réunion sur la santé et sécurité au travail, il s’interrogeait sur le sort de Thomas Robitaille. Le contremaître Marcel Lachance a mentionné devant témoin que ce dernier ne reviendrait pas, que c’était «  une question de papiers  ». Dans son témoignage, Mario Chabot affirme avoir vérifié où habite Thomas Robitaille et on lui a dit qu’il avait déménagé. De même manière, il n’y a plus de service au numéro de téléphone de celui-ci.

[151]      Quant à lui, Jérôme Porlier a écrit au principal intéressé après le témoignage des témoins syndicaux. Thomas Robitaille a confirmé qu’il n’avait pas renouvelé son bail, mais qu’il avait loué une place avec sa conjointe «  pour les trois mois qui restent de mon contrat à Wagram  ».

argumentation de l’employeur

[152]      Le statut d’emploi de ces deux personnes est demeuré inchangé. L’ensemble de la preuve démontre qu’il s’agit d’une affectation temporaire, aucunement permanente. Le lien d’emploi n’est pas interrompu et il ne s’agit que d’un prêt de services entre établissements, pour une période donnée.

aRgumentation de l’union

[153]      Il faut se poser la question suivante : au moment du dépôt, ces deux personnes sont-elles des salariés de l’employeur ? ou, en d’autres termes, qui est le véritable employeur ? Selon les critères de l’arrêt de la Cour suprême dans ville de Pointe-Claire [1977] 1 R.C.S. 1015, il n’y a aucun lien de subordination entre l’employeur et ces deux personnes, même s’ils sont payés par l’employeur.

[154]      L’Union soulève des doutes sur l’entente avec Jean Lacasse, suggérant que son retour en juillet a beaucoup plus à voir avec le dépôt de la requête en accréditation qu’avec la fin du projet à Candiac. Pareillement, les indications dans le cas de Thomas Robitaille ne sont pas aussi probantes que l’employeur le suggère. On ne peut savoir avec certitude si ce dernier va revenir dans un avenir rapproché, voire revenir tout court.

décision sur les absences au moment du dépôt de la requête

[155]       Il y a lieu de distinguer les deux cas.

[156]      Partant du principe qu’il faut se situer au moment du dépôt de la requête, le 30 avril 2015, on ne peut considérer que Jean Lacasse était en situation de réalité prochaine de travail, même s’il est revenu dans la semaine du 6 juillet.

[157]      En novembre 2014, le directeur de l’usine de Candiac en avait besoin «  pour quelques mois  » et il a commencé à y travailler de manière régulière qu’en 2015. Certes, la mise en place des équipements de production semble s’être bien déroulée, mais que serait-il arrivé s’il y avait eu des problèmes? On ne peut juger après le fait. Le 30 avril, il n’y a pas de preuve qu’il reviendrait de manière prévisible dans un certain avenir. Son nom ne doit pas figurer sur la liste.

[158]      Par opposition, il en va autrement de Thomas Robitaille. Celui-ci est aux États-Unis pour une période de 6 mois qui se termine en septembre. La durée du contrat est fixe et il lui faut un permis de travail. Rien n’indique de manière sérieuse qu’il ne sera pas de retour. Son nom doit figurer sur la liste.

L’occasionnel

[159]      Habituellement, l’employeur embauche un certain nombre d’étudiants pendant l’été pour du travail à temps plein. Il arrive que ceux-ci continuent pendant l’année scolaire, le plus souvent pendant les fins de semaine.

[160]      Marko Pospisil est un étudiant à l’Université de Sherbrooke en Éducation physique. Il a été embauché le 28 avril 2014 et a travaillé à partir de la semaine du 4 mai jusqu’au 15 août 2014. Marie-Karine Leblanc explique que celui-ci ayant donné satisfaction, on lui a demandé s’il souhaitait revenir en 2015, après son année universitaire. Celui-ci a manifesté son accord.

[161]      Le 7 avril 2015, la coordonnatrice des ressources humaines lui écrit par courriel : «  On voulait savoir si tu étais intéressé à revenir cet été ? On fait le tour de nos étudiants et on est ouvert pour l’horaire  ». Marko Pospisil répond le 20 avril, car il n’avait pas vu le courriel : «  Je suis intéressé à revenir cet été ! Je suis disponible à partir du 27 avril 2015 !  »

[162]      Or, la coordonnatrice étant en vacances, c’est le 22 avril que
Marie-Karine Leblanc communique avec ce dernier. Puisqu’il faut toujours assurer un accueil pour reprendre les activités, les parties conviennent ce jour-là que la rentrée de ce salarié se fera le lundi 4 mai 2015. Il s’agit de la journée où les employés requis pour l’accueil seront disponibles.

[163]      Depuis, il est opérateur de la machine numéro 11 à raison de 40 heures par semaine. Selon les informations disponibles à l’audience, il serait prêt à travailler un quart de travail pendant les fins de semaine et de revenir à plein temps pendant l’été 2016.

[164]      En contre-interrogatoire, Marie-Karine Leblanc précise qu’un seul autre étudiant est revenu après l’hiver, les autres continuant à donner des prestations de travail régulières, sauf pour une période de faible production entre les mois de janvier et mars. Tous les étudiants, sauf Marko Pospisil, étaient présents au moment du dépôt de la requête.

[165]      Par ailleurs, l’Union dépose la fiche de travail de ce dernier et le relevé d’emploi qui a été remis le 4 septembre 2014. Sur celui-ci, il est mentionné comme motif du relevé : «  Retour aux études  » et à la case «  Date prévue de rappel  », la case «  retour non prévu  » est cochée.

Argumentation de l’employeur

[166]      La preuve démontre que l’employeur emploie des étudiants qui occupent le même poste que les employés réguliers et permanents lors des fins de semaine, sous réserve des « retours ». Durant l’été, ils sont affectés à la production ou à la maintenance. Ils ont la même communauté d’intérêts que les autres. En ce qui concerne Marko Pospisil, il a travaillé en 2014. Son superviseur et les ressources humaines ont convenu avec lui qu’il reprendrait contact avec l’employeur au printemps pour offrir ses disponibilités. Cela a été fait et ce n’est que pour des raisons administratives qu’il a pu commencer à travailler le 4 mai. Il était donc dans une situation de retour probable et prévisible. Il a d’ailleurs travaillé tout l’été et va continuer en 2015-2016.

Argumentation de l’Union

[167]      Marko Pospisil a effectivement travaillé en 2014. Cependant, le relevé d’emploi démontre qu’il y a eu une fin d’emploi. Tout ce dont on a discuté à l’époque c’était la disponibilité pour l’année suivante. Celui-ci n’était donc pas au travail le jour du dépôt de la requête.

décision sur l’Occasionnel

[168]      Il ressort du débat que la présence d’étudiants n’est pas contestée. Il n’y a donc que le cas de Marko Pospisil, qui est à trancher.

[169]      La preuve démontre clairement que ce salarié a travaillé de mai à août 2014, période au terme de laquelle il a reçu un relevé d’emploi qui indique «  retour non prév u ». Il n’a aucunement travaillé chez l’employeur avant le 4 mai 2015.

[170]      Il est vrai que l’on a discuté de sa disponibilité pour l’année suivante, mais l’intérêt, même mutuel, ne constitue pas un lien d’emploi. Par exemple, l’employeur, si les besoins n’étaient pas là, n’avait aucune obligation de contacter Marko Pospisil. Pareillement, celui-ci, s’il s’était trouvé un emploi dans son domaine d’étude pouvait tout autant l’accepter sans rompre quelque engagement que ce soit (voir Martin-Poudrier
c. Magasins Best Buy ltée et Future Shop , 2011 QCCRT 0174 et Tousignant
c. Gaz Métro inc. , 2015 QCCRT 0275 )

[171]      C’est d’ailleurs ce que reflète le courriel du mois d’avril 2015 : «  On voulait savoir si tu étais intéressé à revenir cet été ? On fait le tour de nos étudiants et on est ouvert pour l’horaire  ». Quelles sanction ou recours aurait pu prendre l’employeur si Marko Pospisil avait répondu négativement ? À l’évidence, aucune.

[172]      Par conséquent, on ne peut même pas parler de prestation de travail sporadique. L’emploi de ce salarié a pris fin en août 2014 et un nouveau contrat de travail a débuté en mai 2015. Il n’était pas au travail le jour du dépôt de la requête, le 30 avril 2015 :

[66] Or, la jurisprudence n’a jamais considéré comme étant en réalité prochaine de retour au travail les personnes qui ont été embauchées et qui n‘ont pas encore travaillé au jour du dépôt de la requête en accréditation.

( Syndicat des travailleuses et des travailleurs des organismes communautaires du Saguenay-Lac-Saint-Jean-CSN c. Portes ouvertes sur le Lac ,
2014 QCCRT 0427 )

[173]      Le nom de Marko Pospisil ne doit pas figurer sur la liste des salariés.

conclusion

[174]      Après enquête, la Commission déclare que l’unité appropriée est :

« Tous les salariés à l’exception des employés de bureau, acheteurs, vendeurs, responsables santé-sécurité et de tous ceux exclus par la loi. »

[175]      La liste de salariés aux fins du caractère représentatif comporte donc 155 noms.

[176]      Par cette seule conclusion, un vote au scrutin secret n’est pas nécessaire. Il y a donc lieu de convoquer une audience sur le caractère représentatif et pour traiter de la constitutionnalité des dispositions du Code.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

DÉCLARE                que l’unité appropriée est la suivante :

 

                                    « Tous les salariés à l’exception des employés de bureau, acheteurs, vendeurs, responsables santé-sécurité et de tous ceux exclus par la loi. »

 

DÉCLARE                 que les noms de Tommy Lacoste, Alexandre Rancourt, Yanick Leblanc, Manon Gareau, Patrick Breault, David Grégoire et Jean Lacasse doivent être rayés de la liste des salariés visés par la requête, aux fins du calcul du caractère représentatif;

 

DÉCLARE                 que le nom de Thomas Robitaille doit faire partie de la liste des salariés visés par la requête en accréditation aux fins du calcul du caractère représentatif;

 

DÉCLARE                 que Marko Pospisil n’est pas un salarié au jour du dépôt de la requête et que son nom doit être rayé de la liste des salariés visés par la requête;






CONVOQUE             les parties à une audience sur le caractère représentatif et pour traiter de la constitutionnalité des dispositions du Code.

 

 

 

 

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Alain Turcotte

 

M e Christiane Morrisseau

TRUDEL NADEAU AVOCATS S.E.N.C.R.L.

Représentante de la requérante

 

M es Michel Carle et Caroline Jodoin

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA S.E.N.C.R.L. S.R.L.

Représentants de l’employeur

 

M e Marie-Claude Michon

Procureure générale du Québec

Représentante de la mise en cause

 

 

Date de la dernière audience

13 août 2015

 

 

Date de la mise en délibéré :

27 août 2015

 

 

/jt