Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 574 et Aliments Dare ltée, usine de Sainte-Martine (grief syndical, griefs individuels, Gino Lemoine et autres)

2015 QCTA 887

 

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N o de dépôt :

2015-9567

 

 

 

Date :

10 NOVEMBRE 2015

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DEVANT L’ARBITRE :

 Me CAROL JOBIN

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS-LES ET DE BUREAU, SECTION LOCALE 574

 

 

- Partie syndicale

 

Et

 

 

LES ALIMENTS DARE LTÉE, USINE DE SAINTE-MARTINE

 

 

- Partie patronale

 

 

 

 

 

Plaignants :

G. Lemoine, I. Maisonneuve, S. Carrière, S. Julien

 

 

 

Griefs :

 

Nos 12-10; 13-45; 13-46 et 13-47

 

 

 

Sujet :

Période de repas

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

(Code du travail, L.R.Q., c. C-27, a.100)

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

I. LE LITIGE

 

[1]           L’arbitre soussigné est saisi de quatre (4) griefs ayant le même objet. Ces griefs allèguent que des salariés de l’entretien doivent demeurer disponibles durant leur période de repas pour répondre à des appels de dépannage sur des équipements de production et le non-respect à cet égard de l’article 79 de la Loi sur les normes du travail . Cet article prévoit que le salarié qui n’est pas autorisé à quitter son poste de travail durant sa période de repas (i.e. 30 minutes sans salaire) doit être rémunéré pour cette période.

 

[2]           Le grief syndical no 12-10 du 28 mai 2012 est libellé comme suit (S-2) :

 

« NOM : Grief syndical touchant notamment et sans s’y restreindre : Gino Lemoine, Matthew Bellemare et Sylvain Julien et autres personnes touchées par ce grief lors des remplacements de ces personnes.

 

EMPLOYEUR : ALIMENTS DARE LTÉE., USINE STE-MARTINE

 

NATURE DU GRIEF :

 

Les employés veulent être rémunérés en temps supplémentaires lors de leur période de repas car ils doivent demeurer disponibles en tout temps à la demande de l’employeur même si la pause de 30 minutes est non-rémunérée par celui-ci, ils veulent donc faire appliquer l’article 79 de la commission des normes du travail voir lien suivant : http://www.cnt.gouv.qc.ca/guide-interprétation-et-jurisprudence/partie-i/la-loi-sur-les-normes-du-travail/les-normes-du-travail-art-391-a-97/les-repos-art-78-79/index.html

 

RÈGLEMENT DÉSIRÉ :

 

Option #1, Être rémunéré ½ heure par jour en temps supplémentaire pour être disponible pour une période de 10,5 heures par jour comme l’exige l’employeur.

 

Option #2, Faire un vrai quart de travail de 10 heures et avoir ½ heure rémunérée pendant sa période de repas mais demeurer disponible pour l’employeur.

 

Option #3, L’Employeur doit cesser de menacer un employé d’insubordination lorsqu’il veut compléter sa pause de 30 minutes consécutives à laquelle il a droit. L’employé sera considéré non disponible à l’employeur même s’il est présent sur les lieux de travail.

 

Dans les options 1 et 2, les employés pourront reprendre leur période de pause de 30 minutes et pourront se prévaloir de l’allocation prévue à l’article 6.02 de la convention collective. »

 

[3]           Les trois autres griefs, signés par des salariés, allèguent le non-respect de l’article 79 L.n.t. à des périodes précises :

 

- le grief no 13-45 du 26 juin 2013 (S-3) est signé par les salariés Gino Lemoine, Ivanhoe Maisonneuve, Sylvain Julien, Matthew Bellemare, Sylvain Carrière et Claude Piette et il vise la période du 9 juin au 6 juillet 2013;

 

- le grief no 13-46 du 11 juillet 2013 (S-4) est signé par les salariés Lemoine, Maisonneuve et Carrière et vise la période du 7 au 13 juillet 2013;

 

- le grief no 13-47 du 1 er août 2013 (S-5) est signé par ces mêmes salariés et vise la période du 14 au 20 juillet 2013.

 

[4]           À l’égard des 4 griefs, il est admis que la procédure de grief a été respectée et que l’arbitre est validement saisi du litige.

 

[5]           Le redressement recherché a été précisé par la partie syndicale. Il s’agit de « l’option #2 », à savoir de réputer le salarié au travail durant sa période de repas et de le rémunérer en conséquence, ce qui, le cas échéant, aurait des répercussions au plan de la rémunération en temps supplémentaire.

 

[6]           Les parties conviennent que l’arbitre rende d’abord une décision sur le fond et qu’il réserve sa compétence relativement au quantum.

 

II. RÉSUMÉ DE LA PREUVE

 

Mise en contexte

 

[7]           L’Employeur opère une usine de produits alimentaires à base de pain séché. Il emploie environ 100 salariés. La production se fait sur deux quarts (jour et soir).

[8]           Les griefs à l’étude émanent de salariés du département de la maintenance où l’on retrouve des électro-techniciens, des mécaniciens et un graisseur.

 

[9]           Leur semaine de travail est de 4 jours de 10 heures. L’horaire d’un quart de travail est de 10 heures 30 minutes. La période de repas, non payée, est de 30 minutes et elle est fixée vers le milieu de l’horaire avec le superviseur ou le coordonnateur.

 

[10]        Au moment des griefs, l’organisation du travail faisait en sorte que sur le quart de jour ou de soir, il arrivait qu’il n’y ait qu’un (1) électro-technicien ou un (1) mécanicien en poste.

 

[11]        Ainsi, dans ces circonstances et contrairement à ce qui était le cas pour les salariés de la production, ces salariés de la maintenance seuls en poste lors d’un quart de travail, n’étaient pas remplacés durant leur pause de repas. Ce n’est que sur les quarts où il y avait plus d’un (1) électro-technicien ou mécanicien que ceux-ci pouvaient prendre leur pause repas en alternance assurant ainsi une présence continue pour répondre à tout appel d’urgence.

 

[12]        L’article 6.02 de la convention collective est au centre du présent litige. Il stipule (S-1, mes soulignements) :

 

« 6.02 Repas en temps supplémentaire

 

Il est accordé à tout employé, travaillant plus de deux (2) heures après ses heures régulières de travail, une allocation pour le repas de dix dollars soixante-quinze sous (10,75 $) et de onze dollars (11,00 $) à partir du 1 er mai 2012.

 

Lorsqu’un employé de la maintenance doit interrompre sa période de repas et retourner en usine pour répondre à une urgence, celui-ci reçoit une allocation pour le repas correspondant aux dates ci-haut prévues. »

 

 

[13]        Il est admis que cette clause, négociée en 1998, a été reconduite depuis sans modification sauf en ce qui concerne le montant de l’allocation.

 

[14]        Il est établi que l’application de cette clause en ce qui concerne les employés de maintenance n’a pas fait l’objet de grief avant celui du 28 mai 2012 (S-2, précité).

La problématique

 

[15]        Le travail des employés de maintenance en est un d’entretien préventif et de réparations. Il peut s’effectuer, selon les cas, en atelier ou là où se trouvent les équipements en production. Le travail est assigné le matin au moyen de réquisitions ou, en cours de journée, par des appels de service ou d’urgence.

 

[16]        Lorsqu’un problème mécanique ou électrique survient en cours de production, l’employé de maintenance est appelé par intercom ou par téléphone par un superviseur ou par tout employé de production.

 

[17]        L’appel par intercom s’entend de partout dans l’usine, y compris à la cafétéria, aux vestiaires et aux toilettes qui se trouvent au deuxième étage. Il s’entend à l’extérieur, relayé par des haut-parleurs, et est audible même du stationnement.

 

[18]        Ainsi l’électro-technicien ou le mécanicien qui est le seul en poste sur son quart entend l’appel lorsqu’il est à sa pause de repas à la cafétéria.

 

[19]        La façon de faire et la consigne sont que l’employé ainsi appelé doit interrompre sa pause et se rendre à l’endroit où le problème est signalé. Après son intervention, il reprend le reste de la durée de sa pause interrompue et l’allocation prévue à l’article 6.02 précité est versée sur sa paye de la semaine suivante.

 

[20]        Plusieurs témoins ont déclaré que si l’employé en pause ne peut être rejoint ou ne peut pas se rendre pour effectuer la réparation, l’équipement en panne demeurera à l’arrêt et cela aura éventuellement des répercussions à la chaîne pouvant entraîner l’arrêt complet de la production.

 

La gestation des griefs

 

[21]        Le cas de M. Sylvain Julien, électro-technicien à l’emploi depuis 2004, est à l’origine du premier grief (S-2).

 

[22]        Le ou vers le 2 mai 2012, alors qu’il dinait à la cafétéria, il a entendu un appel de service. Il a décidé de poursuivre sa pause et de continuer à manger. Puis, il a reçu un nouvel appel, cette fois de M. Marc-André Allen, son superviseur (ou contremaître) du département de la maintenance et il s’est rendu sur les lieux.

 

[23]        M. Julien a ensuite été convoqué au bureau du superviseur Allen qui lui a dit qu’il devait répondre aux appels pendant sa pause de repas sans quoi sa conduite serait considérée comme de l’insubordination. M. Julien lui a répondu que M. Claudio Avram, le directeur du département de la maintenance de l’époque (et supérieur hiérarchique du superviseur Allen) lui avait déjà dit qu’en pareille circonstance, il pouvait finir de manger son sandwich avant de se rendre sur les lieux du problème. M. Allen a renouvelé sa consigne à M. Julien et lui a dit qu’il allait régler la question avec M. Avram.

 

[24]        M. Julien déclare qu’il a craint une mesure disciplinaire et qu’il s’est conformé à la directive. Il a néanmoins pensé à faire un grief.

 

[25]        Mme Francine Gosselin, directrice de l’usine, déclare qu’elle n’a jamais donné à M. Avram la directive rapportée par M. Julien.

 

[26]        Suite à cet événement, M. Julien a signalé son problème à M. Gino Lemoine, électro-technicien et délégué syndical. M. Lemoine, à l’emploi depuis avril 2011, déclare que dans son emploi précédent, les choses se passaient autrement en pareilles circonstances (i.e. travail pendant la pause repas). Il déclare qu’il ignorait jusque-là que l’Employeur pouvait faire travailler sur appel un salarié de la maintenance durant sa pause repas. Il a donc décidé de rédiger le grief no 12-10 (S-2 précité) qui invoque l’article 79 de la Loi sur les normes du travail (ci-après L.n.t .).

 

[27]        Par la suite, il a eu des discussions sur le sujet avec M. Allen, M. Matthew Beauchamp (nouveau directeur de la maintenance ayant succédé à M. Avram) et Mme Gosselin. Ceux-ci disaient s’en tenir à l’article 6.02 de la convention.

 

[28]        C’est parce que rien ne bougeait que M. Lemoine a soumis les griefs 13-45 (S-3), 13-46 (S-4) et 13-47 (S-5).

 

[29]        Par ailleurs, peu avant ces 3 griefs, le 25 juin 2013, il avait été suspendu sans solde pour une (1) journée pour avoir refusé d’interrompre sa période de repas pour répondre à un appel d’urgence (S-6). Ce comportement fut considéré comme de l’insubordination. M. Lemoine déclare qu’il a contesté cette mesure par grief.

 

[30]        Mme Karine Bourelle, conseillère en ressources humaines à l’emploi depuis 2002, déclare que ce grief a été retiré, que la suspension est demeurée et qu’elle est toujours au dossier de M. Lemoine.

 

La pause repas

 

[31]        M. Lemoine déclare qu’il apporte son lunch qu’il mange à la cafétéria de l’usine. Il considère qu’il n’a pas le choix étant donné que la pause ne dure que 30 minutes. S’il voulait aller manger à l’extérieur, il lui faudrait se changer de vêtements comme cela est exigé par les normes de salubrité et se rendre dans un restaurant, commander, manger, revenir et se changer à nouveau. Tout cela est impossible en 30 minutes. Il reconnaît par ailleurs que l’Employeur n’impose pas d’avoir une pagette ou un cellulaire pour répondre à des appels d’urgence.

 

[32]        M. Sylvain Carrière est mécanicien et à l’emploi depuis 2005. Il déclare qu’il ne mange plus à l’extérieur. « Dans le temps », c’est-à-dire avant 2009, il le faisait. Il n’y avait pas alors les normes de salubrité obligeant à changer de vêtements et il y avait un bon restaurant dans le coin. Maintenant, il faut se changer et le restaurant est devenu « moins bon ».

 

[33]        M. Julien ne mange jamais à l’extérieur. Il croit qu’il n’aurait pas le temps en 30 minutes. Il ignore si certains le font. Il reconnaît qu’il aurait le droit de le faire. Sur le quart de jour, tous les salariés dinent à l’usine. Et si certains sortent, on ne sait pas si c’est pour aller diner ou pour fumer.

 

[34]        M. Julien évoque également l’éventualité où un appel d’urgence nécessiterait une réparation d’une durée de 2 ou 3 heures. Il ne pourrait pas alors diner et devrait jeter son lunch. L’allocation ne peut lui servir à manger le jour même puisqu’elle est versée sur la paie de la semaine suivante.

 

[35]        M. Yvon Bary est retraité depuis 2015, après 37 ans de service. Il a été durant les 8 dernières années directeur de la production. Il ne gérait pas personnellement les pauses de repas ni le département de la maintenance. Il déclare qu’il n’y avait aucune directive limitant la liberté des salariés durant les pauses de repas. Il a déjà vu des employés de production sortir à l’extérieur durant cette pause.

 

[36]        Mme Bourelle déclare qu’il n’y a pas de directive au sujet du lieu où l’on peut prendre sa pause repas. Elle a déjà vu un employé de production sortir pour aller s’acheter un diner à l’extérieur.

 

[37]        Mme Gosselin confirme l’absence de directive et le fait que l’employé de maintenance qui est à sa pause de repas à l’usine doit répondre à un appel d’urgence.

 

[38]        Elle déclare qu’il est déjà arrivé que des appels nécessitent des réparations d’une durée allant de 1 à 3 heures. Dans ces cas, un diagnostic est posé conjointement par l’employé de maintenance, son superviseur et celui responsable de la ligne de production. Si la réparation exige un tel arrêt prolongé, l’employé de maintenance peut terminer sa période de repas et entreprendre ensuite la réparation.

 

Les occurrences d’application de l’article 6.02

 

[39]        M. Lemoine, bien qu’il ait signé le grief no 12-10 (S-2) n’a pas été impliqué dans un cas de pause de repas en 2012. Il ignore si lui ou les autres signataires des griefs S-3, S-4 et S-5 furent effectivement appelés pour des urgences durant leurs pauses de repas.

 

[40]        M. Carrière déclare que cela lui est arrivé à 17 reprises entre janvier et novembre 2014. Il se base sur le fait qu’il a reçu au total 198 $ d’allocations en vertu de l’article 6.02. Mais il croit qu’à quelques reprises, il a fait du temps supplémentaire pour une durée de plus de 2 heures ce qui aurait entraîné le versement de l’allocation prévue à cet article.

 

[41]        Mme Bourelle a compilé les versements d’allocations (art. 6.02) de 2010 à 2014 à partir du logiciel Atlas. Cela lui a permis de distinguer les versements d’allocations dans les cas de temps supplémentaire de plus de 2 heures (art. 6.02, al. 1) des versements pour des appels d’urgence d’employés de maintenance durant la pause de repas (art. 6.02, al. 2).

 

[42]        Ces données sont susceptibles d’avoir une incidence directe sur le quantum pour lequel la compétence de l’arbitre est réservée par entente entre les parties.

 

[43]        Mme Bourelle n’a pas été contre-interrogée par le Syndicat étant entendu que ce droit est réservé au cas où le quantum devrait être décidé par l’arbitre.

 

[44]        Selon les données colligées par Mme Bourelle, en 2012, il y a eu 13 versements d’allocations, soit 8 liés à du surtemps et 5 à des interruptions de pauses repas (E-1). Les salariés impliqués sont messieurs Roy (1), Carrière (2) et Julien (2). M. Lemoine n’est pas concerné. Pour 2012, il n’y a pas eu de grief sauf le grief S-2.

 

[45]        En 2013, il y a eu 9 versements pour interruption de pause de repas. Les salariés Bellemare (4), Carrière (3), Julien (1) et Lemoine (1) sont concernés (E-2).

 

[46]        On sait que les griefs S-3, S-4 et S-5 portent sur différentes périodes en 2013. La période du grief S-3 (9 juin au 6 juillet) correspond à 3 des 9 interruptions de pauses concernant les salariés Carrière (2) et Bellemare (1).

 

[47]        Pour les périodes visées par les griefs S-4 (7 au 13 juillet) et S-5 (14 au 20 juillet), il n’y a eu aucun versement pour des interruptions de pauses de repas.

 

[48]        En 2010, il y a eu 12 interruptions de pauses de repas (E-4). En 2011, il y en a eu 9 (E-3) et en 2014 (E-5), 20. Dans tous ces cas il n’y a pas eu de grief. Il en fut de même en 2015 jusqu’au témoignage de Mme Bourelle.

 

[49]        Le grief S-2 fut donc le premier grief à être soumis sur le sujet.

 

La Loi sur les normes du travail

 

[50]        Pour une meilleure compréhension des argumentations que je résume ci-après, je reproduis les articles 57 et 79 de la L.n.t .) :

 

« 57. Un salarié est réputé au travail dans les cas suivants :

 

1 o           lorsqu’il est à la disposition de son employeur sur les lieux du travail et qu’il est obligé d’attendre qu’on lui donne du travail;

 

2 o           sous réserve de l’article 79, durant le temps consacré aux pauses accordées par l’employeur;

 

3 o           durant le temps d’un déplacement exigé par l’employeur;

 

4 o           durant toute période d’essai ou de formation exigée par l’employeur.

 

(…)

 

79. Sauf une disposition contraire d’une convention collective ou d’un décret, l’employeur doit accorder au salarié, pour le repas, une période de trente minutes sans salaire au-delà d’une période de travail de cinq heures consécutives.

 

Cette période doit être rémunérée si le salarié n’est pas autorisé à quitter son poste de travail. »

 

 

III. ARGUMENTATIONS

 

Partie syndicale

 

 

[51]        Revenant sur la preuve, le procureur expose que le salarié de la maintenance qui est le seul en poste sur un quart de travail est disponible et obligé de répondre sur demande à un appel d’urgence. Contrairement au salarié de la production, ce salarié n’est pas remplacé lors de sa pause de repas. Son droit de sortie de l’usine pour aller manger à l’extérieur est théorique. Cela tient à ce que, dans les faits, ce salarié ne sort pas parce que la durée de 30 minutes de la pause rend cette sortie impossible.

 

[52]        Le procureur ajoute que les causes des griefs sont : (1) un changement de directive dans la gestion des pauses (i.e. de M. Avram à M. Allen) et (2) le fait que des détenteurs de postes qui ont quitté n’ont pas été remplacés, ce qui a fait que sur certains quarts il n’y a plus qu’un (1) électro-technicien ou qu’un (1) mécanicien.

 

[53]        Le Syndicat invoque les articles 57 et 79 L.n.t. au soutien de sa cause.

 

[54]        L’article 57, 1 o , prévoit que le salarié est réputé être au travail si (1) il est à la disposition de l’Employeur, (2) sur les lieux de travail et (3) obligé d’attendre qu’on lui donne du travail.

 

[55]        Autorités à l’appui (JS-1 à JS-3) sur lesquelles je reviendrai dans mon analyse, la partie syndicale soutient que, pendant les 30 minutes de sa pause de repas, le salarié est disponible, donc réputé être au travail. Il est factuellement manifeste que le salarié est à la disposition de l’Employeur et sur les lieux du travail. L’impossibilité d’aller manger à l’extérieur faute de temps amène comme seule conclusion logique que le salarié doit attendre qu’on lui donne du travail. De plus, la mesure disciplinaire imposée à M. Lemoine (S-6) confirme l’existence d’une contrainte quant à l’obligation d’interrompre sa pause de repas et d’exécuter du travail.

 

[56]        L’article 6.02 prévoyant le versement d’une allocation s’il y a du travail durant la pause repas est la contre-partie de l’obligation de disponibilité sur les lieux et de l’obligation d’attendre qu’on donne du travail. Cette contre-partie (i.e. l’article 6.02) a pour but d’éviter que l’on transgresse à la baisse la L.n.t. .

 

[57]        Quant à l’article 79 L.n.t., il s’applique lorsque le salarié n’est pas autorisé à quitter son poste de travail durant sa période de repas non payée.

 

[58]        En l’espèce, il faut remettre la notion de poste en contexte. Le salarié de maintenance peut être appelé à travailler à tout endroit de l’usine. S’il est contraint de demeurer à l’usine pendant sa pause repas, ce qui est factuellement le cas ici, le salarié se trouve obligé de demeurer à l’usine que l’on doit considérer comme correspondant dans son cas à la notion de poste.

 

[59]        Le salarié a donc l’obligation d’être disponible et d’effectuer du travail pendant sa pause repas.

 

Partie patronale

 

[60]        L’article 6.02 de la convention collective est clair. Il s’applique dans des situations occasionnelles d’urgence sur lesquelles l’Employeur n’a aucun contrôle.

 

[61]        Cet article ne pose aucune exigence d’être présent au travail. Les salariés sont libres de quitter l’usine durant leur pause de repas. Aucune directive ne l’interdit. Le salarié n’est pas muni par l’Employeur d’une pagette permettant à distance et en tout temps durant sa pause de repas de lui demander de répondre à une urgence. Il n’y a aucune obligation de prendre sa pause de repas à son poste ou sur les lieux du travail. C’est par choix que les employés prennent leur repas à la cafétéria en compagnie de leurs collègues de travail.

 

[62]        En regard des 3 conditions de l’article 57, 1 o de la L.n.t., l’employé n’a pas l’obligation d’être à la disposition de l’Employeur. S’il est absent, cela n’a aucune conséquence sur lui. Son lieu de travail est l’usine. Il n’est pas en preuve que l’employé doit attendre qu’on lui donne du travail (à l’appui JE-1 à JE-3).

 

[63]        Les griefs allèguent l’application de l’article 79 L.n.t.. C’est là le véritable débat en l’espèce. Et la preuve ne démontre pas que le salarié n’est pas autorisé à quitter son poste , c’est-à-dire l’endroit où il travaille et non pas les lieux du travail qui sont l’établissement.

 

[64]        La preuve démontre que l’interprétation et l’application que fait l’Employeur de l’article 6.02 (E-1 à E-5) fut constante depuis 1998.Il n’y a pas eu de grief jusqu’à ce que M. Lemoine soumette le grief S-2 en se basant sur le fait qu’on agissait autrement chez son précédent employeur.

 

[65]        Ceci amène la partie patronale à soulever une défense d’estoppel (à l’appui JE-4 à JE-6). Si l’arbitre en venait à constater une ambigüité, il devrait tenir compte de la pratique entourant l’application de l’article 6.02 de la convention collective qui fut constante et du comportement des parties, dont l’absence de grief, qui donnent son sens à « être à la disposition de l’Employeur » dans le cas qui nous occupe.

 

Réplique syndicale

 

[66]        Le Syndicat nie l’existence d’une pratique qui servirait de fondement à l’argument d’estoppel.

 

[67]        De plus, l’estoppel qui a pour but de maintenir un équilibre dans les rapports contractuels entre un employeur et un syndicat ne peut être invoqué lorsque des salariés demandent l’application d’une norme d’ordre public de la L.n.t.. Seuls les salariés peuvent renoncer à l’application d’une telle disposition (à l’appui JS-4 et JS-5). L’estoppel ne peut servir à écarter une disposition législative d’ordre public.

 

IV. ANALYSE ET DÉCISION

 

Introduction

 

[68]        Le grief-maître, à savoir le grief syndical no 12-10 (S-2), allègue que les employés de la maintenance « doivent demeurer disponibles en tout temps à la demande de l’employeur même si la pause [ de repas ] de 30 minutes est non rémunérée par celui-ci, ils veulent donc faire appliquer l’article 79 de la Commission des normes du travail (…)».

 

[69]        L’article 79 de la L.n.t. prévoit (al. 1) que, sauf disposition contraire de la convention collective, le salarié a droit à une période de repas de 30 minutes sans salaire au-delà d’une période de travail de 5 heures consécutives.

 

[70]        L’article 5.01 paragraphe 5 de la convention collective accorde cette pause de repas non rémunérée de 30 minutes aux salariés de la maintenance sur les quarts de jour et de soir.

 

[71]        L’article 79 , al. 2 L.n.t. prévoit également que, si durant sa pause de repas, le salarié «  n’est pas autorisé à quitter son poste de travail  », cette période sera rémunérée.

 

[72]        C’est à cette disposition que nous réfère les griefs.

 

[73]        Il faut toutefois tenir compte que l’auteur du grief n’est pas juriste ou autrement spécialisé dans l’application des lois du travail. Le libellé (i.e. article 79 de la « commission des normes du travail ») le fait bien voir. L’élément principal à la base du grief est que les salariés « doivent demeurer disponibles (…) même si la pause est non rémunérée ». Cette référence à la disponibilité relève plutôt de l’application de l’article 57 L.n.t. et de la notion du salarié «  réputé être au travail  ».

 

[74]        L’examen du grief portera donc sur ces deux articles de la L.n.t.. D’ailleurs les autorités déposées par les parties font bien voir qu’il est fréquent que l’analyse des situations litigieuses entourant la pause de repas mette en cause ces deux articles. Ces décisions comportent souvent le même enjeu qui est de faire reconnaître la période de repas comme une période travaillée qui devrait être rémunérée ce qui aura généralement une incidence sur la rémunération en temps supplémentaire.

 

[75]        Avant de passer à cette analyse, il importe d’examiner l’article 6.02 de la convention collective dont l’application est à l’origine du litige.

 

L’article 6.02

 

[76]        L’alinéa 2 de l’article 6.02 prévoit que (S-1) :

 

« Lorsqu’un employé de la maintenance doit interrompre sa période de repas et retourner en usine pour répondre à une urgence, celui-ci reçoit une allocation pour le repas correspondante aux dates ci-haut prévues. »

 

 

[77]        Je retiens de cette disposition qu’elle s’applique uniquement à l’employé de maintenance et qu’elle vise une situation précise, à savoir lorsque, pendant sa période de repas, il survient une situation d’urgence. Ce salarié doit alors interrompre sa période de repas pour répondre à l’urgence, ce qui traduit une obligation. Pareille situation est implicitement considérée comme un inconvénient, d’où la contre-partie qu’est le versement d’une allocation.

 

[78]        L’article 6.02 comporte donc une obligation et sa contre-partie. Notons qu’il s’agit d’un texte négocié.

 

[79]        Son application, selon la preuve offerte, fait ressortir d’autres aspects qui mettent en évidence des pratiques et des interprétations. Ainsi, dans les faits, cet article s’applique au salarié qui est présent dans l’établissement lors de sa pause de repas. Si le salarié n’est pas présent, il n’existe pas de systèmes de communication rendus disponibles par l’Employeur (i.e. téléavertisseur, téléphone cellulaire ou autre) et lui permettant d’exiger du salarié hors de l’établissement qu’il interrompe son repas pour revenir à l’usine répondre à l’urgence. À cela s’ajoute que le salarié dans l’établissement qui interrompt sa période de repas reprendra le reste de sa pause après avoir répondu à l’appel. Enfin, si le travail requis représente après évaluation une durée relativement longue (i.e. on a parlé de 1 heure ou plus), le salarié pourra terminer sa pause avant d’entreprendre la réparation.

 

[80]        La preuve démontre que l’Employeur a émis des directives claires en rapport avec l’application de cet article en exigeant que le salarié présent sur les lieux du travail interrompe sa période de repas lorsqu’un appel d’urgence est fait. Son exigence s’est même traduite par l’imposition d’une mesure disciplinaire à un salarié ne respectant pas cette directive (S-6).

 

[81]        L’application de l’article 6.02 n’est pas ici l’objet du litige.

 

Les questions en litige

 

[82]        La question est de savoir si l’application de l’article 6.02 alinéa 2 a pour conséquence que le salarié devrait être rémunéré pour la durée de sa période de repas en vertu soit de l’article 79, soit de l’article 57 L.n.t..

 

L’article 79 L.n.t.

 

[83]        L’article 79 L.n.t. prévoit que le salarié qui n’est pas autorisé à quitter son poste de travail durant sa pause de repas de 30 minutes non payée doit être rémunéré pour cette période.

 

[84]        La jurisprudence considère généralement que la notion de « poste de travail » de l’article 79 L.n.t. est plus spécifique et restreinte que celle des « lieux de travail » de l’article 57 L.n.t..

 

[85]        S’autorisant du Dictionnaire (Dion) canadien des relations du travail , l’arbitre Claude H. Foisy dans la décision Syndicat national des travailleurs et travailleuses de la Cité des Prairies -et- Centres jeunesse de Montréal (JE-1 voir annexe) écrit que la notion de poste de travail se rapporte « à l’endroit précis où s’exécute le travail » et a pour synonyme « work station » tandis que le lieu de travail peut inclure la notion d’établissement qui, elle, est plus large.

 

[86]        Il y a lieu néanmoins d’interpréter la notion de poste de travail en tenant compte du contexte dans lequel s’exécute le travail.

 

[87]        Ainsi, par exemple, relativement à la profession de technicien ambulancier, l’arbitre Diane Veilleux dans la décision RETAQ-CSN -et- CÉTAM (JS-2 en annexe) a considéré que le fait que, durant leur pause de repas, ces salariés aient l’obligation de demeurer dans leur zone d’opération habituelle à un endroit déclaré à la centrale d’appels, près de leur véhicule et leur radio ouverte, faisait en sorte qu’ils restaient non seulement sur leur lieu de travail mais aussi à leur poste de travail (JS-2, para. [ 71 ] ).

 

[88]        Dans le cas qui nous occupe, l’exécution du travail de maintenance s’effectue soit en atelier, soit sur le plancher de l’usine où se fait la production et où se trouvent les équipements à entretenir ou à réparer.

 

[89]        Si flexible que l’on veuille être dans l’adaptation qu’il faut faire de la notion de poste de travail, il m’apparaît évident que cela exclut des endroits tels que la cafétéria, le vestiaire ou les abords extérieurs de l’établissement où peut se retrouver l’employé de maintenance durant sa pause de repas.

 

[90]        Il n’est aucunement en preuve que, durant cette période, cet employé « n’est pas autorisé à quitter son poste », c’est-à-dire  l’atelier ou le plancher de l’usine.

 

[91]        En conséquence, l’article 79 L.n.t. ne trouve pas application en l’espèce.

 

L’article 57 L.n.t.

 

[92]        L’article 57 ( 1 o ) L.n.t. établit une présomption irréfragable. Est réputé être au travail, le salarié se trouvant dans le cas suivant :

 

« 1 o lorsqu’il est à la disposition de son employeur sur les lieux du travail et qu’il est obligé d’attendre qu’on lui donne du travail; »

 

 

[93]        Unanimement, la doctrine et la jurisprudence voient dans cette disposition, trois conditions qui doivent impérativement être réunies pour que la présomption s’applique, à savoir (1) être à la disposition, (2) sur les lieux du travail (notion plus large que celle de « poste de travail ») et (3) être obligé d’attendre qu’on lui donne du travail.

 

[94]        Mais avant de disséquer ce texte en 3 volets, il m’apparaît approprié d’en réaliser la signification globale. On imagine difficilement que l’on puisse être obligé d’attendre du travail sans être à la disposition de son employeur. Par contre, bien qu’être à la disposition de l’employeur implique généralement d’être sur les lieux de travail, cette dernière notion porte davantage à adaptation selon le contexte.

 

[95]        Selon moi, le sens global qui se dégage de l’article 57 L.n.t. est qu’il faut déceler une obligation d’être disponible, sur les lieux de travail (avec adaptation le cas échéant), dans un état d’attente dont la finalité est qualifiée, à savoir l’éventualité qu’on nous donne du travail à effectuer. Période de repas ou non, on est réputé être au travail lorsqu’on se retrouve en pareille situation.

 

[96]        La publication de la Commission des normes du travail intitulée Loi sur les normes du travail, ses règlements et Loi sur la fête nationale -Interprétation et jurisprudence (2015) fournit un éclairage sur le sens à donner à l’article 57 L.n.t.. On peut y lire (p. 71):

 

« Le caractère obligatoire de la disponibilité est un facteur déterminant.

 

(…)

 

Cette disponibilité doit être demandée par l’employeur dans le cadre de l’exécution du travail.

 

(…)

 

Il s’agit d’évaluer la contrainte imposée par l’employeur au salarié de lui réserver sa disponibilité pendant la période prévue parce qu’il est susceptible d’effectuer le travail requis.

 

Il importe, en matière de disponibilité, de tenir compte du contexte global entourant une situation donnée. »

 

 

[97]        Des exemples sont donnés ( Ibid .):

 

« Par ailleurs, un salarié engagé pour répondre aux besoins des résidants d’un centre d’hébergement, avec obligation de demeurer sur place pendant un quart de travail déterminé et d’effectuer le travail nécessaire, pourrait être considéré comme étant à la disponibilité de son employeur. Cependant, un salarié muni d’un téléavertisseur et qui est à sa résidence ne pourrait réclamer le paiement de ses heures de disponibilité car il ne se trouve pas sur les lieux du travail. »

 

 

[98]        La jurisprudence déposée par les parties permet également d’examiner certains cas d’application ou de non-application de l’article 57 L.n.t..

 

[99]        La partie syndicale a déposé deux sentences arbitrales (JS-2 et JS-3) relatives à des cas où le travail de technicien ambulancier est en cause et où on a conclu à la présence des trois conditions posées par l’article 57 ( 1 o ) L.n.t ..

 

[100]     Dans le dossier RETAQ-CSN -et- CÉTAM (JS-2), tel que je l’ai déjà mentionné, il était reconnu que, durant leurs périodes de repas, les techniciens étaient requis de demeurer auprès de leur véhicule, dans leur zone d’opération habituelle, à un endroit déclaré à la centrale et obligés de laisser leur radio portative ouverte à la fréquence adéquate et de demeurer à l’écoute. De plus, en vertu de leur convention collective (art. 14.02), l’équipe en période de repas était tenue de répondre et d’intervenir en cas d’appel d’urgence. L’arbitre a conclu que ces salariés devaient rester à disposition durant leur période de repas, qu’ils étaient alors non seulement sur les lieux mais à leur poste de travail et obligés d’attendre que leur employeur leur donne du travail et d’intervenir dès qu’appelés. Ils étaient donc réputés être au travail durant leur pause de repas.

 

[101]     Dans la décision Rassemblement des employés techniciens ambulanciers-paramédics du Québec (FSSS-CSN) -et- Coopérative des employés techniciens ambulanciers de la Montérégie CÉTAM (JS-3), l’arbitre Denis Nadeau était appelé à se prononcer sur la même problématique après que la notion de lieu de travail ait été restreinte dans la convention collective de façon à éviter l’application de la sentence RETAQ-CSN -et- CÉTAM (JS-2) de l’arbitre Veilleux. L’arbitre Nadeau a néanmoins décidé que l’article 57 ( 1 o ) L.n.t. demeurait applicable en concluant que les lieux de travail du technicien ambulancier étaient non seulement ceux où il se déplaçait et où il intervenait mais également ceux où il attendait les appels. Il écrit notamment (JS-3, mes soulignements) :

 

« 65. (…) il est vrai que pendant la période de repas, le technicien va normalement s’alimenter - (…) - mais il doit être toujours disponible pour une affectation d’urgence (S-7) et se trouve aussi ˂obligé d’attendre qu’on lui donne du travail ˃. »

 

 

[102]     On ne peut qu’être d’accord avec ces décisions.

 

[103]     L’arbitre Nadeau commente également certaines sentences invoquées par la partie patronale. Il réfère notamment à la sentence Syndicat national des employés de l’Hôpital Jean-Talon (92A-140, D. Sabourin, arb.) qu’il distingue du cas dont il avait à décider. Il mentionne (para. 68) que « les salariés n’étaient pas tenus de prendre leurs repas dans l’établissement où ils travaillaient » ni « tenus d’attendre que l’employeur leur fournisse du travail ».

 

[104]     L’Employeur dans le présent dossier a déposé la sentence Syndicat de l’industrie de l’Imprimerie de Saint-Hyacinthe (CSD) -et- Imprimeries Transcontinental inc. Division Saint-Hyacinthe (JE-2). Dans cette affaire, il était exigé en vertu d’une lettre d’entente que les employés des presses prennent leur période de repas à l’intérieur de l’établissement et qu’ils interrompent cette période et retournent à leur poste si la presse ne fonctionnait pas à pleine capacité. Bien que ces salariés furent considérés comme étant à la disposition de l’employeur sur les lieux de travail, l’arbitre Diane Fortier considère que la troisième condition d’application de l’article 57 ( 1 o ) L.n.t. n’est pas remplie. Elle écrit (p. 20-21) :

 

« Les parties ont donc prévu des conditions particulières de travail (45 minutes de repas au lieu de 30 minutes, interdiction de prendre son repas à l’extérieur de l’établissement) lorsque la presse brise et que cela justifie qu’on interrompe le repas pour parer à cette situation particulière. La preuve a démontré qu’en plus d’être particulière, cette situation est exceptionnelle.

 

(…)

 

Cette preuve non contredite me démontre bien que nous ne sommes pas en présence du contexte prévu par le législateur. Les parties, par la lettre d’entente, ont simplement transigé sur une situation, je le répète, particulière et exceptionnelle. Il n’y a pas, dans cette entente, de notion d’obligation d’attente de recevoir du travail de l’employeur, les salariés travaillent, et pendant la période de repas, ils cessent de travailler.

 

(…)

 

Compte tenu de la preuve soumise, je suis d’avis que la lettre d’entente no 6 et ce qu’elle vise ne rencontre pas la troisième condition prévue par le législateur à l’article 57. Pendant leur période de repas, les salariés ne travaillent pas ni n’attendent du travail. Ils ont travaillé avant cette période de repas, et ils travaillent après cette période et exécutent leurs fonctions normales et régulières. Si jamais il y a un bris et que leur présence à leur poste est nécessaire lors de cette circonstance particulière et exceptionnelle, ils doivent interrompre leur repas. »

 

 

[105]     Enfin, on m’a soumis la sentence Société des Casinos du Québec inc. -et- Syndicat des travailleuses et travailleurs du Casino de Mont-Tremblant - CSN (JE-3) portant également sur l’application de l’article 57 ( 1 o ) L.n.t. à l’égard des agents de sécurité. On alléguait que ceux-ci devaient rester branchés à leur radio pour répondre à d’éventuels appels. L’arbitre Pierre Daviault a considéré qu’il avait été prouvé de façon prépondérante que l’employeur n’exigeait pas des agents qu’ils soient disponibles durant leur pause de repas, qu’il n’y avait aucune directive les obligeant à demeurer sur le site durant ces pauses et qu’il ne leur était pas interdit de sortir des lieux du travail.

 

[106]     La partie syndicale avait plaidé que les lieux de restaurations environnants (i.e. à l’extérieur de l’établissement) étaient éloignés. Selon l’arbitre, il ne s’agit pas d’un critère à considérer dans l’application de la L.n.t.. Il écrit (JE-3) :

 

« [ 39] (…) la situation géographique oblige certes l’employé à organiser ses repas ou ses activités durant la pause en fonction de cette réalité, mais cela ne constitue pas une directive implicite ou explicite de l’employeur d’une obligation de demeurer dans son poste ou sur les lieux du travail; (…) »

 

 

[107]     Il ajoute que l’employé a la liberté de faire ce qu’il veut durant sa période de pause et que (JE-3) :

 

« [ 40] (…) lorsque la liberté d’action du salarié durant une période donnée introduit un autre but que celui d’exécuter un travail pour l’employeur, ce salarié n’est évidemment pas à la disposition de celui-ci; »

 

 

[108]     Qu’en est-il dans le cas qui nous occupe ?

 

[109]     Il s’impose de constater d’abord que, d’après la preuve, l’Employeur n’exige pas de l’employé de la maintenance qu’il demeure disponible sur les lieux de travail durant sa pause de repas, c’est-à-dire dans l’établissement, afin qu’il réponde à un éventuel appel d’urgence, ce qui équivaudrait être à la disposition de l’employeur et à attendre qu’on lui donne du travail.

 

[110]     L’employé est libre de quitter les lieux de travail durant sa pause de repas. S’il le fait, il ne manque à aucune obligation et est incontraignable.

 

[111]     Le nœud du litige tient à l’argument selon lequel l’impossibilité «  factuelle  » d’exercer cette liberté la rend théorique. Cela tient au peu de temps dont dispose le salarié pour aller se restaurer à l’extérieur. Ainsi, le salarié de maintenance qui est le seul en poste lors de sa pause de repas dans l’établissement se trouve nécessairement corvéable en cas d’appel d’urgence.

 

[112]     Plus précisément et plus prosaïquement, on invoque comme facteurs rendant impossible de prendre sa pause à l’extérieur, le changement de tenue vestimentaire imposé par les normes de salubrité et l’éloignement des lieux de restauration extérieurs.

 

[113]     Sur ces derniers aspects, j’estime que la preuve ne démontre pas une impossibilité absolue de prendre sa pause de repas à l’extérieur des lieux du travail. Il n’est pas contredit que certains ont pu le faire. Le témoignage de M. Carrière démontre qu’il l’a déjà fait. C’était, déclare-t-il, « avant les normes de salubrité » (2009) et à l’époque où il y avait « un bon restaurant » aux environs. Maintenant, poursuit-il, il y a les normes (i.e. le temps de se changer à l’aller et au retour) et le restaurant est « moins bon ».

 

[114]     J’estime qu’on peut difficilement faire dépendre la présomption de l’article 57 ( 1 o ) L.n.t. de ces facteurs circonstanciels qui sont complètement hors du contrôle de l’Employeur et qui sont aléatoires.

 

[115]     La condition essentielle de l’application de la L.n.t. est l’obligation positivement faite par un employeur de demeurer disponible sur les lieux de travail durant la pause de repas de façon à ce qu’on puisse conclure que le salarié est en attente qu’on lui donne du travail, le cas échéant.

 

[116]     Se trouver, à cause d’un concours de circonstances comme c’est le cas ici, à être disponible dans les faits n’est pas être obligé d’être disponible.

 

[117]     J’en viens donc à la conclusion que l’article 57 ( 1 o ) L.n.t. ne s’applique pas en l’espèce.

 


V. DISPOSITIF

 

POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE REJETTE LES GRIEFS 12-10, 13-45, 13-46 ET 13-47.

 

 

 

 

________________________________ __

Me Carol Jobin, arbitre

 

 

 

 

 

Pour la partie syndicale :

Me Pierrick Choinière-Lapointe (Gingras Cadieux)

 

 

Pour la partie patronale :

Me Michel Gélinas (Lavery)

 

 

Nomination :

par les parties, 4 avril 2014

 

 

 

Audiences  :

Longueuil, 11 mars et 14 septembre 2015

 

 


 

ANNEXE : COMPOSITION DU DOSSIER

 

A) Pièces

S-1         Convention collective 2011-2014

S-2         Grief 12-10, G. Lemoine, M. Bellemare, S. Julien (28-05-12)

S-3         Grief 13-45, G. Lemoine, I. Maisonneuve, S. Julien, M. Bellemare, S. Carrière, C. Piette (26-06-13)

S-4         Grief 13-46, G. Lemoine, I. Maisonneuve, S. Carrière (11-07-13)

S-5         Grief 13-47, G. Lemoine, S. Julien, S. Carrière (01-08-13)

S-6         Avis de mesure disciplinaire, Suspension sans solde de 1 jour, Insubordination, G. Lemoine (25-06-13)

E-1         en liasse, Repas payés en 2012

E-2         en liasse, Repas payés en 2013

E-3         en liasse, Repas payés en 2011

E-4         en liasse, Repas payés en 2010

E-5         en liasse, Repas payés en 2014

 

B) Témoins

M. Gino Lemoine, électro-technicien

M. Sylvain Carrière, mécanicien industriel

M. Sylvain Julien, électro-technicien

M. Yvon Bary, directeur de production

Mme Karine Bourelle, conseillère en ressources humaines

Mme Francine Gosselin, directrice d’usine

 

C) Autorités soumises

 

- Partie syndicale

JS-1       Nathalie-Anne Béliveau, Les normes du travail , 2 e éd., Éditions Yvon Blais, 2011, extraits p. 187-191, p. 243-244

JS-2       RETAQ-CSN -et- CÉTAM, Soquij AZ-50365127 (D. Veilleux, arb.)

JS-3       Rassemblement des employés techniciens ambulanciers - paramédics du Québec (FSSS-CSN) -et- Coopérative des employés techniciens ambulanciers de la Montérégie CÉTAM, grief no 154055, 6 novembre 2008 (D. Nadeau, arb.)

JS-4       Commission scolaire Marie-Victorin, C.S., 505-17-003434-075, 11 mars 2003

JS-5       Syndicat des travailleuses et travailleurs Héma-Québec Montréal-CSN -et- Héma-Québec, grief 51741 et al., 17 février 2003 (D. Fortier, arb.)

 

- Partie patronale

JE-1       Syndicat national des travailleurs et travailleuses de la Cité des Prairies -et- Centres jeunesse de Montréal, Soquij 99A-16 (C.H. Foisy, arb.)

JE-2       Syndicat de l’industrie de l’imprimerie de Saint-Hyacinthe (CSD) -et- Imprimeries Transcontinental inc. Division Saint-Hyacinthe, Soquij 2001T-406 (D. Fortier, arb.)

JE-3       Société des Casinos du Québec inc. -et- Syndicat des travailleuses et travailleurs du Casino de Mont-Tremblant - CSN, 2015 QCTA (P. Daviault, arb.)

JE-4       Les Breuvages Cott inc. -et- Union des routiers, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, s.l. 1999, Soquij 97T-1473 (F. Hamelin, arb.)

JE-5       Métallurgistes unis d’Amérique, s.l. 4796 -et- Minerais Lac Ltée, Division Bousquet 1 et 2, Soquij 94T-1438 (S. Brault, arb.)

JE-6       Syndicat des employés unis de Lécuyer et fils limitée -et- Lécuyer et fils limitée, SAG Plus, SA 98-02073 (C. Jobin, arb.)