Favero c. Limosani |
2015 QCCQ 11416 |
|||||||
COUR DU QUÉBEC |
||||||||
« Division des petites créances » |
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
SAINT-HYACINTHE |
|||||||
LOCALITÉ DE |
SAINT-HYACINTHE |
|||||||
« Chambre civile » |
||||||||
N° : |
750-32-011422-139 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
15 OCTOBRE 2015 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SUZANNE PARADIS, J.C.Q. |
||||||
|
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
ANNE-MARIE FAVERO |
||||||||
Demanderesse |
||||||||
c. |
||||||||
KIM LIMOSANI ET RANDY DERRY |
||||||||
Défendeurs |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] La demanderesse, Anne-Marie Favero (Mme Favero) , réclame 6 710,77 $ (après amendement) aux défendeurs, Kim Limosani (Mme Limosani) et Randy Derry (M. Derry) , pour la coupe illégale des branches de ses arbres.
[2] Mme Limosani réclame en demande reconventionnelle 6 500 $ pour des dommages subis.
QUESTIONS EN LITIGE
[3] Mme Limosani peut-elle couper les branches des arbres appartenant à Mme Favero sans avoir obtenu une autorisation?
[4] Dans la négative, quels sont les dommages subis par Mme Favero?
[5] La demande reconventionnelle en dommages est-elle bien fondée?
LES FAITS
[6] Les parties sont propriétaires de résidences voisines.
[7] Dès les premières années de voisinage, des mésententes s’installent entre les propriétaires de telle sorte que les relations sont difficiles.
[8] En 2009, Mme Limosani obtient du défunt mari de Mme Favero une autorisation d’émonder les arbres en litige.
[9] Mme Favero n’apprécie pas la manière dont les arbres sont émondés et refuse pour l’avenir, toute demande d’émondage provenant de ses voisins.
[10] Le 22 juin 2013, Mme Limosani procède à la coupe des branches des arbres situés à proximité des limites territoriales des résidences respectives des parties.
[11] Elle n’obtient aucune autorisation de Mme Favero préalablement à la coupe des arbres.
[12] Le jour de l’émondage des branches, Mme Favero exprime verbalement, en présence de ses deux filles, son désaccord tant à Mme Limosani qu’aux émondeurs présents et, malgré ce refus, la coupe a lieu.
[13] Mme Favero fait appel à la police qui refuse de se déplacer. Mme Limosani fait également appel à la police mais obtient que les policiers se déplacent compte tenu des propos de cette dernière qui se résument de la façon suivante :
La voisine derrière a capoté à cause que la dame fait couper des branches.
La voisine arrête pas de crier après les hommes qui coupent les arbres. (sic)
[14] Il est clair que Mme Favero ne veut absolument pas faire couper les branches de ses arbres.
[15] Elle fait appel à un autre voisin demeurant sur la même rue, soit M. Turbine. Ce dernier se rend chez-elle et constate l’ampleur de la coupe qu’il jugera sévère, altérant gravement l’aspect esthétique des arbres et s’attriste de constater l’émondage effectué du côté de Mme Limosani.
[16] Mme Favero réserve les services d’ingénieurs forestiers provenant de la Firme Trame Verte pour l’évaluation de ses dommages.
[17] Elle réclame les dommages ci-après énumérés :
- Perte de la valeur des arbres 2 490,00 $
- Travaux de correction des arbres selon l’expert 865,00 $
- Honoraires de la firme d’experts 1 073,41 $
- Dommages émotionnels 1 650,00 $
- Honoraires de l’arpenteur-géomètre 632,36 $
[18] Mme Limosani procède à la coupe des branches parce ces dernières endommagent sa haie située sur sa propriété ajoutant que Mme Favero lui interdit l’accès à sa propriété afin de lui permettre de l’entretenir.
[19] Elle soumet que les dommages réclamés par Mme Favero sont exagérés puisque les émondeurs ne touchent que deux arbres sur cinq et qu’Hydro-Québec élague les arbres de Mme Favero quelques semaines avant le 22 juin 2013.
[20] Elle considère que Mme Favero la poursuit injustement et dans le seul but d’assouvir sa vengeance à la suite des différents les opposant par le passé.
[21] Finalement, elle demande au Tribunal de ne pas tenir compte de l’expertise déposée par Mme Favero réalisée par une firme d’ingénieurs forestiers puisque celle-ci se base sur les renseignements fournis par sa voisine, lesquels seraient erronés. De plus, elle soulève certaines irrégularités y contenues tout en ajoutant notamment :
a) qu’elle ne reconnaît pas les arbres photographiés dans l’expertise;
b) qu’elle ignore de quelle essence sont les arbres;
c) que l’expert ne fait pas de distinction entre les branches coupées par Hydro-Québec et celles qu’elle a fait couper sur seulement deux arbres.
[22] Mme Limosani réclame les dommages suivants :
a) Frais de l’émondage du 22 juin 2013 700,00 $
b) Honoraires de l’arpenteur-géomètre 345,00 $
c) Obtention de la carte d’appels à la police 14,00 $
d) Honoraires de ses avocats 1 084,00 $
e) Dommages subis par la haie de cèdres (14 arbres à 200 $) 2 800,00 $
f) Dommages reliés à la réclamation mal fondée et motivée par la vengeance 1 557,00 $
[23] De son côté, M. Derry soumet qu’il n’est nullement impliqué dans le débat judiciaire entre Mme Favero et Mme Limosani n’ayant aucun titre de propriété dans la résidence appartenant à cette dernière.
ANALYSE ET DÉCISION
[24]
Le rôle principal des parties, dans la détermination du
fardeau de la preuve, est défini aux articles
2803 . Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804 . La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[25] Ces articles précisent que les parties ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit. Chaque partie a l'obligation de convaincre le Tribunal, c'est ce qu'on appelle le "fardeau de persuasion", ce qui signifie qu'elle a l'obligation de produire, dans les éléments de preuve, une quantité et une qualité de preuve nécessaire et suffisante pour soutenir leurs allégations lors de leur procès.
[26] D’autres articles du Code civil du Québec sont pertinents au présent litige soient :
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
985. Le propriétaire peut, si des branches ou des racines venant du fonds voisin s'avancent sur son fonds et nuisent sérieusement à son usage, demander à son voisin de les couper; en cas de refus, il peut le contraindre à les couper.
Il peut aussi, si un arbre du fonds voisin menace de tomber sur son fonds, contraindre son voisin à abattre l'arbre ou à le redresser.
[27] Les parties reconnaissent que les arbres sont situés sur la propriété de Mme Favero.
[28] Après avoir subi plusieurs refus de couper les branches, Mme Limosani prend les grands moyens et engage trois émondeurs. Elle comprend qu’elle n’a aucune autorisation pour couper des branches et elle en profite donc pour faire un élagage important.
[29] Bien que Mme Limosani et M. Derry prétendent que les arbres sont mitoyens, le Tribunal rappelle qu’il ne s’agit pas d’une clôture et que les arbres en cause n’ont aucunement les caractéristiques nécessaires pour l’établissement d’une quelconque mitoyenneté. Et si c’était le cas, aucun des propriétaires indivis ne pourrait modifier l’état des arbres sans le consentement de l’autre propriétaire.
[30] Le Tribunal fait siens les propos tenus par le Juge Gabriel De Pokomandy alors qu’il écrit [1] :
[57] On remarque donc que le droit applicable aux parties, que ce soit en vertu des règles de la mitoyenneté ou en vertu du droit de voisinage, est similaire et ne permet ni à l’un ni à l’autre de couper ou de modifier la haie sans le consentement du voisin.
[58] En l’absence d’un tel consentement, la question doit être soumise et tranchée par le tribunal qui, seul, peut contraindre l’autre partie à couper des branches, des racines ou abattre un arbre.
[59] Or, une telle
ordonnance, ne sera émise que si les branches, les racines ou l’arbre au
complet nuisent sérieusement à l’autre partie, sinon les voisins doivent
accepter tels inconvénients normaux de voisinage (art.
(…)
[64] L’article
[65] Contraindre, au
sens de l’article
[31] La quantité des arbres affectés par la coupe illégale est décrite dans l’expertise réalisée par la Firme Trame Verte et rédigée par Gynnie Tremblay, ingénieure forestier.
[32] Elle confirme que cinq arbres sont touchés par la coupe, lesquels présentent des traces de coupe de branches effectuées en juin 2013. Il est opportun de reproduire les commentaires de l’ingénieur :
Les cinq arbres expertisés jouent un rôle important dans l’intimité de votre propriété avec celle des voisins à la limite nord-est (Mme Limosani et M. Derry). La haie de thuyas assure l’intimité au sol et les arbres expertisés assurent l’intimité de votre cours par rapport à l’étage supérieur de la propriété voisine ainsi que lors de l’usage de leur piscine hors terre. D’autres fonctions sont également remplies par ces arbres. Ils interceptent une partie des précipitations, régulent la température environnante de votre propriété, délimitent les propriétés, servent d’écran fonctionnel et esthétique et offrent abris et nourritures à la faune environnante.
[33] D’ailleurs, Mme Limosani en fait mention dans sa contestation écrite lorsqu’elle énonce :
Par courtoisie et comme à l’habitude, la partie défenderesse a avisé la partie demanderesse qu’elle devait couper certaines branches des cinq (5) arbres en question et cette dernière n’avait aucunement objection compte tenu de l’entente de 2000.
Toutefois, sans raison et de façon injustifiée, la partie demanderesse a subitement changé d’avis et a refusé à la partie défenderesse de couper les branches nuisibles pour ses haies de cèdres en ayant donné instructions aux émondeurs, qui étaient sur place, d’arrêter les travaux.
[34] Mme Tremblay visite les lieux le 10 juillet 2013. Le rapport fait état des observations, analyses et résultats de son expertise. Le mandat confié se résume en ces termes :
…vous avez demandé nos services afin d’expertiser l’état de santé des arbres impliqués, de documenter les dommages subis et d’évaluer la perte de valeur des arbres endommagés.
[35] À la page 3 du rapport, l’ingénieure écrit :
Lors de notre visite des lieux, nous avons dans un premier temps déterminé si les arbres étaient entièrement sur votre propriété. (…) ce qui indique que ces arbres vous appartiennent entièrement et ne sont pas mitoyens.
[36] L’ingénieure Tremblay confirme que les émondeurs engagés par Mme Limosani n’ont aucunement respecté les normes du Bureau de normalisation du Québec encadrant les travaux d’arboriculture notamment en exécutant des coupes rases ou à angles déficients.
[37] Pour l’évaluation des dommages, l’experte utilise la Méthode de la surface terrière telle que décrite dans le Guide d’évaluation des végétaux d’ornement, laquelle méthode est reconnue par les tribunaux. Les cotes de conditions reposent sur l’analyse de l’état des arbres lors de la visite par l’expert et des dommages produits. Un tableau est joint au rapport, lequel représente l’ensemble des observations effectuées et sur lesquelles Mme Tremblay s’appuie pour l’établissement desdites cotes. La cote finale réfère à la condition des arbres après les dommages reprochés.
[38] Son étude établit que les arbres contribuent pour un maximum de 15 % de l’ensemble de la propriété et que la perte de valeur contributive équivaut à un peu moins de 1 % de la valeur initiale de la propriété soit de 344 500 $.
[39] Elle conclut donc à une perte de 2 490 $ tout en ajoutant 865 $ pour les travaux de correction à être effectués sur les arbres.
[40] Dans sa contestation écrite Mme Limosani mentionne que parmi les sept arbres deux ont été émondés par Hydro-Québec en 2013 puisqu’ils touchent la ligne électrique. Elle dépose au dossier de la Cour un document provenant d’Hydro-Québec intitulé « Entretien de la végétation » et sur lequel, il est écrit le 3 juin 2015 la note suivante :
Élagage indique sur ce circuit fait en 2013 pour arbres près réseau installé seulement-ligne existante moyenne tension. (sic)
[41] Ce seul document est insuffisant pour établir qu’Hydro-Québec émonde les arbres appartenant à Mme Favero particulièrement sur le côté de Mme Limosani durant cette période.
[42] D’ailleurs, l’expertise tient compte du fait qu’aucune structure de services d’énergie ou de communications n’est présente à proximité des arbres (Hydro-Québec, Bell, Vidéotron, etc.) et n’entrave la croissance normale de ces derniers (p. 6 du rapport).
[43] De plus, Mme Favero confirme l’absence d’émondage effectué par Hydro-Québec sur sa propriété à l’été 2013.
[44] Mme Limosani ne démontre pas, par preuve prépondérante, que les arbres de Mme Favero sont émondés par Hydro-Québec avant le 22 juin 2013 et avant le 10 juillet 2013, soit lors de la visite des lieux par l’experte.
[45] Aucune preuve n’établit de plus qu’il s’agit d’une situation de nécessité ou Mme Limosani ne pouvait attendre le temps nécessaire pour s’adresser aux tribunaux et obtenir une autorisation judiciaire devant le refus de sa voisine. Il y a absence de preuve quant à l’état de santé de la haie.
[46] Elle allègue que les branches sont nuisibles pour sa haie et qu’elle en subit des dommages sans toutefois en faire la preuve et la Cour est d’avis qu’il est difficile de conclure à un lien de causalité entre la présence de branches et les dommages à la haie si dommage il y a.
[47] Le Tribunal est d’avis que la preuve hautement prépondérante démontre non seulement que Mme Limosani coupe de nombreuses branches mais dénude d’une façon visuellement importante la barrière végétative de cet endroit.
[48] Les branches coupées ne peuvent être considérées comme un simple élagage ou émondage. Il s’agit davantage de coupe radicale et sévère, selon les photographies déposées au dossier de la Cour, altérant l’aspect esthétique des arbres. Ils sont, pour la partie coupée, dénudés, mais seulement sur le côté de Mme Limosani. M. Turbine ainsi que le rapport d’expertise en témoignent.
[49]
L’article
[50] Considérant l’absence de preuve, la réclamation concernant les dommages émotionnels de Mme Favero ne peut être retenue.
[51] Mme Limosani commet une faute. Elle fait émonder les arbres situés sur la propriété de Mme Favero sans obtenir son autorisation et en sachant qu’elle est en désaccord.
[52] Mme Favero rencontre son fardeau de preuve et établit, en partie, le bien-fondé de sa réclamation contre Mme Limosani.
[53] Pour ce faire, le Tribunal lui accorde 5 060,77 $ à titre de dommages détaillés ainsi :
- Perte de la valeur des arbres 2 490,00 $
- Travaux de correction des arbres selon l’expert 865,00 $
- Honoraires de la firme d’experts 1 073,41 $
- Honoraires de l’arpenteur-géomètre 632,36 $
[54] Compte tenu des conclusions précédentes, la demande reconventionnelle de Mme Limosani est rejetée.
[55] Le recours intenté contre M. Derry, conjoint de Mme Limosani, est mal fondé en faits et en droit puisqu’il n’existe aucun lien ni intérêt juridiques. En effet, il n’est pas copropriétaire de la résidence appartenant à Mme Limosani et est absent au moment de l’émondage le 22 juin 2013.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[56] ACCUEILLE en partie la demande de la demanderesse, Anne-Marie Favero;
[57]
CONDAMNE
la défenderesse, Kim Limosani, à payer à la
demanderesse, Anne-Marie Favero, 5 060,77 $ plus les intérêts au taux
légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[58] REJETTE la demande reconventionnelle de la défenderesse, Kim Limosani.
[59] REJETTE la demande de la demanderesse, Anne-Marie Farevo, contre le défendeur, Randy Derry, et la condamne à lui payer les frais judiciaires de 157 $.
|
||
|
__________________________________ SUZANNE PARADIS, J.C.Q. |
|
|
||
|
||
|
||
|
||
|
||
|
||
|
||
|
||
|
||
Date d’audience : |
5 octobre 2015 |
|