Raymond c. Thériault

2015 QCCQ 11698

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

Localité de

KAMOURASKA

Rivière-du-Loup

« Chambre civile  »

N° :

250-32-005067-156

 

 

 

DATE :

2 novembre 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DOMINIQUE VÉZINA, J.C.Q.

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LOUIS-HENRI RAYMOND

et

RÉGENT RAYMOND

Demandeurs

c.

MARC THÉRIAULT

et

SERVICES FINANCIERS MARC THÉRIAULT INC.

Défendeurs

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Louis-Henri Raymond et Régent Raymond (Messieurs Raymond) réclament 13 747.52 $ des Services financiers Marc Thériault inc. (le Courtier d’assurance) et de son représentant Marc Thériault (M. Thériault) , alléguant la responsabilité professionnelle de ces derniers pour un renouvellement de police d’assurance-vie temporaire (la Police) .

[2]            Le Courtier d’assurance et M. Thériault admettent en partie leur responsabilité pour le renouvellement de la Police, mais invoquent le défaut de Messieurs Raymond de noter l’erreur en consultant leurs relevés bancaires ainsi que leur défaut d’y remédier sans délai en avisant tant leur banque que le Courtier d’assurance ou l’assureur TransAmerica Vie Canada (TransAmerica).

QUESTIONS EN LITIGE

A)        Messieurs Raymond ont-ils établi la faute de M. Thériault et du Courtier d’assurance?

B)        Dans l’affirmative, quels sont les dommages auxquels Messieurs Raymond ont droit?

CONTEXTE ET ANALYSE

[3]            Dans le cadre de son analyse, le Tribunal réfère aux faits pertinents qui se dégagent de l’ensemble de la preuve.

[4]            Messieurs Raymond (père et fils) opèrent une ferme laitière.

[5]            Ils souscrivent la Police avec TransAmerica par la voie de M. Thériault et du Courtier d’assurance pour une durée de 10 ans [1] .

[6]            La prime est de 231.21 $ par mois et la Police arrive à échéance le 27 avril 2014.

[7]            Messieurs Raymond savent qu’à cette échéance, la prime va augmenter de façon importante.

[8]            Ils indiquent donc à M. Thériault ne pas vouloir renouveler la Police.

[9]            M. Thériault leur recommande de communiquer avec leur banque et de faire un arrêt de paiement sur le débit pré-autorisé de 231.21 $ pour la prime, ce que Messieurs Raymond font le 10 avril 2014 [2] .

[10]         Cependant, TransAmerica continue de percevoir une prime, celle-ci ayant toutefois été ajustée à la hausse au montant de 1 693.44 $.

[11]         À l’automne 2014, Messieurs Raymond notent l’erreur et communiquent avec M. Thériault à ce sujet.

[12]         Ce dernier les aide alors à rédiger une lettre envoyée à TransAmerica, le 8 décembre 2014, pour résilier la Police [3] .

[13]         Le 28 décembre 2014, TransAmerica résilie la Police [4] .

[14]         Le 12 janvier 2015, par avocat, Messieurs Raymond mettent en demeure le Courtier d’assurance et M. Thériault [5] , réclamant les primes perçues par TransAmerica sans leur consentement.

A)        Messieurs Raymond ont-ils établi la faute de M. Thériault et du Courtier d’assurance?

[15]         En matière civile, celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui justifient ses prétentions [6] . À cet égard, le fardeau de la preuve repose sur la partie qui présente une demande. Celle-ci doit présenter une preuve selon la balance des probabilités qu’on appelle une preuve prépondérante. Ceci signifie que Messieurs Raymond doivent démontrer que leurs prétentions factuelles sont plus probables que leur inexistence [7] pour avoir gain de cause.

[16]         Les éléments de preuve sont soupesés par le Tribunal. La probabilité est évaluée selon la preuve directe, les circonstances, les références et les présomptions [8] .

[17]         Le Courtier d’assurance est soumis à une obligation de moyen et a un devoir de renseignement et de conseil [9] .

[18]         Le Courtier d’assurance est également débiteur de certaines obligations lors des renouvellements, tel que prévu à la Loi sur la distribution des produits et services financiers [10]   :

39.  À l’occasion du renouvellement d’une police d’assurance, l’agent ou le courtier en assurance de dommages doit prendre les moyens requis pour que la garantie offerte réponde aux besoins du client.

[19]         À l’audience, M. Thériault reconnaît avoir été avisé que Messieurs Raymond ne voulaient pas renouveler la Police en raison de la prime élevée qui en découlait.

[20]         M. Thériault reconnaît que son erreur a été de ne pas obtenir une lettre de Messieurs Raymond, laquelle aurait été envoyée à TransAmerica pour résilier la Police.

[21]         Selon la balance des probabilités, Messieurs Raymond ont établi la faute de M. Thériault et du Courtier d’assurance.

B)        Dans l’affirmative, quels sont les dommages auxquels Messieurs Raymond ont droit?

[22]         M. Thériault invoque cependant qu’il ne peut vérifier lui-même les comptes bancaires de ses clients. Il reproche à Messieurs Raymond cette absence de vérification avant plusieurs mois.

[23]         Lui-même, de son côté, malgré la perception mensuelle d’une commission provenant de TransAmerica, ne note pas l’erreur.

[24]         Au fil des mois, Messieurs Raymond reçoivent leur relevé de services bancaires [11] .

[25]         Ils ne notent pas la nouvelle prime facturée de 1 693.44 $ par TransAmerica, du mois d’avril à novembre 2014, soit, sur une période de huit mois.

[26]         Messieurs Raymond réclament cette prime pour toute la période où elle a été facturée par TransAmerica, pour un total de 13 747.52 $ [12] .

[27]         Or, le «  Code civil du Québec  » prévoit une obligation de mitiger les dommages :

1479.  La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[28]         Le juge Michel Yergeau [13] a revu les principes de mitigation des dommages :

7.1.1 La minimisation des dommages

[103]     L’article 1479 C.c.Q. prévoit que la personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

(…)

[110]     De fait, l’obligation de minimiser en est une de moyen que décrivent ainsi les auteurs Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers :

On peut l’exprimer simplement en disant que le créancier a le devoir, lorsqu’il constate l’inexécution de l’obligation de son débiteur, de tenter de minimiser le préjudice qu’il subit.

[111]     La Cour suprême nous enseigne aussi qu’il s’agit d’une obligation de moyen. Elle s’applique tant en matière contractuelle qu’extracontractuelle.

[112]     Cela dit, la prudence s’impose ici puisque la débitrice de l’obligation de modérer le préjudice, soit 9097, est d’abord et avant tout la créancière victime du comportement de sa cocontractante, CDI. La Cour suprême, dans l’arrêt Laflamme déjà cité, écrit ce qui suit :

Cette obligation, maintenant codifiée à l’art. 1479 C.c.Q., exige du créancier qu’il évite l’aggravation du risque «en prenant les mesures qu’aurait prises, dans les mêmes circonstances, une personne raisonnablement prudente et diligente» (Baudouin et Deslaurier, op. cit., no 1256). Il y a donc lieu de tenir compte des circonstances propres à chaque situation dans l’évaluation de ce qui constitue le comportement attendu du créancier.

[113]     Ce que la Cour d’appel formule de son côté dans les termes suivants dans l’arrêt Roch Lessard 2000 inc ., là encore déjà cité :

[78]       À l’évidence, un débiteur en défaut ne peut dicter à son créancier les conditions nouvelles d’un contrat pour ensuite prétendre que le refus de ce dernier constitue une faute à l’égard de son obligation de mitiger ses dommages.

[114]     Citons aussi, avant de conclure sur l’application de l’article 1479 C.c.Q., ce passage de l’arrêt récent de la Cour d’appel dans François Carrier c. Mittal Canada inc. :

[111]   Je rappelle en effet que l’article 1479 C.c.Q. dit simplement que le débiteur de l’obligation de réparer (en l’occurrence, l’employeur) ne répond pas de l’aggravation du préjudice que le créancier (en l’occurrence, le salarié) pouvait éviter. Cette disposition ne dit pas que le créancier doit tout mettre en œuvre pour éviter ou neutraliser le préjudice et y remédier lui-même.

(reproduction intégrale, soulignement enlevé et références omises)

[29]         Le juge André Wéry [14] rappelle également que cette obligation en est une de moyen et non de résultat. Il indique :

[193]              Comme l’expliquait le juge Chamberland de la Cour d'appel dans l'arrêt Geffard , le critère applicable à la conduite du débiteur de cette obligation est celui « de la personne raisonnablement prudente et diligente, compte tenu de l’ensemble des circonstances ». Il s’agit, comme l’indique la Cour d'appel, d’un « test objectif » et le fardeau de la preuve que le débiteur a failli à cette obligation est celui de Superior Energy.

[194]              Dans l’évaluation de cette obligation de moyens, le tribunal doit se garder, surtout dans les cas où le débiteur de cette obligation est lui-même victime d’un comportement fautif de son cocontractant, de transformer cette obligation en un devoir de réparer la faute de son débiteur.  En effet, comme le souligne (sic) les professeurs Lluelles et Moore :

Il ne faut, en effet, pas perdre de vue que le « débiteur » de ce devoir de modérer le préjudice est, d’abord et avant tout, un créancier victime du comportement fautif de son cocontractant.

(…)

[204]              Selon le tribunal, l'article 1479 du Code civil du Québec ne peut être reproché à la victime lorsque l’auteur du dommage était lui-même en mesure de mitiger celui-ci et qu’il ne l'a pas fait.

(reproduction intégrale et références omises)

[30]         Le Tribunal analyse la preuve à la lumière de ces principes.

[31]         Messieurs Raymond plaident qu’un délai de 8 mois est raisonnable pour noter l’erreur vu les diverses activités qui les occupent.

[32]         Le Tribunal n’accepte pas cet argument.

[33]         Le texte sur les relevés bancaires [15] de Messieurs Raymond est clair :

Veuillez vérifier ce relevé de compte et signaler toute erreur ou omission dans les 30 jours suivant sa réception.

[34]         De part et d’autre, il y a défaut par les parties de suivre leurs affaires : Messieurs Raymond ne vérifient pas leurs relevés bancaires et M. Thériault et le Courtier d’assurance perçoivent la commission, sans rien noter.

[35]         Dans les circonstances, le Tribunal estime qu’un délai de 4 mois constituait une période raisonnable pour permettre à Messieurs Raymond de noter les erreurs.

[36]         Cependant, pendant cette période, Messieurs Raymond bénéficiaient d’une protection d’assurance-vie temporaire valide.

[37]         Le Tribunal considère la prime antérieure qu’ils versaient (231.21 $) pour calculer une prime mensuelle de 1 462.23 $ payée en excédent (et non pas 1 693.44 $), sur une période de quatre mois.

 

[38]         Le Tribunal alloue donc 5 848.92 $ [16] .

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie l’action des demandeurs Louis-Henri Raymond et Régent Raymond contre les défendeurs Marc Thériault et Services Financiers Marc Thériault inc.;

CONDAMNE les défendeurs Marc Thériault et Services financiers Marc Thériault inc. à payer 5 848.92 $ aux demandeurs Louis-Henri Raymond et Régent Raymond avec l’intérêt légal au taux de 5 % et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, calculés depuis le 12 janvier 2015;

CONDAMNE les défendeurs Marc Thériault et Services financiers Marc Thériault inc. à payer aux demandeurs Louis-Henri Raymond et Régent Raymond les frais judiciaires de 200 $.

 

 

__________________________________

DOMINIQUE VÉZINA, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

13 octobre  2015

 



[1]     Pièce P-1.

[2]     Pièce P-2.

[3]     Pièce P-5.

[4]     Pièce P-6.

[5]     Pièce P-7.

[6]     Art. 2803 Code civil du Québec (C.c.Q.).

[7]     Art. 2804 C.c.Q .

[8]     Art. 2846 et 2849 C.c.Q .

[9]     Jean-Louis Baudouin , Patrice Deslauriers , et Benoît Moore , La Responsabilité civile , vol. 2, 8 e édition, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 2-499, pages 532-533.

[10]    RLRQ c. D-9.2.

[11]    Pièce P-4.

[12]    Le calcul donne plutôt 13 547.52 $.

[13]    9097-7083 Québec inc. c. Château Drummond inc. , 2014 QCCS 4782 , par. 143 à 166; en appel 500-09-024826-141.

[14]    Ébénisterie Classique inc. c. Superior Energy Management Gas, l.p. , 2015 QCCS 2067 , par. 192; requête de bene esse pour permission d’appeler déférée à une formation de la CA, 2015 QCCA 1165 , requêtes en rejet d’appel, 2015-07-27 et 2015-08-10 (C.A.), 500-09-025339-151, 500-09-025338-153 et 500-09-025341-157.

[15]    Pièce P-4.

[16]    1 462.23 $ X4.