COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
||
(Division des relations du travail) |
||
|
||
Dossier : |
282113 |
|
Cas : |
CM-2014-5885 |
|
|
||
Référence : |
2015 QCCRT 0612 |
|
|
||
Montréal, le |
19 novembre 2015 |
|
______________________________________________________________________ |
||
|
||
DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Mylène Alder, juge administrative |
|
______________________________________________________________________ |
||
|
||
|
||
Emmanuel Macagno
|
||
Plaignant |
||
c. |
||
|
||
9267-4993 Québec inc.
|
||
Intimée |
||
|
||
______________________________________________________________________ |
||
|
||
DÉCISION |
||
______________________________________________________________________ |
||
|
||
[1]
Le 12 mai 2014, prenant appui sur l’article
[2] L’employeur plaide que la plainte est irrecevable parce que deux conditions d’exercice du recours ne sont pas satisfaites : le plaignant ne justifie pas de deux ans de service continu et il n’a jamais été congédié, ayant plutôt choisi de démissionner librement et volontairement.
[3] Dans le formulaire de plainte déposé à la Commission des normes du travail (la CNT ), le plaignant indique avoir commencé son emploi le 2 avril 2008 et avoir été congédié le 24 avril 2014. Seul l’employeur est identifié à la question « nom de l’entreprise », dans la section portant sur l’identité de l’employeur.
[4] Le 26 septembre 2014, la CNT transmet sa plainte à la Commission. Elle identifie l’employeur comme étant : « 9267-4993 QUÉBEC INC. DAVE LAROUCHE ET Vy Ky Linh Le - PJC Jean Coutu # 468 ».
[5] Le 9 février 2015, la Commission convoque les parties à une audience fixée au 29 mai suivant. À cette fin, elle envoie un avis d’audience à la procureure du plaignant ainsi qu’à « Monsieur Vy Ky Linh Le , 9267-4993 Québec inc. Dave Larouche et Vy Ky Linh Le - PJC Jean Coutu # 468 ».
[6]
Le 26 février 2015, les procureurs de l’employeur comparaissent et
envoient une lettre à la Commission, avec copie à la procureure du plaignant, indiquant
qu’ils soulèveront l’irrecevabilité de la plainte pour les deux motifs exposés
précédemment. Ils précisent que l’employeur a embauché le plaignant le 27
septembre 2012 et que celui-ci n’a donc pas les deux ans de service continu
requis par l’article
[7] Le 28 mai 2015, la procureure du plaignant envoie un courriel aux procureurs de l’employeur les informant qu’elle demandera à la Commission de lui permettre d’amender la plainte « afin de préciser et d’ajouter comme employeur [du plaignant] : « Dave Larouche et Vy Ky Linh Le, Pharmaciens S.E.N.C. »
[8]
Effectivement, cette demande est faite à l’audience. L’employeur la conteste, car il estime qu’elle a pour effet d’ajouter un deuxième employeur distinct, à l’égard duquel toute plainte du plaignant, selon l’article
[9] En réponse à une question de la Commission, le procureur de l’employeur confirme que messieurs Larouche et Linh Le ont été avisés de la tenue de l’audience, mais uniquement à titre de représentants de l’employeur nommé dans la plainte. Monsieur Linh Le est présent à l’audience.
[10] Il est convenu que la Commission entende la preuve des parties sur les moyens préliminaires et tranche la demande d’amendement en même temps que ceux-ci.
[11] Le plaignant est pharmacien. Depuis plusieurs années, il travaille comme salarié à temps partiel pour plusieurs pharmacies de manière simultanée.
[12] Le 28 avril 2008, il est embauché comme « pharmacien salarié occasionnel » à une pharmacie Jean Coutu située sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal (la succursale 204 ). L’horaire du plaignant varie selon ses disponibilités et les besoins. Il affirme travailler alors environ 10 heures par semaine, au taux horaire de 80 $ ou 85 $.
[13] Le 10 août 2011, l’entreprise « Dave Larouche et Vy Ky Linh Le Pharmaciens S.E.N.C. » devient la nouvelle propriétaire de la succursale 204.
[14] À cette époque, messieurs Larouche et Linh Le sont aussi les actionnaires d’une corporation qui est propriétaire d’une autre pharmacie Jean Coutu située sur la rue Sherbrooke, à Montréal (la succursale 060 ).
[15] Dans les jours qui suivent, monsieur Larouche rencontre le plaignant. Il est convenu que ce dernier continuera de travailler à temps partiel, mais plus régulièrement. En contrepartie, il accepte de diminuer son taux horaire à 60 $.
[16] Le plaignant relate qu’à compter du mois de septembre 2011, il travaille effectivement en moyenne 16 heures par semaine, toujours à la succursale 204. Monsieur Linh Le confectionne les horaires de travail des pharmaciens. Le plaignant lui communique ses disponibilités, qui sont variables, sur une base régulière. Monsieur Linh Le en tient compte lorsqu’il lui assigne ses heures de travail.
[17] Le 21 septembre 2012, l’employeur acquiert une autre pharmacie Jean Coutu sur la rue Saint-Denis, à Montréal (la succursale 468 ). Les deux seuls actionnaires sont messieurs Linh Le et Larouche.
[18] À cette époque, le plaignant constate que ses heures diminuent et demande à voir monsieur Larouche. Tous deux se rencontrent à la succursale 204. Monsieur Larouche l’informe que ses disponibilités posent un problème dans la confection des horaires de travail. Lui et monsieur Linh Le souhaiteraient qu’il ait un horaire de travail fixe. Le plaignant accepte et propose les mardis et les jeudis.
[19] Le plaignant relate que cette entente lui plaît, car elle lui confirme un statut d’employé régulier. Elle lui permet de travailler entre 15 et 20 heures par semaine, dit-il, à raison de deux quarts par semaine. Il travaille principalement à la succursale 204, mais aussi parfois à la succursale 468.
[20] Quant à monsieur Linh Le, il explique que lui et monsieur Larouche visent la stabilité chez leurs pharmaciens pour améliorer le service à la clientèle. Ils emploient des pharmaciens réguliers à temps complet et quelques-uns à temps partiel, dont le plaignant. Ils doivent aussi parfois recourir aux services de pharmaciens occasionnels.
[21] Le 18 janvier 2013, une nouvelle pharmacie située également sur la rue Sherbrooke, à Montréal (la succursale 381 ), s’ajoute à celles du Groupe Larouche et Linh Le. Le plaignant y travaille quelques fois.
[22] À partir de mars 2013, le plaignant travaille principalement à la succursale 468, les mardis et les jeudis, de 8 h à 18 h. Il y remplace une employée qui est en congé de maternité. Il continue à travailler de manière ponctuelle aux succursales 204 et 381. Il effectue, à ce moment, 20 heures par semaine, dit-il.
[23] Le 25 août 2013, monsieur Linh Le rencontre le plaignant pour faire un bilan annuel et lui présenter un contrat de travail. Il lui mentionne que son salaire horaire est bonifié et lui confirme que pour le moment, il continuera à travailler davantage à la succursale 468. Tous deux signent ce contrat qui identifie monsieur Larouche comme propriétaire et le plaignant comme pharmacien à temps partiel. Le contrat ne comprend aucun nombre minimum d’heures de travail hebdomadaire, ne réfère à aucune succursale en particulier et ne contient aucune adresse.
[24] Malgré que le plaignant n’ait qu’un seul contrat de travail, il reçoit deux paies distinctes : une pour ses heures travaillées aux succursales 204 et 381 et une pour celles à la succursale 468. Les bulletins de paie qui les accompagnent sont tous identifiés avec le logo et la dénomination « Jean Coutu ». Aucun autre nom d’entreprise n’y apparaît. Une série de bulletins de paie comporte l’adresse de la succursale 468 sous le logo et indique que la date d’embauche du plaignant est le 21 septembre 2012. L’autre réfère à l’adresse de la succursale 204 et mentionne le 25 août 2011 comme date d’embauche. Quant au numéro d’employé du plaignant, il est différent d’une série à l’autre.
[25] Monsieur Linh Le explique que chaque succursale est une entité différente qui a ses propres dossiers d’employés et ses bulletins de paie. Dans le cas du plaignant toutefois, il reçoit deux paies même s’il travaille dans trois succursales « pour ne pas avoir trop de paie ou de paperasse ».
[26] Cela étant, monsieur Linh Le est le principal représentant de l’employeur auprès de tous les pharmaciens qui travaillent aux succursales 060, 204, 381 et 468. C’est lui qui confectionne l’ensemble des horaires de travail et qui les envoie aux pharmaciens par courriel à tous les deux ou trois mois. Il explique que lorsqu’il fait les horaires, il donne la priorité à ceux qui sont à temps complet, puis il fait les horaires de ceux qui sont à temps partiel. Il propose ensuite tous les quarts qui restent à ses employés avant de recourir à des pharmaciens occasionnels.
[27] Le 7 mars 2014, monsieur Linh Le envoie un courriel à tous les pharmaciens travaillant aux succursales 060, 204, 381 et 468, incluant le plaignant. Il les informe d’une éventuelle réduction des heures de travail, comme suit :
Bonjour chers collègues,
Avec le retour de tous nos pharmaciens, je serai en surplus d’effectifs dans notre réseau. Pour préserver notre équipe de pharmaciens intacte, je devrai attribuer un nombre d’heures minimales à temps plein pour les pharmaciens (30 heures/semaine). Il sera fort probable que vous feriez plus qu’une fin de semaine sur 4 pour combler vos heures pour ne pas être à la merci de pharmaciens dépanneurs!!!
Pour les pharmaciens à temps partiel, les disponibilités durant la semaine sera effectivement moindre qu’auparavant, par conséquent, j’aurai besoin de vous pour effectuer le service les fins de semaine.
Faites-moi part de vos disponibilités, vos vacances ASAP.
Une fois les horaires envoyés, il sera de votre RESPONSABILITÉ de vous faire remplacer par les pharmaciens de notre réseau.
N’hésitez pas de m’appeler ou de me faire parvenir un courriel si vous avez des questions.
(reproduit tel quel)
[28] À l’audience, monsieur Linh Le explique qu’il doit faire ces ajustements parce que deux pharmaciennes régulières à temps complet qui étaient en congé reviennent travailler. L’une d’elles est celle de la succursale 468 qui était en congé de maternité. Elle reprendra son horaire régulier de 30 heures par semaine, ce qui inclut les quarts effectués par le plaignant pendant son absence.
[29] Le 12 mars 2014, monsieur Linh Le envoie aux pharmaciens les horaires de travail pour la période allant du 16 mars au 31 mai 2014, et ce, toujours pour les succursales 060, 204, 381 et 468. Il écrit dans son courriel : « J’ai qq heures à remplir dans nos pharmacies alors si vous avez des disponibilités, fait moi signe : ) Les horaires ont changé. Faire attention aux heures et pharmacies que vous pratiqueriez. » (reproduit tel quel)
[30] À la lecture de ces horaires, le plaignant constate une diminution de ses heures de travail à 11 heures par semaine. Il écrit à monsieur Linh Le qu’il peut travailler le 11 avril à la succursale 468. Deux heures plus tard, ce dernier lui répond : « Super!!! »
[31] Appelé à préciser pourquoi il n’a offert que le 11 avril comme ajout à ses disponibilités régulières, le plaignant explique qu’il cumule alors plusieurs emplois pour travailler une quarantaine d’heures par semaine. Il travaille pour une autre pharmacie les lundis ou les vendredis, en plus d’avoir un emploi de soir durant la semaine et un autre, les fins de semaine. Il ne peut donc fournir à l’employeur d’autres disponibilités du jour au lendemain.
[32] Dans les jours qui suivent, le plaignant analyse l’ensemble des horaires reçus de la part de monsieur Linh Le. Il estime être le seul pharmacien à subir une diminution importante de ses heures de travail. Il l’évalue à 46 %, alors que ses calculs lui indiquent que deux pharmaciens conservent la même moyenne d’heures hebdomadaire, un autre pharmacien voit la sienne doubler et trois autres subissent une diminution allant de 6,4 % à 31,4 %.
[33] Le 20 mars 2014, le plaignant écrit le courriel suivant à monsieur Linh Le :
Sur le nouvel horaire, à compter du mois de mai, le nombre de mes heures est bien réduit et je peux en comprendre la raison évoquée dans un de tes courriels. Pour un mois, je peux m’en accomoder mais j’aimerais savoir si par la suite tu peux me garantir 16 heures à 20 heures de travail par semaine, chaque semaine. C’est certain que l’idéal, pour moi serait de faire une journée à la 468 et un soir à la 204 ou la 381 chaque semaine mais je demeure ouvert à d’autres options.
Je te remercie de bien vouloir comprendre le sens de ma demande et je te souhaite une bonne journée.
(reproduit tel quel)
[34] Monsieur Linh Le relate qu’il tente d’accommoder le plaignant en lui offrant des heures de travail qu’il coupe de son propre horaire. Il lui répond ceci le 25 mars :
Bonjour Emmanuel,
Je suis en train de faire les horaires pour l’été.
Je n’ai pas encore des vacances de tout le monde.
Je peux te garantir tous les jeudis (14 à 22) et 1 vendredi matin (8 à 14) sur 2. C’est le seul disponibilité que j’ai présentement.
Avec les vacances, j’aurais plus de disponibilités.
(reproduit tel quel)
[35] Monsieur Linh Le témoigne que le plaignant ne lui reparle pas de cela par la suite.
[36] Toujours vers la fin mars, monsieur Larouche est de passage à la succursale 468 où se trouve le plaignant. Celui-ci lui dit qu’il souhaite lui parler, mais il lui répond ne pas pouvoir maintenant, car sa voiture est mal garée. Le plaignant ne le relance pas.
[37] Entre les 25 mars et 2 avril, le plaignant pense à tout cela. Il conclut que ses nouvelles conditions de travail ne sont pas acceptables. Son nombre d’heures est nettement et injustement insuffisant, croit-il. Il n’a pas eu de réponse à sa demande de garantie d’heures et l’employeur lui demande en plus de travailler six soirs sur sept quarts de travail. Sans compter qu’il devra travailler dans plusieurs succursales, alors qu’il est le pharmacien ayant le plus d’ancienneté.
[38] Le 2 avril 2014, le plaignant communique par téléphone avec monsieur Linh Le pour lui annoncer qu’il démissionne. Il lui demande aussi la durée appropriée du préavis. Ce dernier lui répond quatre semaines et ne lui pose aucune question. Il déclare à l’audience qu’il est triste de voir le plaignant quitter son emploi, mais n’essaie pas de le convaincre de rester. Il respecte sa décision et estime que retenir un employé qui a décidé de démissionner n’est pas à son avantage.
[39] Le même jour, le plaignant envoie la lettre manuscrite suivante :
À Dave Larouche Montréal, le 2 avril 2014
Vy Ky Linh Le
Par la présente, je vous confirme que je ne serai plus à l’emploi de votre pharmacie à compter du 30 avril 2014 au soir.
Je tiens à vous remercier de la confiance dont vous avez fait preuve à mon égard durant ces dernières années.
Cordialement
(reproduit tel quel)
[40] Le plaignant explique que la loi exige que les pharmacies délimitent la partie laboratoire/officine de celle commerciale par un plexiglas indiquant le nom du pharmacien propriétaire. Sur les plexiglas des pharmacies 204, 381 et 468, les personnes identifiées sont Dave Larouche et Vy Ky Linh Le. C’est donc à eux qu’il envoie sa lettre de démission.
[41] Le plaignant travaille jusqu’au 24 avril 2014, dernier jour où il est à l’horaire ce mois-là. Le 12 mai suivant, il dépose sa plainte à la CNT.
[42] Le 13 mai 2014, l’employeur délivre un relevé d’emploi dans lequel il indique que le premier jour de travail du plaignant est le 27 septembre 2012 et le dernier, le 24 avril 2014. Il écrit que la raison du relevé est un départ volontaire. C’est le seul relevé reçu par le plaignant.
[43] Par la suite, monsieur Linh Le reçoit une lettre de la CNT à la succursale 468. Il relate être surpris d’y lire que le plaignant se plaint d’avoir été congédié, car il a démissionné. Il indique avoir toujours été satisfait des services de ce dernier et n’avoir eu aucune raison de le congédier.
[44]
L’article
124. Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l'adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.
[45] Les conditions d’exercice de ce recours sont les suivantes : être un salarié au sens de la LNT, justifier de deux ans de service continu dans l’entreprise, être congédié ou croire l’avoir été, soumettre une plainte dans les 45 jours de ce congédiement et ne pas bénéficier d’une autre mesure de réparation équivalente.
[46] Lorsque ces conditions sont prouvées ou admises, il revient à l’employeur de démontrer une cause juste et suffisante justifiant le congédiement.
[47] Dans la présente affaire, l’employeur plaide que la plainte est irrecevable parce que deux des conditions d’exercice ne sont pas satisfaites : le plaignant ne justifie pas de deux ans de service continu et n’a jamais été congédié, ayant plutôt choisi de démissionner librement et volontairement.
[48] Pour contrer le premier argument de l’employeur, le plaignant désire amender sa plainte pour y ajouter le nom d’un deuxième employeur. Il prétend avoir commis un vice de forme en l’omettant. Cette demande est contestée par l’employeur, qui estime que cela ne constitue pas un vice de forme et aurait pour effet de faire renaître une plainte prescrite. Toutefois, compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive la Commission sur la question de la démission, il n’apparaît pas nécessaire de trancher ce débat.
[49]
Un salarié qui choisit de démissionner de manière libre et volontaire ne peut recourir à l’article
[127] Dans le cadre d’une plainte fondée sur
l’article
[128] La démission est un acte unilatéral du salarié qui a pour effet de rompre définitivement le lien d’emploi. Il est bien établi, tant par la jurisprudence que la doctrine, que la démission comporte deux éléments, soit un élément subjectif et l’autre, objectif .
[129] L’élément subjectif se manifeste par une intention de démissionner. Quant à l’élément objectif, il se traduit par des gestes concrets posés par le salarié qui confirment son intention de quitter son emploi .
[130] Différentes instances confrontées à la question de l’existence d’une véritable démission citent et appliquent les règles énoncées par l’arbitre Jean-Pierre Lussier dans l’affaire Maçonnerie J.L.N. ltée :
Toute démission comporte à la fois un élément objectif et subjectif;
La démission est un droit qui appartient à l’employé et non à l’employeur. Elle doit donc être volontaire;
La démission s’apprécie différemment selon que l’intention de démissionner est ou non exprimée;
L’intention de démissionner ne se présume que si la conduite de l’employé est incompatible avec une autre interprétation;
L’expression de son intention de démissionner n’est pas nécessairement concluante quant à la véritable intention de l’employé;
En cas d’ambiguïté, la jurisprudence refuse généralement de conclure à une démission;
La conduite antérieure et ultérieure des parties constitue un élément pertinent dans l’appréciation de l’existence d’une démission.
[131] Pour conclure à la démission du plaignant, la Commission doit donc rechercher dans la preuve soumise, s’il a volontairement exprimé son intention de démissionner et s’il a posé des gestes concrets confirmant son intention de le faire. […]
(référence omise, soulignement ajouté)
[50]
Par ailleurs, une démission peut, dans certaines circonstances, être forcée et équivaloir à un congédiement déguisé. Dans l’arrêt
Farber
c.
Cie Trust Royal
,
[24] Lorsqu'un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n'accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement. Vu l'absence de congédiement formel de la part de l'employeur, on qualifie cette situation de «congédiement déguisé». […]
[25] Par contre, l'employeur peut faire toutes les modifications à la situation de son employé qui lui sont permises par le contrat, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction. D’ailleurs, ces modifications à la situation de l’employé ne constitueront pas des modifications du contrat de travail, mais bien des applications de ce dernier. Cette marge de manœuvre sera plus ou moins grande selon ce qui a été entendu entre les parties lors de la formation du contrat.
[51] Toujours dans l’arrêt Farber, précité, la Cour suprême enseigne, au paragraphe 26, que pour déterminer si une personne a subi un congédiement déguisé, « […] le juge doit se demander si […] une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles de travail ».
[52] Dans le cas présent, le plaignant plaide avoir dû donner sa « démission forcée » à cause de la modification unilatérale de son horaire de travail par l’employeur. Il s’agit, selon lui, d’une modification substantielle de ses conditions essentielles de travail. Avec égards, la Commission ne partage pas cet avis.
[53] D’une part, l’entente qui régit les parties au moment de la fin d’emploi est le contrat de travail signé entre le plaignant et monsieur Larouche le 25 août 2013. Or, ce contrat ne comporte aucune garantie d’un nombre minimum d’heures de travail hebdomadaire. Il ne prévoit pas non plus un horaire particulier ni même l’affectation à une succursale plutôt qu’une autre.
[54] D’autre part, la preuve indique que le plaignant a eu, avant mars 2013, des horaires variables, selon ses propres disponibilités et selon les besoins de l’employeur. À la demande de ce dernier, il accepte de donner des disponibilités fixes en 2012 afin de lui faciliter la confection des horaires. Rien dans la preuve n’indique que les parties s’entendent pour un horaire fixe ou pour un nombre minimum d’heures de travail hebdomadaire.
[55] Certes, le plaignant a travaillé plus d’heures à partir de mars 2013, mais c’est essentiellement parce qu’il a remplacé une collègue en congé de maternité à la succursale 468. Il sait que cela est pour une période de temps déterminée et que cette collègue, qui est une employée à temps complet, reprendra son horaire régulier à son retour.
[56] Le 7 mars, l’employeur avise tous ses pharmaciens qu’il sera « en surplus d’effectifs » avec le retour des pharmaciennes en congé. Il explique devoir attribuer un nombre minimum de 30 heures par semaine à ceux qui sont employés à temps complet. Ceux-ci sont plus nombreux, de sorte qu’il y aura moins d’heures disponibles pour les pharmaciens à temps partiel. Il précise aussi que ceux-ci devront effectuer des quarts de travail les fins de semaine.
[57] Or, le plaignant a peu de disponibilité compte tenu de ses autres emplois. Il confirme notamment à l’audience ne pas pouvoir travailler les fins de semaine. L’employeur n’a aucune obligation de lui donner 16 ou 20 heures de travail les deux seules journées où il se déclare disponible. La préparation des horaires relève des droits de gérance. La politique de l’employeur est de prioriser les salariés à temps complet pour la confection des horaires. Dans les circonstances, cela paraît être une règle objective et raisonnable. Rien dans la preuve n’indique par ailleurs que cette politique est arbitraire ou discriminatoire.
[58] Bref, la preuve ne permet pas de conclure que les horaires envoyés au plaignant en mars 2013 constituent une modification unilatérale et substantielle de ses conditions essentielles de travail. Il s’agit plutôt d’une modalité d’application du contrat de travail du plaignant et de son statut d’employé à temps partiel.
[59] Par ailleurs, la preuve révèle que le plaignant a volontairement et librement choisi de démissionner le 2 avril 2014. Il l’a fait après une réflexion de plusieurs jours, constatant qu’il n’obtenait pas la garantie d’heures demandée dans son courriel du 20 mars précédent.
[60] Le 2 avril, le plaignant manifeste son intention de démissionner en téléphonant à monsieur Linh Le. Il annonce sa démission sans exprimer être insatisfait de ses conditions de travail. Puis, il pose un geste concret en envoyant sa lettre de démission, qui ne comporte aucune ambiguïté. Cette lettre ne fait aucune mention d’une quelconque insatisfaction liée à ses conditions de travail.
[61] Qui plus est, le plaignant demande à son employeur quelle durée de préavis serait raisonnable, acquiesce à la suggestion de ce dernier et travaille tout le mois d’avril, sans exprimer d’insatisfaction. Son comportement n’est pas celui d’une personne qui a été forcée de démissionner.
[62] Le plaignant ayant choisi librement de démissionner, il y a lieu de rejeter sa plainte, car il n’a pas été congédié.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
|
||
|
__________________________________ Mylène Alder |
|
|
||
M e Isabelle Tougas |
||
RIVEST, TELLIER, PARADIS |
||
Représentante du plaignant |
||
|
||
M e Serge Bouchard |
||
MORENCY, SOCIÉTÉ D'AVOCATS, S.E.N.C.R.L. |
||
Représentant de l’intimée |
||
|
||
Date de l’audience : |
29 mai 2015 |
|
Date de la mise en délibéré : |
24 août 2015 |
|
/rb