Paradis c. Intact Assurances

2015 QCCQ 12035

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

LOCALITÉ DE

TROIS-RIVIÈRES

« Chambre civile »

N° :

400-32-013217-158

 

DATE :

26 novembre 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

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CLAUDETTE PARADIS

Demanderesse

c.

INTACT ASSURANCE

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]            La demanderesse réclame à la défenderesse 7 000 $ à titre de dommages résultant d’une chute faite le 17 mars 2014 sur une plaque de glace se situant à l’entrée de l’école Les Terrasses à Trois-Rivières.

[2]            La défenderesse conteste la demande, précisant qu’il y a absence de responsabilité de son assurée.

LE CONTEXTE

[3]            Le 17 mars 2014, entre 7 h 30 et 7 h 40, la demanderesse a accompagné sa petite fille à l’école Les Terrasses de Trois-Rivières.

[4]            La demanderesse et sa petite fille ont emprunté un trottoir qui contourne une partie de l’école pour se rendre à une entrée. Les photographies produites [1] , prises le 4 avril 2014, montrent le trottoir où la chute est survenue.

[5]            Selon la version de la demanderesse, il y avait une plaque de glace qui couvrait une bonne partie de la largeur du trottoir, laquelle était située près de la porte d’entrée. Cette porte est montrée sur la photographie numéro 2 de la pièce P-8.

[6]            Il n’est pas contesté que la chute est survenue à une période où il y a gel la nuit et dégel le jour. Cela apparaît également à la photographie numéro 3.

[7]            Marie-Line Plourde est éducatrice au service de garde. Le matin du 17 mars 2014, elle se tenait à l’extérieur près de la porte d’entrée pour attendre des élèves. Selon elle, la plaque de glace, qui était transparente, était située dans une courbe du trottoir qui apparaît à la photographie numéro 1 où se tient M me Plourde. Elle précise que la plaque de glace en question faisait environ un tiers de la largeur du trottoir et qu’il restait un espace non glacé et déneigé qui était sur le béton. M me Plourde a vu M me Paradis chuter et tomber par l’arrière. Elle l’a aidée à se relever. Elle a constaté que M me Paradis avait mal au bras. Elle l’a conduite au secrétariat de l’école et on lui a mis de la glace sur son bras. M me Paradis nie qu’on lui ait mis de la glace sur son bras.

[8]            M me Plourde a précisé que des enfants étaient déjà passés par ce trottoir avant la demanderesse et qu’aucun incident n’est survenu.

[9]            M me Plourde a fait appeler M. Michel Nérin qui est le responsable de l’épandage d’abrasifs à l’école.

[10]         M me Plourde précise qu’il n’y avait pas de neige sur la plaque de glace, mais qu’elle était peu apparente. M me Line Labissonnière, directrice de l’école, a expliqué qu’un contrat de déneigement est accordé à un entrepreneur, lequel ne s’occupe pas du déglaçage des trottoirs autour de l’école. Cette tâche est assumée par M. Nérin qui est un contractuel.

[11]         Le 17 mars 2014, M. Nérin a fait comme d’habitude une tournée des trottoirs autour de l’école vers 6 h 45; il met habituellement de l’abrasif s’il y a de la glace. Il n’a pas de souvenir précis pour la journée du 17 mars.

[12]         La demanderesse affirme avoir surtout souffert de douleurs au bras droit qu’elle a ressenties jusque dans l’épaule et dans le cou. Elle dit que le pouce de sa main gauche a subi une blessure de type ligamentaire puisqu’elle tenait alors la boîte à lunch de sa petite fille. Selon M me Paradis, elle se serait cogné la tête en tombant par l’arrière, ce que nie M me Plourde.

[13]         M me Paradis a consulté la clinique Chiropratique familiale Cherbourg à Trois-Rivières pour la période du 18 mars au 29 avril 2014 pour un montant total de 370 $ [2] . La demanderesse a aussi consulté en clinique privée, notamment la Clinique de radiologie des Récollets pour des examens et des échographies.

[14]         La demanderesse a produit un rapport de la D re Amélie Paré, chiropraticienne, concernant les traitements reçus et son état. D re Paré mentionne avoir vu la demanderesse pour la dernière fois le 29 avril 2014 puisque son rapport est daté du 18 décembre 2014. Elle confirme qu’à la suite d’un référé à son médecin, la demanderesse n’avait pas de fracture. Il s’agit principalement de douleurs qui n’auraient pas complètement disparues. La demanderesse dit avoir fait de la fièvre, ce qui est mentionné également par D re Paré.

[15]         M me Paradis affirme que son foie a enflé à deux reprises, mais que ceci s’est replacé.

[16]         Elle a envoyé une lettre à l’école le 19 mars 2014 pour lui faire part de sa chute qui était survenue deux jours auparavant. Un représentant de la défenderesse l’a rencontrée.

ANALYSE

[17]         La défenderesse avait le fardeau de convaincre le Tribunal, par une preuve prépondérante, que la défenderesse a commis une faute en n’entretenant pas convenablement le trottoir où elle a chuté et que cette faute lui a causé le préjudice subi, et ce, en vertu des articles 1457 , 2803 et 2804 du Code civil du Québec  :

1457.  Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

2803.  Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.  La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[18]         En résumé, pour que la demanderesse réussisse dans son recours, elle doit prouver que la situation qui existait le 17 mars 2014 au matin constituait un piège, auquel cas la responsabilité de la défenderesse peut être engagée.

[19]         Dans un arrêt de 2013 [3] , la Cour d’appel du Québec a rappelé ce qu’était la notion de piège :

[39]         De nouveau, ce moyen soulève essentiellement une question relative à l'appréciation des faits par la juge du procès. Le piège se définit en soi comme une question de fait :

Mais si la catégorie du licensee est propre à la common law , la notion de piège, elle, ne l'est pas et se retrouve en droit civil, non pas comme une catégorie juridique mais comme une des innombrables situations de fait dont la présence est parfois susceptible d'être imputable à la faute du maître des lieux, à son fait ou à sa négligence et d'engager sa responsabilité en vertu de la règle générale énoncée à l'art. 1053 du Code civil . C'est pourquoi l'on voit souvent les tribunaux du Québec se demander si une situation donnée équivaut à un piège afin de décider si le maître des lieux a commis une faute en tolérant cette situation.

L'infinie variété des faits empêche que l'on définisse avec précision ce que c'est qu'un piège . On peut cependant dire que le piège est généralement une situation intrinsèquement dangereuse. Le danger ne doit pas être apparent mais caché ; par exemple une porte ouvrant non pas sur un véritable escalier comme on pouvait s'y attendre mais sur des marches verticales comme celles d'un esca beau :

Drapeau c. Gagné, [1945] B.R. 303; un piquet planté dans l'herbe d'un sentier et dissimulé par celle-ci: Girard c. City of Montreal, [1962] C.S. 361; mais non pas une marche dans un corridor bien éclairé: Hôtel Montcalm Inc. c. Lamberston, [1965] B.R. 79. Il y a généralement dans l'idée de piège une connotation d'anormalité et de surprise, eu égard à toutes les circonstances ; par exemple, un trou dans le toit d'un bâtiment en construction n'est pas un piège pour un ouvrier travaillant sur ce toit: Larivée c. Canadian Technical Tape Limited, [1966] B.R. 700 ; voir également Perron c. Provost, [1959] B.R. 531.

(je souligne)

[40]         Essentiellement, il doit s'agir d'une question intrinsèquement dangereuse, non apparente et anormale. En l'espèce, la juge conclut que la configuration des grilles des puisards, l'orientation de celles-ci et la largeur des ouvertures dans les grilles constituent un piège. […]

 [Référence omise]

[20]         Selon la preuve, il ne neigeait pas le matin du 17 mars 2014 et le temps était clair, en ce sens qu’il n’y avait pas d’obscurité à cette heure matinale. Le trottoir était en grande partie dégagé et sur le béton. À l’endroit où la demanderesse a chuté, la preuve prépondérante révèle que la surface glacée couvrait environ le tiers de la largeur du trottoir, selon le témoignage de M me Plourde qui est plus précis que celui de la demanderesse.

[21]         D’autres personnes étaient passées à cet endroit le matin et aucun incident n’a été rapporté.

[22]         Aucun obstacle n’empêchait la demanderesse de voir la surface glacée et de l’éviter.

[23]         Il se peut que la demanderesse ait choisi de laisser passer sa petite fille sur la partie dégagée du trottoir et qu’elle ait marché sur la plaque de glace.

[24]         La preuve ne permet pas au Tribunal d’en arriver à la conclusion que cette plaque de glace n’était pas visible pour la demanderesse et donc qu’elle constituait un piège.

[25]         La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve.

[26]         Considérant les circonstances, la demande sera rejetée sans frais.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[27]         REJETTE la demande;

[28]         Chaque partie assumant ses frais.

 

 

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PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

17 novembre 2015

 



[1]     Pièce P-8.

[2]     Pièce P-2.

[3]     Montréal (Ville de) c. Wilson Davies , 2013 QCCA 34 .