COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-2001-6214

Cas :

CM-2015-5769

 

Référence :

2015 QCCRT 0645

 

Montréal, le

7 décembre 2015

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Gérard Notebaert, juge administratif

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Unifor

 

Requérant

c.

 

Goodfellow inc.

 

Employeur

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ORDONNANCE DE VOTE

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[1]           Le 7 août 2015, Unifor dépose une requête en accréditation en vertu de l’article  25 du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ), pour représenter :

« Tous les salariés au sens du code du travail du Québec à l'exception des employés de bureau et des vendeurs. »

De :     Goodfellow inc.

225, rue Goodfellow

Delson (Québec)  J5B 1V5

 

Établissement visé :

225, rue Goodfellow

Delson (Québec)  J5B 1V5.

[2]           Cette requête est déposée en champ libre dans le délai prévu à l’article 22 (a) du Code. Une audience est convoquée le 25 septembre 2015.

[3]           Le 18 août 2015, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 25 du Code, Goodfellow inc. ( Goodfellow ou l’ employeur ) transmet à Unifor la liste des salariés visés par la requête. Celle-ci comprend 423 noms.

[4]           Le 21 août, Unifor conteste cette liste sans pour autant préciser les motifs de son opposition.

[5]           Le 24 août, l’employeur refuse de donner son accord sur l’unité de négociation demandée et propose plutôt l’unité suivante :

« Tous les salariés au sens du Code du travail du Québec à l'exception des contremaîtres, des inspecteurs du contrôle de la qualité , des employés de bureau et des vendeurs. »

[6]           Le 26 août, Unifor demande à l’agent de relations du travail de vérifier le statut et la période de temps travaillée par 180 personnes dont les noms figurent sur la liste des salariés et de lui communiquer certaines informations relatives aux inspecteurs du contrôle de la qualité.

[7]           Le 16 septembre, l’employeur transmet une nouvelle liste, celle-là comprenant 386 noms, de même que des informations concernant les contremaîtres et l’inspecteur du contrôle de la qualité. Cette liste retranche 116 noms qui figuraient sur la première liste et ajoute 79 nouveaux noms référés par des agences de location de personnel (les agences ).

[8]           Le 22 septembre, Unifor demande le retrait de 146 noms de cette seconde liste, dont 79 intérimaires, 28 étudiants, 14 personnes pour lesquelles l’employeur n’a fourni aucune information, 12 employés des secteurs du bureau et des ventes, 10 personnes qui ne figurent pas sur le registre de paie de Goodfellow, 2 employés qui travaillent hors établissement et 1 employé absent pour maladie et dont le retour au travail est peu probable.

[9]           Au début de l’audience du 25 septembre, la Commission invite les parties à échanger sur leurs positions respectives et à tenter de s’entendre tant sur la description de l’unité de négociation que sur la liste des salariés.

la liste des salariés

[10]        Au terme de leurs pourparlers, les parties informent la Commission qu’elles ont convenu de retirer les noms des 27 personnes suivantes de la liste des salariés : Alexandre Arsenault, Kim Benjamin - Briand, Dennis Bennett, Mathieu
Brisebois-Chapeleau, Mario Brodeur, Laurent Charbonneau, Johanie Chenail, Alice Cheng, Jean-François Croteau, Julien Croteau-Pothier, Anthony Doiron, Amely Fafard, Jean-François Guitard, Danyck Jourdain, Frederik Jutras, Nicolas Labelle-Tremblay, Vincent Lafleur, Jean Laroche, Nathalie Larocque, Sophie Lemaire-Chantelois, Mélanie Maigar Racicot, Julien Ménard, Ashley O’Grady, Ariane Saint-Amour, Yannick Saint-Jean, Max-Alix Saint-Louis et Youtha-Alexandre Tep.

[11]        Il ne reste donc que 359 noms sur la liste, dont 79 intérimaires et 33 étudiants. Unifor prétend que les noms des employés d’agences (les intérimaires ) ne doivent pas figurer sur cette liste parce qu’ils ne sont pas des salariés de Goodfellow.

l’unité de négociation

[12]        Les parties s’entendent pour exclure les postes de contremaître et d’inspecteur du contrôle de la qualité de l’unité de négociation. Puisque les contremaîtres sont des représentants de l’employeur, il n’est pas nécessaire d’exclure cette fonction de l’unité de négociation.

[13]        Unifor souhaite « préciser » le libellé de l’unité de négociation pour en exclure les étudiants et les intérimaires, et ce, dans la mesure où la Commission conclut que ces derniers sont effectivement des salariés de Goodfellow. Unifor plaide qu’il ne s’agit pas là d’une demande d’amendement à sa requête, mais d’une simple précision puisqu’il n’a jamais eu l’intention de représenter ces deux catégories de personnel. L’unité de négociation proposée par Unifor se lit donc comme suit :

« Tous les salariés au sens du Code du travail du Québec à l'exception des inspecteurs du contrôle de la qualité, des employés de bureau, des vendeurs, des étudiants et des salariés d’agences. »

[14]        L’employeur conteste cette demande et plaide qu’il s’agit d’un amendement irrecevable parce qu’il dénature complètement la demande originale. Il ajoute que l’unité proposée par Unifor est inappropriée.

les faits

l’entreprise

[15]        Goodfellow exploite une entreprise faisant affaire dans le domaine de la distribution de matériaux de construction et de produits de bois. Elle fait également de la transformation.

[16]        Elle emploie 250 employés dans les secteurs des ventes et de l’administration. Les salariés visés par la requête en accréditation occupent principalement des postes de cariste, de mécanicien, d’opérateur de machinerie fixe, de préposé à la finition et de traiteur de bois. On dénombre environ 240 salariés permanents qui travaillent dans ces fonctions sous l’autorité d’une vingtaine de contremaîtres. Au jour du dépôt de la requête en accréditation, on retrouve également plus d’une centaine de journaliers qui sont pourvus par des intérimaires et des étudiants.

[17]        Mario Lafontaine est surintendant chez Goodfellow depuis 2005. Il est responsable de l’organisation des opérations dans la cour, de la gestion du matériel roulant, des entrevues de sélection, de l’embauche du personnel, de l’intégration des nouveaux salariés, de l’assignation des tâches et de la confection des horaires. Il est aussi responsable des liens avec les agences.

[18]        Il explique que les activités de l’entreprise sont réduites durant la saison hivernale en raison de la diminution des projets de construction. Durant la haute saison, qui s’étend de la fin mars à la fin novembre, on dénombre environ 400 salariés dans la cour, incluant les étudiants et les intérimaires, alors qu’il n’y en a que 260 en basse saison. À l’occasion, des salariés permanents peuvent être licenciés durant la saison hivernale, comme ce fut le cas en 2012 et en 2014.

[19]        La cour a une superficie d’environ 4,5 millions pieds carrés. On y retrouve approximativement 35 bâtiments qui correspondent à autant de départements de l’entreprise. Monsieur Lafontaine s’occupe plus spécifiquement des départements du «  plywood  », du pin, du cèdre, des planchers, du plan de traitement, de l’atelier de peinture, du parement et du chargement.

[20]        Les employés de Goodfellow appartiennent à différentes catégories de personnel, dont les salariés permanents (les permanents ), les salariés temporaires (les temporaires ), les intérimaires, les étudiants, les stagiaires et les membres du «  staff  ». Le terme «  temporaires  » renvoie aux salariés travaillant pour Goodfellow qui sont en période d’essai et celui de «  staff  » aux employés payés à salaire qui ne pointent pas, comme les contremaîtres, les cadres et les employés de bureau.

[21]        L’employeur recrute directement son personnel spécialisé, comme les mécaniciens, les électriciens et les ébénistes, notamment par le biais d’Emploi-Québec. L’embauche se fait par affichage de postes. Les offres d’emploi s’adressent à toutes les catégories de personnel.

[22]        Quant aux journaliers, ils accomplissent un travail de manœuvre non spécialisé. Ils sont recrutés exclusivement par le biais des agences. Lorsque l’employeur reçoit des candidatures pour de tels postes, il les leur transmet afin qu’elles procèdent aux vérifications de préembauche.

[23]        Au jour du dépôt de la requête en accréditation, 128 personnes occupent des postes de journalier, dont 75 intérimaires, 33 étudiants, 11 temporaires et 9 permanents. Monsieur Lafontaine explique que Goodfellow n’embauche plus de journaliers permanents et que la détention d’un tel poste n’est qu’une porte d’entrée dans l’entreprise. Les titulaires de ces emplois sont éventuellement formés, puis mutés dans d’autres fonctions, une fois leur période d’essai complétée.

les intérimaires

[24]        Depuis plusieurs années, pour des raisons d’efficacité et d’économie, Goodfellow fait affaire avec des agences. Elle a actuellement recours aux services de 6 d’entre elles. Le recrutement des employés est ainsi plus rapide et plus facile parce que ces sociétés disposent de banques de nombreux candidats disponibles au pied levé. Cette façon de procéder permet en outre à l’employeur d’évaluer le travail des intérimaires avant qu’ils ne deviennent permanents.

[25]        Les contrats négociés avec les agences prévoient que les intérimaires ne peuvent être embauchés directement par Goodfellow avant l’expiration d’une période de 4 mois de travail après leur recrutement par une agence. Les intérimaires ne peuvent pas changer d’agence avant l’expiration d’une période de 12 mois suivant leur dernière prestation de travail. L’employeur impose cette norme afin d’éviter les conflits entre ces sociétés.

Le recrutement et l’embauche

[26]        Lorsque Goodfellow a besoin de journaliers, elle appelle chaque matin les agences en leur indiquant le nombre d’employés requis pour la journée. Ce sont elles qui sélectionnent les employés qui vont travailler chez l’employeur.

[27]        Au début de la haute saison, Goodfellow constitue son noyau principal d’intérimaires en recrutant environ de 12 à 20 candidats le premier jour, après quoi l’embauche se fait selon les besoins quotidiens de l’entreprise. C’est en juin, juillet et août que l’on retrouve le plus d’intérimaires dans la cour. Leur nombre commence à décliner en septembre. En octobre, il n’en reste plus qu’une trentaine et en décembre, seulement une dizaine. Au cours des mois de janvier, de février et de mars, il n’y a généralement aucun intérimaire travaillant pour Goodfellow.

[28]        Parmi les 79 intérimaires figurant sur la liste des salariés au jour du dépôt de la requête en accréditation, 75 sont des journaliers et 4 des caristes.

[29]        Selon leurs aptitudes et leurs habiletés, les intérimaires peuvent être appelés à occuper des postes spécialisés au sein de l’entreprise. Pour ce faire, une fois leur période initiale de quatre mois de travail complétée, ils sont autorisés à poser leur candidature à des postes affichés à l’interne. Si, à la suite des évaluations faites par les contremaîtres de Goodfellow, l’intérimaire démontre qu’il dispose des qualités requises pour devenir permanent, l’employeur entame un processus formel d’embauche par une vérification des antécédents judiciaires et du dossier médical. L’intérimaire acquiert alors le statut de temporaire et est assujetti à une période d’essai minimale de trois mois. En cas de réussite, il devient permanent et se voit attribuer un nouveau titre d’emploi correspondant à ses qualifications.

[30]        Ce processus de recrutement est utilisé par Goodfellow depuis une dizaine d’années, sauf en ce qui concerne les caristes qui peuvent être embauchés spécifiquement pour cette fonction, étant donné les compétences particulières requises pour occuper cet emploi. L’employeur embauche environ 10 nouveaux salariés par année selon cette procédure. Environ la moitié des 240 permanents actuels de l’employeur ont été recrutés de la sorte. Parmi les 9 journaliers permanents, 8 ont d’abord travaillé comme intérimaires et, parmi les 11 journaliers temporaires, 9 ont été intérimaires.

[31]        Au terme de leur affectation, Goodfellow n’émet pas d’avis de cessation d’emploi aux intérimaires.

La subordination juridique

[32]        Les agences ne fournissent pas leur propre personnel de supervision chez Goodfellow. Ce sont les contremaîtres de l’employeur qui dirigent et supervisent le travail des intérimaires, qui déterminent les méthodes de travail et qui gèrent la discipline. Le cas échéant, ils mènent les enquêtes disciplinaires et imposent les sanctions appropriées.

[33]        Les intérimaires doivent pointer au même titre que les temporaires, les étudiants et les permanents. Seuls les employés «  staff » et les stagiaires en sont dispensés.

[34]        À l’instar des étudiants, des temporaires et des permanents, les intérimaires doivent aviser l’employeur en cas d’absence ou d’un retard de plus de deux heures. Le contremaître peut éventuellement prendre des mesures correctives si le retard n’est pas justifié. Après deux absences sans motif valable, Goodfellow informe l’agence afin de mettre un terme à l’emploi de l’intérimaire concerné.

Le mode de rémunération

[35]        Les agences paient les intérimaires selon un taux horaire déterminé par Goodfellow. Elles ne peuvent y déroger sous aucune considération. Les intérimaires reçoivent un salaire horaire de 12 $ pour le quart de jour, de 12,50 $ pour le quart de soir et de 13 $ pour le quart de nuit. Ils ont également droit à une prime d’assiduité de 50 cents l’heure. Lorsque les intérimaires sont embauchés comme temporaires, leur salaire est majoré au taux du journalier classe 3 qui est de 14,85 $ l’heure.

[36]        Les intérimaires sont rémunérés pour 37,50 heures par semaine, contrairement aux permanents et aux temporaires qui le sont pour 40 heures, parce qu’ils ne bénéficient pas d’une période de temps additionnelle de 30 minutes au terme de leur quart de travail pour se laver.

L’organisation du travail

[37]        Les intérimaires travaillent aux côtés des permanents, des temporaires et des étudiants. Une rencontre de «  kick-off  » se tient chaque matin dans certains départements, à laquelle participe l’ensemble des catégories de personnel, peu importe leur titre d’emploi et leur statut.

[38]        Les intérimaires travaillent quotidiennement avec l’ensemble des autres salariés de l’entreprise, aux mêmes endroits et sur les mêmes produits. Ils peuvent être affectés dans n’importe quel département, selon les besoins ponctuels de Goodfellow.

[39]        De façon générale, sur une chaîne de production, on retrouve des intérimaires, des permanents, des temporaires et des étudiants. Monsieur Lafontaine explique que sur la chaîne de «  gradage  », il faut un cariste, un opérateur, un inspecteur et quelques journaliers. À l’exception de celui d’inspecteur, seul emploi véritablement spécialisé, les autres postes peuvent être pourvus par un permanent, un temporaire, un intérimaire en formation ou encore un étudiant. L’intérimaire peut être appelé à remplacer un permanent absent, un temporaire ou un étudiant et vice-versa.

Les horaires de travail

[40]        Des horaires distincts de travail sont préparés par l’employeur pour chaque département. Ils s’appliquent indistinctement à l’ensemble des catégories de personnel.

[41]        Tous les salariés peuvent être appelés à faire des heures supplémentaires, selon les besoins de l’entreprise, et ce peu importe leur titre d’emploi et leur statut. C’est le contremaître de Goodfellow qui en décide.

Les conditions de travail

[42]        Seuls les permanents et les «  staff  » ont droit aux régimes de retraite et d’assurance collective. Les intérimaires, les temporaires et les étudiants n’y sont pas admissibles.

[43]        Les intérimaires utilisent les mêmes cafétérias et le même stationnement que les autres salariés de Goodfellow et ils sont conviés au barbecue annuel avec l’ensemble du personnel.

La formation et l’évaluation

[44]        Les agences ne s’occupent pas de la formation et de l’évaluation des intérimaires. Ce sont les contremaîtres de Goodfellow qui s’en chargent. Pour ce faire, un permanent est nommé mentor de l’employé nouvellement embauché, afin de faciliter son intégration dans l’entreprise.

[45]        Le contremaître fait une évaluation quotidienne du travail des intérimaires. Celle-ci porte essentiellement sur l’assiduité, l’intégration et la progression dans son emploi. En cas d’évaluation négative, l’intérimaire est remercié. En cas d’évaluation positive, une évaluation plus formelle se tient chaque mois, à l’instar des permanents.

La santé et la sécurité au travail

[46]        Les agences paient les cotisations des intérimaires à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Contrairement aux permanents, Goodfellow n’assume pas les frais de leur équipement de sécurité, tel que les bottes ou les manteaux. Les intérimaires portent un casque de sécurité d’une couleur différente des permanents.

[47]        Lorsqu’il n’y a pas d’accident de travail dans un département donné, l’employeur paie la pizza à l’ensemble du personnel qui y travaille dont les intérimaires.

Le taux de roulement des intérimaires

[48]        Monsieur Lafontaine explique qu’il y a environ 240 individus qui sont référés chaque année par les agences pour occuper des postes d’intérimaire chez Goodfellow, et ce, pour pourvoir, au moment le plus achalandé de la saison, environ 80 postes à plein temps. De ce nombre, environ 40 intérimaires travaillent de façon régulière et sans interruption tout au long de l’été. Seulement une dizaine d’entre eux deviendront éventuellement temporaires, puis permanents.

les étudiants

[49]        Goodfellow recrute des étudiants chaque année, surtout durant la période estivale. Quelques-uns d’entre eux peuvent demeurer à l’emploi tout au long de l’année. Ils sont embauchés pour remplacer des permanents durant leur vacance estivale ou en cas de surcroît temporaire de travail.

[50]        Les étudiants occupent principalement des postes de journalier. Ils font le même travail que les intérimaires sauf qu’ils ne sont pas autorisés à manipuler des outils coupants.

[51]        Les étudiants travaillent 40 heures par semaine. Au moment de leur embauche, ils reçoivent le salaire minimum. Par la suite, ils ont droit à une augmentation de salaire annuelle de 50 cents l’heure. Ils ne participent pas au régime d’assurance collective.

[52]        En cas d’absence ou d’un retard de plus de deux heures, à l’instar des permanents, des temporaires et des intérimaires, ils doivent aviser l’employeur.

[53]        Le contremaître est responsable de leur évaluation. Elle se fait sur une base hebdomadaire et porte essentiellement sur l’assiduité et le comportement.

le projet syndical

[54]        Depuis plusieurs années, il existe une association de salariés non accréditée au sein de l’entreprise, «  l’Association des employés de Goodfellow Inc.  » (l’ Association ). Elle regroupe entre 235 et 245 permanents. L’employeur prélève une cotisation hebdomadaire de 2 $ sur la paie de ses membres et en fait la remise mensuellement à l’Association. Les intérimaires, les temporaires et les étudiants ne font pas partie de l’Association ni ne lui versent de cotisation.

[55]        Jean-Pascal Giroux est mécanicien de maintenance, pompier industriel et représentant de l’Association. Il explique qu’une convention de travail a été conclue entre l’Association et Goodfellow. Cette convention prévoit notamment qu’en cas de mise à pied, les intérimaires sont licenciés avant les permanents.

[56]        Monsieur Giroux explique que le projet syndical était de déposer une requête en accréditation pour syndiquer uniquement les permanents faisant partie de l’Association. Unifor n’a jamais eu l’intention de représenter les intérimaires et les étudiants. Il n’a donc pas sollicité l’adhésion auprès de ces deux catégories durant la campagne de recrutement, et ce, même si certains d’entre eux ont manifesté un intérêt pour la syndicalisation.

[57]        Robert Morin est représentant national d’Unifor. Il s’occupe de l’organisation syndicale depuis 25 ans. Il explique que le groupe visé par le projet syndical est le même que celui représenté par l’Association, lequel regroupe 246 salariés, selon ses calculs. Il affirme qu’il n’a pas exclu les intérimaires de l’unité de négociation parce qu’il considère que Goodfellow n’est pas leur employeur aux fins des rapports collectifs du travail. En ce qui concerne les étudiants, il ne voyait pas la nécessité de les exclure étant donné, notamment, leur nombre relativement restreint.

[58]        Au cours de la campagne d’organisation, monsieur Morin a eu des contacts avec des étudiants et des intérimaires. Certains d’entre eux lui ont manifesté leur volonté d’adhérer au projet syndical, mais il leur a répondu «  qu’il ne pouvait malheureusement les représenter et que ce n’était pas l’objectif qui était visé  ».

les questions en litige

[59]        Trois questions se posent dans la présente affaire :

• qui est le véritable employeur des intérimaires?

• est-ce que la demande d’amendement d’Unifor doit être accueillie?

• est-ce que Goodfellow a démontré que l’unité de négociation proposée est inappropriée?

Prétentions des parties

unifor

[60]        Les intérimaires ne sont pas des salariés de Goodfellow. Il revenait à l’employeur de prouver le contraire, ce qui n’a pas été fait. Les intérimaires ne peuvent donc pas faire partie de l’unité de négociation. L’employeur cherche à contrer la syndicalisation en gonflant artificiellement la liste de salariés en y ajoutant les intérimaires.

[61]        L’amendement doit être autorisé parce qu’il ne modifie pas la portée intentionnelle de l’unité de négociation recherchée, mais ne fait que la préciser afin de la rendre conforme au projet syndical.

[62]        En ce qui concerne l’unité de négociation, elle vise le même groupe que celui que représente l’Association. Or, celui-ci existe depuis de nombreuses années et il n’a jamais été source de difficultés entre les parties. L’unité de négociation est donc appropriée parce qu’elle a fait ses preuves.

[63]        Par ailleurs, les intérimaires n’ont pas de communauté d’intérêts avec les permanents. Ils ont des conditions de travail particulières, ils sont payés selon une structure de rémunération distincte, ils n’ont pas de droit de rappel au travail, ils sont affectés à des fonctions de manœuvre non spécialisées, il n’y a pas véritablement de mobilité avec les permanents et ils peuvent être mis à pied en tout temps, sans préavis. Quant aux étudiants, l’employeur n’a pas démontré en quoi leur exclusion rend l’unité de négociation inappropriée.

goodfellow

[64]        Les intérimaires sont des salariés de Goodfellow parce que le contrôle effectif du travail se fait par ses propres contremaîtres.

[65]        La demande d’amendement d’Unifor est illégale et doit être rejetée parce qu’elle dénature complètement la demande d’accréditation initiale et qu’il en découle une unité de négociation entièrement nouvelle.

[66]        L’unité de négociation recherchée est inappropriée parce que les permanents, les temporaires, les intérimaires et les étudiants travaillent ensemble, côte à côte, dans le cadre de l’exécution de leurs fonctions indistinctement de leur statut. Le cas échéant, ils participent tous ensemble au «  kick-off  » du matin, exécutent des fonctions analogues, interchangeables et interreliées, sont assujettis à l’autorité du même contremaître, ont les mêmes méthodes de travail, sont assujettis aux mêmes horaires, sauf en ce qui concerne la pause au terme de leur quart de travail, et ils travaillent sur les mêmes produits manufacturés. Toutes les catégories de personnel pointent, reçoivent les mêmes formations, partagent le même stationnement et les mêmes cafétérias. Le critère de la volonté des salariés ne peut à lui seul justifier l’accréditation d’un groupe inapproprié. Enfin, l’unité recherchée menace la paix industrielle.

analyse et dispositif

la première question en litige

[67]        Qui est le véritable employeur des intérimaires?

Le véritable employeur

[68]        L’article premier du Code définit de la façon suivante les notions d’employeur et de salarié :

1.  Dans le présent code, à moins que le contexte ne s'y oppose, les termes suivants signifient :

[…]

k) «  employeur  » : quiconque, y compris l'État, fait exécuter un travail par un salarié; 

l) «  salarié  » : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération  […]

[69]        Dans Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail) , [1997] 1 R.C.S. 1015 , la Cour suprême écrit que la relation employeur-salarié se définit à partir de trois composantes essentielles : la prestation de travail, la rémunération et la subordination juridique.

[70]        Après avoir fait une revue de la jurisprudence pertinente en matière de relation d’emploi tripartite, le juge Lamer souligne que, pour identifier le véritable employeur, l’élément de la subordination juridique, dont le critère fondamental est celui de la direction et du contrôle effectif du travail, a généralement été considéré comme étant le plus important par le Tribunal du travail. L’application de ce seul critère est toutefois trop restrictive à ses yeux. Il nous invite donc à adopter une approche souple et globale dans son application, le tout, afin d’identifier la partie qui détient le plus de contrôle sur tous les aspects du travail. Dans le cadre de cet exercice, il faut considérer plusieurs facteurs, dont le processus de sélection, l’embauche, la discipline, la formation, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la durée du service, l’intégration dans l’entreprise, la continuité de l’emploi et la rémunération.

[71]        Dans Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec , 7 e éd., par Yann BERNARD, André SASSEVILLE et Bernard CLICHE (dir.), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013 , aux pages 346 et 347, il est écrit :

387 - Relations atypiques - Certaines relations tripartites dans lesquelles au moins deux personnes se partagent les attributs usuels de l’employeur posent parfois une difficulté supplémentaire de détermination du lien juridique employeur-salarié, comme nous l’avons déjà vu. Cette détermination procède alors d’un examen global des éléments constitutifs du contrat de travail. Dans le contexte spécifique du Code du travail et de son objectif d’établissement d’un régime de négociation collective des conditions de travail, cette analyse reconnaît une importance prépondérante à la subordination juridique et au contrôle des conditions de travail. La personne qui, d’une manière ou d’une autre, se désigne un mandataire pour gérer son personnel, en conservant elle-même l’ultime pouvoir de direction et de décision dans les matières qui touchent de façon essentielle ce personnel, se verra reconnaître la qualité d’employeur . À l’opposé, un véritable contrat de gestion d’entreprise ou de personnel, par lequel un propriétaire laisse toute latitude décisionnelle au gestionnaire, transportera à ce dernier le statut d’employeur. […]

(soulignement ajouté, références omises)

application des principes aux faits

[72]        Les agences et Goodfellow se partagent les attributs usuels d’un employeur. Les premières s’occupent de la sélection et du recrutement des intérimaires et Goodfellow assume les autres prérogatives patronales. C’est elle qui détient le plus grand contrôle sur tous les aspects du travail des intérimaires. Elle est leur véritable employeur, pour les motifs qui suivent.

[73]        En ce qui concerne le salaire, Goodfellow impose aux agences la rémunération qui doit leur être versée. Les agences ne peuvent y déroger sous aucune considération.

[74]        Quant au pouvoir de direction, ce sont les contremaîtres de l’employeur qui assignent le travail, qui contrôlent son exécution et qui déterminent les méthodes à utiliser. Ce sont les employés de Goodfellow qui forment, évaluent, supervisent et disciplinent les intérimaires. Le cas échéant, l’employeur demande à l’agence de mettre un terme à l’emploi de l’un d’entre eux.

[75]        Les intérimaires sont assujettis aux mêmes horaires de travail que les autres salariés de Goodfellow et ils accomplissent leur prestation de travail aux mêmes endroits que l’ensemble du personnel. Ils pointent, participent au «  kick-off  » matinal, utilisent les mêmes outils que leurs collègues et oeuvrent sur les mêmes produits manufacturés. Ils ont accès au même stationnement, aux mêmes cafétérias que le reste du personnel et sont conviés au barbecue annuel de l’entreprise.

[76]        La preuve révèle en outre que la moitié des permanents de l’employeur ont commencé à travailler comme intérimaires et que 8 des 9 journaliers permanents et 9 des 11 journaliers temporaires ont d’abord travaillé en cette qualité. Par ailleurs, une quarantaine d’intérimaires travaillent à temps plein et sans interruption durant toute la période estivale. Ils sont donc véritablement intégrés à Goodfellow.

[77]        Conformément à l’approche souple et globale préconisée par la Cour suprême, il faut conclure que Goodfellow est le véritable employeur des intérimaires. Le fait que ces derniers soient assujettis à une structure de rémunération distincte et à certaines conditions de travail particulières n’y change absolument rien, parce que c’est Goodfellow qui dispose du contrôle réel sur la détermination des conditions de travail des intérimaires et qui conserve l’ultime pouvoir de direction et de décision dans les matières qui touchent de façon essentielle ce personnel. Le contrôle fondamental du travail demeure donc entre les mains de l’employeur.

La deuxième question en litige

[78]        Est-ce que la demande d’amendement d’Unifor doit être accueillie?

Les principes juridiques

[79]        Le premier alinéa de l’article 32 du Code se lit comme suit :

Lorsqu'elle est saisie d'une requête en accréditation, la Commission décide de toute question relative à l'unité de négociation et aux personnes qu'elle vise; elle peut à cette fin modifier l'unité proposée par l'association requérante.

[80]        Cette disposition confère de larges pouvoirs à la Commission en ce qui concerne la détermination de l’unité de négociation appropriée. Elle n’est donc pas liée par le libellé de la requête en accréditation.

[81]        Cela étant, dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 c. Charcuterie Tour Eiffel inc. (Division Charcuterie de Bretagne) , 2004 QCCRT 0060 , la Commission se penche sur les principes régissant une demande d’amendement à une requête en accréditation. Elle écrit :

[41] Pour qu’une association de salariés puisse amender sa requête en accréditation, en modifiant la description de l’unité de négociation recherchée, la jurisprudence a établi certains principes. Entre autres, un amendement ne peut avoir pour effet de créer une demande entièrement nouvelle ( Association des employés de Mirco Auto peinture et débosselage c. Fraternité canadienne des cheminots employés de transport et autres ouvriers, local 511 - F.T.Q.-C.T.C. , D.T.E. 82T-68 [T.T.]) et le défaut de produire une résolution à l’appui d’un amendement à la requête en accréditation constitue un vice de fond fatal ( Lawjack Equipment Ltd c. Syndicat des employés de Lawjack (CSN) , [1973] T.T. 507).

[42] De même, dans l’affaire Levi Strauss Canada inc. c. Conseil régional du Québec et de l’Est de l’Ontario de l’Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames , [1982] T.T. 319 , l’employeur conteste la décision du commissaire du travail qui a accueilli une requête en accréditation amendée. L’employeur a fait la preuve que certains groupes de salariés exclus de la requête initiale devaient faire partie de l’unité de négociation. L’association de salariés a alors amendé sa requête en accréditation pour les inclure et elle a produit une résolution au soutien de son amendement à la description de l’unité de négociation. Le juge en chef Jean-Paul Geoffroy écrit à la page 320 :

Le soussigné ne voit rien de répréhensible dans cette façon d’agir du commissaire et de l’intimé.  Une partie peut en tout temps amender ses procédures : le cas est explicitement prévu d’ailleurs à l’article 43 du Règlement sur l’exercice du droit d’association .  Au surplus, ces précautions me paraissent superflues : le commissaire du travail a indéniablement le droit de définir l’unité appropriée. D’autre part, l’association requérante a le droit d’être accréditée si elle représente la majorité de salariés dans l’unité appropriée définie par le commissaire.

[82]        Ces principes ont été réitérés dans Syndicat des employé-es de la Station de ski Stoneham (CSN) c. Les Entreprises de Stoneham inc. (Station touristique Stoneham) , 2006 QCCRT 0285  :

[26] Quant au fond, l'amendement vise à réduire l'unité de négociation d'origine. La substance de l'unité recherchée n'est pas atteinte par l'amendement. Sur cet aspect, l'auteur Robert P. Gagnon écrit :

« La Commission des relations du travail étant autorisée à modifier elle-même l'unité de négociation proposée par l'association requérante, il n'est pas nécessaire que cette dernière procède formellement à un amendement de cette requête lorsqu'elle anticipe que la C.R.T. lui refusera l'unité demandée. La réduction de cette dernière ne soulève aucune difficulté réelle. Il en va autrement de son élargissement, qui ne devrait pas être illimité par rapport à la substance initiale de la requête. La subsistance du cadre général déterminé à l'origine par l'association dans sa requête s'impose comme limite tant à la faculté d'amendement de l'association qu'au pouvoir de modification de la C.R.T., surtout après l'expiration d'un délai de recevabilité auquel la requête était soumise  ». (soulignements de la Commission)

[27] Au moment du dépôt de la requête, l'association visait « Tous les salariés du département Opération montagne » et, par l'amendement, elle vise à réduire l'unité en excluant les agents de sécurité; le cadre général déterminé à l'origine n'est donc pas élargi ni substantiellement modifié.

[28] Puisque l'amendement ne dénature pas l'unité de négociation demandée et ne constitue pas une nouvelle requête en accréditation, il est autorisé. Toutefois, cet amendement ne peut avoir pour effet de limiter le pouvoir de la Commission prévu à l'article 32 du Code , d'apprécier l'unité proposée par l'association et de la modifier si elle n'est pas appropriée. C'est à cette étape que seront pris en compte les autres motifs de contestation invoqués par l'employeur.

(référence omise)

[83]        Ainsi, lorsque l’amendement ne vise qu’à préciser la portée intentionnelle de l’unité de négociation, qu’il n’a pas pour effet de dénaturer ou de modifier le cadre de la demande initiale, il devrait être autorisé ( Syndicat des travailleuses et travailleurs de Tristan & América (CSN) c. Boutiques Tristan & Iseut inc ., 2003 QCCRT 0286 ; Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA - Canada) c. Les Quatre Glaces (1994) inc. , 2008 QCCRT 0049 ).

application des principes aux faits

[84]        Les témoignages de messieurs Giroux et Morin sont convaincants. Unifor n’a jamais eu l’intention de représenter les intérimaires et les étudiants. Ils ont même refusé de faire signer des cartes d’adhésion aux salariés faisant partie de ces deux catégories de personnel. Le projet syndical ne visait que les permanents représentés par l’Association.

[85]        Monsieur Morin explique qu’il n’a pas exclu les intérimaires du libellé de l’unité de négociation parce qu’il était d’avis que les agences étaient leurs véritables employeurs. Quant aux étudiants, il ne voyait pas la nécessité de les exclure étant donné, notamment, leur nombre relativement restreint. Cette façon de procéder peut être discutable, mais elle n’est certainement pas dénuée de toute logique.

[86]        L’amendement ne vise donc qu’à clarifier la portée de la requête en accréditation. Puisqu’il n’a pas pour effet de dénaturer l'unité de négociation originale ni d’engendrer une demande entièrement nouvelle, il doit être autorisé.

La troisième question en litige

[87]        Est-ce que Goodfellow a démontré que l’unité de négociation proposée est inappropriée?

Les dispositions législatives

[88]        Le troisième alinéa de l’article 21 du Code se lit comme suit :

Le droit à l'accréditation existe à l'égard de la totalité des salariés de l'employeur ou de chaque groupe desdits salariés qui forme un groupe distinct aux fins du présent code, suivant l'accord intervenu entre l'employeur et l'association de salariés et constaté par l'agent de relations du travail, ou suivant la décision de la Commission.

Les principes jurisprudentiels

[89]        En champ libre, l’unité de négociation regroupant l’ensemble du personnel est présumée appropriée à moins d’une preuve à l’effet contraire. Cette présomption s’applique également à une unité quasi générale qui vise l’ensemble des salariés de production ( Syndicat des salarié-e-s du Musée Stewart (CSD) c. Musée Stewart , 2007 QCCRT 0465 , au paragraphe 12).

[90]        Quant aux unités distinctes, dans International Union of United brewery, flour, cereal, soft drink and distillery workers of America (local 239) c. Coca-Cola Ltd, [1978] R.L. 391 (C.R.O.) (décision rendue le 23 novembre 1963) puis dans Syndicat national des employés de Sicard (C.S.N.) c. Association internationale des travailleurs de métal en feuilles , [1965] R.D.T. 353 (C.R.T.), les tribunaux ont élaboré les critères qui servent encore aujourd’hui à évaluer le caractère approprié d’une unité de négociation regroupant un groupe distinct de salariés au sein d’une entreprise. Ces critères sont les suivants :

la communauté d’intérêts au plan des relations de travail entre les salariés;

l’histoire des relations de travail dans l’entreprise et les précédents dans les entreprises du même secteur;

le désir manifesté par les salariés en cause;

le critère géographique ou la structure territoriale de l’entreprise;

l’intérêt de la paix industrielle en évitant de créer une multiplicité indue d’unités de négociation.

[91]        Dans Nash Shirt Limitée c. Syndicat des salariés du vêtement St-Léonard d’Aston, C.S.D. , T.T., 200-28-000088-812, 17 juin 1981, à la page 10, le juge Morin formule de la façon suivante les questions que doit se poser la Commission dans le cadre de son analyse et qui doivent guider son intervention :

Pour déterminer si un groupe est distinct là le commissaire pourra appliquer les critères retenus par l’arrêt SICARD. Autrement dit, le commissaire se demandera: le groupe demandé est-il trop restreint au point qu’il est devenu un groupe inapproprié parce qu’il y a dans l’entreprise des salariés qui exercent le même type de fonctions, qui ont les mêmes qualifications, qui exécutent le travail dans les mêmes conditions physiques, qu’il y a interdépendance entre les fonctions, etc. au point qu’on ne peut accréditer le groupe demandé sans comprendre ces autres salariés à défaut de quoi la paix industrielle sera perturbée .

(reproduit tel quel, soulignement ajouté)

[92]        Puisque chaque cas en est un d’espèce, chacun de ces critères n'aura pas la même valeur ni la même importance dans chaque situation ( Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 c. Plaisirs gastronomiques inc ., 2003 QCCRT 0567 , au paragraphe 34; Charcuterie Tour Eiffel Inc. (Division Charcuterie de Bretagne), précitée, au paragraphe 47).

[93]         Il faut, en outre, tenir compte de la situation de l’employeur, de sa structure organisationnelle et du processus de production ( Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Wal-Mart Canada, corp., 2004 QCCRT 0145 , au paragraphe 10).

[94]        L’évaluation du caractère approprié d’une unité de négociation se fait à partir de celle proposée par l’association de salariés ( Syndicat des salariés des produits progressifs Ltée (CSD) c. Produits progressifs Ltée, [1981] T.T. 294, aux pages 299 et 300).

[95]        Le rôle de la Commission ne consiste pas à déterminer l’unité la plus appropriée, mais uniquement à s’assurer que celle mise de l’avant par l’association de salariés permette l’établissement de rapports collectifs de travail ordonnés entre les parties en favorisant l’exercice du droit d’association par la négociation et l’application d’une convention collective.

[96]        En ce sens, la procédure d’accréditation ne donne «  pas lieu à un concours de beauté, de santé ou de viabilité entre deux unités d’accréditation proposées par les parties  » ( Jay Norris Canada inc. c. Vitriers travailleurs du verre, local 1135 de la Fraternité internationale des peintres et métiers connexes , [1991] T.T. 47 , à la page 50).

[97]        L’employeur qui conteste le caractère approprié de l’unité de négociation proposée ne peut se contenter de démontrer que celle qu’il suggère l’est davantage. Il doit tout d’abord démontrer que celle recherchée par l’association de salariés ne l’est pas.

application des principes aux faits

La communauté d’intérêts

[98]        Le critère de la communauté d’intérêts s’évalue en fonction de la similitude des tâches, des salaires, des méthodes de rémunération, des aptitudes et qualités requises pour occuper un emploi, de l’interdépendance ou de l’interchangeabilité des fonctions et du transfert possible des salariés d’une catégorie de personnel à une autre. Ce critère est considéré comme étant prééminent par la jurisprudence ( U.E.S., local 298 c.  Bibeault , [1988] 2 R.C.S. 1048 , à la page 1100).

[99]        Dans Le droit du travail du Québec , précité, aux pages 466 et 467, il est écrit que si l’existence d’une communauté d’intérêts entre les salariés est une condition essentielle, elle n’est toutefois pas suffisante pour conférer le droit à l’accréditation :

L’existence d’une communauté d’intérêts entre les salariés du groupe recherché ou à déterminer est toujours apparue comme une condition essentielle à la reconnaissance du caractère approprié et homogène d’une unité de négociation . Cette communauté d’intérêts s’apprécie en tenant compte, notamment, de la nature des fonctions exercées par les salariées, de l’interrelation entre ces fonctions, des qualifications requises, de la structure des relations de travail et de l’autorité appliquée aux salariés, du partage de mêmes conditions de travail, d’une cohésion interne du groupe, des salaires et des formes de rémunération, ou encore de la mobilité du personnel.

Il ne peut y avoir reconnaissance d’un groupe distinct accréditable sans communauté d’intérêts entre les salariés de ce groupe. Toutefois, la communauté d’intérêts ne suffit pas à elle seule à ouvrir le droit à l’accréditation d’un groupe distinct . Ce dernier doit se présenter comme approprié aux fins de la pratique de la négociation collective, en fonction des autres critères de détermination des unités de négociation.

(soulignement ajouté, reproduit tel quel sauf pour les références qui ont été omises)

[100]     Voyons donc ce qu’il en est.

La similitude des fonctions

[101]     Au jour du dépôt de la requête en accréditation, parmi les 359 noms se retrouvant sur la liste des salariés, 128 d’entre eux, soit plus du tiers, détiennent un poste de journalier. De ce nombre, les intérimaires en occupent 75, les étudiants 33, les temporaires 11 et les permanents 9. Ce sont donc majoritairement les intérimaires et les étudiants qui exercent cette fonction. Les intérimaires détiennent par ailleurs 4 des quelque 70 postes de cariste. Les autres salariés visés par la requête ont des emplois qui requièrent une expérience particulière ou des compétences spécifiques.

[102]     Les journaliers peuvent toutefois être appelés à accomplir des fonctions plus spécialisées chez Goodfellow. Au fil du temps et selon leur niveau d’intégration et leur stade de développement dans l’entreprise, leurs tâches peuvent évoluer. Ils ne sont pas cloisonnés puisqu’ils peuvent à l’occasion remplacer des permanents. Les fonctions des intérimaires et des étudiants ne sont pas totalement dissemblables de celles accomplies par les permanents.

[103]     L’ensemble du personnel travaille par ailleurs côte à côte, aux mêmes endroits, avec les mêmes outils et sur les mêmes produits manufacturés.

Les qualifications requises

[104]     Les intérimaires et les étudiants accomplissent des tâches de manœuvre non spécialisées qui ne requièrent aucune compétence particulière, si ce n’est qu’une bonne condition physique. La preuve révèle toutefois que Goodfellow forme elle-même son personnel par le biais de mentors afin que les salariés acquièrent peu à peu les compétences requises pour occuper des emplois plus spécialisés. La moitié des permanents ont commencé leur carrière chez Goodfellow comme journaliers.

La mobilité du personnel

[105]     Les étudiants sont embauchés pour remplacer des permanents durant leur vacance estivale. Monsieur Lafontaine affirme que l’intérimaire peut être appelé à remplacer un permanent, un temporaire ou un étudiant et qu’il peut lui-même être remplacé par ceux-ci Il existe donc une certaine mobilité du personnel entre ces différentes catégories de salariés.

La structure hiérarchique

[106]     Quant à la structure des relations du travail et l’autorité appliquée aux salariés, la preuve révèle que les intérimaires et les étudiants travaillent sous l’autorité des mêmes contremaîtres que les permanents.

L’interdépendance des fonctions

[107]     Le témoignage non contredit de monsieur Lafontaine concernant la chaîne de «  gradage  » est très révélateur. Dans l’aire de production, on retrouve des intérimaires, des permanents, des temporaires et des étudiants. Ces salariés travaillent ensemble, ils ont des fonctions complémentaires et interreliées et l’apport de chacun est indispensable à la production des biens manufacturés.

La similitude des conditions de travail et des salaires

[108]     Le fait que les intérimaires et les étudiants aient des conditions de travail particulières, qu’ils soient payés selon une structure de rémunération distincte, qu’ils soient affectés à des fonctions de manœuvre non spécialisées et qu’ils puissent être mis à pied en tout temps n’a que peu d’impact sur la communauté d’intérêts qui unit l’ensemble des salariés qui travaillent dans la cour.

[109]     En effet, les intérimaires, les étudiants, les permanents et les temporaires travaillent dans les mêmes départements, avec les mêmes équipements et dans les mêmes conditions.

Conclusion sur le critère de la communauté d’intérêts

[110]     L’analyse du critère de la communauté d’intérêts mène à la conclusion que l’unité de négociation proposée par Unifor est inappropriée parce qu’elle exclut de sa portée intentionnelle des salariés qui ont de fréquents contacts entre eux, qui occupent des emplois interdépendants et interreliés et qui sont susceptibles d’être déplacés d’une catégorie de personnel à une autre.

L’histoire des relations de travail

[111]     Goodfellow et l’Association ont négocié et signé une convention de travail au profit de quelque 240 permanents à son emploi, à l’exclusion des intérimaires et des étudiants. Cela laisse entendre que l’unité de négociation recherchée pourrait être appropriée parce que les parties ont été en mesure d’organiser leurs relations mutuelles à l’intérieur de ce cadre de représentation particulier. Aucune preuve n’a toutefois été administrée sur la nature et le contexte de ces rapports collectifs qui ont eu cours, faut-il le souligner, en marge du système mis en place par le Code. Ce critère n’est donc pas d’une grande utilité dans la présente affaire.

La volonté des salariés

[112]        Le dépôt de la requête en accréditation représente l’expression de la volonté des salariés de se syndiquer entre eux et de négocier collectivement leurs conditions de travail. Dans l’affaire Jay Norris Canada inc., précitée, l e juge Saint-Arnaud écrit à l’égard de ce critère ce qui suit :

Pour ma part, j'estime que, comme l'objectif général du code est de favoriser la syndicalisation tout en ne privant pas l'employeur de son droit d'exploiter son entreprise de manière efficace et rentable, on se doit d'être particulièrement sensible à ce critère , notamment en situation de champ libre, lorsqu’aucun des autres éléments traditionnels ne s'impose de manière claire et évidente . Même si le clivage n'est pas parfait, sauf au découpage dépourvu de bon sens qui, à sa face même, ne permet pas de penser que les objectifs de la négociation collective puissent être atteints, il est logique de privilégier la volonté d'un groupe de travailleurs de vouloir fonctionner ensemble syndicalement. (à la page 51)

(soulignement ajouté)

[113]     En l’espèce, même si la Commission doit être particulièrement sensible à ce critère dans le contexte d’une requête en accréditation déposée en champ libre, elle ne peut faire fi des éléments traditionnels qui s'imposent de manière claire et évidente dans la présente affaire pour refuser aux permanents l’unité de négociation qu’ils recherchent.

[114]     En effet, étant donné la nature du travail des permanents, des intérimaires et des étudiants, de la similitude de leurs fonctions, de l’interdépendance et de la complémentarité de leurs tâches, la seule volonté des salariés ne saurait justifier l’accréditation d’un groupe manifestement inapproprié.

La division territoriale de l’entreprise

[115]        Dans le présent litige, la division territoriale ou géographique de l’entreprise n’est pas en cause puisqu’il n’y a qu’un seul établissement. Ce critère a donc peu d’utilité dans la présente affaire.

La paix industrielle

[116]        Goodfellow plaide que la syndicalisation des seuls permanents balkaniserait les intérimaires et les étudiants et serait préjudiciable sur le plan de la paix industrielle, notamment en cas de conflit de travail.

[117]        Dans Syndicat des employés de Paul-Émile Dubé ltée - Secteur clérical (CSN) c. Distributions Paul-Émile Dubé ltée, 2004 QCCRT 0429 , la Commission écrit :

[36] Le fait d’exclure des salariés, au seul motif de certaines particularités dans les conditions d’exercice des tâches, serait créer une balkanisation au sein du groupe de travailleurs qui ont une même communauté d’intérêts. Il y a lieu d’éviter toute action qui ne ferait qu’isoler artificiellement des petits groupes de travailleurs qui pourraient difficilement se regrouper au sein d’un groupe viable pour défendre leurs intérêts.

(soulignement ajouté)

[118]              En l’espèce, la syndicalisation des seuls permanents est susceptible d’engendrer d’importants problèmes au niveau de la paix industrielle lors d’un conflit de travail si les intérimaires et les étudiants sont exclus de l’unité de négociation. Le critère de la paix industrielle milite donc clairement à l’encontre de l’unité proposée par Unifor.

conclusion sur l’unité proposée

[119]     En l’espèce, le bon sens exige que tous les salariés qui partagent une même communauté d’intérêts ne forment qu’un seul et même groupe aux fins des rapports collectifs du travail. Goodfellow s’est déchargée de son fardeau de preuve et a démontré que l’unité de négociation proposée par Unifor n’est pas appropriée. La Commission décide que l’unité de négociation appropriée est la suivante :

« Tous les salariés au sens du Code du travail à l'exception des inspecteurs du contrôle de la qualité, des employés de bureau et des vendeurs. »

[120]     Puisque le calcul des effectifs révèle qu’Unifor ne jouit pas du caractère représentatif requis par le Code pour être accrédité, mais qu’il compte comme membres entre 35 % et 50 % des salariés compris dans l’unité de négociation, la Commission ordonne la tenue d’un scrutin secret, le tout, conformément aux dispositions de l’article  37 du Code.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ORDONNE                   la tenue d’un vote au scrutin secret parmi le groupe suivant de salariés :

« Tous les salariés au sens du Code du travail à l'exception des inspecteurs du contrôle de la qualité, des employés de bureau et des vendeurs. »

De :            Goodfellow inc.

225, rue Goodfellow

Delson (Québec)  J5B 1V5

Établissement visé :

225, rue Goodfellow

Delson (Québec)  J5B 1V5

                                        pour déterminer si ces personnes désirent ou non être représentées par Unifor ;

DÉCIDE                          que les personnes admissibles à voter sont celles dont le nom paraît à la liste des 386 salariés au jour du dépôt de la requête à l’exception de Alexandre Arsenault, Kim Benjamin-Briand, Dennis Bennett, Mathieu Brisebois-Chapeleau, Mario Brodeur, Laurent Charbonneau, Johanie Chenail, Alice Cheng, Jean-François Croteau, Julien Croteau-Pothier, Anthony Doiron, Amely Fafard, Jean-François Guitard, Danyck Jourdain, Frederik Jutras, Nicolas Labelle-Tremblay, Vincent Lafleur, Jean Laroche, Nathalie Larocque, Sophie Lemaire-Chantelois, Mélanie Maigar Racicot, Julien Ménard, Ashley O’Grady, Ariane Saint-Amour, Yannick Saint-Jean, Max-Alix Saint-Louis et Youtha-Alexandre Tep et qui travaillent encore pour Goodfellow inc. le jour du scrutin;

ORDONNE                     aux parties d’assister l’agent de relations du travail dans l’établissement des mesures susceptibles de donner effet à la présente ordonnance et, le cas échéant, sur avis à cet effet, de comparaître devant lui.

 

 

 

__________________________________

Gérard Notebaert

 

M e Alexandre Grenier

Représentant du requérant

 

 

M e J. Stéphane Lacroix et M e Suzanne Potier

LACROIX GASCON SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF AVOCATS

Représentants de l’employeur

 

Date de la dernière audience :

11 novembre 2015

 

 

 

/jt