Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 4 décembre 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 11908

Dossier  : SAS-M-241072-1509

Devant le juge administratif :

CLAIRE DESAULNIERS

 

P… G…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION




[1]               Le requérant (monsieur) conteste une décision rendue en révision le 22 septembre 2015 par la partie intimée, la Société de l'assurance automobile du Québec (la Société).

[2]               Par cette décision, la Société maintient la suspension du permis de conduire du requérant pour une période de 90 jours, au motif qu’il a refusé d’obtempérer à un ordre d’un agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine.

[3]               Le requérant a été entendu à l'audience de même que les deux policiers qui ont procédé à son interception, soit les agents Dufresne et Laporte.

[4]               Le dossier contient la déclaration du sergent Meyers et celles de deux témoins qui ont appelé les secours le soir de l’événement du 7 septembre 2015.

La preuve

[5]               De ces témoignages et de la preuve documentaire au dossier, le Tribunal retient ce qui suit.

[6]               Le 7 septembre 2015, le Service de police reçoit un appel d’une citoyenne indiquant qu’elle et son conjoint résidant à proximité ont vu un véhicule glisser dans l’eau près du quai de la marina du Club nautique.

[7]               La résidante rejoint son conjoint auprès du véhicule après son appel.

[8]               Selon leurs déclarations, la voiture est dans une pente très prononcée, le derrière est dans l’eau et le devant, dans les airs.

[9]               Le conducteur appuie à fond sur l’accélérateur, les roues de derrière glissent sur les roches mouillées et une fumée importante se dégage.

[10]            Selon l’un des témoins, monsieur dit ne pas être blessé. Son élocution est lente, il semble nonchalant et désorienté. Il n’écoute pas les conseils, sort du véhicule, tombe dans l’eau, refuse l'aide offerte et insiste pour monter la pente seul. Le témoin en conclut qu’il est en état d’ébriété.

[11]            Les pompiers (premiers répondants) arrivent sur place suivis des ambulanciers. Monsieur est aidé pour se rendre à l’ambulance et en ressort environ 15 minutes plus tard avec un pansement à la jambe. Il a signé un refus de transport vers un établissement de santé.

[12]            Entretemps, les policiers se sont enquis auprès des pompiers de ce qui semblait s’être produit.

[13]            Ils apprennent que le véhicule a reculé vers le lac à travers les roches pour se retrouver partiellement dans l’eau. La situation était précaire car le secteur était boueux.

[14]            Pour les policiers, il est clair que monsieur est sous l’effet de l’alcool; sa façon de parler, sa démarche et les circonstances très particulières de l’événement en témoignent.

[15]            Ils l’avisent qu’il est en état d’arrestation. Ils doivent l’aider pour se rendre à la voiture patrouille et lui lisent ses droits en anglais.

[16]            Il n’est pas menotté car au début il est calme et collaboratif.

[17]            Il est installé à droite sur le siège arrière; à l’extrémité gauche, se trouve le boitier contenant l’appareil de détection d’alcool ainsi qu’un défibrillateur cardiaque.

[18]            Environ à la moitié du trajet, l’agent Dufresne, assis côté passager, voit un «  ombrage  » entre les sièges. Par réflexe, il lève le bras qui demeure toujours, précise-t-il, dans la limite des sièges avant du véhicule.

[19]            Il a cru que monsieur voulait les frapper, car il est avancé entre les deux sièges, le boitier contenant l’appareil de détection entre les mains.

[20]            Monsieur dit que l’appareil nuit à son confort, car il appuie sur ses jambes.

[21]            La situation n’était pas claire, mais le doute est maintenu dans l’esprit du policier.

[22]            L’agent Laporte est le conducteur. Il rapporte ainsi sa version de cet événement.

[23]            Il a aperçu soudainement un geste à sa droite sans que monsieur ne les ait avisés de quoi que ce soit. Il se range rapidement sur le côté de la route. Une fraction de seconde, il a cru que son collègue avait été agressé avec le boitier qu’il avait dans les mains.

[24]            Il n’a vu aucune blessure, mais monsieur se prenait le visage entre les mains en disant qu’il venait de se faire mal. Le trajet se poursuit avec le plafonnier allumé et les policiers sont aux aguets.

[25]            Le requérant leur dit que le policier n'avait pas le droit de le frapper et qu’il allait porter plainte et leur faire perdre leur emploi. Ceci leur sera répété à plusieurs occasions.

[26]            L'agent Dufresne relate aussi avoir vu le sergent Meyers (qui est parfaitement bilingue) lui relire ses droits au poste, monsieur refusant toujours de communiquer avec un avocat.

[27]            La vérification de ses antécédents révèle qu’il fait l’objet d’une ordonnance de la cour depuis juin 2015 lui interdisant de consommer et de posséder toute boisson alcoolisée.

[28]            C’est l'agent Laporte qui est chargé de l’alcootest, il est technicien qualifié depuis 1996 et a administré de nombreux tests.

[29]            Il se dirige vers la pièce pour amorcer le processus. Il vérifie si tout est en place, conforme et en bon état de fonctionnement. Il note les coordonnées de monsieur.

[30]            Celui-ci est amené dans la salle par l’agent Dufresne. On lui explique une deuxième fois le processus. Monsieur l’interrompt, lui dit qu’il refuse de souffler et qu’il veut aller à l’hôpital pour un prélèvement de sang. Ceci lui est refusé, les policiers estimant qu’il n’y a aucune raison pour ce faire; sa sécurité n'est pas en danger, il n’a pas de blessure grave, il parle, il marche, etc.

[31]            Il est informé des conséquences que le refus de souffler peut entrainer.

[32]            Monsieur demande des vêtements, ses souliers et un café.

[33]            Il refuse une deuxième fois de souffler.

[34]            Le processus et les conséquences d’un refus lui sont réexpliqués une autre fois.

[35]            Il tente de se lever, perd l’équilibre au point de venir toucher l'agent et sort de la pièce. Le policier enclenche donc le bouton R (refus).

[36]            L’agent a eu l’impression que monsieur comprenait ce qui lui était dit, qu’il ne voulait pas collaborer, qu’il était agité et verbalement agressif.

[37]            Pour sa part, monsieur explique qu’il était arrivé au Club nautique vers 10 h le matin, qu’il avait participé à une compétition et pris ensuite trois verres de vin avec sa femme et un ami. Le bar ferme à 18 h.

[38]            Il devait ensuite se rendre sur son bateau pour y passer la nuit, mais on lui a demandé de déplacer d’abord sa voiture.

[39]            C'est à ce moment que survient l’incident, à un endroit où il y a une pente de 45º rendue glissante à cause de la pluie.

[40]            Compte tenu de la configuration des lieux, il ne comprend pas comment des gens du voisinage aient pu voir ce qui se passait, car sa voiture était derrière, vers le lac.

[41]            Toujours est-il que des pompiers dont il n’avait pas besoin se sont présentés alors qu’il tentait de reprendre le contrôle de sa voiture.

[42]            En sortant, il a glissé sur des roches et s'est blessé à la jambe. Il a été traité par un ambulancier.

[43]            Il a tenté de s’expliquer auprès des policiers, mais n’a pu valablement le faire.

[44]            Il n'a jamais reçu de contravention pour vitesse.

[45]            Il était terrifié à l’idée d’être embarqué; il n'avait rien fait d’incorrect. Il était très ébranlé.

[46]            En route, le policer qui conduisait la voiture a appliqué les freins et un boitier est tombé par-dessus son épaule. Il l’a ramassé pour la remettre poliment à son collègue et celui-ci l’aurait utilisé pour le frapper. Il se demande pourquoi, car il ne constituait aucun danger pour eux. Il a dit «  Please, don’t hit me again ».

[47]            Quand on lui a demandé de passer un test pour la détection d’alcool, les policiers ne lui ont pas expliqué qu’ils n’avaient aucun contrôle sur les résultats affichés par l’appareil contrairement à ce qui se passe dans son pays d’origine. C’est pour cela qu’il a demandé un prélèvement sanguin qu’il estimait plus fiable.

[48]            Il dit avoir été très affecté par les événements. Pendant environ une semaine et demie, il s'est réveillé avec la vision de ce qui s'était passé dans la voiture.

[49]            Jusqu’ici, il n’a pas porté plainte contre les policiers.

[50]            Il a besoin de son permis de conduire, car il travaille seul à son compte.

[51]            Monsieur dit avoir une condition ne lui permettant pas de boire de l’alcool.

ANALYSE ET DÉCISION

LE CADRE LÉGISLATIF

Code de la sécurité routière

202.5 .  Un agent de la paix peut également imposer la suspension de 90 jours prévue à l'article 202.4 à une personne qui omet d'obtempérer à un ordre que lui donne un agent de la paix en vertu de l'article 202.3 ou de l'article  254 du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46).

202.6.  Un agent de la paix qui suspend un permis en vertu de l'un des articles 202.1.4, 202.1.5 ou 202.4 peut, sans la permission du propriétaire ou, dans le cas d'un véhicule lourd, de l'exploitant, prendre possession d'un véhicule routier qui occupe une partie du chemin de manière illégale ou potentiellement dangereuse afin de procéder à son remisage aux frais du propriétaire ou de l'exploitant.

202.6.6. La Société lève la suspension du permis ou du droit d'en obtenir un si la personne concernée établit de façon prépondérante :

1° dans le cas d'une interdiction prévue à l'article 202.2, qu'il n'y avait pas présence d'alcool dans son organisme;

2° qu'elle conduisait le véhicule routier ou en avait la garde ou le contrôle sans avoir consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang;

3° qu'elle avait une excuse raisonnable pour ne pas avoir obtempéré à un ordre donné par un agent de la paix en vertu des articles 202.3 ou 636.1 du présent code ou de l'article  254 du Code criminel;

4° qu'elle ne conduisait pas un véhicule routier ou n'en avait pas la garde ou le contrôle dans les cas prévus au présent article.

Lorsqu'une suspension est levée, la Société rembourse les frais de révision qui lui ont été payés.

(Les reliefs sont de la soussignée)

Code criminel

254. […]

(2) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue et que, dans les trois heures précédentes, elle a conduit un véhicule — véhicule à moteur, bateau, aéronef ou matériel ferroviaire — ou en a eu la garde ou le contrôle ou que, s’agissant d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, elle a aidé à le conduire, le véhicule ayant été en mouvement ou non, peut lui ordonner de se soumettre aux mesures prévues à l’alinéa a ), dans le cas où il soupçonne la présence de drogue, ou aux mesures prévues à l’un ou l’autre des alinéas a ) et b ), ou aux deux, dans le cas où il soupçonne la présence d’alcool, et, au besoin, de le suivre à cette fin :

a ) subir immédiatement les épreuves de coordination des mouvements prévues par règlement afin que l’agent puisse décider s’il y a lieu de donner l’ordre prévu aux paragraphes (3) ou (3.1);

b ) fournir immédiatement l’échantillon d’haleine que celui-ci estime nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un appareil de détection approuvé.

[…]

[52]            Comme l’a rappelé la représentante de la Société, la suspension d’un permis de conduire vise la protection du titulaire du permis de conduire de même que le public en général.

[53]            L’agent de la paix a ordonné au requérant de fournir un échantillon d’haleine puisqu’il avait des motifs raisonnables de soupçonner que celui-ci avait conduit un véhicule en état d’ébriété.

[54]            Il n’est pas contesté que monsieur conduisait son véhicule le 7 septembre 2015 même si, comme il le dit, il n’a fait que le déplacer.

[55]            De plus, divers signes d’état d’ébriété ont été notés par les citoyens s’étant portés à son secours et par les policiers arrivés sur les lieux peu après.

[56]            Les conditions pour obtenir une levée de la suspension sont prévues à l’article 202.6 du Code de la sécurité routière .

[57]            Mentionnons qu’il n’appartient pas au Tribunal de se prononcer sur l’incident qui s’est produit dans la voiture et qui fait l’objet de deux versions différentes selon qu’elle émane des policiers ou du requérant.

[58]            Quoi qu’il en soit, cela n'a aucune pertinence dans la disposition du recours dont le Tribunal est actuellement saisi.

[59]            Il est clair que le requérant a refusé de fournir un échantillon d’haleine. Lui-même ne le nie pas; il admet avoir refusé, car il n'avait pas confiance dans la procédure de détection et il préférait un prélèvement sanguin.

[60]            Il soutient qu’on ne lui a pas mentionné que les agents n’avaient aucun contrôle sur le taux d’alcoolémie révélé par l’appareil de détection.

[61]            L’agent Laporte a témoigné à l’effet que la procédure lui avait été expliquée à deux reprises. Monsieur n'a pas tenté de clarifier l’inquiétude qu’il pouvait avoir quant à la possibilité de manipulation des résultats par les policiers. Il n’a formulé aucun commentaire ou question à cet égard au moment du test ni pour soutenir sa demande d’un prélèvement sanguin.

[62]            Ceci est invoqué pour la première fois devant le Tribunal et ne peut constituer une excuse raisonnable prévue à l’article 202.6.6 du Code de la sécurité routière .

[63]            Le Tribunal retient les enseignements de la Cour suprême du Canada [1] sur ce que constitue une «  excuse raisonnable  » :

« The reasonable excuse envisaged must be some circumstance which renders compliance with the demand either extremely difficult orlikely to involve a substantial risk to the health of a person on whom the demand has been made. »

[64]            Dans une décision du Tribunal, l’excuse raisonnable est interprétée comme suit :

«  [ 24 ] L’excuse raisonnable prévue à l’article 202.6.6 précité ne peut être qu’une incapacité physique ou un empêchement tout à fait majeur à effectuer l’action ordonnée par l’agent de la paix. » [2]

[65]            Le requérant n’a pas démontré qu’il avait une condition médicale ou quelque empêchement à fournir l’échantillon d’haleine demandé.

[66]            Le Tribunal retient qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il avait une excuse raisonnable de refuser de fournir un échantillon d’haleine.

[67]            Conséquemment, la décision de la Société de maintenir la suspension de son permis de conduire pour une période de 90 jours était justifiée.

PAR CES MOTIFS , le Tribunal :

REJETTE le recours.


 

 

CLAIRE DESAULNIERS, j.a.t.a.q.


 

Mme Léane Adam, stagiaire en droit

Représentante de la partie intimée

 


 



[1] Taraschuk c. R. [1977] 1 R.C.S. 385 .

[2] SAS-Q-122697-0601 repris dans plusieurs autres décisions, dont récemment dans 2015 QCTAQ 07630 .