COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-1002-6466

Cas :

CM-2014-6606

 

Référence :

2015 QCCRT 0656

 

Montréal, le

10 décembre 2015

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Mario Chaumont, juge administratif

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Raynald Pinard

 

Plaignant

c.

 

Syndicat des Métallos, section locale 9414

Intimé

 

et

 

Bonduelle Canada inc.

 

Mise en cause

 

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DÉCISION

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[1]            Le 12 novembre 2014, Raynald Pinard (le plaignant ) dépose une plainte en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ), à l’encontre du Syndicat des Métallos, section locale 9414 (le syndicat ).

 

[2]            Le plaignant décrit les faits motivant sa plainte comme suit :

Je suis allé en arbitrage et j’ai perdue. Je suis insatisfait de la décision rendu et du service des membres du syndicat qui mon représenté. Je désire allée en appel de la décision et le syndicat ne veut plus continué à m’aider.

(reproduit tel quel)

[3]            Le plaignant, qui a décidé de procéder en l’absence de son avocat, précise les reproches adressés au syndicat lorsque questionné par la Commission. Parce que le procureur du syndicat a mal fait son travail devant l’arbitre, ce dernier a rejeté son grief.

[4]            Les parties conviennent que la Commission ne se prononce que sur le bien - fondé de la plainte, conservant compétence sur les mesures de réparation dans le cas où la plainte est accueillie. Seul le plaignant témoigne durant quelques minutes et la sentence arbitrale est déposée.

Les faits

[5]            Le plaignant travaille pour Bonduelle Canada inc. (l’ employeur ) qui exploite une usine à Saint-Césaire. Le syndicat détient une accréditation qui couvre les salariés affectés à la production.

[6]            Le plaignant est congédié parce qu’il aurait eu des comportements inappropriés, irrespectueux et agressifs envers sa supérieure immédiate.

[7]            Le président du syndicat déclare au plaignant que le syndicat n’a pas les moyens financiers pour le défendre. Toutefois, il y a quand même dépôt d’un grief contestant le congédiement et un arbitre en est saisi. Les services d’un avocat d’expérience sont retenus pour assumer la défense du  plaignant.

L’arbitrage

[8]            Le plaignant souligne les faiblesses du témoignage de sa supérieure immédiate à l’arbitrage. Alors qu’elle prétend être l’objet de filature par celui-ci, elle communique avec l’employeur. Selon le plaignant, c’est plutôt elle qui le suit.

[9]            Il conteste la véracité de la déclaration de sa supérieure voulant qu’elle se soit réfugiée chez une amie craignant pour ses enfants et ses animaux. Il se demande où étaient ses enfants à ce moment-là. Il ajoute qu’il n’est pas un bandit et qu’il n’a jamais eu de dossier criminel.

[10]         Quant à son dessin représentant une personne, il est faux de prétendre que seuls les représentants de l’employeur portent une telle chemise. Le syndicat est au courant de ce fait.

[11]         Lors du témoignage d’un des témoins de l’employeur, l’avocat du syndicat aurait indiqué au plaignant qu’il le contre-interrogerait. Au retour de la pause, après que l’avocat ait discuté avec un représentant syndical, il semblait confus, ne sachant pas s’il poserait ou non des questions au témoin. Le plaignant n’indique pas si, dans les faits, il y a eu contre-interrogatoire ou non.

[12]         Dans une sentence de 45 pages, après avoir analysé le témoignage du plaignant et de quatre autres témoins, l’arbitre rejette le grief de congédiement.

[13]         Le plaignant demande au syndicat de porter en révision judiciaire devant la Cour supérieure la sentence arbitrale. Celui-ci refuse. Il n’y a aucune preuve concernant les échanges entourant la demande et le refus.

Les motifs de la décision

[14]         Les obligations du syndicat sont prévues à l’article 47.2 du Code :

47.2.  Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.

[15]         Dans Barrouk c. L’Union des employés d’hôtels, restaurants et commis de bars, local 31 , 2005 QCCRT 0047 , la Commission, à la lueur de la jurisprudence, précise ce que contiennent ces interdictions :

[55] Au sujet des contraventions alléguées par les plaignants, la Cour suprême explique les quatre comportements interdits par l’article 47.2 dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James [2001] 2 R.C.S. 207 , aux paragraphes 46 à 55.  La mauvaise foi «  suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile  ». Le comportement discriminatoire comprend «  toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie  ».  La mauvaise foi et la discrimination impliquent un comportement vexatoire de la part du syndicat.  

[56] Dans le cas de l’arbitraire et de la négligence grave, même sans intention malicieuse, les actes de l’association ne doivent pas dépasser «  les limites de la discrétion raisonnablement exercée  ».  Au sujet de l’arbitraire, une association ne peut pas traiter une plainte d’un salarié «  de façon superficielle ou inattentive  ».  L’association doit faire une enquête.  Elle doit «  examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation  ».  L’association jouit d’une discrétion importante au sujet de la forme et de l’intensité de ses démarches.

[57] La négligence grave comprend «  [u]ne faute grossière dans le traitement d’un grief ».  Cependant, l’article 47.2 n’impose pas une norme de perfection.  L’analyse du comportement syndical peut tenir compte des facteurs suivants : les ressources disponibles; l’expérience et la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non-juristes; les priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation; l’importance du grief pour le salarié; les chances de succès du grief; l’intérêt concurrent des autres salariés dans l’unité de négociation.

[58] De plus, les principes applicables en matière du devoir d’égalité de traitement d’un syndicat relativement à un grief se retrouvent dans l’arrêt La Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon [1984] 1 R.C.S. 509 , à la page 527 :

1.     Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de
porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2.     Lorsque, […] comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3.     Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4.     La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5.     La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[16]         Le plaignant a le fardeau de démontrer que le syndicat a violé l’une ou l’autre de ses obligations pour que sa plainte soit accueillie. Or, il a échoué.

[17]         Dans Gagnon c. Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle Gabrielle-Major - CSN , 2010 QCCRT 0113 , la Commission énonce le degré de difficulté à démontrer une conduite fautive de la part d’un procureur au cours d’un procès et de sa réticence à s’immiscer dans la défense qu’a choisie ce dernier :

[64] En matière de responsabilité professionnelle, il faut démontrer qu’un procureur raisonnablement doué n’aurait pas conduit le procès comme il a été fait et que l’issue aurait été probablement différente. Les auteurs sont d’avis qu’il s’agit d’une preuve fort difficile à satisfaire, voir Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile , 7 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007 , p. 134, par. 2-135.

[…]

[66]  En matière de juste représentation syndicale, la Commission est réticente à s’immiscer dans le choix des stratégies et des moyens de preuve ou de défense d’un représentant. Dans l’affaire Boucher c. Association de l'enseignement du Nouveau-Québec (CSQ) , 2006 QCCRT 0443 , par. 28, la Commission est d’avis qu’il ne lui appartient pas de s’immiscer dans les moyens de défense choisis par un représentant.

[18]         Toutefois, lorsqu’il y a démonstration de vices importants, la Commission analyse le comportement du procureur et, par le fait même, du syndicat lors de l’arbitrage :

[69]  Par ailleurs, dans certaines décisions, la Commission a démontré une ouverture pour analyser la conduite et la représentation faite par l’association accréditée lors de l’arbitrage, s’il y a présence de fautes importantes, d’erreurs flagrantes ou d’un déni de justice.

[70]  Ainsi, dans l’affaire McKinnon c. Union des agents de sécurité du Québec (Syndicat des Métallos, section locale 8922 ), 2007 QCCRT 0561 , par 19 à 21, la Commission soumet qu’elle refusera le plus souvent d’intervenir pour évaluer la défense d’un salarié pendant l’audition d’un grief. La Commission ajoute qu’elle ne doit pas décider, à la place de l’association accréditée et après l’audition, quelle stratégie aurait été la plus appropriée. Un salarié qui entend contester le travail d’un représentant syndical pendant l’audition de son grief doit apporter des éléments convaincants de fautes importantes. La Commission réfère aux affaires Ascenzio et Maher , précitées.

[19]         Le témoignage du plaignant devant la Commission n’a été que de quelques minutes si l’on exclut les échanges visant à cerner la portée de sa plainte, ce qu’elle visait et contestait.

[20]         Le fait de ne pas être d’accord avec la version de sa supérieure et que l’avocat du syndicat avait l’air confus au retour d’une pause ne constitue pas une faute, encore moins une faute importante, une erreur flagrante ou un déni de justice. Pas plus d’ailleurs que sa prétention voulant que son dessin puisse représenter autre chose que sa supérieure immédiate. Dans les faits, ce que conteste le plaignant est l’appréciation de la preuve et les conclusions que l’arbitre en a tirées. Elles ne peuvent constituer un manquement du syndicat lors d’un arbitrage.

[21]         Subsidiairement, le simple refus du syndicat de porter la sentence en révision judiciaire n’est pas une faute, sans qu’il soit permis de savoir comment, pourquoi, ou à la suite de quoi cette décision a été prise. Or, il n’y a pas eu de preuve sur ces aspects.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                       la plainte.

 

 

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Mario Chaumont

 

M e Céline Allaire

PHILION LEBLANC BEAUDRY, AVOCATS S.A.

Représentante de l’intimé

 

 

Date de l’audience :

16 septembre 2015