Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux c. Boileau |
2015 QCCS 5998 |
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JY0067
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
500-17-085961-145 |
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DATE : |
Le 17 décembre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MICHEL YERGEAU, J.C.S. |
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ALLIANCE DU PERSONNEL PROFESSIONNEL ET TECHNIQUE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX et MADAME LORI GOODHAND |
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Demanderesses |
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c. |
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DR JEAN BOILEAU |
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Défendeur |
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et |
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LE CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DU CENTRE-OUEST-DE-L’ILE-DE-MONTRÉAL |
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Mis-en-cause |
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JUGEMENT |
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[1] Le 31 janvier 2014, Mme Lori Goodhand (Mme Goodhand ou la salariée) est la victime d’un malencontreux accident qui entraîne une invalidité temporaire et un arrêt de travail. Celle-ci est une organisatrice communautaire à l’emploi du mis-en-cause, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Ile-de-Montréal (CIU ou l’employeur) depuis 2008.
[2] Ce jour-là, alors qu’elle prend une douche sur les lieux de son travail, elle se frappe assez durement la tête sur une étagère contigüe.
[3] Ébranlée par le choc, prise de maux de tête et de divers troubles somatiques, Mme Goodhand, six jours plus tard, consulte son médecin-traitant qui diagnostique un syndrome post-commotionnel et la place en arrêt de travail.
[4] Il n’est pas contesté que Mme Goodhand a dès lors le droit de bénéficier du régime d’assurance-salaire des employés. Le régime prévoit en cas d’invalidité le versement de prestations d’assurance-salaire pour une période maximum de 104 semaines.
[5] Par contre, s’agit-il d’un cas de lésion professionnelle? est une question à laquelle le Tribunal n’a pas à répondre. En effet, Mme Goodhand dépose une réclamation en ce sens auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) qui conclut que les séquelles dont elle souffre ne peuvent pas être qualifiées de lésion professionnelle. Mme Goodhand demande sans succès la révision de cette décision. Parvenue au stade de la Commission des lésions professionnelles, elle se désiste le 13 janvier 2015 de sa requête, à la veille de l’audition de son dossier [1] . On ne saura donc jamais si elle souffre d’une lésion professionnelle pouvant donner lieu à une indemnité de remplacement de revenu dont l’accident survenu un an plus tôt serait la cause.
[6] Reste à déterminer quand et comment devaient se terminer la période d’invalidité de Mme Goodhand et le versement des prestations d’assurance-salaire. Le présent dossier tire sa source de la décision à ce propos du défendeur, le docteur Jean Boileau (Dr Boileau ou le médecin-arbitre), dont l’ Alliance du Personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (syndicat ou APTS) conteste la décision pour le compte de Mme Goodhand par la voie de la présente requête en révision judiciaire.
[7] La salariée est aujourd’hui de retour au travail au CIU.
[8] Comme l’y autorise la Convention collective 2011-2015 [2] (la Convention collective), Mme Goodhand formule implicitement un grief afin de contester la décision de l’employeur de mettre fin à sa période d’invalidité temporaire. La salariée le fait en omettant de se présenter au travail à la date fixée par le CIU [3] .
[9] Or, cette période d’invalidité est ponctuée par l’intervention de plusieurs médecins et neuropsychologues qui dressent des diagnostics somme toute assez semblables mais qui suggèrent des modalités et calendriers différents de retour au travail. Un survol à ce chapitre s’impose.
[10] Le 6 février 2014, le médecin-traitant de Mme Goodhand, la docteure Deborah Josephson, dresse un diagnostic de syndrome post-commotionnel et la place en arrêt de travail.
[11] Le 21 mars 2014, l’employeur convoque Mme Goodhand à un rendez-vous médical auprès du docteur Marcel Asselin pour le 1 er avril 2014 afin d’obtenir une expertise de ce dernier. Celui-ci conclut à une incapacité totale temporaire pour une durée indéterminée.
[12] Le 5 juin 2014, la docteure Josephson recommande un retour au travail progressif de Mme Goodhand à raison de deux demi-journées par semaine augmenté petit à petit d’une demi-journée par semaine à toutes les deux semaines. Ceci ne correspond pas à ce que souhaite le CIU qui voudrait modifier certains éléments du retour progressif au travail.
[13] Le 10 juin 2014, le Dr Asselin revoit la demanderesse et conclut qu’elle n’est pas en mesure de reprendre le travail à temps plein et que son retour au travail devrait se faire progressivement, à commencer par deux demi-journées par semaine.
[14] Mme Goodhand tente ainsi un retour progressif au travail à compter du 22 juin 2014 pour constater que si des demi-journées de travail se font sans encombre, les journées complètes entraînent une exacerbation de certains troubles. L’employeur remet ainsi Mme Goodhand en arrêt de travail à compter du 8 août 2014.
[15] En septembre 2014, à la demande du CIU, Mme Goodhand rencontre la docteure Anne Thériault, médecin-conseil en santé et sécurité au travail. Au terme de son examen, la Dre Thériault conclut, le 26 septembre 2014, que la condition de Mme Goodhand n’est pas invalidante et qu’elle est apte à reprendre le travail sans restriction. Toutefois, pour faciliter son retour au travail, la Dre Thériault suggère de reprendre à raison de deux jours la première semaine, trois jours la seconde, quatre jours la troisième puis cinq jours sur cinq par la suite. Sur réception de ce rapport, l’employeur en fait parvenir copie à la Dre Josephson et indique son intention de communiquer avec elle pour en discuter [4] .
[16] Le 2 octobre 2014, la Dre Josephson propose de son côté un retour au travail gradué devant s’étaler sur au moins 10 semaines [5] .
[17] Le même jour, prenant acte du fait que sa cliente Mme Goodhand souffre de maux de tête, de sensibilité au bruit et à la lumière, de problèmes de concentration et d’acouphène, Mme Miglena Grigorova, Ph.D., neuropsychologue, recommande à son tour, dans une lettre qu’elle adresse à la salariée, un retour progressif au travail [6] . Dans un tableau qu’elle lui fait parvenir le 30 septembre 2014, la neuropsychologue propose un échéancier de retour s’étalant sur huit semaines [7] . La lettre de Mme Grigorova ne fait état d’aucun examen auquel elle se serait livrée sur la salariée. À la vue de ce seul document, le lecteur ne peut distinguer si les recommandations de Mme Grigorova découlent de ses propres observations ou de ce que Mme Goodhand lui rapporte.
[18] Ce même 2 octobre 2014, Mme Claudine Leroux, conseillère en santé et sécurité du travail au CIU, écrit à Mme Goodhand pour lui faire savoir a) que l’employeur retient le diagnostic de la Dre Thériault voulant qu’elle soit maintenant en état de reprendre le travail et b) que son retour en poste est fixé au 7 octobre 2014 à 09 :00. Mme Goodhand est informée que si elle fait défaut, son absence sera considérée comme une contestation de la décision de l’employeur par voie de grief et qu’elle devra se présenter devant un autre médecin qui décidera de sa capacité de prendre le travail à compter du 7 octobre [8] . Du même coup, comme l’exige la Convention collective, Mme Leroux transmet à la salariée le rapport de la Dre Thériault déjà communiqué quatre jours plus tôt à la Dre Josephson.
[19] Le 7 octobre 2014, Mme Goodhand ne se présente pas au travail. S’enclenche du même coup la procédure de grief et d’arbitrage médical pour déterminer si son invalidité se prolonge ou non.
[20] Comme l’employeur et le syndicat ne s’entendent pas sur le choix du médecin-arbitre, bien qu’ils conviennent qu’il doit s’agir d’un neurologue, ils s’en remettent, comme le prévoit la Convention collective, au médecin substitut, le docteur Daniel Choinière [9] , afin qu’il le choisisse à leur place. Ils lui transmettent à ce propos les éléments du dossier en leur possession [10] . C’est ainsi que ce dernier nomme le Dr Jean Boileau, neurologue, médecin-arbitre [11] .
[21] Le 28 octobre 2014, le Dr Boileau rencontre Mme Goodhand et procède à un examen neurologique. Il transmet sa décision [12] à l’employeur le 18 novembre 2014 [13] et au syndicat le lendemain [14] . Elle n’est pas datée mais a été rédigée entre la date de l’examen et le 18 novembre. C’est cette décision qui est au cœur du litige.
[22] Dans l’intervalle, le conseiller syndical APTS, M. Tim Banasik, écrit à M. François Crépeau, Ph.D., neuropsychologue. Dans cette lettre du 20 octobre 2014 [15] , il cerne le problème qui tourne essentiellement autour des modalités de retour au travail de la salariée. Il y souligne que la Dre Anne Thériault «suggère que la condition de Madame Goodhand n’est pas invalidante». Le Tribunal note que cette dernière ne «suggère» pas mais plutôt qu’elle affirme «que la condition n’est pas invalidante» et que «Mme Goodhand est tout-à-fait apte au travail sans restriction de tâche ou d’horaire» [16] . M. Banasik définit ainsi le mandat que lui confie le syndicat :
Nous vous demandons de nous fournir une évaluation neuropsychologique et une opinion d’expert concernant le diagnostic et les symptômes, ainsi que sur la capacité de Mme Goodhand de retourner au travail, sur la nature des restrictions ou modalités de retour au travail et concernant l’effet sur son état de santé d’un retour au travail, en date du 26 septembre 2014, du 7 octobre 2014 ainsi qu’à l’heure actuelle.
Nous demandons donc que votre rapport indique votre opinion d’expert sur les questions suivantes :
1. Quel est le diagnostic?
2. Est-ce que Mme Goodhand démontre toujours des symptômes reliés au diagnostic, et si oui, quels sont ces symptômes et quelle incidence ont ces symptômes sur la capacité de madame Goodhand de retourner au travail (a) en date du 26 septembre 2014, (b) en date du 7 octobre 2014 et (c) en date de votre examen?
3. Est-ce que Mme Goodhand était apte à retourner au travail (a) le 26 septembre 2014 ou (b) le 7 octobre 2014 et, si oui, est-ce qu’il y a des restrictions, limitations ou autres modalités particulières nécessaires par rapport à son diagnostic et à ses symptômes, et s’il y en a, lesquelles?
4. Est-ce que Madame Goodhand est apte à retourner au travail en date de votre examen et, si oui, est-ce qu’il y a des restrictions, limitations ou autres modalités particulières nécessaires par rapport à son diagnostic et à ses symptômes, et s’il y en a, lesquelles?
5. Au cas où des restrictions, limitations ou autres modalités particulières étaient, au 26 septembre 2014, au 7 octobre 2014 ou sont actuellement nécessaires pour le retour au travail de madame Goodhand, quels auraient été ou quels seront les effets sur la santé de madame Goodhand d’un retour à son travail sans respecter ces restrictions, limitations ou autres modalités. [17]
[23] Le Tribunal souligne avant d’enchaîner que M. Crépeau n’est pas un médecin mais plutôt un psychologue, détenteur d’une attestation de formation d’évaluation des troubles neuropsychologiques. Il en va de même de Mme Grigorova, déjà mentionnée. Ni l’un, ni l’autre ne pouvaient donc être désignés médecin-arbitre puisque la Convention collective prévoit que seul un médecin peut agir à ce titre.
[24] Enfin, le 27 octobre 2014, le conseiller syndical écrit directement au Dr Boileau une lettre dans laquelle il formule ainsi le mandat qui lui est confié :
[…] En procédant à l’examen médical et à l’étude des documents, nous vous demandons de vous prononcer sur l’état de d’invalidité ( sic ) de madame Goodhand à compter du 7 octobre 2014 (date de retour au travail demandée par l’employeur), sur la capacité de madame Goodhand de retourner au travail à compter de cette même date ainsi que sur la nature et la durée des restrictions de tâches ou d’horaire appropriées, le cas échéant, lors du retour au travail. [18]
L’employeur n’est pas mis en copie de cette lettre, ce qui étonne de la part d’une partie qui plaide que le mandat relève à la fois de l’employeur et du syndicat et qui tire argument du fait que le médecin-arbitre ait fait parvenir sa décision au CIU avant de l’acheminer à l’APTS.
[25] Dès le début de cette lettre, le conseiller syndical établit que «le litige porte sur les modalités de retour au travail de Mme Goodhand». Il annonce en conclusion qu’il est de son intention de lui transmettre un rapport additionnel le jour même ou le lendemain, sans préciser de quoi il s’agit.
[26] Le lendemain, 28 octobre, M. Banasik fait parvenir par courriel au Dr Boileau le rapport de M. Crépeau dans lequel il dit comprendre que le «Docteur en prendra connaissance dans le cadre de ce dossier d’arbitrage médical et de sa décision» [19] . Il reçoit dans les minutes qui suivent un accusé de réception du cabinet du Dr Boileau [20] .
[27] C’est ce même jour que le médecin-arbitre reçoit Mme Goodhand à son cabinet pour un examen neurologique. La Convention collective oblige le médecin-arbitre à rencontrer la personne salariée impliquée dans le grief mais ne lui fait pas obligation de procéder à un examen [21] .
[28] Dans sa décision, le médecin-arbitre circonscrit d’entrée de jeu son mandat :
MANDAT DE L’EXPERTISE :
Le mandat qui m’a été confié en est un d’arbitrage pour déterminer si madame est apte à reprendre le travail, tel que déjà recommandé par le docteur Thériault, à compter du 7 octobre 2014, soit :
Semaine 1 : 2 jours
Semaine 2 : 3 jours
Semaine 3 : 4 jours
Semaine 4 : retour au travail régulier [22]
[29] Le Dr Boileau brosse ensuite le tableau des antécédents médicaux de Mme Goodhand et de ses habitudes de vie, relate l’accident du 31 janvier 2014 et dresse un bilan de la situation prévalant à la date de l’examen où il relève quatre ordres de symptômes : céphalées dont la fréquence a diminué depuis l’accident, fatigabilité anormale et diminution de la résistance à l’effort, épisodes d’acouphène et de vertiges minimes ainsi que tolérance réduite au stress. Le Dr Boileau décrit par la suite l’horaire quotidien de la salariée sans n’y rien relever de particulier.
[30] Avant d’aborder l’examen neurologique proprement dit, le médecin-arbitre fait un survol des documents consultés : évaluation de la Dre Thériault du 26 septembre 2014, évaluations du Dr Asselin des 1 er avril et 10 juin 2014, notes de la Dre Josephson, note de Mme Grigorova du 2 octobre 2014, tableau de retour au travail de la Dre Josephson du 2 octobre 2014 et évaluation neuropsychologique de M. Crépeau recommandant un retour au travail progressif selon l’horaire du 2 octobre proposé par la Dre Josephson sans limitation de tâches.
[31] Au terme de l’examen neurologique, le Dr Boileau constate que les fonctions sont normales (fundis normaux, champs visuels complets, audition normale, tonus aux quatre membres sans anomalie, force musculaire segmentaire normale, réflexes symétriques, coordination appendiculaire normale, démarche normale, équilibre adéquat, etc.). Il conclut qu’il s’agit «d’un examen neurologique formel négatif».
[32] Le médecin-arbitre enchaine avec la section de sa décision intitulée Discussion . Il y énumère en premier lieu les éléments d’information recueillis qu’on peut synthétiser comme suit :
a) Mme Goodhand n’a pas d’antécédent médical particulier;
b) elle a été victime d’un traumatisme crânio-cérébral (TCC) léger trivial, avec possibilité d’un élément commotionnel;
c) la symptomatologie qu’elle développe par la suite rappelle un syndrome post-commotionnel;
d) les volets symptomatiques se sont réduits depuis l’accident de plus de 65% selon la salariée;
e) elle n’a recours à aucune médication analgésique ni stabilisateur d’humeur et demeure autonome;
f) l’incapacité à reprendre le travail à temps plein serait liée à une fatigabilité mentale inhabituelle en référence au bilan neuropsychologique de M. Crépeau dont le Dr Boileau cite au texte certains passages [23] .
[33] Le Dr Boileau enchaine avec des considérations sur le lien de causalité entre l’état de Mme Goodhand au moment de son examen et une situation potentiellement préexistante. De cela, le syndicat lui fait reproche.
[34] Sur cet aspect, le Dr Boileau relève, sans les écarter, les conclusions de M. Crépeau et ajoute ce qui suit, à la page 7 de sa décision :
[…] Ces atteintes seraient responsables de son incapacité à reprendre le travail à temps plein d’une part et étaient en relation d’autre part avec le traumatisme crânien subi le 31 janvier 2014.
[35] Avant de tirer ses propres conclusions, le médecin-arbitre indique que les manifestations somatiques, que sont entre autres les céphalées, la fatigue physique, la fatigabilité mentale, affectent environ 50% des victimes d’un TCC léger mais que dans 85% des cas, ces personnes auront récupéré dans les trois mois. Mais lorsque la symptomatologie se poursuit, ajoute-t-il, «la littérature suggère (…) de rechercher une cause non traumatique à la persistance des maux de tête». Le médecin-arbitre ne va pas plus loin en ce sens et ne conclut pas que tel est le cas chez Mme Goodhand.
[36] Il poursuit son propos en soulignant a) qu’il est difficile d’établir un lien entre les TCC légers et les désordres cognitifs persistants au-delà de six mois, b) qu’il existe, selon la littérature médicale, une similitude entre les symptômes post-commotionnels et les syndromes de test post-traumatiques et c) qu’une explication neuro-pathologique nécessiterait un type d’examen poussé non disponible dans le cadre d’une expertise du type de celle que le médecin-arbitre est amené à faire.
[37] Cela dit, il ne nie pas l’existence des déficits neurocognitifs retrouvés chez Mme Goodhand par M. Crépeau dans le cadre de son examen dont il ne remet en question ni la méthodologie, ni la conclusion : « […] sans pour autant nier d’aucune façon l’existence des signes neurocognitifs retrouvés».
[38] Le Dr Boileau se borne à dire qu’il faut néanmoins «se demander si les déficits neurocognitifs retrouvés sont encore en relation aujourd’hui avec le traumatisme crânien banal de janvier 2014».
[39] Le médecin-arbitre conclut que Mme Goodhand a subi un TCC léger trivial accompagné d’une minime commotion. Elle a ainsi développé une symptomatologie compatible avec ce diagnostic dont les symptômes se sont dissipés très nettement avec le temps. Pour le reste de l’atteinte neuropsychologique, le Dr Boileau prend acte des déficits relevés par M. Crépeau, mais réitère sa réserve sur le lien causal spécifique entre ceux-ci et l’accident du 31 janvier 2014. Sur la base de l’examen neurologique, il conclut qu’il n’y a pas d’évidence neurologique qui soit de nature à modifier la date et les modalités de retour au travail établies par la Dre Thériault.
[40] Le syndicat et l’employeur conviennent de formuler ainsi les questions soumises au Tribunal :
a) Le médecin-arbitre a-t-il commis une erreur déraisonnable lorsqu’il a déterminé l’objet du litige qu’il devait trancher?
b) Le médecin-arbitre a-t-il commis un excès de compétence en refusant de considérer l’expertise réalisée par le neuropsychologue François Crépeau datée du 27 octobre 2014? [24]
c) Le médecin-arbitre a-t-il manqué aux règles d’indépendance et d’impartialité?
[41] On sait que dans le cadre d’un même dossier, les différentes questions soulevées peuvent répondre, en fonction de leur nature, à des normes de contrôle différentes [25] .
[42] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable dans le premier cas et celle de la décision correcte en ce qui a trait aux questions qui touchent les règles de justice naturelle et l’équité procédurale.
[43] Toutefois, ce dont conviennent les parties à propos des normes de contrôle ne lie pas le Tribunal qui doit procéder à sa propre analyse de la question.
[44] Dans Dunsmuir [26] , la Cour suprême, dans un effort de simplification, définit deux étapes pour établir laquelle des deux normes [27] de contrôle, de la décision correcte ou de la décision raisonnable, doit s’appliquer. Ainsi, lorsque la jurisprudence établit déjà de façon adéquate le degré de déférence qui se rattache à une catégorie de questions, le tribunal de révision peut s’en remettre à la norme ainsi établie. Par contre, si la question n’a pas déjà été tranchée de façon satisfaisante, il doit procéder de façon contextuelle à l’analyse relative à la norme de contrôle applicable. Mais dans tous les cas, il ne doit y avoir contrôle judiciaire que lorsque la justice l’exige [28] .
[45] Cela dit, la norme usuelle de contrôle est celle de la décision raisonnable. La chose s’explique par la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des raisonnements et des décisions fondées sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier. Elle s’explique aussi par la différence entre le rôle d’une cour de justice et celui d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.
[46] Par contre, un degré moindre de déférence est dû lorsque sont en jeu des questions d’interprétation constitutionnelle, des questions de droit générales qui sont à la fois d’une importance capitale pour le système juridique et étrangère au domaine d’expertise du tribunal, des questions de délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés et des questions de véritable compétence. Il en va de même lorsque vient le temps de décider si la décision attaquée a été prise dans le respect de l’équité procédurale, auquel cas la norme applicable sera toujours celle de la décision correcte [29] .
[47] Dans le cas présent, il s’agit d’une décision d’un médecin-arbitre nommé dans le cadre de l’application d’une convention collective. Son rôle s’apparente à celui d’un arbitre de grief mais agissant dans un créneau encore plus spécialisé. Sa décision commande donc le plus haut niveau de déférence de la part du tribunal de révision, soit celui associé à la norme de la décision raisonnable. En effet, puisque le syndicat et l’employeur ont convenu de soumettre certains enjeux d’ordre médical à un médecin-arbitre, la décision que rend ce dernier ne peut être mise de côté au profit de la propre analyse que fait le tribunal de révision du dossier médical de la personne salariée. C’est la conclusion à laquelle arrive le juge Jacques Blanchard de cette cour dans Centre de santé et services sociaux Alphonse-Desjardins c. Boulet [30] , un dossier de révision judiciaire d’une décision d’un médecin-arbitre :
[21] Cette dernière norme découle de la volonté du législateur de s’en remettre dans certains domaines à des décideurs administratifs dont les décisions sont fondées sur une expérience et une expertise particulières. Leurs décisions, dans la mesure où elles font partie des solutions rationnelles acceptables, doivent être respectées par les tribunaux supérieurs.
[48] Le Tribunal partage cette position [31] . La norme applicable de la décision raisonnable s’applique donc à la décision du médecin-arbitre au même titre qu’elle s’applique en général à la sentence d’un arbitre de grief. Il ne s’agit par ailleurs pas ici d’une question de véritable compétence ou de questions de droit d’une importance capitale pour le système juridique qui appelle une norme de contrôle exigeant un degré moindre de déférence.
[49] Par contre, à l’instar de ce que la Cour d’appel nous enseigne, entre autres dans Ménard c. Gardner [32] , dans la foulée de plusieurs arrêts de la Cour suprême [33] , la norme de la décision correcte s’impose traditionnellement aux questions de justice naturelle et d’équité procédurale au regard de la façon dont le médecin-arbitre traite un dossier. C’est à cette aune que doivent être mesurées les réponses aux questions b) et c) advenant qu’il y ait ici excès de compétence ou partialité comme le prétend le syndicat.
[50] Le litige repose sur l’application de l’article 30.29 de la Convention collective. Cet article s’inscrit dans le chapitre 30 de celle-ci relatif aux régimes d’assurance et plus particulièrement, dans la section IV consacrée au régime de base d’assurance-maladie. Citons-le, en omettant certains passages sans utilité ici :
30.29 Procédure de règlement d’un litige relatif à une invalidité
La personne salariée peut contester tout litige relatif à l’inexistence ou à la cessation présumée d’une invalidité ou la décision de l’Employeur d’exiger qu’elle effectue ou prolonge une période de réadaptation ou une assignation temporaire, selon la procédure suivante :
1- L’Employeur doit donner un avis écrit à la personne salariée et au Syndicat de sa décision de ne pas ou de ne plus reconnaître l’invalidité ou d’exiger qu’elle effectue ou prolonge une période de réadaptation ou une assignation temporaire. L’avis transmis à la personne salariée est accompagné du ou des rapports et expertises directement reliés à l’invalidité que l’Employeur fera parvenir au médecin-arbitre ou à l’arbitre, selon le cas, et qui sera ou seront utilisé(s) à la procédure d’arbitrage prévue à l’alinéa 3 ou à l’alinéa 4.
2- La personne salariée qui ne se présente pas au travail le jour indiqué dans l’avis prévu à l’alinéa 1 est réputée avoir contesté la décision de l’Employeur par grief à cette date. Dans le cas de la personne salariée non détentrice de poste inscrite sur la liste de disponibilité et non assignée, le grief est réputé déposé le jour où le Syndicat reçoit un avis de l’Employeur lui indiquant que la personne salariée ne s’est pas présentée au travail sur une assignation qui lui a été offerte ou au plus tard sept (7) jours après la réception de l’avis prévu à l’alinéa 1.
3- Dans le cas où l’invalidité relève du champ de pratique d’un physiatre, d’un psychiatre, ou d’un orthopédiste, la procédure d’arbitrage médical s’applique :
a) Les parties locales disposent d’un délai de dix (10) jours de la date du dépôt du grief pour s’entendre sur la désignation d’un médecin-arbitre. S’il n’y a pas d’entente sur la spécialité pertinente dans les cinq (5) premiers jours, celle-ci est déterminée dans les deux (2) jours qui suivent par le médecin omnipraticien ou son substitut à partir des rapports et expertises fournis par le médecin traitant et le premier (1 er ) médecin désigné par l’Employeur. Dans ce cas, les parties locales disposent du nombre de jours à courir pour respecter le délai de dix (10) jours afin de s’entendre sur la désignation du médecin-arbitre. À défaut d’entente sur le choix du médecin-arbitre, le greffier du greffe du Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux en désigne un à même la liste prévue au présent sous-alinéa, à tour de rôle, en fonction de la spécialité pertinente déterminée et des deux (2) secteurs géographiques suivants :
[…]
b) Pour être désigné, le médecin-arbitre doit pouvoir rendre une décision dans les délais prescrits.
c) Dans les quinze (15) jours de la détermination de la spécialité pertinente, la personne salariée ou le représentant syndical et l’Employeur transmettent au médecin-arbitre les dossiers et expertises directement reliés à l’invalidité produits par leurs médecins respectifs .
d) Le médecin-arbitre rencontre la personne salariée et l’examine s’il le juge nécessaire . Cette rencontre doit se tenir dans les trente (30) jours de la détermination de la spécialité pertinente.
e) Les frais de déplacement raisonnablement encourus par la personne salariée sont remboursés par l’Employeur selon les dispositions de la convention collective. Si son état de santé ne lui permet pas de se déplacer, elle n’est pas tenue de le faire.
f) Dans le cas où le médecin-arbitre arrive à la conclusion que la personne salariée est ou demeure invalide, il peut également décider de la capacité de la personne salariée d’effectuer une période de réadaptation ou une assignation temporaire .
Le médecin-arbitre peut, en toutes circonstances, suggérer une modification au suivi médical ou émettre toute recommandation qu’il juge pertinente .
g) Le médecin-arbitre rend une décision à partir des documents fournis conformément aux dispositions du sous-alinéa c) et de la rencontre prévue au sous-alinéa d). Il doit rendre sa décision au plus tard dans les quarante-cinq (45) jours de la date du dépôt du grief. Sa décision est finale et exécutoire .
4- Dans le cas où l’invalidité ne relève pas de la pratique d’un physiatre, d’un psychiatre ou d’un orthopédiste, la procédure d’arbitrage médical prévue à l’alinéa 3 s’applique en y remplaçant le sous-alinéa a) par le suivant :
Les parties locales disposent d’un délai de dix (10) jours de la date du dépôt du grief pour s’entendre sur la désignation d’un médecin-arbitre. S’il n’y a pas d’entente sur la spécialité pertinente dans les cinq (5) premiers jours, celle-ci est déterminée dans les deux (2) jours qui suivent par le médecin omnipraticien ou son substitut à partir des rapports et expertises fournis par le médecin traitant et le premier (1 er ) médecin désigné par l’Employeur. Dans ce cas, les parties locales disposent du nombre de jours à courir pour respecter le délai de dix (10) jours afin de s’entendre sur la désignation du médecin-arbitre. À défaut d’entente sur le choix du médecin-arbitre, l’Employeur avise le médecin omnipraticien ou son substitut afin que ce dernier nomme, dans un délai de cinq (5) jours, un médecin dans le champ de pratique identifié.
Jusqu’à la date de son retour au travail ou jusqu’à la décision du médecin-arbitre, la personne salariée bénéficie des prestations d’assurance-salaire prévues au présent article.
L’Employeur ne peut exiger le retour au travail de la personne salariée avant la date prévue au certificat médical ou tant que le médecin-arbitre n’en aura pas décidé autrement. Si la décision conclut à l’inexistence ou à la cessation de l’invalidité, la personne salariée rembourse l’Employeur à raison de dix pour cent (10%) du montant versé par période de paie, jusqu’à extinction de la dette.
Les frais et honoraires du médecin-arbitre ne sont pas à la charge de la partie syndicale.
[…]
(Le Tribunal souligne)
[51] Le Tribunal abordera en premier lieu la question de l’erreur déraisonnable qu’aurait commise le médecin-arbitre en déterminant l’objet de son mandat.
[52] L’article 30.29 de la Convention collective établit un mécanisme assez précis lorsqu’est soumis à l’arbitrage médical le dossier d’une personne salariée.
[53] Hors les cas où l’invalidité relève de la physiatrie, de l’orthopédie ou de la psychiatrie, le syndicat local et l’employeur ont 10 jours au total pour a) convenir, dans les cinq jours, de la spécialité pertinente ou soumettre en cas de désaccord à ce propos la question au médecin omnipraticien désigné de la Convention collective ou son substitut qui doit en décider dans les 48 heures et b) s’entendre sur le choix du médecin-arbitre dans la spécialité identifiée. En cas de désaccord sur le choix du médecin, c’est au médecin généraliste de le nommer; il doit le faire dans les cinq jours.
[54] Ici, toutes ces étapes ont été franchies comme prévues à la Convention : les parties ont convenu le 7 octobre 2014 de la spécialité, la neurologie [34] . Deux jours plus tard, le Dr Choinière, l’omnipraticien substitut, désigne le Dr Boileau [35] . Ce dernier rencontre Mme Goodhand le 28 octobre 2014, la soumet à un examen neurologique le même jour et fait parvenir sa décision aux parties à l’intérieur du délai de 45 jours de la date présumée du grief.
[55] Aux termes de la Convention collective, le mandat du médecin-arbitre, en cas de contestation, est de décider du «litige relatif à l’inexistence ou à la cessation présumée d’une invalidité» pour reprendre les mots du paragraphe introductif de l’article 30.29 [36] . La Convention ne prévoit pas que le syndicat et l’employeur ont à convenir du mandat du médecin-arbitre. S’il arrive à la conclusion que la personne salariée est ou demeure invalide, le médecin-arbitre, en vertu du paragraphe f) du même article, peut décider de la capacité de celle-ci d’effectuer une assignation temporaire ou une période de réadaptation. Dans tous les cas, il peut aussi suggérer une modification au suivi médical ou formuler toute recommandation qu’il juge pertinente.
[56] En somme, décider de l’invalidité de la personne salariée est l’essence même du mandat du médecin-arbitre en vertu de la Convention collective.
[57] Dans le cas présent, le conseiller syndical transmet au Dr Boileau le 27 octobre 2014 une lettre accompagnée de nombreux documents. Certains de ceux-ci ont trait au volet CSST du dossier de Mme Goodhand. La majorité d’entre eux sont des rapports ou des expertises des médecins de la salariée (Dre Josephson et Dr Slapcoff) ou de l’employeur (Dr Asselin et Dre Thériault). Le conseiller syndical y joint le texte et le tableau d’étalement de retour au travail de Mme Grigorova. Le jour suivant, il y ajoute l’expertise de M. Crépeau [37] .
[58] Le paragraphe c) de l’article 30.29 de la Convention collective prévoit qu’il revient à la personne salariée ou au représentant syndical et à l’employeur de transmettre au médecin-arbitre «les dossiers et expertises directement reliés à l’invalidité produits par leurs médecins respectifs». Il semble que le conseiller syndical Tim Banasik se soit chargé seul de cette tâche. Ce faisant, il transmet au médecin-arbitre plus que ce que prévoit la Convention collective puisque ni les documents originant de Mme Grigorova, ni l’expertise de M. Crépeau ne sont des «dossiers et expertises produits par (les) médecins» de Mme Goodhand ou ceux du CIU.
[59] Cela dit, le syndicat plaide que le Dr Boileau a outrepassé «le mandat précis lui ayant été confié par les parties, sous peine d’excéder sa compétence» [38] .
[60] Au soutien de ce qu’il avance, l’APTS soumet que le Dr Boileau se serait mal dirigé en qualifiant son mandat comme en étant un d’arbitrage pour déterminer si Mme Goodhand était apte à reprendre le travail tel que recommandé par la Dre Thériault et selon le calendrier suggéré par cette dernière. Ce faisant, le médecin-arbitre n’aurait pas répondu précisément à la question de fond : la salariée était-elle ou non invalide au 7 octobre?
[61] Dans leur requête introductive d’instance et leur mémoire, les demanderesses affirment que la procédure d’arbitrage médical doit être l’objet d’une interprétation restrictive puisqu’elle constitue une exception à la règle que tout litige en vertu de la Convention collective doit être soumis à la compétence d’un arbitre de grief. Il faut donc selon elles s’en tenir à ce que prévoit l’article 30.29 de la Convention collective.
[62] Le Dr Boileau est-il sorti de ce cadre étroit? Le Tribunal conclut que oui. Voici pourquoi.
[63] Le médecin-arbitre n’a d’autre rôle que de trancher un litige relatif à l’existence ou à la cessation présumée d’une invalidité ou encore un litige découlant de la décision de l’employeur d’exiger de la personne salariée qu’elle effectue ou prolonge une période de réadaptation. En dehors de ce qui précède, le médecin-arbitre n’a aucun rôle à jouer. Seul le premier cas s’applique ici. Mme Goodhand était-elle invalide ou non au 7 octobre 2014 et pouvait-elle ou non reprendre le travail? est la seule question à laquelle le Dr Boileau devait répondre.
[64] Dans ce contexte, la formulation que donne le Dr Boileau de son mandat n’a que peu d’importance parce que la Convention collective lui assigne un rôle précis. Décider de l’invalidité de Mme Goodhand est implicite aux mots «déterminer si Madame est apte à reprendre le travail» qu’il utilise au début de sa décision. Pour conclure dans un sens ou dans l’autre, le médecin doit d’abord tirer une conclusion sur l’invalidité. Pour le reste, le Dr Boileau est un médecin pas un juriste, ce qui suffit à expliquer certaines maladresses de langage qui ne vont pas au-delà des nuances sémantiques. Le problème ne se situe pas à ce niveau.
[65] Quant au mandat dicté au médecin-arbitre par le syndicat, le Tribunal estime que faire droit aux arguments de l’APTS à ce propos reviendrait à ajouter à la Convention collective qui n’octroie ni à l’employeur, ni au syndicat le droit d’élargir le rôle du médecin-arbitre en dehors de ce que prévoit l’article 30.29.
[66] Le problème loge plutôt dans les conclusions que dresse le médecin-arbitre au terme de sa discussion, à la page 8 de sa décision. Après avoir confirmé que la salariée a subi un TCC léger trivial accompagné d’une symptomatologie compatible avec un syndrome post-commotionnel qui s’est abattu au fil des mois, il ajoute :
Reste le litige de l’atteinte neuropsychologique et à cet égard, sans nier l’existence des déficits retrouvés lors de l’expertise tenue , je maintiens ma réserve sur le lien de causalité entre l’existence de ces déficits qualifiés de subtils et le traumatisme crânien banal subi 9 mois plus tôt. [39]
(Le Tribunal souligne)
[67] Ce faisant, le médecin-arbitre passe à côté de la seule question qui compte aux termes de la Convention collective : y a-t-il persistance de l’invalidité, oui ou non?
[68] En effet, le Dr Boileau ne nie pas que la salariée soit atteinte de déficits neuropsychologiques. Mais plutôt que d’en tirer des conclusions sur leur effet invalidant chez Mme Goodhand, il dévie et réitère ne pas pouvoir établir de lien de causalité entre l’existence de ces déficits et le TCC dont la salariée a été victime. Ce lien, qui aurait pu être utile s’agissant d’un dossier de lésion professionnelle, est inutile pour décider si Mme Goodhand doit continuer ou non à bénéficier des prestations d’assurance-salaire jusqu’à son plein retour au travail comme le propose son médecin-traitant.
[69] Sa réponse au mandat, au dernier paragraphe de son texte, souffre de la même faiblesse. En effet, le Dr Boileau ne répond pas à ce qui est attendu de lui par la Convention collective. Il affirme «qu’il n’y a pas d’évidence neurologique dans le dossier (…) pouvant modifier les modalités suggérées de retour au travail, par le docteur Thériault, à compter du 7 octobre».
[70] En somme, alors que cette dernière a conclu que «la condition n’est pas invalidante» et que la salariée «est tout-à-fait apte au travail sans restriction de tâche ou d’horaire» [40] , le médecin-arbitre son tour venu statue comme on vient de le voir. Or, la question posée au sens de l’article 30.29 de la Convention collective n’est pas de savoir si un examen neurologique permet de faire échec ou non au diagnostic de la Dre Thériault mais d’établir si la salariée, au 7 octobre 2014, devait toujours être considérée invalide et si oui, à quel rythme devait se faire son retour au travail.
[71] Le Tribunal n’est à ce propos pas d’accord, soit dit avec respect, avec l’employeur qui plaide qu’en renvoyant au rapport de la Dre Thériault comme il le fait, le médecin-arbitre répond indirectement à la question posée et que cette réponse fait partie de la fourchette des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Or, contrairement à la situation qui prévalait dans le dossier Provigo Distribution inc. c. Deschênes [41] que cite le mis-en-cause, ce n’est pas par déduction qu’on peut ici déterminer que le médecin-arbitre a répondu à la question : il ne nie pas que des séquelles de l’accident du 31 janvier 2014 demeurent mais ne tire pas de conclusion sur leur impact invalidant alors que la Dre Thériault, au rapport de laquelle renvoie le Dr Boileau, ne traite aucunement de cet aspect. Lorsque les prémisses sont différentes, la déduction que suggère le mis-en-cause est trop risquée pour être fiable : il est donc possible que Mme Goodhand ait toujours été invalide au 7 octobre 2014.
[72] Le médecin-arbitre a traité le dossier comme s’il lui revenait de valider les conclusions de la Dre Thériault du 26 septembre 2014 à partir de son propre examen neurologique. Ce n’est pas le rôle que lui attribue la Convention collective. La décision qu’il rend échappe ainsi à la norme de la raisonnabilité. Pour ce seul motif, il y a lieu de faire droit à la demande de révision judiciaire.
[73] Une fois cette conclusion tirée, iI n’est donc pas utile de poursuivre plus avant l’analyse pour décider des deux autres questions.
[74] Le Tribunal souligne toutefois que la décision telle qu’elle est rédigée permet de conclure que le médecin-arbitre a tenu compte de l’expertise de M. Crépeau même s’il ne s’agit pas à proprement parler, d’une expertise produite par les médecins des parties. Le mis-en-cause n’a d’ailleurs soulevé aucune objection à ce que les avis de ce dernier et de Mme Grigorova soient versés au dossier communiqué au médecin-arbitre.
[75] De fait, dans ses conclusions, le Dr Boileau ne nie pas les déficits retrouvés par M. Crépeau. Il se borne à noter qu’il n’est pas neuropsychologue et qu’il ne peut donc discuter du contenu de l’expertise neuropsychologique et de sa conclusion. La faiblesse de la décision du médecin-arbitre est qu’elle ne pousse pas plus loin la discussion et ne tire pas d’enseignement de ces déficits sur l’invalidité de Mme Goodhand au 7 octobre 2014 et sur sa capacité de retourner au travail et à quel rythme.
[76] Ainsi donc, après avoir noté que des déficits existent, encore fallait-il au médecin-arbitre décider de leur incidence sur l’état de la salariée à la date de retour au travail établie par l’employeur. Par contre, il n’a pas privé Mme Goodhand du droit d’être entendue et de soumettre une preuve.
[77] La demande de révision judiciaire doit par conséquent être accueillie afin qu’un médecin-arbitre décide de l’état d’invalidité de Mme Goodhand au 7 octobre 2014 et, le cas échéant, des modalités de son retour au travail.
[78] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[79] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire et en annulation de la décision du médecin-arbitre, le Dr Jean Boileau;
[80] DÉCLARE nulle et de nul effet la décision non datée rendue par ce dernier;
[81] ORDONNE la reprise du processus d’arbitrage médical devant un autre médecin-arbitre,
[82] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ MICHEL YERGEAU, J.C.S. |
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Me Frédéric Tremblay Poudrier, Bradet |
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Avocat des demanderesses |
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Me André Royer |
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M. Raphaël Girard, stagiaire |
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Borden, Ladner, Gervais |
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Avocat du mis-en-cause |
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Date d’audience : |
Le 4 décembre 2015 |
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[1] Pièce D-1.
[2] Convention collective intervenue entre l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS) , 3 avril 2011-31 mars 2015 .
[3] Pièce P-7.
[4] Pièce P-4.
[5] Pièce P-6.
[6] Pièce P-5.
[7] Pièce P-5, en liasse.
[8] Pièce P-7.
[9] Article 30.29, par. 4(2), note infrapaginale 1.
[10] Pièces D-2 et D-3.
[11] Pièce D-2.
[12] Pièce P-1.
[13] Pièce D-7.
[14] Pièce P-12.
[15] Pièce P-8.
[16] Pièce P-4, p. 5.
[17] Pièce P-8, pp.1 et 2.
[18] Pièce P-9.
[19] Pièce P-11.
[20] Ibid.
[21] Article 30.29, al. 3 d).
[22] Pièce P-1, p. 2.
[23] Pièce P-10, p. 14.
[24] La question formulée par les parties réfère à un rapport du 20 octobre 2014 alors que le rapport de M. Crépeau porte la date du 27 octobre 2014 (Pièce P-10, p. 17).
[25]
Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville de)
,
[26]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick
,
[27] Ibid , par. 62 à 64.
[28] Ibid , par. 43.
[29]
Établissement de Mission c. Khela
,
[30]
[31]
Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada
(Procureur général)
,
[32]
[33]
Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail)
,
[2001] 1 R.C.S. 32;
Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la
magistrature)
,
[34] Pièce D-3.
[35] Pièce D-2.
[36] Dans d’autres cas, le médecin-arbitre peut être appelé à décider de la décision de l’Employeur d’exiger de la personne salariée qu’elle effectue ou prolonge une période de réadaptation ou une assignation temporaire. Mais tel n’est pas le cas dans le présent dossier.
[37] Les demanderesses n’ont pas produit au dossier de la cour l’ensemble des documents communiqués au médecin-arbitre. L’employeur n’a pas jugé utile de pallier.
[38] Mémoire des demanderesses, par. 26.
[39] Pièce P-1, p. 8.
[40] Pièce P-4, p. 5.
[41]