COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-1004-9522

Cas :

CQ-2015-2984

 

Référence :

2015 QCCRT 0681

 

Québec, le

17 décembre 2015

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Christian Drolet, juge administratif

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Gilles Bouchard

 

Plaignant

c.

 

Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000,

Syndicat canadien de la fonction publique

Intimé

et

 

Hydro-Québec

 

Mise en cause

 

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DÉCISION

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[1]            Le 13 mai 2015, Gilles Bouchard (le Plaignant ) dépose une plainte en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ), dans laquelle il prétend que le Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (le Syndicat ) a manqué à son devoir de représentation à son égard.

les faits

[2]            Le Plaignant est « Agent propriété immobilière » au sein d’Hydro-Québec ( Hydro ) dans la région du Saguenay.

[3]            À l’été 2010, il pose sa candidature dans le but d’obtenir un poste de « Technicien intermédiaire soutien-génie civil » alors vacant. Il s’agit d’une fonction qui relève d’une autre unité de négociation, mais sur lequel il peut postuler selon les termes de la convention collective qui lui est applicable.

[4]            Les candidats qui satisfont aux exigences de base requises doivent se soumettre à une entrevue visant à mesurer leurs compétences comportementales et pratiques. Ils doivent être en mesure d’effectuer immédiatement toutes les tâches sans formation. La candidature du Plaignant n’est pas retenue, Hydro ne lui reconnaissant pas l’expérience minimale requise. Le poste est finalement attribué à un autre salarié.

[5]           Le 8 décembre 2010, le Plaignant dépose un grief. Il conteste le fait que le poste a été octroyé à un salarié moins ancien que lui. Il réclame la fonction avec pleine compensation financière. Toutes les étapes prévues à la convention collective pour le traitement de ce grief ont été respectées par le Syndicat.

[6]            Le 20 septembre 2012, avant que ne débute l’audience du grief, Hydro reconnaît qu’il possède les exigences de base pour le poste et lui offre de passer l’entrevue. Le Plaignant et son représentant se méfient. Ils craignent que l’entrevue soit biaisée. Après réflexion, le Plaignant accepte de s’y soumettre. Toutefois, il est convenu que l’arbitre demeure saisi du grief dans l’éventualité où le résultat de l’entrevue est négatif. Le Plaignant prétend que la décision de retourner éventuellement devant l’arbitre lui appartient exclusivement selon l’entente intervenue.

[7]            L’entrevue a lieu le 15 janvier 2013. Elle est menée par deux chefs de service et une conseillère en ressources humaines. On utilise le même canevas d’entrevue que celui utilisé pour le salarié ayant obtenu le poste en 2010. Pour obtenir le poste, le Plaignant doit récolter une note minimale de 3 sur 5 pour chacune des compétences comportementales ainsi que pour les connaissances pratiques. Il réussit en ce qui concerne les compétences comportementales, mais échoue au niveau des connaissances pratiques, n’obtenant la note minimale de 3 que pour un seul des neuf éléments évalués. De plus, l’évaluation précise qu’il n’a pas démontré sa connaissance des « Outils informatiques de la spécialité ».On lui refuse le poste.

[8]            Le 23 janvier 2013, le Plaignant demande au Syndicat de poursuivre son grief devant l’arbitre.

[9]            Une nouvelle conseillère syndicale pour la région du Saguenay entre en fonction au mois de mai 2013. Le 10 juillet, elle demande à l’instance provinciale du Syndicat de lui transmettre le dossier du Plaignant pour l’analyser.

[10]         Le 11 juillet, la coordonnatrice provinciale aux griefs transmet un courriel au président du Syndicat pour la région du Saguenay dans lequel elle écrit notamment ce qui suit :

[…]

À la lecture du libellé de grief, je ne vois pas pourquoi il y a une suite à l’arbitrage même si l’entrevue n’a pas été concluante…Elle ne conteste pas une mauvaise entrevue (et il n’y a rien dans la convention qui protège ça - à moins d’une entrevue non-conforme aux règles (endroits, état de santé, etc.)). Je ne connais pas tout le dossier mais d’après il faudrait retirer ce grief si il ne tient qu’au fait que nous voulons poursuivre parce que le membre a fait une plus ou moins bonne entrevue…

[…]

(reproduit tel quel)

[11]         À la réception du dossier du Plaignant, la nouvelle conseillère syndicale contacte son prédécesseur pour connaître sa compréhension de la situation. Elle consulte également les notes d’une autre coordonnatrice syndicale qui a analysé le dossier. Cette dernière mentionne que le Plaignant «  Doit être immédiatement en mesure d’effectuer les tâches (car n’a pas de formation)  ». Elle ajoute que la jurisprudence est très claire sur ce point. Des extraits de sentences arbitrales à cet effet impliquant Hydro et le Syndicat sont annexés.

[12]         Par la suite, la conseillère demande à Hydro une copie du « Tableau synthèse des résultats de l’entrevue » du 15 janvier 2013. Elle rencontre le Plaignant et revoit avec lui tous les points de ce tableau. Elle lui demande s’il est apte à occuper immédiatement le poste. Selon elle, il admet avoir besoin « de formation informatique et procédurale ». Le Plaignant parle plutôt d’un besoin « de mise à niveau ».

[13]         Le Plaignant reconnaît que le résultat de l’entrevue est négatif. Il prétend toutefois que l’entrevue était biaisée, qu’elle a portée sur certains éléments non pertinents. Il affirme posséder toutes les exigences du poste.

[14]         La conseillère, compte tenu du résultat de l’entrevue et du besoin de formation du Plaignant, conclut qu’il n’est pas en mesure d’occuper immédiatement le poste et recommande l’abandon du grief. Le conseil exécutif régional du Saguenay accepte cette recommandation et le Plaignant est informé du retrait du grief en mars 2015, d’où la présente plainte.

l’analyse et les motifs

le droit et les principes applicables

[15]         Le devoir de juste représentation qui incombe au Syndicat est prévu à l’article 47.2 du Code qui se lit comme suit :

47.2.       Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

[16]         La jurisprudence enseigne qu’il s’agit d’une obligation de moyens, c'est-à-dire qu’un syndicat doit prendre des mesures raisonnables pour protéger les droits du salarié, en tenant compte des circonstances particulières de chaque cas ( Landucci c. Alliance des professeures et professeurs de Montréal , 2005 QCCRT 0671 ).

[17]         C’est le salarié qui doit établir, par une preuve prépondérante, que le syndicat a manqué à son devoir de représentation ( Habib c. Comité des travailleurs(euses) du textile, Lamour inc. (C.T.T.T.) , 2006 QCCRT 0475 ).

[18]         Par ailleurs, un salarié n’a pas un droit absolu à la procédure d’arbitrage puisqu’un syndicat jouit d’une certaine latitude pour décider d’y recourir. La Cour suprême s’exprime comme suit à cet égard dans l’affaire Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon , [1984] 1 R.C.S. 509 , à la page 527 :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

1.     Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2.     Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable .

3.     Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4.     La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5.     La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié .

(caractères gras ajoutés)

[19]         Dans la décision Habib précitée, la Commission résume comme suit l’analyse faite par la Cour suprême des quatre comportements interdits par l’article 47.2  du Code :

[24]      La Cour suprême explique les quatre comportements interdits par l’article 47.2 dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James [2001] 2 R.C.S. 207 , aux paragraphes 46 à 55. La mauvaise foi «  suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile  ». Le comportement discriminatoire comprend «  toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie  ». La mauvaise foi et la discrimination impliquent un comportement vexatoire de la part du syndicat.

[25]      Dans le cas de l’arbitraire et de la négligence grave, même sans intention malicieuse, les actes de l’association ne doivent pas dépasser «  les limites de la discrétion raisonnablement exercée  ». Au sujet de l’arbitraire, une association ne peut pas traiter une plainte d’un salarié «  de façon superficielle ou inattentive  ». L’association doit faire une enquête . Elle doit «  examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation  ». L’association jouit d’une discrétion importante au sujet de la forme et de l’intensité de ses démarches .

[26]      La négligence grave comprend une «  faute grossière dans le traitement d’un grief  ». Cependant, l’article 47.2 n’impose pas une norme de perfection. L’analyse du comportement syndical peut tenir compte des facteurs suivants : les ressources disponibles; l’expérience et la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non-juristes; les priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation; l’importance du grief pour le salarié; les chances de succès du grief; l’intérêt concurrent des autres salariés dans l’unité de négociation.

(caractères gras ajoutés)

[20]         En ce qui concerne l’analyse par la Commission des chances de succès d’un grief, la Cour d’appel écrit ce qui suit dans Benedetti c. Syndicat des chargés et chargées de cours de l’UQAM (CSN) , 2013 QCCA 2088  :

[29]      Tout d’abord, on ne peut pas reprocher ici à la Commission d’avoir usurpé la fonction de l’arbitre de grief. Il était naturel que le commissaire examine les chances de succès du grief, puisqu’il aurait été inutile de renvoyer à l’arbitrage, en vertu de l’article 47.5 C.t ., un grief voué à l’échec, sans compter que les chances de succès ou d’insuccès du grief sont à considérer dans l’appréciation du comportement de l’intimé aux fins de l’art. 47.2. (…)

(caractères gras ajoutés)

[21]         Les auteurs Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE, Dominic ROUX et Jean-Pierre VILLAGGI, dans Le droit de l’emploi au Québec, 4 e éd., Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 2010, p. 1587, vont même plus loin :

(…)  En effet, pour obtenir une telle compensation, le salarié devra, selon nous, non seulement démontrer qu’il y a eu contravention à l’art. 47.2 C.t., mais également que son grief était bien fondé sur le fond. En effet, on ne peut prétendre à réparation que dans la mesure où il y a eu perte d’un droit effectif et non purement hypothétique. (…).

(Caractères gras ajoutés)

application des principes aux faits

[22]         Dans le présent dossier, la preuve ne permet pas de conclure que le Syndicat a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ou qu’il a fait preuve de négligence grave à l’endroit du Plaignant, et ce, pour les motifs qui suivent.

[23]         Le 8 décembre 2010, un grief est déposé dans le but de contester le fait que la candidature du Plaignant pour le poste de « Technicien intermédiaire soutien-génie civil » a été écartée.

[24]         Le Syndicat a, par la suite, suivi toutes les étapes prévues à la convention collective pour le traitement de ce grief.

[25]         Le Syndicat a préparé le dossier en vue de l’audience devant l’arbitre désigné pour en disposer.

[26]         Hydro fait droit partiellement au grief en reconnaissant que le Plaignant possède les exigences de base pour le poste. Le Plaignant doit toutefois se soumettre au processus d’entrevue en vigueur au sein de l’entreprise, ce qu’il accepte. Il est convenu que l’arbitre demeure saisi du grief si le Plaignant n’obtient pas le poste.

[27]         L’entrevue, qui a lieu le 15 janvier 2013, laisse voir plusieurs faiblesses au niveau des connaissances pratiques et informatiques. Hydro lui refuse le poste.

[28]         Jusqu’à ce moment, le Syndicat n’a commis aucun manquement à son devoir de représentation, le grief est toujours actif.

[29]         Le Plaignant demande au Syndicat de saisir de nouveau l’arbitre du grief. Il prétend que cette décision ne relève que de lui. La Commission ne partage pas ce point de vue. Le grief appartient au Syndicat qui, pour des motifs raisonnables, peut prendre la décision de le retirer malgré l’opposition du salarié.

[30]         Le Syndicat possède un monopole de représentation de ses membres. Reconnaître, comme le veut le Plaignant, qu’un salarié puisse, sur la base de son seul désir, forcer un syndicat à procéder à l’arbitrage d’un grief porterait atteinte à ce monopole. De plus, le Syndicat assume seul les coûts reliés à un arbitrage et il a la responsabilité de gérer de façon responsable les cotisations syndicales qu’il perçoit. Cette prétention ne peut être retenue en l’absence d’une disposition contenue dans la convention collective ou dans les statuts du Syndicat. 

Le Syndicat a-t-il manqué à son devoir de représentation en décidant de retirer le grief?

[31]         La nouvelle conseillère syndicale en poste depuis mai 2013 se saisit du dossier. Elle consulte son prédécesseur. Elle constate que deux coordonnatrices s’interrogent sur le bien-fondé du grief, dont l’une a fait une analyse complète du dossier.

[32]         Malgré cela, elle entreprend une démarche pour obtenir le « Tableau synthèse des résultats de l’entrevue » qu’elle analyse point par point avec le Plaignant. Ce dernier prétend que l’entrevue a été biaisée, qu’elle a porté sur certains éléments non pertinents. Pourtant, le canevas d’entrevue utilisé est le même que celui utilisé lors de l’octroi du poste et rien ne permet de conclure que l’entrevue a été menée d’une manière différente.

[33]         Elle demande au Plaignant s’il est apte à occuper immédiatement le poste, ce à quoi il répond avoir besoin de formation informatique et procédurale selon elle. Le Plaignant parle plutôt d’une mise à niveau. La Commission accorde foi au témoignage de la conseillère étant donné que sa version concorde avec le résultat de l’entrevue voulant que le Plaignant n’a pas démontré une connaissance des outils informatiques de la spécialité.

[34]         Les résultats de l’entrevue et le besoin de formation admis par le Plaignant sont des éléments suffisants pour conclure qu’il n’est pas en mesure d’occuper immédiatement le poste, exigence reconnue par des sentences arbitrales impliquant Hydro et le Syndicat.

[35]         Dans ce contexte, la conseillère syndicale était justifiée de conclure que le grief était voué à l’échec et recommander son retrait.

[36]         Elle a fait une analyse sérieuse du dossier et a procédé à un complément d’enquête dans le but de s’assurer que l’opinion déjà émise par deux coordonnatrices était raisonnable. Sa conclusion repose sur des éléments objectifs suffisants.

[37]         Le Syndicat n’a pas traité la réclamation du Plaignant de façon superficielle ou inattentive et il n’a pas agi de manière arbitraire. Le Plaignant n’a pas assumé le fardeau de preuve qui lui incombait. Sa plainte doit être rejetée.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la plainte  

 

 

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Christian Drolet

 

M me Anny Gilbert

Représentante de l’intimé

 

M e Daniel Descôtes

Représentant de la mise en cause

 

Date de l’audience :

18 novembre 2015

 

/cl