Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 10 décembre 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 12311

Dossier  : SAS-Q-209719-1506

Devant le juge administratif :

LINA BISSON-JOLIN

 

C… B…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]               Le requérant conteste une décision rendue par l'intimée, la Société de l'assurance automobile du Québec, le 15 mai 2015, concluant à un comportement envers la consommation d'alcool ou de drogue à risque pour la sécurité routière.

[2]               Cette décision énonce également les conditions requises pour l'obtention d'un nouveau permis, à savoir :

Ø    Se soumettre à un examen médical et faire parvenir le formulaire dûment rempli et signé par son médecin;

Ø    Se soumettre à une évaluation complète auprès d’un centre reconnu par l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (A.C.R.D.Q.);

Ø    Lors de l’obtention du nouveau permis, l'obligation de munir son véhicule d'un dispositif détecteur d'alcool pour une période d'un an, indépendamment de toute autre période d'utilisation d'un tel dispositif lié à un permis restreint ou assorti de la condition I.

 

[3]               Le Tribunal a pris connaissance de l’ensemble de la preuve documentaire dont il retient ce qui suit.

[4]               Le requérant est âgé de 45 ans.

[5]               Le 5 juillet 2012, il est reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies (article 253 (1)a) du Code criminel ) des suites d’une infraction commise le 18 décembre 2011.

[6]               Son permis de conduire est révoqué en conséquence, tel que prescrit à l’article 180 du Code de la sécurité routière [1] avec la possibilité cependant d’obtenir un permis restreint, c’est-à-dire assorti de l’obligation de munir son véhicule d’un anti-démarreur, d’en assumer les frais et de se conformer aux modalités prévues, à compter du 5 octobre 2012.

[7]               Le requérant doit également se soumettre aux conditions édictées aux articles 76 et 76.1.2 du Code de la sécurité routière précité et ci-après libellés :

«  76.  Sous réserve de l'article 76.1.1, aucun permis ne peut être délivré à une personne dont le permis a été révoqué ou dont le droit d'en obtenir un a été suspendu à la suite d'une déclaration de culpabilité pour une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), visée à l'article 180 du présent code, avant l'expiration d'une période d'une, de trois ou de cinq années consécutive à la date de la révocation ou de la suspension selon que, au cours des 10 années précédant cette révocation ou cette suspension, elle s'est vu imposer aucune, une seule ou plus d'une révocation ou suspension en vertu de cet article.

Si la déclaration de culpabilité est suivie d'une ordonnance d'interdiction de conduire prononcée en vertu des paragraphes 1, 2 et 3.1 à 3.4 de l'article 259 du Code criminel pour une période plus longue que celle applicable en vertu du premier alinéa, la période alors applicable sera égale à celle établie dans l'ordonnance. »

«  76.1.2. Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool et que la personne n'est pas visée à l'article 76.1.4, elle doit, pour obtenir un nouveau permis, établir que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe de permis demandée.

La personne doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa :

1° au moyen d'une évaluation sommaire, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool;

2° au moyen d'une évaluation complète, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle s'est vu imposer au moins une révocation ou suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool.

La personne qui échoue l'évaluation sommaire doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa au moyen d'une évaluation complète.

La personne qui réussit l'évaluation sommaire doit, après avoir payé à la Société les droits afférents, suivre avec succès un programme d'éducation reconnu par le ministre des Transports et destiné à sensibiliser les conducteurs aux problèmes de la consommation d'alcool ou de drogue. »

[8]               Le 8 mai 2015, le requérant se soumet à l’évaluation sommaire effectuée par l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (A.C.R.D.Q.).

[9]               L’évaluatrice, madame Catherine Gagnon, docteure en psychologie, émet une recommandation défavorable tel qu’il appert de son rapport daté du 8 mai 2015, d’où la décision en litige, objet du présent recours.

[10]            L’évaluatrice motive ainsi son opinion :

« […]

Nous avons soumis monsieur B. aux diverses épreuves actuellement autorisées par le protocole d'évaluation. Le résultat de cette évaluation s'appuie sur l'analyse des informations qui ont été recueillies lors d'une entrevue structurée, de la passation de questionnaires autorévélés, des renseignements relatifs au dossier de conduite et le rapport d'expertise en toxicologie. Le sens de la recommandation formulée s'appuie sur un cumul d'éléments qui sont associés au risque de conduite avec les facultés affaiblies.

Dans le cas présent, le cumul de facteurs de risque retrouvés chez monsieur atteint le seuil de risque significatif.

D'abord, les données sociodémographiques de monsieur, soit son état civil et son niveau de scolarité, sont davantage représentées parmi les échantillons de récidivistes.

Par ailleurs, en ce qui concerne ses habitudes de consommation d'alcool et de drogues, une analyse détaillée de ses réponses aux questionnaires met en évidence des conséquences négatives par rapport à ses habitudes de consommation passées.

Ensuite, au niveau de son dossier de conduite, monsieur a déjà été arrêté à deux autres reprises pour conduite avec les capacités affaiblies dans sa vie et il a déjà été condamné pour d'autres infractions au Code criminel liées à la conduite dans sa vie.

De plus, les résultats obtenus par les différents questionnaires mettent en évidence la présence d'un risque de récidive potentielle en ce sens que monsieur démontre un risque de récidive relié à ses attitudes, intentions, comportements et cognitions envers la conduite avec l'alcool. A cet effet, les réponses de monsieur à un sous-questionnaire qui permet d'évaluer le risque de récidive chez les contrevenants mènent à détecter qu'il présente un risque de conduite avec les facultés affaiblies dans le futur.

Enfin, la présence de drogue dans l'urine au moment de l'arrestation est également un facteur aggravant contribuant au résultat de l'évaluation.

Tous les éléments précédemment décrits sont associés à un risque accru de récidive pour la conduite avec les facultés affaiblies selon le protocole d'évaluation.

Compte tenu de l'information obtenue au terme de l'évaluation sommaire et des résultats qui en découlent, monsieur C. B. présente un risque significatif de récidive.

Par conséquent, nous sommes d'avis que son rapport aux drogues et à l'alcool est incompatible avec la conduite sécuritaire d'un véhicule routier.

[…] »

[11]            Tous les documents relatifs à l’évaluation sommaire ont été déposés à l’audience par la représentante de l’intimée, incluant copie au requérant, assortis d’une ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion, conformément à l’application de l’article 131 de la Loi sur la justice administrative [2] .

[12]            Le requérant a été soumis au protocole en vigueur depuis le 1 er juillet 2012, incluant l’entrevue initiale explicative, une entrevue structurée et divers tests auto-administrés.

[13]            L’évaluation comprend dix facteurs de risque et le cumul de trois de ces facteurs entraîne une recommandation défavorable.

[14]            Le requérant a cumulé six facteurs se détaillant comme suit :

Ø    Facteur A, relatif aux données générales et démographiques, le requérant ayant totalisé […] pour un total admissible de […] en raison de son niveau de scolarité inférieur à un secondaire V et de son statut, soit celui de célibataire;

Ø    Facteur B, relatif aux problèmes reliés à l’alcool, le requérant ayant cumulé […] pour une cotation admissible de […];

Ø    Facteur E, relatif aux habitudes de consommation de drogues illégales ou de médicaments hors posologie médicale, le requérant ayant cumulé […] pour un total admissible de […];

Ø    Facteur H, relatif aux infractions au Code de la sécurité routière , le requérant cotant cinq en raison d’infractions antérieures de conduite avec facultés affaiblies ou autre infraction au Code criminel , ce qui cote […] pour un total admissible de […];

Ø    Facteur I, relatif aux risques liés aux attitudes, intentions, comportements et cognition, le requérant ayant cumulé […] aux différents tests pour un total admissible de […];

Ø    Facteur K, relatif à la présence de drogue dans l’organisme au moment de l’arrestation, ce qui cote […], pour un total admissible de […].

[15]            L’évaluatrice n’était pas présente à l’audience, mais ni sa compétence ni les données factuelles colligées au rapport d’évaluation n’ont été remises en cause.

[16]            Le requérant soumet plutôt contester l’évaluation.

[17]            À son avis, ce n’est pas le bon instrument pour mesurer si oui ou non il représente un risque.

[18]            Le fait d’admettre ses torts devraient constituer un élément en sa faveur ainsi que le fait qu’il ait plaidé coupable pour conduite avec facultés affaiblies.

[19]            Par ailleurs, il souligne qu’il est sobre depuis 47 mois, ce qui démontre sa bonne volonté et sa capacité.

 

[20]            Disposant du présent litige, le Tribunal rappelle qu’il doit décider en fonction du droit applicable.

[21]            Or, les articles 76 et 76.1.2 du Code de la sécurité routière précité énoncent les conditions requises pour l’obtention d’un nouveau permis de conduire dans les cas de sentence pour conduite avec facultés affaiblies.

[22]            Ces conditions sont explicites et impératives, dont l’obligation de se soumettre à l’évaluation sommaire et à l’évaluation complète en cas d’échec de celle-ci.

[23]            L’évaluation sommaire, convient-il de rappeler, n’a pas comme finalité de vérifier si le requérant présente encore un problème de drogue ou d’alcool, mais d’évaluer les niveaux de risque de récidive de conduite avec facultés affaiblies.

[24]            Cette évaluation comprend une entrevue sommaire structurée ainsi que divers tests standardisés élaborés par une équipe d’expert en la matière.

[25]            Le rôle du Tribunal n’est pas de réformer les tests ou de modifier le processus, mais simplement de vérifier si l’évaluation sommaire a été administrée par une personne ayant la compétence requise, si toutes les étapes du processus ont été suivies, si les données factuelles y colligées sont dûment rapportées et si le requérant a effectivement reçu les informations nécessaires afin de compléter adéquatement les divers tests.

[26]            En l’espèce, aucune preuve n’a été soumise démontrant quelque lacune que ce soit à cet égard.

[27]            Le requérant lui-même d’ailleurs ne remet pas en cause la compétence de l’évaluatrice ni le mode d’administration du processus.

[28]            Certains facteurs font l’objet de contestation devant les tribunaux supérieurs dont notamment le facteur A, ce qui ne saurait avoir d’incidence sur le présent litige, considérant que le requérant, si l’on excluait ce facteur, cumulerait tout de même cinq facteurs, ce qui est encore supérieur au minimum acceptable de deux.

[29]            De plus, rappelle le Tribunal, certaines questions à divers tests ont pu causer problème au requérant, mais là encore ce n’est pas significatif compte tenu du nombre élevé de réponses prises en cause.

[30]            Le requérant a produit tous ses rapports d’éthylomètre démontrant l’absence d’échec depuis le début du programme.

[31]            La sobriété du requérant est tout à son honneur, mais ne peut être prise en considération isolément.

[32]            Cet élément, tel que représenté par la procureure de l’intimée, ne suffit pas à modifier la présente décision, mais il en a été tenu compte dans l’étude de certains facteurs dont D et J où le requérant effectivement n’a pas coté.

[33]            Enfin, l’échec du requérant à trois facteurs et plus a, à bon droit, conduit à une recommandation défavorable, recommandation motivée à la satisfaction du Tribunal.


PAR CES MOTIFS , EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL :

REJETTE le recours;

ORDONNE la non-divulgation, non-publication et non-diffusion des renseignements contenus dans les documents relatifs à l’évaluation sommaire qui avait pour effet de révéler le contenu des tests et des résultats pondérés de l’évaluation, à l’exception de l’avis d’un professionnel de la santé ou d’un autre professionnel que la Société a désigné nommément ou d’une personne autorisée par un Centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres toxicomanes.


 

 

LINA BISSON-JOLIN, j.a.t.a.q. [3]

 


 

Dussault, Mayrand

Me Myrna Germanos

Avocate de la partie intimée


 



[1] RLRQ, chapitre C-24.2.

[2] RLRQ, chapitre J-3.

[3] Le Tribunal a autorisé une réduction du quorum à un seul membre, par ordonnance rendue en vertu de l’article 82 , alinéa 3 de la Loi sur la justice administrative .