9264-7551 Québec inc. c. Développements Lamaco ltée

2015 QCCS 6034

JG-1462

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D’IBERVILLE

 

N° :

755-17-001966-145

 

 

 

 

DATE :

le 4 décembre 2015

 

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE PIERRE-C. GAGNON, J.C.S.

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9264-7551 QUÉBEC INC.

Demanderesse

c.

LES DÉVELOPPEMENTS LAMACO LTÉE

Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]            La demanderesse est une agence immobilière faisant affaires sous la raison sociale Re/Max du Haut-Richelieu C.L. Son âme dirigeante est le courtier Cédric Lebeau.

[2]            La défenderesse est un promoteur immobilier dont l’âme dirigeante est M. Gilles Malenfant, ingénieur de formation.

[3]            Dans le présent jugement, par commodité, il sera référé à « Re/Max du Haut - Richelieu » et à « Développements Lamaco ».

[4]            Re/Max du Haut-Richelieu réclame paiement d’une commission de courtage de 74 733,75 $. Développements Lamaco soutient ne rien devoir.

[5]            Le litige concerne la vente d’un terrain vague d’environ quatre hectares situé dans la Municipalité de Mont-Saint-Grégoire (« la Municipalité »), en 2014.

[6]            Pour trancher ce litige, le Tribunal doit essentiellement retenir, quant à certains faits controversés, la version de M. Cédric Lebeau ou celle de M. Gilles Malenfant.

[7]            Autrement dit, le sort du litige dépend largement de la crédibilité (volonté de dire la vérité) et de la fiabilité (capacité de se souvenir exactement) des témoignages.

[8]            Avant d’analyser les éléments controversés de la preuve, ce jugement résume tout d’abord les faits au sujet desquels les deux parties sont d’accord.

A.         LES ÉLÉMENTS NON CONTROVERSÉS DE LA PREUVE

[9]            De longue date, Développements Lamaco est propriétaire d’un terrain vague situé à Mont-Saint-Grégoire. Il est situé à l’extrémité nord-ouest de la rue Marcel-Harbour, aux limites d’un quartier résidentiel.

[10]         Développements Lamaco projette de lotir ce terrain une vingtaine de parcelles [1] sur lesquelles ériger des résidences, en prolongeant la rue Marcel-Harbour.

[11]         M. Malenfant est également propriétaire, à peu de distance, d’un deuxième terrain vague, plus petit (80 292,6 mètres carrés [2] ).

[12]         Au début de 2014, le projet de développement est bloqué de longue date, en raison d’un problème environnemental.

[13]         Ainsi, le 6 mai 2008, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (le « MDDEP ») a écrit à la Municipalité et à Développements Lamaco, pour confirmer le refus d’autoriser le prolongement des réseaux d’égouts sur la rue Marcel-Harbour [3] . C’est qu’il faudrait pour cela creuser un fossé dans un milieu humide, ce qui contreviendrait à la Loi sur la qualité de l’environnement [4] .

[14]         M. Malenfant a tente depuis 2008 de ramener son projet sur les rails, notamment en 2012, quand il se heurte au conseil municipal de la Municipalité, qui refuse de reprendre les discussions [5] .

[15]         Selon la directrice générale de la Municipalité, Mme Christiane Pouliot, la balle est dès lors dans le camp de Développements Lamaco, qui doit produire au MDDEP des documents essentiels en vue de réactiver la demande de permis.

[16]         Développements Lamaco est endettée envers le Mouvement Desjardins (plus précisément, le Centre financier pour entreprises Haut-Richelieu-Yamaska, situé à Saint-Jean-sur-Richelieu, ou « CFE »), à hauteur d’environ 750 000 $. L’emprunt est en souffrance, et M. Malenfant a dû renégocier pour reporter les échéances, sans toutefois que le CFE le déclare en défaut.

[17]         Au début de 2014, des promotions surviennent au CFE. M. Éric Leblanc, muté de Granby, devient responsable du compte de Développements Lamaco.

[18]         M. Malenfant a beau lui dire qu’il s’apprête à solutionner l’impasse à Mont-Saint-Grégoire, M. Leblanc commence à faire pression pour que Développements Lamaco vende les terrains et rembourse l’emprunt.

[19]         M. Leblanc connaît vaguement le courtier immobilier Lebeau, qu’il a rencontré «  à l’école  », puis perdu de vue «  pendant 15 ans  ».

[20]         M. Leblanc recommande à M. Malenfant de cesser de se débrouiller seul et de donner mandat à un courtier commercial. Il réfère M. Malenfant à M. Lebeau. Il avise M. Lebeau de cette référence.

[21]         M. Lebeau comprend de M. Leblanc que le CFE cherche à provoquer une vente rapide puis un remboursement, plutôt que de déclarer Développements Lamaco en défaut.

[22]         Au début, M. Lebeau se rend à la résidence de M. Malenfant à Mont Saint-Grégoire. Leur première rencontre dure environ une heure. L’épouse de M. Malenfant (Alberte Labrie) participe par moments à cette rencontre.

[23]         Alors, M. Malenfant relate longuement sa vision des choses. Il cherche à surmonter le refus par le MDDEP de lui délivrer un permis et l’inertie de la Municipalité. M. Lebeau offre de mettre un avocat à contribution pour chercher des solutions en ce sens.

[24]         Une semaine plus tard, une deuxième rencontre a lieu, cette fois-ci au bureau de Re/Max du Haut-Richelieu, à Saint-Jean-sur-Richelieu. L’avocate Marie-Ève Charrette, mandatée par M. Lebeau, prend part à la discussion.

[25]         À la même époque, M. Lebeau contacte Mme Pouliot, directrice générale de la Municipalité, qui lui donne sa version de la problématique avec le MDDEP.

[26]         M. Lebeau se sert des renseignements ainsi obtenus pour insister auprès de M. Malenfant que sa meilleure option consiste à trouver rapidement un acheteur à qui tout vendre.

[27]         Le 27 février 2014, les deux parties signent le contrat de courtage exclusif [6] .

[28]         Le contrat de courtage énonce initialement que le mandat se termine le 31 décembre 2014 (clause 2.1). Cependant, à une date ultérieure mal précisée, M. Malenfant se plaint que la date véritablement convenue est le 31 mai 2014. M. Lebeau, alors confiant d’avoir trouvé un acheteur, accepte de modifier la date d’expiration pour le 31 mai 2014, tel qu’il appert de ses initiales à la clause 2.1 [7] .

[29]         Le prix de la vente demandé est de 1 300 000 $ (clause 4.1).

[30]         La clause 7 traite de la rétribution du courrier. En principe, la commission est de 5% du prix fixé pour la vente. Par exception, si un acte volontaire du vendeur empêche la libre exécution du contrat, la commission est alors de 5% du prix de vente demandé (1 300 000$). Autre exception, la commission est de 5% du prix de vente demandé advenant toute opération sur le capital-actions du vendeur.

[31]         La clause 8.4 du contrat énonce certaines déclarations du vendeur. Ainsi, Développements Lamaco déclare que l’immeuble :

·         est conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l’environnement;

·         n’est pas desservi par des services d’aqueduc et d’égout («  À faire  »);

·         n’est pas raccordé à des services d’électricité et/ou de gaz naturel («  À faire  »);

[32]         Le contrat de courtage comporte une clause particulière :

11.1 Si M. Réjean Clermont ou cie qu’il représente achète le terrain pour moins de 900 000$ un montant de 1 000$ sera payé à Cédric Lebeau CTR immobilier au lieu de 5%.

[33]         Le caractère exclusif du contrat de courtage est d’une part, reflété par son titre « Contrat de courtage exclusif - vente d’immeuble » et d’autre part, énoncé à la clause 8.5 :

8.5 Le vendeur s’engage, pendant la durée du contrat, à ne pas, directement ou indirectement :

1) offrir l’immeuble en vente par lui-même ou par l’intermédiaire d’une autre personne que l’Agence ou le courtier;

2) devenir partie à une entente visant la vente, l’échange ou la location de l’immeuble sans l’intermédiaire de l’Agence ou du courtier.

[34]         Le 4 mars 2014, M. Malenfant transmet à M. Lebeau un courriel [8] où il écrit : «  Tu trouveras ci-joint les plans de GÉNIPUR en format PDF  ».

[35]         Génipur est la firme d’ingénieurs qui a dessiné les plans des réseaux d’aqueduc et d’égout pris en compte par le MDDEP quand celui-ci a refusé d’autoriser les travaux.

[36]         Cette transmission de documents est censée mettre fin à un malentendu, qui n’a aucune incidence sur la solution du litige, mais qui a contribué à miner la bonne entente entre les parties. En effet, quant M. Malenfant affirme que «  les deux services sont rendus  », il réfère aux égouts pluvial et sanitaire, alors que M. Lebeau croit qu’il s’agit de l’aqueduc et des égouts. Or, il n’y a pas d’aqueduc dans le secteur et l’eau s’obtient en creusant des puits.

[37]         Le même courriel évoque des discussions futures avec la Municipalité et le recours à un estimateur (du coût du prolongement des services).

[38]         Le 11 mars 2014, M. Lebeau obtient une promesse d’achat [9] au montant de 900 000$ de la part de «  Yves Sirois et/ou cie à être créé(e)  ».

[39]         Cette première promesse d’achat est sujette à la condition suivante :

12.1 L’acheteur disposera d’une période de diligence de 60 jours suivant l’acceptation des présentes : pour effectuer toute(s) les vérifications nécessaires : de règlements de zonage, plans, études de sol, fa(i)sabilité de la rue et des services d’aqueduc et d’égouts, etc. L’acheteur suite aux vérifications pourra aviser le vendeur par écrit qu’il rend la promesse d’achat ferme et finale ou nulle et non avenue.

[40]         Cette promesse d’achat expire le 14 mars 2014 à 12 h (clause 14).

[41]         Le 13 mars 2014, Développements Lamaco signe une contre-proposition [10] par laquelle le prix reste celui de « la clause 4.1 » (900 000$) en précisant :

P.2.3.4 Le vendeur déclare que la ville fourni(t) l’égout sanitaire et pluvial et non (l’aqueduc). Des puits devront être creusé(s) pour l’eau.

[42]         Cette contre-proposition expire le 18 mars 2014 à 21 h.

[43]         Le délai du 18 mars 2014 survient sans réaction officielle de M. Sirois.

[44]         Cependant, le 23 mars 2014 à 12 h, M. Sirois signe une nouvelle contre-proposition [11] , en vigueur jusqu’à 21 h le 27 mars 2014, à laquelle est jointe une Annexe G énonçant longuement les nouvelles conditions de l’acheteur.

[45]         Voici les faits saillants de l’Annexe G :

·         le prix de 1 300 000$ n’est plus contesté, mais un montant de 400 000$ doit être conservé en fidéicommis par le notaire instrumentant à même le prix de vente;

·         les parties doivent s’entendre que, pour chaque terrain, le coût d’installation d’un puits est estimé à 10 000$;

·         le montant en fidéicommis doit servir à dédommager M. Sirois dès que, pour un terrain donné, le montant des factures pour telle installation excède 10 000$;

·         Développements Lamaco doit s’engager à racheter, au prix de 2,50$ le pied carré, chaque terrain où il s’avérerait impossible de trouver de l’eau;

[46]         Dès le 23 mars 2014, MM. Malenfant et Lebeau se rencontrent au bureau de Re/Max Haut-Richelieu. M. Malenfant se déclare en désaccord avec les nouvelles conditions de M. Sirois. Il quitte par contre avec une copie de la contre-proposition P-8.

[47]         Durant les jours suivants, M. Lebeau tente de relancer M. Malenfant par téléphone, sans parvenir à le rejoindre. Il lui envoie des courriels les 7, 15 et 16 avril 2014 [12] , auxquels M. Malenfant ne répond pas.

[48]         Chaque fois, M. Lebeau met en copie courriel M. Leblanc du CFE.

[49]         Le 16 mai 2014, les avocats de Re/Max Haut-Richelieu font signifier par huissier une mise en demeure [13] qui reproche à Développements Lamaco d’agir

volontairement et intentionnellement dans le but d’empêcher la libre exécution du contrat de courtage vous liant à notre cliente.

[50]         Les avocats ajoutent détenir des informations indiquant que

vous tentez personnellement de vendre les terrains en question, et ce, à l’insu de notre cliente et de son représentant, allant ainsi à l’encontre des termes du contrat de courtage exclusif.

[51]         Les avocats réclament dès ce moment paiement à Re/Max Haut-Richelieu de 74 733,75 $, soit 5% de 1 300 000 $.

[52]         Le lendemain, 21 mai 2014, M. Malenfant transmet un courriel [14] indiquant simplement :

M. Lebeau,

Nous tenons à vous rassurer du fait que la compagnie Les Développements LAMACO Ltée a toujours eu l’intention de respecter le contrat de courtage signé avec Remax et ce jusqu’à l’échéance du 31 mai 2014.

Nous vous rappelons que nous sommes toujours dans l’attente d’une proposition au montant de 1 300 000 $ tel que promis à la signature du contrat de courtage.

[53]         Le 28 mai 2014, M. Lebeau réagit en transmettant un courriel [15] indiquant à M. et Mme Malenfant qu’il détient une nouvelle promesse d’achat de M. Sirois à leur présenter.

[54]         Ce même 28 mai 2014, les avocats de Développements Lamaco écrivent et

·         exposent en quoi la contre-proposition P-8 de M. Sirois est inacceptable;

·         reprochent à M. Lebeau de s’informer auprès de la Municipalité et du CFE, pour «  tenter de faire mauvaise presse ou encore d’exercer une pression indue sur notre cliente  »;

·         nient que Développements Lamaco tente en parallèle de vendre les terrains;

·         annoncent une vive contestation de la réclamation.

[55]         Toujours le 28 mai 2014, M. Malenfant demande [16] qu’on transmette à ses avocats la nouvelle offre de M. Sirois mentionnée dans le courriel P-11.

[56]         Dans un courriel du vendredi 30 mai 2014 [17] , les avocats de Re/Max Haut-Richelieu réitèrent leur vision de la controverse à ceux de Développements Lamaco.

[57]         Le récit prend une autre tournure à partir du lundi suivant.

[58]         Le 2 juin 2014, au CFE, M. Leblanc reçoit de M. Malenfant, par télécopieur, un projet d’offre d’achat d’actions à M. Malenfant et à son épouse Alberte Labrie par 9134-6890 Québec inc. et Gestion LPM Bourget inc., qui ne comporte aucune signature ni par les acheteurs ni par les vendeurs [18] .

[59]         9134-6890 Québec inc. est représentée par M. Réjean Clermont, et l’autre société par M. Pierre-André Bourget.

[60]         Pour rappel, M. Réjean Clermont est mentionné à la clause particulière 11.1 du contrat de courtage P-5/D-4 (clause de réduction de la commission).

[61]         La clause 7.1 stipule que cette offre d’achat expire le 1 er juin 2014 à 12 h. Il est par ailleurs prévu que l’offrant signe à une date en mai 2014 (laissée en blanc, par contre).

[62]         Le 2 juillet 2014, intervient une convention de vente d’actions [19] entre Gilles Malenfant et Alberte Labrie, d’une part et 9305-4418 Québec in., d’autre part.

[63]         9305-4418 Québec inc. est une autre société contrôlée par M. Réjean Clermont.

[64]         Juste auparavant, soit le 26 juin 2014, M. Malenfant a vendu à Développements Lamaco le petit terrain distinct dont il était jusque-là propriétaire, pour l’englober dans la vente d’actions [20] .

B.         LES ÉLÉMENTS CONTROVERSÉS DANS LA PREUVE

[65]         Tel que déjà mentionné, une des fonctions de ce jugement consiste à identifier la version des faits la plus vraisemblable en cas de contradictions dans la preuve.

[66]         Les contradictions majeures dans la preuve sont les suivantes :

·         le possible engagement par le courtier Lebeau d’obtenir des offres d’au moins 1 300 000 $;

·         les interactions entre MM. Malenfant et Clermont durant le mois de mai 2014.

B.1       Le prix de vente acceptable

[67]         M. Malenfant témoigne en vue de convaincre qu’il était un client inexpérimenté, influençable et vulnérable, que M. Lebeau aurait manipulé en vue de l’induire à vendre à un prix bien en deçà du «  prix promis  », soit 1 300 000 $.

[68]         La thèse de M. Malenfant ne s’insère pas de façon convaincante dans la trame des faits non controversés.

[69]         M. Malenfant a 74 ans au moment du procès. Il avait 73 ans en 2014. De longue date, il est membre de l’Ordre des ingénieurs et promoteur immobilier. Ce n’est pas un néophyte dans le domaine de l’immobilier. Il parait en pleine possession de ses capacités intellectuelles.

[70]         Il n’est pas crédible quand il témoigne que, par divers subterfuges, M. Lebeau l’a incité à signer le contrat de courtage puis des contre-propositions qui desservaient les véritables intérêts de Développements Lamaco.

[71]         De l’ensemble de la preuve, le Tribunal infère que, en tout temps, M. Malenfant savait très bien ce qu’il faisait et ce à quoi il s’engageait.

[72]         M. Malenfant n’a pas apprécié que le nouveau venu au CPE, M. Leblanc, insiste davantage que son prédécesseur pour que Développements Lamaco rembourse son emprunt.

[73]         M. Malenfant a eu l’impression que MM. Lebeau et Leblanc, deux « jeunes » dans la trentaine, se liguaient pour le contraindre à vendre ses immeubles contre son gré.

[74]         M. Malenfant s’est offusqué que M. Lebeau « ose » contacter Mme Pouliot à la Municipalité, écoute le récit de celle-ci peu flatteur pour M. Malenfant et insiste enfin que M. Malenfant soit contraint de vendre en raison du refus de la Municipalité de réviser le dossier environnemental.

[75]         M. Malenfant n’a pas osé confronter directement le CFE, mais il a joué au plus rusé avec M. Lebeau. Ainsi,

·         il a protesté de telle sorte que l’échéance du contrat de courtage soit écourtée, du 31 décembre 2014 au 31 mai 2014;

·         il a négocié la clause 11.1 pour réduire la commission minimum advenant que l’acheteur soit en fin de compte son voisin Réjean Clermont;

·         il a considéré qu’il pouvait continuer à négocier en parallèle avec M. Clermont, à l’insu du courtier Lebeau, en vue de vendre à M. Clermont à moins que M. Lebeau lui déniche une offre d’achat beaucoup plus généreuse;

·         il comptait au pis aller pouvoir se rabattre sur une offre de M. Clermont sans devoir verser une généreuse commission à quelque courtier.

[76]         De la sorte, M. Malenfant s’est considéré plus futé que MM. Leblanc et Lebeau.

[77]         Le Tribunal considère que M. Malenfant n’est pas crédible quand il invoque que M. Lebeau avait promis de lui procurer une offre d’achat à 1 300 000 $ ou plus; et que M. Lebeau transgressait cette promesse en l’induisant à accepter de vendre à un prix moindre.

[78]         D’ailleurs, durant son interrogatoire hors cour, M. Malenfant affirme que son prix plancher était en réalité de 1 200 000 $ [21] .

[79]         M. Malenfant savait ou devait savoir que, dans les usages et la logique du courtage immobilier, le « prix demandé » n’est pas un prix plancher; c’est plutôt le montant affiché et auquel on invite les acheteurs potentiels à réagir. Plus souvent qu’autrement (mais pas toujours) le prix fixé pour la vente est moindre que le prix demandé.

[80]         Le contrat de courtage est rédigé en conséquence. Sa clause 7 stipule qu’en principe, la commission est de 5 % du prix fixé pour la vente (plutôt que du prix demandé).

[81]         Cette controverse ne change pas grand-chose sur le plan du droit, car Développements Lamaco conservait en tout temps la liberté de refuser une offre d’achat, sauf si elle concordait en tous points avec les modalités de contrat de courtage [22] .

[82]         Mais la controverse endommage la crédibilité de M. Malenfant et mine la légitimité de son comportement.

B.2      Les interactions entre MM. Malenfant et Clermont durant le mois de mai 2014

[83]         D’une part, M. Malenfant déclare que la clause 11.1 du contrat de courtage l’autorisait à négocier directement et personnellement avec M. Clermont, pendant la période de validité du contrat de courtage.

[84]         D’autre part, M. Malenfant insiste qu’il n’a rien conclu avec M. Clermont avant le 2 juillet 2014 (la convention D-2) et, encore là, qu’il n’y a pas eu vente d’immeuble mais plutôt vente des actions de Développements Lamaco.

[85]         M. Malenfant considère avoir, de la sorte, valablement évité le paiement d’une commission en application du contrat de courtage P-5/D-4.

[86]         Le Tribunal considère que la production au procès, par M. Leblanc du CFE, de l’offre d’achat d’actions P-18, permet nettement d’inférer que :

·         M. Malenfant a négocié directement avec M. Clermont durant le mois de mai 2014 et ce, à l’insu du courtier Lebeau;

·         M. Malenfant n’a rien voulu formaliser avant l’expiration du contrat de courtage le vendredi 31 mai 2014, mais en s’empressant de rassurer son créancier (le CFE) dès le lundi 2 juin 2014.

[87]         Les molles dénégations à ce sujet par M. Malenfant ne sont pas crédibles.

C.         POINTS DE DROIT LITIGIEUX

[88]         Pour solutionner le litige, il faut en principe répondre aux questions suivantes :

·           Est-il survenu, avant le 31 mai 2014, accord entre Développements Lamaco et un acheteur, obligeant à payer la commission stipulée au courtier Re/Max du Haut-Richelieu?

·           Développements Lamaco avait-elle le droit, avant le 1 er  juin 2014, d’offrir l’immeuble en vente par elle-même?

·           Re/Max du Haut-Richelieu peut-elle réclamer 5 % du prix de vente demandé (1 300 000 $) parce que Développements Lamaco a empêché la libre exécution du contrat de courtage?

·           Développements Lamaco peut-elle bénéficier de la clause 11.1 du contrat de courtage et limiter la commission payable à 1 000 $?

C.1       Est-il survenu un accord entre vendeur et acheteur avant le 31 mai 2014?

[89]         Non, aucun accord de la sorte n’est intervenu.

[90]         Du résumé chronologique énoncé à la section A du présent jugement, il ressort qu’à aucun moment une offre ou contre-proposition n’a été acceptée pendant sa période de validité, que ce soit avec M. Yves Sirois ou avec quiconque.

[91]         Il ne change rien que M. Lebeau considère que l’offre de M. Sirois était raisonnable et que M. Malenfant agissait déraisonnablement en la refusant.

[92]         Rien n’obligeait Développements Lamaco à accepter une offre de M. Sirois, à moins qu’elle concorde en tous points avec les modalités indiquées au contrat de courtage.

[93]         Développements Lamaco détenait le droit strict de ne formuler aucune contre-offre [23] .

C.2      Développements Lamaco avait-elle le droit de négocier avec un acheteur potentiel avant le 1 er  juin 2014?

[94]         Le contrat de courtage P-5/D-4 est clair. L’insertion de la clause 11.1 n’engendre pas d’ambiguïté substantielle, encore moins une ambiguïté qu’il faudrait résoudre en faveur de Développements Lamaco.

[95]         Il s’agit d’un contrat de courtage exclusif. La clause 8.5 interdit à Développements Lamaco de négocier la vente de l’immeuble pendant la durée du contrat.

[96]         La clause 11.1 ne libère pas Développements Lamaco de l’obligation stipulée à cette clause 8.5.

[97]         Pour que la clause 11.1 s’applique et que le courtier touche une commission réduite, celui-ci doit nécessairement être impliqué dans les discussions avec M. Clermont.

[98]         Le montant de la commission ainsi réduit à 1 000 $ s’explique par les représentations de M. Malenfant que lui et M. Clermont ont déjà discuté d’une vente au prix d’environ 900 000 $, sans rien conclure toutefois, avant l’entrée en scène de M. Lebeau.

[99]         M. Malenfant est celui qui a réclamé et formulé la clause 11.1. Il n’a pas, de la sorte, négocié le droit de continuer à négocier directement avec M. Clermont.

C.3      Développements Lamaco a-t-elle empêché la libre exécution du contrat de courtage?

[100]      Oui, Développements Lamaco a ainsi contrevenu au contrat de courtage.  Il y a eu, en l’espèce, un acte volontaire du promettant-vendeur empêchant la libre exécution du contrat de courtage [24] .

[101]      En continuant de négocier directement avec M. Clermont, à l’insu de M. Lebeau, Développements Lamaco a entravé l’exécution normale des activités du courtier.

[102]      La façon la plus normale et la plus probable de laquelle le courtier pouvait obtenir un prix de vente intéressant et ainsi générer la commission stipulée, était de mettre MM. Clermont et Sirois en concurrence.

[103]      Développements Lamaco et M. Malenfant ont agi de mauvaise foi. Ils ont entrevenu au contrat de courtage et ainsi déclenché l’application de sa clause 7, permettant à Re/Max du Haut-Richelieu de réclamer 5 % du prix de vente demandé.

C.4       La clause 11.1 réduit-elle la commission payable à 1 000 $?

[104]      La réponse du Tribunal est « Non ».

[105]      En contrevenant à la clause 8.5, Développements Lamaco a privé la clause 11.1 de tout effet.

[106]      Le prix de vente stipulé à la convention D-2 est bel et bien 900 000 $ et non « moins de 900 000 $ ».

[107]      Dans le présent contexte, le fait qu’il s’agisse d’une convention de vente d’actions et non d’une convention de vente d’immeubles tient du subterfuge et ne change rien au sort du litige.

[108]      Re/Max du Haut-Richelieu a droit à une commission de 5 % de 1 300 000 $, plus TPS et TVQ.

[109]      Re/Max du Haut-Richelieu parvient donc à démontrer le bien fondé de sa réclamation.

[110]      Les intérêts et l’indemnité additionnelle doivent être accordés à partir du 20 mai 2014. À cette date, Développements Lamaco a reçu signification de la mise en demeure P-10 et était déjà en contravention contractuelle.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[111]      ACCUEILLE la requête introductive d’instance;

[112]      CONDAMNE la défenderesse les Développements Lamaco à payer à la demanderesse 9264-7551 Québec inc. le montant de 74 733,75 $ avec intérêts au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec , calculé à partir du 20 mai 2015;

[113]      AVEC DÉPENS .

 

 

_____________________________

L’Honorable Pierre-C. Gagnon, j.c.s.

 

Me Stéphane Sigouin

BERNARD & BRASSARD

Avocats de la demanderesse

 

Me Audrée Desrochers

JANSON LARENTE ROY

Avocats de la défenderesse

 

Dates d’audience : les 22 et 23 septembre 2015

 



[1]      Pièce D-2, annexe 1.5.

[2]      Idem .

[3]      Pièce P-19 (en liasse).

[4]      R.L.R.Q. c. Q-2.

[5]      Pièce P-20.

[6]     Pièce P-5 ou D-4.

[7]     Voir la pièce P-10, lettre des avocats de Re/Max du Haut-Richelieu, 16 mai 2014.

[8]      Pièce D-5.

[9]      Pièce P-6.

[10]     Pièce P-7.

[11]     Pièce P-8.

[12]     Pièce P-9.

[13]     Pièce P-10. Signification par huissier à 16 h 50 le 20 mai 2014.

[14]     Pièce P-11 et Pièce D-1.

[15]     Pièce P-11.

[16]     Pièce P-14.

[17]     Pièce P-15.

[18]     Pièce P-18.

[19]     Pièce D-2.

[20]     Pièce D-3.

[21]     Transcription de l’interrogatoire préalable de M. Gilles Malenfant, 29 août 2014, p. 24.

[22]     Ce que M. Malenfant savait fort bien : transcription de son interrogatoire au préalable, 29 août 2014, pp. 26 et 50. Voir Royal Lepage des Moulins inc. c. Baril , J.E. 2004-623 (C.A.).

[23]     Immo Lib Rosemont c. Ruxanda , 2011 QCCQ 3367 .

[24]     Société en commandite Place Mullins c. Services immobiliers Diane Brisson inc. , 2015 CSC 36 .