Section des affaires sociales

En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales

 

 

Date : 14 décembre 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 12529

Dossier  : SAS-M-205986-1212

Devant les juges administratifs :

LUCIE LE FRANÇOIS

CAROL BOUCHARD

 

P... M...

Partie requérante

c.

MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE

Partie intimée

 

 


DÉCISION

Requête en révision suivant l'article 154 L.J.A.




[1]               La partie intimée demande, en vertu de l’article 154 (3) de la Loi sur la justice administrative [1] (ci-après « LJA »), la révision d’une décision rendue par le Tribunal administratif du Québec (ci-après « le Tribunal »), datée du 9 septembre 2014. Dans cette décision (ci-après « TAQ1 »), le Tribunal accueille le recours du requérant et annule la réclamation de la partie intimée.

[2]               Suivant l’article 154 (3) de la LJA, le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu’il a rendue lorsqu’un vice de fond est de nature à invalider la décision.

[3]               Le pouvoir de révision du Tribunal est un pouvoir de redressement ou de réparation de certaines irrégularités ou erreurs qui peuvent affecter une première décision, et ce, dans le but d’assurer que la décision qui sera rendue au terme du processus décisionnel soit, dans toute la mesure du possible, la décision la plus conforme à la loi.

[4]               Selon la jurisprudence, TAQ2 doit considérer que l’article 154 (3) LJA s’applique de façon exceptionnelle.

[5]               Pour constituer un vice de fond, l’erreur doit être grave et déterminante au point de constituer un vice de fond de nature à invalider une décision. Le recours en révision ne doit pas être un appel déguisé. Seule l’erreur manifeste de droit habilite TAQ2 à se prononcer sur le fond.

[6]               TAQ2 reprend la décision TAQ1 ainsi que le dispositif de cette décision :

[1]      Le requérant (ci-après monsieur) conteste la décision de l’intimé (ci-après le Mi nistre) rendue en révision le 10 octobre 2012.

[2]      Cette décision a pour effet de réclamer la somme de 952,91 $ à monsieur pour la période du 9 octobre 2011au 7 janvier 2012 pour des prestations de paternité versée en trop.

[3]      Le Ministre motive sa décision ainsi :

« Le 10 mai 2012, vous avez déclaré au CSC avoir pris des semaines de congés complètes, mais du mercredi au mardi suivant. Le 6 juin 2012, votre employeur nous a confirmé vos allégations et a précisé que vous avez eu un revenu de […]

Au cours de l’entrevue, vous avez présenté les observations suivantes : vous demandez l’annulation de vos réclamations. Vous admettez que vos revenus d’emploi et d’assurance parentale se sont chevauchés. Vous expliquez  cette situation par le fait que vos congés de paternité ont débuté les mercredis et se sont terminés les mardis suivants. Vous avez tenté d’inscrire vos dates réelles d’arrêt de travail lorsque vous avez demandé ces semaines de congé, mais le système informatique n’acceptait aucune autre date pour débuter les prestations que celles d’un dimanche, c’est la raison pour laquelle vous avez inscrit un dimanche.

L’analyse de votre dossier démontre que vous avez demandé des prestations, entre autres, pour les semaines du 9 au 15 octobre 2011 et du 1er au 7 janvier 2012. Ces 2 semaines de prestations demandées vous ont été accordées. Or, vous avez eu des revenus de travail durant une partie de ces 2 semaines. Les revenus de travail reçus en cours de prestations sont des revenus concurrents et ils se doivent d’être pris en compte pour établir votre admissibilité à des prestations.

[…]

Le fait d’avoir commencé vos congés de paternité un mercredi pour les terminer le mardi suivant ne peut être retenu comme étant l’équivalent d’une semaine de prestations. Au sens de la loi, une semaine de prestation commence le dimanche et se termine le samedi. »

(Nous soulignons)

LES FAITS

[4]      Monsieur confirme sa déclaration faite au CSC tel que rapportée ci-haut. Il ajoute qu’il travaille sur des semaines de travail variable et ainsi, il ne détient pas un emploi du type de semaine de travail du dimanche au samedi. Il y a des semaines qu’il peut travailler plus souvent que d’autres compte tenu de son emploi atypique.

ANALYSE ET DÉCISION

[5]      Pour disposer du présent litige, les dispositions législatives et réglementaires applicables sont les suivantes :

Loi sur l’assurance parentale (ci-après la Loi)

« Objet.

2. Le régime a pour objet d'accorder les prestations suivantes:

1° des prestations de maternité;

2° des prestations de paternité et des prestations parentales à l'occasion de la naissance d'un enfant;

3° des prestations d'adoption d'un enfant.

2001, c. 9, a. 2; 2005, c. 13, a. 1.

Admissibilité.

3. Est admissible au régime d'assurance parentale, la personne qui remplit les conditions suivantes :

1° à l'égard de sa période de référence, elle est assujettie à une cotisation au présent régime, en vertu de la section II du chapitre IV, ou, dans la mesure prévue par règlement du Conseil de gestion de l'assurance parentale, au régime d'assurance-emploi établi en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, (L.C. 1996, c 23) ou à un régime établi par une autre province ou par un territoire aux mêmes fins;

2° elle réside au Québec au début de sa période de prestations ainsi que, dans le cas d'une personne dont le revenu assurable provenant d'une entreprise ou à titre de ressource de type familial ou de ressource intermédiaire est considéré, au 31 décembre de l'année précédant le début de sa période de prestations;

3° son revenu assurable, gagné pendant sa période de référence, est égal ou supérieur à 2 000 $;

4° elle a connu un arrêt de rémunération tel que défini par règlement du Conseil de gestion.

9. Le nombre maximal de semaines de prestations de paternité est de 5 ou, en cas d'option conformément à l'article 18 de 3. Le paiement ne peut ni débuter avant la semaine de la naissance de l'enfant, ni excéder la période de prestations.

13. Les prestations du présent régime ne sont accordées que sur demande, sauf dispenses prévues par règlement du Conseil de gestion.

Renseignements et documents.

La personne qui fait une demande de prestations doit fournir au ministre tout document ou renseignement nécessaire à la vérification de son admissibilité et à l'établissement d'une prestation.

Période de prestations.

23. On entend par période de prestations la période à l'intérieur de laquelle des prestations peuvent être payées.

Durée.

Cette période commence la semaine où la première prestation est payable à la personne qui y a droit et se termine la semaine où la dernière prestation est payable. Elle ne peut excéder la cinquante-deuxième semaine suivant celle de l'accouchement ou de l'arrivée de l'enfant auprès d'un des parents en vue de son adoption, à moins qu'elle ne soit prolongée conformément aux règlements du Conseil de gestion.

Prolongation et fin.

Les circonstances dans lesquelles la période de prestations peut être prolongée ou prendre fin sont fixées par règlement du Conseil de gestion, sous réserve qu'une période de prestations ne peut, une fois prolongée, excéder 104 semaines.

Début des paiements.

24. Une prestation est payable à compter de la dernière des semaines suivantes:

1° la semaine au cours de laquelle survient le dernier arrêt de rémunération au sens des règlements du Conseil de gestion;

2° la troisième semaine précédant celle de la demande, à moins que le demandeur ne démontre qu'il était dans l'impossibilité d'agir plus tôt;

3° la semaine où la prestation peut, au plus tôt, être payée en vertu des articles 7 à 11;

4° la semaine choisie par le demandeur.

2001, c. 9, a. 24. »

Règlement d'application de la Loi sur l'assurance parentale, (ci-après le règlement)

5. Une semaine est une période de 7 jours consécutifs commençant le dimanche.

10. La personne qui désire bénéficier des prestations du régime d'assurance parentale doit en faire la demande par écrit ou par tout moyen électronique, à l'exclusion du téléphone, à l'aide du formulaire mis à sa disposition par le ministre et lui fournir les renseignements requis en vertu du deuxième alinéa de l'article 13 de la Loi notamment, le cas échéant, l'information relative au revenu familial net nécessaire pour établir le montant de la majoration des prestations prévue à la section IX.

D. 986-2005, a. 10.

11. La personne qui présente, par tout moyen électronique, une demande de prestations est réputée avoir fourni, en réponse aux questions posées, les renseignements figurant sur le formulaire daté produit par le système automatisé d'attribution de prestations du ministère.

14. Est dispensée de faire une demande initiale de prestations:

1° la personne qui fait une demande de prestations de maternité, de paternité ou de prestations parentales et qui, lors de sa demande ou au cours de la période de prestations prévue à l'article 23 de la Loi, indique au ministre son intention de bénéficier des prestations de paternité ou des prestations parentales, le nombre de semaines dont elle entend bénéficier et le moment choisi;

2° la personne qui, en application de l'article 17 de la Loi, a droit que s'ajoute au nombre total de semaines de prestations parentales le nombre de semaines de prestations de maternité ou de paternité du parent décédé non utilisées au moment du décès et qui, à ce moment, avait fait une demande initiale de prestations;

3° la personne qui suspend le versement de ses prestations ou interrompt sa période de prestations;

4° la personne qui modifie le nombre de semaines dont elle entend bénéficier;

5° (paragraphe abrogé).

33. Le versement des prestations d'une personne prend fin dans les cas suivants:

1° la période de prestations est terminée;

2° elle n'a plus droit à des prestations notamment parce qu'elles ont été versées pour le nombre de semaines prévues aux articles 7 à 11, 15 ou 17 de la Loi;

3° elle en demande la suspension ou l'interruption;

4° elle se désiste de sa demande initiale de prestations. »

(Nous soulignons)

[6]      Monsieur plaide la non-flexibilité du formulaire électronique. Ainsi, sa situation atypique de travail n’est pas tenue en compte.

[7]      Pour sa part, le Ministre s’appuie sur l’article 5 du règlement en y alléguant qu’une semaine commence le dimanche dans tous les cas.

[8]      Le Tribunal ne partage pas l’interprétation restrictive du règlement faite par le Ministre.

[9]      En effet, l’objectif législatif poursuivi par la mise en place du régime d’assurance-parentale est de permettre aux parents de prendre soin de leur enfant dès le début de vie de ce dernier.

[10]    Il s’agit d’un objectif législatif qui s’inscrit dans la politique familiale du Québec et qui se caractérise par son accessibilité, sa générosité et sa souplesse tel que la Ministre de la Famille et de l’Enfance l’a qualifié au moment de l’adoption de la Loi. Il est utile de rappeler ici cette présentation :

« Journal des débats de l'Assemblée nationale

36elégislature, 2esession

(22 mars 2001 au 12 mars 2003)

 

Le vendredi 25 mai 2001 - Vol. 37 N° 27

Projet de loi n° 140

Adoption

« Le Vice-Président (M. Bissonnet): À l'article 46, Mme la ministre de la Famille et de l'Enfance propose l'adoption du projet de loi n° 140, Loi sur l'assurance parentale. Mme la ministre d'État à la Famille et à l'Enfance, je vous cède la parole.

Mme Linda Goupil

Mme Goupil: Merci

[…]

Le projet de loi que nous proposons aujourd'hui prend sa source également dans les valeurs familiales les plus profondes de notre société et de notre peuple. Il répond davantage aux besoins des Québécoises et des Québécois qui désirent fonder ou encore agrandir leur famille. Il tient compte également des principaux acteurs sociaux du Québec en matière de coûts et de modalités. Il prévoit que tout travailleur admissible aura droit à des prestations pour un congé de maternité, un congé de paternité et un congé parental pris consécutivement à la naissance d'un enfant. Il prévoit aussi un congé parental pour l'adoption d'un enfant mineur. C'est un projet qui est dans l'intérêt des Québécoises et des Québécois, car il représente un geste concret au soutien envers les familles québécoises et non une simple adaptation à un programme d'assurance chômage... d'assurance emploi.

Nous sommes à l'aube de l'an 2001, il est donc grand temps de cesser d'assimiler l'arrivée d'un enfant à la perte d'un emploi. L'arrivée d'un enfant est un moment fort important dans la vie d'un couple; il est donc impensable qu'encore aujourd'hui les femmes et les hommes qui s'absentent du travail pour la naissance d'un enfant ou pour en prendre soin pendant les premiers mois soient traités comme des chômeurs. Cela fait longtemps que certains pays européens ont compris toute l'importance d'instaurer des régimes équitables d'assurance parentale. En s'inspirant, bien sûr, des meilleurs modèles à l'extérieur et en les adaptant à notre réalité québécoise, le régime québécois sera assurément à l'avant-garde. Je dis bien à l'avant-garde, et cela pour trois raisons principales: d'abord, par son accessibilité, par sa générosité également et, bien sûr, par sa souplesse.

Parlons tout d'abord de l'accessibilité. L'un des principaux reproches que nous faisons actuellement au régime de congé parental fédéral, c'est celui d'appliquer les mêmes critères lors de la venue d'un enfant que lorsque quelqu'un perd son emploi. Comme un travailleur qui perd son emploi, un parent doit avoir accumulé plus de 600 heures de travail au cours de la période de référence pour avoir accès au congé parental fédéral, ce qui a l'effet pervers d'exclure, bien sûr, d'entrée de jeu des milliers de travailleuses et de travailleurs à temps partiel. Alors, pour quelles raisons un travailleur à temps partiel qui fait l'important choix d'avoir un enfant ne devrait pas avoir droit à des prestations?

D'ailleurs, nous avons un exemple récent qui nous a démontré que le régime fédéral ne répond pas aux attentes non seulement des Québécoises, mais aussi des Canadiennes. Il y a une infirmière à temps partiel de Winnipeg, qui est mère de deux enfants, qui s'est fait déclarer inadmissible aux prestations de maternité fédérales, puisqu'il lui manquait 33 heures pour atteindre le nombre d'heures requis, M. le Président. Elle a porté sa cause en cour fédéral, qui a jugé que ce critère d'admissibilité du gouvernement fédéral était discriminatoire en regard de la Charte canadienne des droits et libertés. Évidemment, on a porté la cause en appel. Est-ce qu'il va falloir qu'il y ait d'autres parents qui aillent devant les tribunaux pour qu'on comprenne que ce régime ne correspond pas à la réalité d'aujourd'hui?

Alors, le régime québécois est beaucoup plus accessible également en exigeant des gains de 2 000 $ seulement durant la période de référence pour avoir droit à ces prestations. Nous corrigeons donc une injustice en mettant à l'avant-plan la véritable condition pour avoir accès à un régime cohérent d'assurance parentale, c'est-à-dire celle d'avoir un enfant.

Pour les mêmes raisons également nous abolissons le délai de carence de deux semaines du régime fédéral, faisant en sorte que les parents reçoivent des prestations dès la naissance de leur enfant. En outre et toujours au chapitre de l'accessibilité, le régime fédéral exige que, pour avoir droit à des prestations, la personne doit avoir exercé un emploi pour un employeur, ce qui exclut par le fait même le travailleur et la travailleuse autonomes. Nous corrigeons également cette injustice en incluant le travailleur et la travailleuse autonomes dans notre régime.

Finalement, et c'est un élément fort important, les pères auront un accès également au régime québécois, eux qui, il faut en convenir, sont de plus en plus présents dans la vie de leurs enfants. Et nous ne pouvons qu'encourager ce phénomène, M. le Président. L'instauration d'un congé de paternité pouvant aller jusqu'à cinq semaines constitue un net avantage par rapport au régime du gouvernement central.

Le régime que nous proposons par le projet de loi n° 140 est également beaucoup plus généreux. Il rehausse le revenu maximum assurable, qui est actuellement à 39 000 $ selon le régime fédéral, en l'harmonisant au maximum annuel qui est assurable à la CSST, qui est actuellement de plus de 50 000 $. Il permet donc un taux de remplacement du revenu pouvant atteindre jusqu'à 75 %, alors qu'il est plafonné actuellement à 55 % au fédéral. Nous répondons donc ainsi aux citoyennes et aux citoyens du Québec qui veulent des programmes qui soient souples et qui peuvent s'adapter à leur réalité. Les gens veulent avoir le choix, c'est ce que nous leur offrons; un régime québécois d'assurance parentale qui est plus souple, car il propose différentes avenues aux parents.

Nous le savons, la réalité du monde qui travaille, elle est en constante évolution. Certains parents ne peuvent s'absenter de leur travail aussi longtemps que d'autres lors de la venue d'un enfant. En vertu de notre régime, les parents pourront donc prendre un congé moins long avec un taux de remplacement de revenu qui sera plus élevé ou à l'inverse. »

(Nous soulignons et mettons en gras)

[11]    La norme réglementaire à laquelle réfère le Ministre concerne les cas de travail type où une semaine commence un dimanche. Elle ne vise nullement les cas où le travail est atypique.

[12]    Le règlement n’a pas prévu de façon expresse toutes les situations. D’ailleurs, dès l’adoption de la législation, on a noté la nécessité de souplesse pour donner accès au régime d’assurance-parentale compte-tenu que « la réalité du monde du travail […] est en constante évolution ». Et c’est précisément pour répondre au besoin de s’adapter à la réalité des administrés que les programmes souples ont été mis en place.

[13]    Il convient de rappeler la nature complémentaire d’un règlement et de son interprétation conforme aux objectifs législatifs comme l’indiquent les professeurs Issalys et Lemieux ainsi que Garant.

 

Issalys et Lemieux

« Le caractère complémentaire du règlement par rapport à la loi s’exprime notamment par une répartition traditionnelle du contenu des normes juridiques de type législatif entre les lois et les règlements. Ainsi, sont ordinairement réservés à la loi les principes généraux de l’encadrement juridique d’une matière, la création d’autorités administratives, les dispositions portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens. Sont fréquemment laissés à la compétence d’autorités habilitées à faire des règlements les détails d’organisation administrative et financière ou de procédure. Pour le reste, le partage des règles de portée générale entre la loi et le règlement  varie d’une matière à l’autre. En principe, le règlement est le domaine du technique, de l’accessoire, du contingent; mais il arrive souvent que le législateur fasse dépendre de règlements, et donc de la volonté de l’administration, la délimitation du champ d’application de la loi (par définition, extension ou exclusion). En l’absence de ces règlements, il peut arriver que la loi demeure pratiquement lettre morte. Dans toute la mesure du possible, cependant, et à moins qu’il apparaisse que le législateur considérait l’exercice effectif du pouvoir réglementaire conféré par la loi comme essentiel à la mise en œuvre de celle-ci, on s’efforcera de donner aux termes de la loi tout l’effet dont ils sont susceptibles, malgré l’absence de normes complémentaires à établir par règlement. » (page 524)

(Nous soulignons)

Garant

« Cette jurisprudence se rattache à un principe énoncé par la Cour suprême il y a quelques années, suivant lequel : « Il est bien établi de nos jours qu’un pouvoir légal de réglementation n’est pas illimité. Il est limité par les politiques et les objectifs inhérents à la loi habilitante » (citations omises)

L’idée de recourir aux objectifs de la loi ou aux finalités de la loi pour apprécier la validité d’un règlement est fréquemment utilisée par les tribunaux et nous emble être une méthode intelligente d’apprécier les rapports entre la loi habilitante et le règlement. (citations omises) » (page 290)

(Nous soulignons)

[14]    Aussi, en l’espèce nous sommes dans une situation où l’interprétation restrictive du règlement conduit à la négation des objectifs poursuivis par la loi pour une très grande partie des administrés qui connaissent des semaines atypiques de travail.

[15]    En effet, l'interprétation telle que faite par le Ministre prive monsieur de son droit aux prestations de soutien pour s’occuper de sa famille, ce qui va directement à l’encontre de l’objectif législatif et de la politique familiale.

[16]    Le Tribunal est d’avis que le droit aux prestations dans le cas présent peut être accessible en appliquant directement les dispositions législatives et en permettant qu’une personne puisse avoir droit aux prestations en considérant qu’une semaine puisse, dans certains cas, commencé à un autre jour que le dimanche.

[17]    En l’espèce, il s’agit bien pour monsieur d’un travail qui se situe dans une semaine de travail atypique.

[18]    Or, le formulaire mis à la disposition des administrés répond aux besoins de ceux et celles qui connaissent des semaines de travail type, mais pas pour les autres.

[19]    Monsieur a fait sa demande, mais celle-ci, pour des raisons administratives, comportait une erreur qui ne lui était pas attribuable.

POUR TOUS CES MOTIFS , le Tribunal :

ACCUEILLE               le recours du requérant; et,

ANNULE                    la réclamation du Ministre.

 

[7]               La partie intimée soutient que TAQ1 ne pouvait déduire que l’article 5 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance parentale [2] (ci-après « RALAP ») ne s’appliquait pas en cas d’horaire atypique de travail. TAQ1 ne peut écarter une disposition législative claire définissant le mot « semaine » pour les fins d’administration du Régime québécois d’assurance parental.

[8]               La validité de l’article 5 RALAP n’a pas été remise en cause, celui-ci doit être appliqué par TAQ1, un tel article définissant sans équivoque la notion de semaine pour fins du régime d’assurance parental.

[9]               TAQ1 a commis une erreur déterminante aux paragraphes 18 et 19, puisque le formulaire reflète les dispositions législatives pertinentes. Une telle situation ne serait être assimilée à une erreur administrative que le requérant ne pouvait raisonnablement constater au sens de l’article 27 de la Loi sur l’assurance parentale [3] .

[10]            Le requérant est présent à l’audience. Il admet avoir eu des revenus concurrents lors de certaines semaines où il recevait des prestations du Régime québécois d’assurance parentale.

[11]            Il comprend la loi.

[12]            Il se croit désavantagé parce qu’il a un horaire atypique. Les dispositions législatives sont « un peu discriminatoires » pour lui. Il réfère à plusieurs travailleurs qui ont des horaires atypiques, tels que les camionneurs et les pompiers.

[13]            Il aimerait que la loi soit plus flexible.

[14]            Le Tribunal doit déterminer si la décision TAQ1 est affectée d’un vice de fond. Une divergence d’opinion ni même une erreur de droit n’est pas en soi un vice de fond. Un vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, voire sa validité même.

[15]            Pour les motifs qui suivent, TAQ2 arrive à la conclusion que la décision TAQ1 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.

[16]            La décision TAQ1 est une décision isolée. TAQ2 retient que TAQ1 n’a aucunement motivé sa décision pour expliquer comment cette situation se distingue de celles de la jurisprudence constante du Tribunal.

[17]            Mais il y a plus, avant d’interpréter une disposition de la loi, le premier critère est de déterminer qu’elle est ambiguë.

[18]            Il est bien établi en droit qu’il n’y a ambiguïté véritable que lorsqu’il existe « deux ou plusieurs interprétations plausibles ».

[19]            Or, tel n’est pas le cas ici. L’article 5 du RALAP est clair. Il se lit ainsi : « Une semaine est une période de sept jours commençant le dimanche. »

[20]            TAQ2 reconnaît que l’objectif législatif poursuivi par la mise en place du Régime d’assurance parental est de permettre aux parents de prendre soin de leur enfant dès leur début de vie.

[21]            Cependant, le législateur a établi des balises permettant de définir le droit à l’indemnité.

[22]            TAQ1 ne peut se substituer au législateur et il doit appliquer un texte clair.

[23]            Le fait d’écarter l’application d’une disposition législative claire et de rendre une décision isolée pour permettre au requérant d’obtenir des prestations ne rencontre pas les exigences de la stabilité des décisions.

[24]            Dans plusieurs de ses décisions, le Tribunal rappelle l’absence de souplesse dans l’administration du Régime québécois d’assurance parentale. Elle peut mener à des situations malheureuses. En contrepartie, les normes établies permettent aux participants d’être traités équitablement et de choisir les dates de prestations qui leur conviennent.

[25]            Après analyse de la preuve, TAQ2 considère que TAQ1 a fait une erreur manifeste et déterminante, de nature à entacher la validité de sa décision.

[26]            TAQ1 ne pouvait déterminer qu’il s’agissait d’une situation où l’interprétation restrictive du règlement conduit à la négation des objectifs poursuivis par la loi. Il ne s’agit pas d’une interprétation restrictive puisque le texte est clair et qu’il n’y a aucune ambiguïté

[27]            Ayant décidé sur ce point, TAQ2 n’a pas à se prononcer quant aux autres motifs de révocation.

[28]            Exceptionnellement, parce que les faits ne sont pas contestés et que le droit applicable est clair, TAQ2 rend la décision sur le fond. Il applique les dispositions législatives pertinentes. La loi et le RALAP prévoient la comptabilisation d’une rémunération reçue en même temps que les prestations du Régime québécois d’assurance parentale.

[29]            Le Tribunal conclut que la réclamation est bien fondée en faits et en droit.

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

-         ACCUEILLE la requête en révision;

-         RÉVOQUE la décision du 9 septembre 2014;

-         REJETTE le recours du requérant; et

-         MAINTIENT la décision du 10 octobre 2012, rendue par le Bureau de révision administrative du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

 


 

LUCIE LE FRANÇOIS, j.a.t.a.q.

 

 

CAROL BOUCHARD, j.a.t.a.q.


 

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Me Florence Lavigne-Le Buis

Procureure de la partie intimée


 



[1] RLRQ, chapitre J-3.

[2] RLRQ, chapitre A-29.011, r. 2.

[3] RLRQ, chapitre A-29.011.