Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 509 et Super C (une division de Métro Richelieu inc.) (Éric Fillion) |
2015 QCTA 1004 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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N o de dépôt : 2015-9396 |
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QUÉBEC, |
6 novembre 2015 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
M e JEAN-GUY ROY |
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AUDIENCE TENUE LE : |
8 octobre 2015 |
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À : |
QUÉBEC |
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GRIEF N O : |
G1745 |
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POUR LE SYNDICAT : |
M e KIM BERGERON |
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POUR L’EMPLOYEUR : |
M e GILLES RANCOURT |
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OBJET : Accommodement : Horaire de travail |
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TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES UNIS DE L’ALIMENTATION ET DU COMMERCE, SECTION LOCALE 509 |
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(Grief de M. Éric Fillion) |
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Et |
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SUPER C (UNE DIVISION DE MÉTRO RICHELIEU INC.) |
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S E N T E N C E A R B I T R A L E
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[1] L’audition du présent grief s’est tenue à Québec, le 8 octobre 2015.
[2] M e Kim Bergeron, conseillère syndicale au TUAC, section locale 501, représente les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 509 (le Syndicat). M e Gilles Rancourt (Norton Rose Fulbright) représente Super C (une division de Métro Richelieu inc.) (l’Employeur).
[3] Les parties reconnaissent que l’arbitre soussigné est valablement saisi du présent grief, qu’il a compétence pour en disposer et que les procédures de règlement de griefs et d’arbitrage prévues à la convention collective ont été respectées.
[4] Les parties demandent que l’arbitre conserve compétence dans l’éventualité qu’il faille disposer d’une question de quantum.
[5] La convention collective 2013-2020 trouve application dans la présente affaire (S-1).
[6] Le 28 juillet 2014, M. Éric Fillion dépose un grief dans lequel il fait état que « Depuis la semaine du 13 juillet 2014, madame Josianne Moïse peut reprendre son horaire normal de travail (incluant les soirs); cependant, l’Employeur ne programme pas celle-ci selon son horaire normal invoquant le 5 e paragraphe de mes engagements signés le 17 juin 2014 ». Il réclame que « l’Employeur recommence à programmer madame Moïse selon son horaire normal de travail (incluant les soirs) et qu’il me paie les heures que j’ai perdues depuis la semaine du 13 juillet 2014 » (S-2).
[7] Du témoignage de M. ÉRIC FILLION, il y a lieu de retenir les éléments suivants :
7.1. Il est au service de l’Employeur depuis novembre 2009. Depuis environ 2012, il est assistant-gérant boucher. Il est un employé régulier dont l’horaire de travail est de 7 h à 16 h ou de 8 h à 17 h et il effectue ainsi 40 heures par semaine.
7.2. Le 17 juin 2014, il a signé un engagement parce qu’il avait été inculpé de menace de voies de fait envers sa conjointe, M me Moïse, engagement qui spécifiait notamment, à la clause 5, de « Ne pas se trouver ou aller à l’adresse suivante :
- à son lieu de travail sauf aux périodes au cours desquelles Mme Johanne (sic) Moïse ne travaille pas;
- à l’adresse de la victime et dans un rayon de 300 mètres de cet (ces) endroit (s) » (S-3)
7.3. M me Moïse et lui-même étant au service du même employeur, il ne pouvait donc travailler en même temps qu’elle, situation qui, avant les événements précités, ne se produisait d’ailleurs que rarement et qui ne durait guère plus de une heure, une heure et demie à chaque fois.
7.4. Compte tenu de l’ordonnance, l’Employeur ne l’a affecté que deux jours par semaine, soit les lundi et mardi. Il n’effectuait ainsi que 16 heures de travail par semaine (E-1.1 à E-1.6).
7.5. Le directeur, M. Trépanier, lui a dit que M me Moïse avait peur de travailler le soir et, à compter du 29 juin 2013, celle-ci a obtenu de ne travailler que de jour.
7.6. Quand il a su, vers la mi-juillet, que M me Moïse n’était pas au travail, il s’est adressé à son représentant syndical, M. Dupéré, qui, après enquête, lui a dit que celle-ci avait fourni un certificat médical (S-4). Compte tenu de cette situation, il s’est adressé à M. Trépanier pour qu’il puisse travailler à temps plein durant cette période, ce que celui-ci a refusé en lui disant que l’horaire de la semaine avait déjà été fait.
7.7. Le 31 octobre 2014, il a été acquitté, M me Moïse ayant retiré sa plainte et la Couronne n’ayant plus de preuve à offrir.
[8] M. DENIS TRÉPANIER est au service de l’Employeur depuis octobre 2012. Depuis octobre 2013, il est directeur de l’établissement. De son témoignage, il y a lieu de retenir les éléments suivants :
8.1. Son personnel comprend environ 50 personnes qui travaillent dans les départements suivants : service, épicerie, viandes, fruits et légumes, boulangerie.
8.2. L’établissement est ouvert de 8 h à 23 h, sept jours par semaine.
8.3. Au département des viandes, il y a un gérant, un assistant-gérant, deux bouchers de même que des commis à l’emballage.
8.4. Les horaires sont confectionnés par département et les blocs de temps sont attribués par ancienneté aux employés réguliers, aux employés à temps partiel à disponibilité pleine et, par la suite, aux employés à temps partiel à disponibilité restreinte.
8.5. Lundi, le 23 juin 2014, on lui a remis une ordonnance de la Cour. Il a alors rencontré M me Moïse qui lui a fait état d’un incident qui s’était produit une fin de semaine précédente. À cette occasion, celle-ci lui a dit qu’elle ne voulait plus recroiser M. Fillion au travail ni faire la fermeture de l’établissement compte tenu qu’elle craignait de rencontrer alors ce dernier dans le stationnement. Elle a même ajouté que si on ne pouvait aménager son horaire en conséquence, elle était prête à démissionner.
8.6. Compte tenu de l’ancienneté de M me Moïse, il a pu aménager son horaire de façon à ce que celle-ci continue à travailler à temps plein, de jour, et conserver ainsi son statut de salariée régulière. C’est en fonction de cette contrainte qu’il a par la suite pu déterminer l’horaire de M. Fillion, à savoir que celui-ci pouvait travailler deux journées complètes par semaine, soit les deux journées de congé de M me Moïse (E-1.1 à E-1.6).
8.7. Compte tenu de l’absence de son gérant du département des viandes au cours de l’été 2014, il a fait appel à un assistant-gérant d’un autre établissement.
8.8. À compter du mois d’août et jusqu’au mois de septembre 2014, M. Fillion a fait progressivement plus d’heures jusqu’à atteindre le nombre normal d’heures hebdomadaires. Cette situation respectait l’ordonnance qu’il avait reçue, M me Moïse étant moins présente à l’établissement (E-2.1, E - 2.2 et E-3.1, E-3.2).
[9] De l’interrogatoire de M. TRÉPANIER par la procureure du Syndicat, il y a lieu de retenir les éléments suivants :
9.1. M me Moïse ne lui a pas remis quelque écrit ni rapport médical lorsqu’elle l’a rencontré pour lui demander de ne pas faire la fermeture de l’établissement, compte tenu de ses inquiétudes vis-à-vis M. Fillion.
9.2. Il est vrai qu’à la demande d’une assistante-gérante, M me Moïse a accepté à une occasion de faire la fermeture de l’établissement.
9.3. Il réitère qu’il ne pouvait modifier l’horaire de M. Fillion, même si M me Moïse ne travaillait pas une certaine semaine vers la mi-juillet, compte tenu que l’horaire de cette semaine était déjà en vigueur.
9.4. Même s’il est vrai qu’un assistant-boucher peut aussi accomplir les tâches de commis à l’emballage, il ne voit pas pourquoi il aurait affecté M. Fillion à ce poste, le rémunérant alors à 18 $ de l’heure pour, notamment laver des comptoirs. De plus, M. Fillion ne lui a jamais dit qu’il était prêt à accepter cette tâche. S’il lui avait demandé, probablement qu’il aurait pu acquiescer.
[10] Réinterrogé par le procureur de l’Employeur, M. TRÉPANIER précise que la convention collective ne garantit pas 40 heures par semaine ni le fait qu’un boucher puisse supplanter un commis.
[11] La procureure du Syndicat, tout en considérant que la présente situation est quelque peu particulière et que l’Employeur devait en tenir compte, soutient que celui-ci a cependant été fautif, car il se devait de respecter la convention collective, ce qu’il n’a pas fait vis-à-vis le statut d’employé régulier que détenait M. Fillion qui n’a pu compléter ses 40 heures de travail par semaine. Elle est d’avis que l’Employeur aurait pu éviter cette situation en affectant celui-ci comme commis au département des viandes pour lui permettre de compléter le nombre d’heures de sa semaine normale de travail.
[12] De plus, poursuit-elle, l’Employeur a agi de façon arbitraire en modifiant l’horaire de M me Moïse sous prétexte que celle-ci avait peur de M. Fillion.
[13] Le procureur de l’Employeur fait valoir que ce n’est pas par le bon bout de la lunette que le Syndicat plaide le présent grief, mais qu’il faut plutôt se placer dans la situation d’un employeur qui reçoit une ordonnance de la Cour qui ne lui permet plus de faire en sorte que M. Fillion puisse travailler aux mêmes périodes que sa conjointe, M me Moïse. Pourquoi alors l’Employeur, poursuit-il, aurait partagé l’opinion du Syndicat qui soutient que celui-ci devait respecter à tout prix le nombre d’heures normal qu’accomplissait M. Fillion, alors que c’est celui-ci qui était responsable de la situation, soit celle qui obligeait l’Employeur à faire en sorte qu’il ne travaille pas aux mêmes périodes que sa conjointe.
[14] Face à cette situation, fait-il remarquer, si l’Employeur devait accommoder quelqu’un, il fallait évidemment que ce soit M me Moïse. Dans les circonstances, la preuve ne laisse pas de doute, et le témoignage de M. Trépanier est éloquent sur le sujet, sur le fait que l’Employeur n’a pas agi envers M. Fillion de façon arbitraire. En somme, conclut-il, l’Employeur a essayé et a réussi à faire ce qu’il croyait le plus correct vis-à-vis les deux personnes visées et il les a accommodées du mieux que les circonstances le lui permettaient.
[15] À l’appui de ses prétentions, le procureur de l’Employeur dépose de la jurisprudence (Annexe I).
[16] Par son grief, M. Fillion conteste le fait que l’Employeur ait modifié l’horaire de travail de M me Josianne Moïse, réclame que celle-ci reprenne son horaire de travail habituel et qu’il lui verse le montant d’argent dont il a été ainsi privé, compte tenu qu’il n’a pu effectuer les 40 heures hebdomadaires que lui permet son statut de régulier.
[17] Après analyse, l’arbitre ne peut conclure dans le sens souhaité par M. Fillion.
[18] Rappelons brièvement que l’Employeur a reçu copie d’un document signé le 17 juin 2014 par M. Fillion dans lequel celui-ci s’engageait notamment à ne pas être sur les lieux de travail de sa conjointe lorsque cette dernière y était présente.
[19] Convenons que l’existence de l’ordonnance de la Cour ne laissait guère d’alternative à l’Employeur : il se devait de faire en sorte que M. Fillion ne travaille pas aux mêmes périodes que sa conjointe.
[20] À la demande de M me Moïse, l’Employeur a accepté de modifier l’horaire de travail de celle-ci afin qu’elle travaille de jour, n’ayant ainsi à travailler le soir pour qu’elle n’ait pas, compte tenu de ses appréhensions, à effectuer à 23 h la fermeture de l’établissement.
[21] Cette décision de l’Employeur d’accommoder ainsi M me Moïse ne semble pas contraire à la convention collective. Du moins, aucun grief n’a contesté cette décision. La convention collective prévoit d’ailleurs, à son article 9.09 c) que « l’Employeur peut modifier l’horaire de travail d’un salarié régulier si ce dernier est consentant », ce qui est ici le cas.
[22] Il était inévitable que la décision de l’Employeur de modifier l’horaire de M me Moïse ait entraîné une conséquence directe pour M. Fillion, à savoir que celui-ci ne pouvait être à l’établissement lorsque M me Moïse était elle-même au travail. C’est dans ce contexte que l’Employeur a octroyé à M. Fillion deux jours de travail par semaine, soit les deux jours où cette dernière était elle-même en congé.
[23] L’Employeur aurait-il pu, comme le lui reproche le Syndicat, accommoder également M. Fillion pour lui permettre d’effectuer plus d’heures de travail et peut-on taxer celui-ci d’avoir usé de façon incorrecte de son droit de gestion? L’arbitre est d’avis qu’il se doit de répondre négativement à ces questions.
[24] D’une part, de la lecture de la convention collective, il apparaît que les gestes posés par l’Employeur ne violent aucune disposition de celle-ci.
[25] D’autre part, de l’examen des horaires respectifs de M me Moïse et de M. Fillion à l’été 2014, l’arbitre ne peut que constater que l’Employeur, compte tenu des contraintes inhérentes à la confection des horaires, a fait en sorte d’octroyer à M. Fillion le nombre d’heures qu’il pouvait lui permettre. Faut-il rappeler, sur ce sujet, que c’est M me Moïse qui bénéficiait d’une ordonnance de la Cour et que l’Employeur devait se comporter en conséquence.
[26] De plus, il apparaît à l’arbitre que les présentes circonstances n’accréditent aucunement que l’Employeur aurait abusé de son droit de gestion. Qu’il ait pu autoriser, à supposer que la convention collective le permette et que M. Fillion l’ait demandé, que ce dernier déplace un commis au département des viandes ou qu’il soit ainsi affecté temporairement comme gérant de ce département, ne saurait se qualifier à ce titre puisqu’il s’agit là de décisions administratives qui ne sont pas, compte tenu des faits mis en preuve, du ressort de l’arbitre.
[27] Dans les circonstances, l’arbitre ne peut que rejeter le présent grief.
[28] POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE :
28.1. REJETTE le grief du 28 juillet 2014 de M. Éric Fillion;
28.2. DÉCLARE que Super C (une division de Métro Richelieu inc.) a correctement confectionné les horaires de M me Josianne Moïse et de M. Éric Fillion, à l’été 2014.
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________________________________ __ M e JEAN-GUY ROY, arbitre |
A N N E X E I
Jurisprudence déposée par l’Employeur
Syndicat des professeurs de
l’État du Québec
et
Ministère des Communautés culturelles et de
l’Immigration du Québec
, M
e
Denis Tremblay, arbitre, 30
septembre 1993,
Syndicat des professeurs de l’État du Québec ( grief de Armand Bonneville ) et Gouvernement du Québec , M e Denis Tremblay, arbitre, 5 octobre 1993.