9271-9368 Québec inc. (Levage de maison) c. Janvier

2015 QCCQ 13882

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

LOCALITÉ DE

TROIS-RIVIÈRES

« Chambre civile »

N° :

400-32-013114-157

 

 

 

DATE :

2 décembre 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE ALLEN, J.C.Q.

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9271-9368 QUÉBEC INC.

faisant affaire sous «  LEVAGE DE MAISON »

Demanderesse

c.

MARTINE JANVIER

et

STÉPHANE HAMEL

Défendeurs

 

 

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JUGEMENT

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[1]            La demanderesse réclame 9 937,28 $ des défendeurs en application d’une clause pénale prévue au contrat de construction intervenu entre les parties et ayant été résilié par les défendeurs.

[2]            Les défendeurs contestent la réclamation et allèguent qu’une entente à l’amiable est intervenue entre les parties à l’automne 2014 pour un montant de 5 000 $, mais que la demanderesse a refusé d’honorer celle-ci.

Mise en contexte

[3]            Le 29 novembre 2013, les parties signent une entente en vertu de laquelle la demanderesse doit procéder à l’excavation et la démolition des fondations de la résidence familiale des défendeurs et procéder ensuite à reconstruire de nouvelles fondations.  Le prix des travaux au contrat est de 99 372,89 $ et ceux-ci doivent commencer le ou vers le 28 avril 2013.

[4]            Le contrat prévoit une clause pénale se lisant comme suit : «  En cas d’annulation de cette entente, le client devra débourser une pénalité de 10 % de la valeur des travaux.  Dans le cas d’un report des travaux en 2015, le montant de la valeur des travaux sera indexé en référence au coût de la vie  ».

[5]             Quelques semaines avant le début des travaux, le représentant de la demanderesse communique avec les défendeurs afin de préparer la mise en chantier. Les défendeurs l’informent avoir eu des discussions avec un autre entrepreneur qui leur propose d’exécuter les travaux pour un prix de 30 000 $ inférieur à celui de la demanderesse.

[6]            Les parties entreprennent ensuite des discussions qui n’ont pu aboutir à une entente. Finalement, les défendeurs ont confié la réalisation des travaux à un autre entrepreneur et ces travaux ont été terminés le 14 juillet 2014 pour un montant de 63 236 $.

[7]            Le 20 février 2015, la demanderesse transmet aux défendeurs une mise en demeure par laquelle elle réclame un montant de 9 937,28 $.

Analyse

[8]            La clause du contrat invoquée par la demanderesse pour réclamer un montant équivalant à 10 % du coût des travaux prévu au contrat est une clause pénale.  Les articles 1622 et 1623 du Code civil du Québec traitant des clauses pénales se lisent comme suit :

« art. 1622.      La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n'exécuterait pas son obligation.

                                     Elle donne au créancier le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l'exécution en nature de l'obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l'exécution et la peine, à moins que celle-ci n'ait été stipulée que pour le seul retard dans l'exécution de l'obligation.

   art. 1623.       Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu'il a subi.

                        Cependant, le montant de la peine stipulée peut être réduit si l'exécution partielle de l'obligation a profité au créancier ou si la clause est abusive.  »

[9]            Dans l’affaire Service de linge Mirabel inc. c. Centre de l'auto S. Legault inc [1] , le juge Georges Massol présente les principes de droit applicables aux clauses pénales :

« [ 11 ]         Plusieurs dispositions du Code civil du Québec s'entrechoquent dans l'application à la présente affaire.

   [ 12 ]         D'une part, une clause pénale par laquelle une partie prévoit d'avance les dommages qu'elle subira est présumée valide au sens de la loi (articles 1611,1613 et 1622 C.c.Q.).

   [ 13 ]          Par ailleurs, le contrat à l'étude doit être qualifié de contrat de service. Dans ce cas, le client a droit, en principe, à la résiliation du contrat :

« 2125.     Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise. »

   [ 14 ]         L'article 2129 C .c.Q. apporte cependant le tempérament suivant :

«   2129.     Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.

                   L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.

                   Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir. »

   [ 15 ]          La jurisprudence, bien que pas unanime à cet égard, considère généralement qu'en cas de résiliation unilatérale, le client n'a d'autre obligation que de rembourser au prestataire de services le préjudice réellement subi  [1] .

   [ 16 ]         Comme mentionné précédemment, les autorités sont généralement d'avis que l'application intégrale d'une clause pénale serait une façon détournée de rendre inopérant le droit consenti au client en vertu de l’article 2129 C.c.Q.

   [ 17 ]           En définitive, tout ce qui dépasserait le préjudice réellement subi par le prestataire de services constituerait une clause abusive au sens de l’article 1623 C.c.Q.

   [ 18 ]          Dans Automates Bouvrette inc.  [2] , le juge Pierre E. Audet, ayant à statuer sur l'application d'une clause pénale en regard des articles 1623 et 2129 C .c.Q., cite d'abord l'auteur Vincent Karim :

« Une clause pénale prévoyant une sanction à l'exercice du droit à la résiliation unilatérale peut cependant être considérée valide, dans le cas où le montant de la pénalité prévu est inférieur à l'indemnité qui aurait été accordée selon les critères de l’article 2129 C .c.Q.   En revanche, dans le cas où ce montant est supérieur, il doit être réduit au montant de l'indemnité déterminée par l'application de la disposition de l’article 2129  C.c.Q. , qui constitue un plafond ultime des indemnités devant être déboursées par le client. Décider autrement reviendrait à permettre de sanctionner l'exercice d'un droit légal, légitime et nécessaire au bon ordre des contrats d'entreprise. »  [3]

    [ 19 ]    Dans cette affaire, la preuve des dommages étant difficilement évaluable, semble-t-il, le juge Audet accorde à la demanderesse le cinquième de la somme réclamée à titre de dommages et intérêts.

   [ 20 ]         Dans Service de linge Mirabel inc. c. Orientech  [4] , notre collègue la juge Sasseville a considéré qu'une clause pénale, identique à celle présentement en litige, était abusive et elle réduit de moitié la somme réclamée à titre de dommages et intérêts.

   [ 21 ]         Par ailleurs, le juge Normand Amyot, dans Jolicoeur ltée c. Veilleux Transit inc.  [5] , fait une intéressante revue de la jurisprudence en la matière pour conclure que la clause pénale contenue dans le contrat liant les parties doit céder le pas au droit énoncé aux articles 2125 et 2129 C.c.Q. En conséquence, il accorde la valeur de l'inventaire des vêtements que détenait toujours le client.

                         Ainsi, pour déterminer si la clause invoquée par la demanderesse est valide, il y a lieu de vérifier si le montant réclamé est inférieur à celui auquel la demanderesse aurait droit en vertu de l’article 2129 C.c.Q.

   L’auteur Vincent Karim [2] présente les restrictions visant les dommages pouvant être octroyés en vertu de 2129 C.c.Q. :

« 1496.  Les différents dommages énoncés à l’article 2129 C.c.Q. ne constituent pas une liste limitative des préjudices devant être indemnisés par le client 2448 . Cependant, cette disposition qui crée un régime d’indemnisation particulier ne permet d’obtenir une compensation que pour une partie seulement des chefs de dommages qui , en général , sont admis par les règles du régime d’indemnisation commun. Ainsi, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut avoir droit à une indemnité pour le stress, la perte de temps et les inconvénients engendrés suite à la résiliation et aux démarches entamées pour trouver un nouveau contrat 2449 . Il ne peut obtenir non plus une indemnité pour le gain manqué ou le profit qu’il aurait pu réaliser si le contrat n’avait pas été résilié 2450 .

   1497.    En effet, contrairement à ce qu’admettait la jurisprudence antérieure 2451 à la réforme du Code civil, il ne faut pas accorder à un entrepreneur ou un prestataire de services une indemnité pour les gains manqués en raison de la résiliation du contrat d’entreprise. Il s’ensuit que le préjudice résultant d’une chance manquée de conclure un autre contrat d’entreprise qui lui aurait été profitable, ne peut être invoqué par l’entrepreneur ou le prestataire de services dans le cadre de l’application des articles 2125 et 2129 C.c.Q.. Il faut entendre par les expressions « gains manqué s » ou « perte des profit s » non seulement le gain ou les profits que l’entrepreneur ou le prestataire de services aurait pu faire sur tout autre marché qu’il a manqué en raison de la conclusion du contrat résilié, mais aussi les gains et les profits qu’il aurait pu obtenir de ce contrat si le client n’avait pas procédé à sa résiliation en cours d’exécution.

   1498.     Faut-il rappeler que l’article 2129 C.c.Q. établit une règle spécifique en matière de contrat d’entreprise et de prestation de services, qui déroge au régime de responsabilité civile de droit commun en matière de compensation 2452 . Il convient donc de lui accorder une interprétation restreinte 2453 , de manière à respecter la volonté du législateur de créer un régime dérogatoire à celui du droit commun qui, lui, permet à l’entrepreneur ou au prestataire de services d’être indemnisé pour les gains manqués (art. 1611 C.c.Q.) 2454 . Affirmer le contraire 2455 reviendrait à ôter à cette disposition tout son sens, en l’interprétant de la même manière que les articles 1611 et 1613 C .c.Q. 2456 . Une interprétation large aura également pour effet de rendre inopérante la disposition de l’article 2125 C.c.Q. qui confère au client le droit à la résiliation unilatérale de son contrat sans avoir à engager sa responsabilité contractuelle.

   1499.     Par contre, lorsque la preuve révèle que la résiliation a été faite de façon abusive ou de mauvaise foi, le client doit être condamné à payer à l’entrepreneur ou au prestataire de services , non seulement la valeur des travaux exécutés ou des prestations fournies , mais aussi un montant supplémentaire à titre de dommages-intérêts 2457 . En d’autres termes, en cas de résiliation du contrat par le client contrairement aux exigences de bonne foi, le tribunal pourra refuser d’appliquer la règle prévue à l’article 2129 C.c.Q. pour accorder à l’entrepreneur ou au prestataire de services une compensation établie selon les règles générales applicables en matière de régime d’indemnisation (art. 1607, 1611 et 1613 C.c.Q.). (Nos soulignements)

[10]         Dans le présent dossier, il y a donc lieu de déterminer la validité de la clause pénale invoquée par la demanderesse et du montant réclamé.  

[11]         Le représentant de la demanderesse, Pierre Labonté, a témoigné à l’effet que les profits escomptés par la demanderesse sur le contrat intervenu avec les défendeurs étaient de l’ordre de 15 %.  Or, les gains et les profits que l’entrepreneur aurait pu obtenir du contrat si le client n’avait pas procédé à sa résiliation ne peuvent être considérés aux fins d’évaluer la validité du montant réclamé en vertu de la clause pénale puisqu’il ne pouvait être accordé à la demanderesse en vertu de l’article 2129.

[12]         Par ailleurs, selon le représentant de la demanderesse, Pierre Labonté, la pénalité est prévue au contrat afin de compenser la demanderesse pour l’organisation et la planification des travaux comme la main-d’œuvre, la location d’équipements et la sous-traitance.

[13]         Le contrat a été résilié avant le début des travaux.  Selon le témoin Labonté, la main-d’œuvre et les équipements ont pu être affectés à d’autres chantiers.  Ils n’ont pas eu à payer de pénalités auprès de leurs sous-traitants et n’ont pas eu non plus à acheter ou fournir des matériaux.

[14]         Sans qu’une preuve détaillée ait été présentée à cet effet, il reste néanmoins que la demanderesse a dû consacrer du temps de nature administrative afin de réserver les plages de temps retenues pour l’exécution des travaux et planifier l’affectation de la main-d’œuvre et des équipements nécessaires aux travaux prévus pour la fin avril 2013.

[15]         Compte tenu des principes de droit applicables mentionnés précédemment, le Tribunal considère que la demanderesse serait en droit de recevoir en application de l’article 2129 du Code civil du Québec un montant de 1 500 $. Comme le montant réclamé en vertu de la clause pénale ne peut pas excéder celui auquel la demanderesse aurait eu droit en vertu de l’article 2129 C.c.Q.,  ce montant de 1 500 $ est donc le maximum qui peut être réclamé en vertu de la clause pénale.

[16]         Enfin, même si les défendeurs ont pu tarder à communiquer avec la demanderesse pour l’informer qu’ils remettaient en question les travaux à être exécutés par celle-ci compte tenu du coût inférieur d’un compétiteur, le Tribunal ne peut pour autant conclure que les défendeurs ont été de mauvaise foi dans leurs interventions.

[17]         Ainsi, le Tribunal considère que la clause pénale invoquée par la demanderesse est valide et que la demanderesse est en droit de recevoir en vertu de celle-ci un montant de 1 500 $.

[18]         Enfin, bien que des discussions aient pu avoir lieu entre les parties concernant une entente, les défendeurs n’ont pas présenté une preuve concluante sur un montant et des modalités de paiement concernant une telle entente.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[19]         ACCUEILLE partiellement la demande;

[20]         CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à la demanderesse un montant de 1 500 $, avec intérêt au taux légal, et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec , à compter de la mise en demeure du 20 février 2015;

[21]         CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à la demanderesse les frais judiciaires de 250 $.

 

 

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PIERRE ALLEN, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

21 SEPTEMBRE 2015

 



[1]     Service de linge Mirabel inc. c. Centre de l'auto S. Legault inc. , 2011 QCCQ 5154.

[2]     KARIM, Vincent, Contrats d'entreprise, Contrat de prestation de services et l'hypothèque légale , Éditions Wilson & Lafleur, 2011, page 629