TRIBUNAL d'ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE de QUÉBEC
N° de certificat de dépôt DQ-2012-
Le 7 septembre 2012
SENTENCE ARBITRALE INTERLOCUTOIRE de GRIEF
Code du travail , L.R.Q., c. C-27, articles 59, 100.10 et 100.12 g)
SOCIÉTÉ des CASINOS du QUÉBEC
(«l’Employeur»)
-ET-
ASSOCIATION des CADRES de la SOCIÉTÉ des CASINOS du QUÉBEC inc. («l’Association»)
Mésentente en vertu
des articles 59,
modification aux horaires de travail et réduction du nombre d’heures ouvrables
et
ordonnance provisoire de sauvegarde en vertu de l’article 100.12 g)
accessoire à la mésentente
Date de la mésentente: le 23 avril 2012
Noël Mallette, arbitre de grief
Me Jean Leduc (Loranger Marcoux), procureur de l'Employeur
Me Jean-Luc Dufour (Poudrier Bradet), procureur de l’Association
La PRÉSENTATION des PARTIES
[1] La Société des casinos du Québec est une filiale de la Société des Loteries du Québec, société constituée en vertu de la Loi sur la Société des loteries du Québec, L.R.Q., c. S-13.1. Elle est responsable de la gestion des trois casinos d’État au Québec, dont le Casino de Montréal d’où origine le litige.
[2] L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec représente les superviseurs des opérations, d es cadres hiérarchiques de premier niveau (classes 4 et 4a) du secteur des jeux notamment ceux offerts aux tables de jeux, aux machines à sous/keno, aux salons de poker et à tout autre système de loterie de même nature aux fins de l'exploitation du Casino. Leur désignation antérieure au 23 ami 2001 était celle de «chefs de table».
[3] Me Jean Leduc (Loranger, Marcoux), représentait l‘Employeur, tandis que Me Jean-Luc Dufour (Poudrier, Bradet) occupait pour l’Association.
L’EXPOSÉ de CAUSE
[4] L’Association a déposé devant la Commission des relations du travail (CRT) une requête en accréditation aux fins d’agir à titre de représentante de cadres hiérarchiques de premier niveau au service de l’Employeur. Sa requête prévoyait concurremment la déclaration par la CRT de l’inconstitutionnalité de l’exclusion du statut de cadre hiérarchique prononcée à l’article1 l), par.1 du Code du travail . Le motif en est la violation du droit quasi-constitutionnel d’association.
[5] L’Employeur a contesté le pouvoir de la CRT de se prononcer sur cette dernière question. La Cour supérieure, en révision judiciaire, pour des motifs obscurs sur lesquels je n’ai pas à me prononcer, a donné raison à l’Employeur. La Cour d’appel a octroyé à l’Association la permission d’en appeler de ce jugement. Voilà pour le contexte lointain.
[6] L’Association
allègue que l’Employeur a, depuis le dépôt de sa requête en accréditation
devant la CRT, modifié des conditions de travail de ses membres, leur imposant
des changements à leurs horaires de travail dont la réduction du nombre
d’heures ouvrables. Ce faisant l’Employeur aurait violé les articles
[7] L’Employeur conteste ma compétence à me saisir de cette double requête à partir des motifs voisins de ceux invoqué devant la CRT et la Cour supérieure.
La COMPÉTENCE de l'ARBITRE
[8] Les
procureurs des parties ont procédé aux constats d'usage et ainsi reconnu, au
moment opportun à cet effet, ma compétence à entendre le grief, sous réserve du
moyen de droit soulevé par le procureur de l'Employeur relativement à la
recevabilité de la plainte en vertu des articles
[9] Le procureur de l’Employeur m'a demandé de rendre une sentence arbitrale interlocutoire sur l'objection préliminaire à ma compétence relative à l’irrecevabilité de cette plainte. Le procureur de l’Association soutenait que je me saisisse de la plainte et que j’entende la preuve au fond de l’affaire.
La PREUVE DOCUMENTAIRE et TESTIMONIALE
[10] Le litige a donné lieu à l’échange, entre les parties, et au dépôt devant les diverses instances compétentes à de nombreuses pièces. J’en reproduits certains extraits ci-après, de manière à faciliter la compréhension des questions soulevées à quiconque lit la présente sentence arbitrale interlocutoire.
[11] Le
procureur de l’Association a ainsi circonscrit les principaux enjeux du présent
dossier et son cheminement, en vue de son aboutissement, par la présente requête
de l’Association, à l’accueil de la mésentente soulevée par l’Association, aux
termes des articles
[12] La lettre destinée à la ministre du Travail dessine la situation suivante (pièce E-3):
Nous sommes mandatés par l'Association des cadres de la
Société des casinos du Québec pour vous demander de référer à l'arbitrage,
conformément aux articles
Malgré tout et considérant ce que ci-après exposé, nous requérons la nomination d'un arbitre de manière à préserver les droits de notre cliente et des cadres qu'elle représente advenant le cas où la Commission des relations du travail lui donnerait gain de cause dans le litige qui l'oppose à l'employeur.
Notre cliente a été constituée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, L.R.Q., c. S-40, le 6 mars 1997, et ce, par lettres patentes émises à l'origine en faveur de l'Association des superviseurs des tables de jeu du Casino de Montréal.
Le 23 mai 2001, cette association changeait sa dénomination sociale afin d'être dorénavant désignée sous le nom d'Association des cadres de la Société des casinos du Québec.
Les objectifs constitutifs de notre cliente sont l'étude, la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux et moraux de ses membres, qui sont tous des personnes travaillant pour la Société des casinos du Québec.
La Société des casinos du Québec est quant à elle une filiale de la Société des loteries du Québec, société constituée en vertu de la Loi sur la Société des loteries du Québec, L.R.Q., c. S-13.1.
Les objets de la Société des loteries du Québec sont de conduire et d'administrer les systèmes de loterie et d'exercer les commerces qui contribuent à l'exploitation d'un casino d'État. Dans le cadre de ses objets, la Société des loteries du Québec a obtenu, en date du 16 décembre 1992, en vertu de la Partie IA de la Loi sur les compagnies, L.R.Q., c. C-26, la délivrance de statuts corporatifs pour le bénéfice de l'employeur, et ce, aux fins d'exploiter un casino d'État.
Le 10 novembre
2009, notre cliente déposait une requête en vertu de l'article
«Les cadres de premier niveau (classes 4 et 4a) du secteur des jeux notamment ceux offerts aux tables de jeux, aux machines à sous/keno, aux salons de poker et à tout autre système de loterie de même nature aux fins de l'exploitation d'un casino d'état et ce pour l'établissement de l'employeur situé au 1, avenue du Casino, Montréal (Québec).»
De plus, dans sa requête en accréditation, notre cliente demandait aussi à la Commission des relations du travail de:
«DÉCLARER que l'exclusion du statut de cadre prévue à l'article 1 l) par.1 du Code du travail lui est inopposable constitutionnellement puisqu'elle porte directement atteinte à l'exercice de la liberté d'association par l'association requérante et particulièrement porte atteinte à la liberté d'association des employés faisant partie du groupe visé par la présente requête en accréditation.»
Par voie de conséquence, notre cliente demande aussi à la Commission de lui accorder une accréditation en vertu du Code du travail.
Conformément à
ses obligations procédurales, le 23 novembre 2009, notre cliente faisait
signifier au Procureur général du Québec un avis d'intention conformément à
l'article
Le 24 novembre 2009, l'employeur, la Société des casinos du Québec, contestait :
1 ° l'unité de négociation proposée par notre cliente;
2° la légalité de la requête en accréditation;
3 ° les questions constitutionnelles et quasi constitutionnelles qui étaient soulevées pour les motifs énoncés dans sa requête en irrecevabilité.
L'employeur demandait à la Commission des relations du travail de déclarer irrecevable la requête en accréditation de notre cliente au motif qu'elle n'était pas compétente pour trancher la question constitutionnelle soulevée par ladite requête et précédemment élaborée.
Le 24 février 2010, les parties se présentaient devant la Commission des relations du travail aux fins de plaider sur la requête en irrecevabilité déposée par l'employeur et portant sur la compétence de la Commission à trancher la question constitutionnelle soulevée par la requête en accréditation de notre cliente.
Le 14 avril 2010, la Commission rendait une décision rejetant la requête en irrecevabilité de l'employeur et se déclarait compétente à entendre le fond de l'affaire, et particulièrement à traiter, dans un premier temps, de la validité constitutionnelle, au regard des règles entourant l'exercice de la liberté d'association, d'une disposition législative habilitante de sa compétence, à savoir l'article 1 I) (1) du Code du travail, et le cas échéant, si elle jugeait invalide constitutionnellement l'article 1 I) (1) du Code du travail, à décider de la validité de la demande en accréditation de notre cliente.
Le 14 mai 2010, l'employeur faisait signifier une requête introductive d'instance en révision judiciaire à notre cliente dans laquelle il reprenait les mêmes arguments d'irrecevabilité que ceux plaidés devant la Commission des relations du travail en février 2010.
Le 23 janvier 2012, l'honorable Steve J. Reimnitz de la Cour supérieure du district judiciaire de Montréal accueillait la requête introductive d'instance en révision judiciaire de l'employeur, et à cet effet, révisait la décision interlocutoire rendue par la Commission des relations du travail le 14 avril 2010.
Ce jugement de la Cour supérieure a fait l'objet d'une requête pour permission d'en appeler, permission qui fut accordée par la Cour d'appel du Québec le 28 mars 2012.
Dans les circonstances, afin de préserver les droits de
notre cliente et des membres qu'elle représente, et ce, dans l'éventualité où
la Commission des relations du travail lui donnerait gain de cause quant à la
recevabilité de sa demande en accréditation, il y a lieu de nommer un arbitre,
conformément aux articles
En conséquence, dans les circonstances, nous vous demandons, conformément aux pouvoirs qui vous sont octroyés par le Code du travail, de déférer la mésentente qui oppose notre cliente à l'employeur à un arbitre que vous jugerez bon de désigner. À cet effet, vous trouverez ci-joint le formulaire requis pour la nomination d'un tel arbitre.
Si quelque information additionnelle s'avérait nécessaire, n'hésitez pas à communiquer avec le soussigné.
[13] La lettre du procureur de l’Association destinée au procureur de l’Employeur, dont je retiens certains passages que la lettre précédente ne reprend pas, est la suivante (pièce E-3):
Or, au cours du mois de mars 2012, l'employeur a unilatéralement modifié les plages horaires de travail des employés visés par l'unité de négociation précédemment décrite et diminué considérablement les heures de travail de ces mêmes employés.
Cette décision de
l'employeur est non justifiée et constitue une modification illégale aux
conditions de travail des employés concernés, et ce, en contravention de
l'article
Description du correctif recherché :
L'Association considère que la décision de l'employeur de procéder à une modification des plages horaires de travail et à une diminution substantielle des heures de travail attribuées aux employés visés par l'unité de négociation précédemment décrite est non justifiée.
L'Association demande que cette décision soit annulée, que les salariés puissent continuer à bénéficier des mêmes plages horaires de travail dont ils bénéficiaient avant la décision de mars 2012 et qu'ils puissent récupérer les heures de travail dont ils ont été privés à la suite de la décision de l'employeur.
L'Association demande aussi que les employés concernés soient compensés
pour les préjudices subis découlant de cette décision, le tout avec intérêt au
taux légal à compter du dépôt de la présente mésentente sur les sommes dues en
vertu de la sentence arbitrale à venir, auquel doit être ajoutée une indemnité
calculée en appliquant à ce montant, à compter de la même date, un pourcentage
égal à l'excédent du taux d'intérêt suivant l'article
L'Association demande également que toute autre décision propre à sauvegarder les droits de l'Association et ceux de ses membres soit rendue.
[14] La réplique du procureur de l’Employeur tient en sa lettre du 13 juin 2012 qu’il m’adresse:
Nous sommes les procureurs de la Société des casinos du Québec (ci-après la «Société») dans le dossier mentionné en objet et avons pris connaissance de la Requête pour obtenir une ordonnance de sauvegarde (ci-après la «Demande de sauvegarde») transmise par l'Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ci-après l'«Association des cadres») le 24 mai dernier.
Dans un premier temps, nous tenons à vous faire part de notre grand étonnement à recevoir pareille procédure, étant données les circonstances particulières entourant le présent dossier.
En effet et pour résumer l'affaire en quelques lignes, la Cour d'appel devra bientôt se prononcer sur la compétence de la Commission des relations du travail (ci-après la «Commission») à se saisir et à disposer de la requête en accréditation déposée par l'Association de cadres, malgré le fait que le Code du travail exclut les personnes qu'elle représente de la notion de « salarié», à son paragraphe 1 I).
En effet, par sa requête en accréditation devant la
Commission, l'Association des cadres réclamait que les personnes qu'elle
représente soient inclues à la définition de «
salarié»
(paragraphe
La Commission a rejeté la requête en irrecevabilité formulée par la Société et s'est déclarée compétente pour se saisir et disposer du dossier d'accréditation soumis par l'Association des cadres.
La Société a alors demandé la révision judiciaire de cette décision devant un juge de la Cour supérieure et elle a eu gain de cause. Le Juge Reimnitz a accueilli sa requête en révision judiciaire, précisant que la Commission n'était pas compétente pour disposer du litige lui ayant été soumis. Il a rejeté la requête en accréditation.
L'Association des cadres a donc déposé une permission d'en appeler de ce jugement. La permission ayant été accueillie, les parties seront fort probablement entendues en 2013, suivant le dépôt de leurs mémoires respectifs d'ici la fin de l'été.
C'est dans ce
contexte que l'Association des cadres a déposé une plainte fondée sur l'article
Or, l'Association des cadres, par l'entremise de son procureur, nous
avait spécifié que le dépôt de la plainte en vertu de l'article
En effet, par
une lettre datée du 23 avril 2012 adressée à la Ministre du travail afin de
demander qu'un arbitre soit nommé en vertu des articles
«Malgré tout et considérant ce que ci-après exposé, nous requérons la nomination d'un arbitre afin de préserver /es droits de notre cliente et des cadres qu'elle représente advenant le cas où la Commission des relations du travail lui donnerait gain de cause dans le litige qui l'oppose à l'employeur.
(...)
Dans les circonstances,
afin de préserver les droits
de notre cliente et des membres qu'elle représente, et ce,
dans
l'éventualité où
la Commission des relations du travail lui donnerait gain
de cause quant à la recevabilité de sa demande en accréditation, Il y a lieu de
nommer un arbitre,
conformément aux articles
(Soulignés et caractères gras de l’Employeur)
Ce n'est qu'une fois votre nomination confirmée que l'Association des cadres nous informait, par l'entremise de son procureur, que sa position avait changé.
De la même façon que la Société a procédé devant la Commission, nous
tenons à vous aviser que nous présenterons une requête en irrecevabilité de la
plainte déposée par l'Association des cadres en vertu de l'article
En effet, nous
sommes d'avis que vous n'êtes pas compétent pour vous saisir et disposer du
litige, notamment mais non limitativement puisque la plainte a été déposée par
une association qui n'a pas la qualité pour déposer une mésentente fondée sur
l'article
Notamment, ce
n'est qu'à compter «
du dépôt d'une requête en accréditation (...)»
qu'une
mésentente fondée sur l'article
Tel que le prévoit le paragraphe
Dans la même
veine, il appert que la mésentente alléguée relative au maintien des conditions
de travail prévue à l'article
Tel que
mentionné précédemment, ces derniers sont expressément exclus de la notion de «
salarié»
prévue au paragraphe
Comme nous l'avons fait devant la Commission, suite à une entente entre les parties à cet égard, nous estimons nécessaire de disposer de cette question de compétence de façon préalable à l'audition du dossier sur le fond.
Dans un deuxième temps, suivant votre décision sur notre objection préliminaire et advenant le cas où vous vous déclariez compétent pour vous saisir et disposer du présent dossier, ce que nous nions vigoureusement par ailleurs, soyez avisé que nous contesterons le bienfondé de la Demande de sauvegarde, aucun des critères essentiels à l'obtention d'une telle demande n'étant rencontrés en l'espèce.
Pour toute question ou précision additionnelle, nous sommes disposés à discuter de la présente à votre convenance.
[15] Le procureur de l’Association a ainsi tenu à soumettre son appréciation de la situation dénoncée par le procureur de l’Employeur quant à l’effet de surprise qu’il déplorait relativement à ce qu’il estimait un changement de stratégie du procureur de l’Association, par sa lettre au 19 juin 2012 qu’il me destinait:
Nous désirons répondre à la correspondance qui vous était adressée le 13 juin courant par notre confrère, M e Jean Leduc, en rapport avec le dossier mentionné en titre.
D'entrée de jeu, précisons que nous prenons acte de l'objection préliminaire à votre compétence, soulevée par M e Leduc en page 3 de sa missive.
Cependant, nous considérons que certains propos contenus dans les remarques préliminaires nous sont inopposables dans les circonstances et à cet effet, nous désirons apporter les précisions suivantes, d'autant que les propos en question nous ont fort surpris, pour ne pas dire qu'ils nous ont choqués.
En effet, depuis le début du dossier, les contacts entre M e Leduc et le soussigné ont toujours été courtois et empreints d'un très grand « fair play », que ce soit dans les échanges de documents, les admissions, ou encore dans le cadre de la fixation des modalités du déroulement de la preuve, sans compter les nombreuses représentations devant les tribunaux concernés. Lorsque les circonstances s'y prêtaient, nous avons toujours échangé de manière à ne pas prendre l'autre par surprise.
Or, le
soussigné tient à préciser que la démarche qu'il avait initialement effectuée
concernant le dépôt d'une mésentente en vertu de l'article
Que nous ayons
prévenu M
e
Del Vecchio de nos démarches en vertu de l'article
Nous ne voyons pas en quoi ces propos sont utiles à votre mandat et entendons contester toute preuve ou remarque à cet effet qui pourrait être formulée par la partie adverse lors de l'audition de cette requête, d'autant que nous avions au préalable, toujours dans les limites du « fair play » établi, prévenu notre collègue de notre intention de déposer une requête pour ordonnance de sauvegarde.
Dans les circonstances, nous vous demandons de bien vouloir écarter ces remarques préliminaires concernant les éléments précédemment allégués.
Encore une fois, nous réitérons que nous comprenons mal pourquoi ces discussions se retrouvent dans une telle correspondance.
[16] La requête en accréditation révèle que l’Association requérante a déjà vu, dès le 5 mai 1995, une première semblable requête rejetée par le Commissaire du travail d’alors, pour le motif que ses membres ne répondaient pas au statut au «salariés» du Code du travail , les «chefs de tables» étant considérés comme des «cadres hiérarchiques». Le Tribunal du travail d’alors se rangea, en appel, du côté des conclusions de l’Employeur.
[17] L’Association représente donc depuis «les cadres de premier niveau (classes 4 et 4a) du secteur des jeux» lesquels «accomplissent essentiellement les mêmes fonctions que celles accomplies par les chefs de table».
[18] Qu’il suffise enfin de rappeler que l’Association a ensuite vainement tenté d’obtenir, à défaut de l’accréditation, un statut de «reconnaissance» de la part de l’Employeur, statut que le Code du travail n’octroie plus, après que la Loi des relations ouvrières de 1944 l’ait fait, à défaut d’accréditation. Les extraits suivants de la requête en accréditation de l’Association tracent l’historique de cette prétention laquelle n’est cependant pas génératrice de droit:
12. Depuis sa constitution en association, la requérante a tenté à maintes reprises de se voir reconnaître par l'employeur à titre de représentant autorisé, agent négociateur, de la catégorie d'employés désignés aux conclusions des présentes à savoir: Les cadres de premier niveau (classes 4 et 4a) du secteur des jeux notamment ceux offerts aux tables de jeux, aux machines à sous/keno, aux salons de poker et ce, aux fins de l'exploitation d'un casino d'état [sic] à l'établissement de l'employeur situé au 1, avenue du Casino, Montréal (Québec);
13. Ainsi, le 19 septembre 2001, après plusieurs tentatives en vue de se voir reconnaître par l'employeur comme représentant, agent négociateur, des employés visés par la présente demande en accréditation, l'association requérante concluait un protocole d'entente prévoyant des lignes directrices visant à soutenir les rapports de travail entre les parties;
14. Pour la requérante, la signature de ce protocole d'entente marquait le début d'une nouvelle ère de collaboration avec l'employeur et établissait les débuts d'une véritable reconnaissance comme agent négociateur de ce groupe d'employés et ce, en vue de la conclusion d'une entente collective de travail;
15. Sans limiter la généralité des termes qui suivent et plus particulièrement depuis le 19 septembre 2001, les faits démontrent notamment que l'employeur ne l'entendait pas ainsi [les sous-paragraphes suivants sont, dans le document, effectivement numérotés de 14.1 à 14.6]
14.1) l'employeur remet constamment en question les modalités d'application de retenue à la source d'une cotisation des membres de l'association requérante et ce, bien que le protocole d'entente stipule que l'employeur accepte de prélever régulièrement la cotisation exigée par l'association requérante;
14.2) il appert, bien que le protocole d'entente prévoit que l'employeur doive au préalable consulter l'association requérante avant de modifier les conditions de travail des employés visés par la présente requête en accréditation, que celui-ci fait fi de ses engagements;
14.3) l'association requérante, dans le but de voir au respect de la liberté d'association des employés visés par la présente requête, a soumis des propositions pour obtenir des libérations pour les responsables de l'association, propositions qui ont été refusées par l'employeur;
14.4) lorsque l'association requérante formule des propositions à l'employeur afin notamment d'améliorer les conditions de travail des employés visés par la présente requête, les délais de réponse de l'employeur sont souvent presque interminables et qui plus est, les réponses aux propositions sont toujours négatives;
14.5) il appert, de manière générale, que depuis sa signature, le protocole d'entente n'est pas uniformément appliqué par l'employeur et ce, considérant une interprétation souvent différente de celle de l'association requérante et la volonté manifeste de l'employeur de ne pas reconnaître à l'association requérante le statut d'agent négociateur des employés visés par la présente requête, nonobstant le caractère représentatif de celle-ci;
14.6) toutes les tentatives effectuées par l'association requérante pour renégocier le protocole d'entente du 19 septembre 2001 se sont avérées un échec, l'employeur refusant systématiquement de se livrer à un tel exercice.
16. Afin de soutenir ses nombreuses demandes de reconnaissance de son statut d'agent négociateur auprès de l'employeur, l'association requérante a obtenu l'appui de différentes instances internationales et de différents regroupements de cadres qui occupent, chez d'autres sociétés d'état ou à l'intérieur de différents ministères au sein de l'appareil gouvernemental, des fonctions similaires à celles occupées par les employés visés par la présente requête;
17. Malgré tous ces appuis obtenus et transmis à l'employeur, ce dernier refuse toujours de reconnaître l'association requérante à titre d'agent négociateur et ce, bien que l'historique des relations du travail et leur pratique courante démontrent qu'il est de commune renommée que de telles associations soient reconnues par les employeurs afin de conclure avec ces dernières des ententes collectives de travail pour cette catégorie d'employés;
18. Dans les circonstances, les comportements et attitudes de l'employeur portent atteinte à l'exercice de la liberté d'association par l'association requérante et particulièrement à la liberté d'association des employés visés par la présente requête et briment les droits de l'association requérante et ceux desdits employés à voir reconnaître l'association comme agent négociateur et ce, aux fins de la négociation et la conclusion d'une entente collective de travail;
19. L'association requérante s'est même adressée, sans succès toutefois, à différentes instances gouvernementales afin que des démarches soient entreprises auprès de la direction de l'employeur pour qu'elle puisse voir son statut d'agent négociateur reconnu par l'employeur,
20. L'employeur, et par voie de conséquence la société mère qui le contrôle, traite différemment les employés visés par la présente requête par rapport à d'autres employeurs de même catégorie [sic] ont historiquement accepté de reconnaître les associations de cadres et de négocier avec elles des ententes collectives de travail; […]
[19] La requête en irrecevabilité de l’Employeur, destinée à la CRT, à l’encontre de la requête en accréditation de l’Association, en date du 24 novembre 2009 (pièce E-2), précise ainsi les circonstances et le contenu de la conclusion d’un tel protocole par les parties:
2. Tel qu'il appert du dossier:
[…]
c) Le 19 septembre 2001, l'Association des cadres et la Société ont conclu un Protocole d'entente par lequel, notamment mais non limitativement:
I- La Société reconnaît l'Association des cadres comme représentant les chefs de table qui y sont membres et, si elle peut démontrer son caractère représentatif, d'autres cadres de premier niveau;
II- La Société accepte de prélever une cotisation à même te traitement des chefs de table qui sont membres de l'Association des cadres;
III-
La Société convient de libérer certains représentants de l'Association
des cadres pour certaines rencontres ou activités;
IV- Les parties s'entendent pour collaborer et privilégier une relation loyale;
tel qu'il appert dudit protocole, auquel l'Association des cadres réfère aux paragraphes 13 et 14 de sa Requête, sans par ailleurs le déposer, lequel la Société considère nécessaire de communiquer au soutien des présentes comme pièce R1 ;
[20] Une pièce additionnelle au présent dossier est la requête de l’Association pour obtenir une ordonnance de sauvegarde provisoire (pièce R-4):
15. À ce jour [depuis l’octroi d'une requête pour permission d'en appeler auprès de la Cour d'Appel du Québec du 28 mars 2012], la date à laquelle l'appel sera entendu est inconnue;
16. Entretemps, soit le 26 mars 2012, l'Employeur a modifié substantiellement les horaires de travail des employés membres de l'Association en diminuant le nombre d'heures de travail qui leur était attribué auparavant et ce sans obtenir le consentement écrit de cette dernière;
17.
Les
agissements de l'Employeur sont en contravention avec l'article
59. À compter du dépôt d'une requête en accréditation et tant que le droit au lock-out ou à la grève n'est pas exercé ou qu'une sentence arbitrale n'est pas intervenue, un employeur ne doit pas modifier les conditions de travail de ses salariés sans le consentement écrit de chaque association requérante et, le cas échéant, de l'association accréditée. (...)
18. Ces agissements sont susceptibles de causer un préjudice aux membres de l'Association en occasionnant une diminution substantielle de leur revenu;
19. De plus, ils pourraient conduire certains d'entre eux à quitter leur emploi, n'ayant plus suffisamment de revenu tiré de leur travail chez l'Employeur;
20.
L'Employeur,
par son comportement, place les membres de l'Association en situation
d'insécurité profonde quant à leurs conditions de travail, alors que l'objectif
visé par le législateur par le biais de l'article
21. Par conséquent, il est urgent et nécessaire qu'une ordonnance soit prononcée afin de rétablir les conditions de travail des membres de l'Association telles qu'elles l'étaient lors du dépôt de la requête en accréditation;
22. De plus, la décision prise unilatéralement par l'Employeur le 26 mars dernier, soit de modifier les horaires de travail sans obtenir le consentement de l'Association, est la démonstration que ce dernier n'entend pas respecter les dispositions du Code du travail alors qu'une requête en accréditation a été déposée;
23. Par ces agissements, l'Employeur se comporte envers l'Association et ses membres comme si aucune requête en accréditation n'avait été présentée;
24. Compte tenu du fait que le débat relatif à la compétence de la Commission des relations de travail se poursuivra devant la Cour d'appel au cours des prochains mois et que le débat entourant la constitutionnalité de l'article 1 l) par.1 du Code du travail n'est toujours pas commencé, il est urgent et nécessaire qu'une ordonnance visant à geler les conditions de travail des membres de l'Association soit prononcée afin de préserver ces dernières telles qu'elles l'étaient lors du dépôt de la requête en accréditation;
25.
Considérant le comportement actuel de l'employeur, en l'absence d'une
telle ordonnance, les membres de l'Association pourront être privés, pour toute
la durée des débats devant les différents tribunaux, de la protection que leur
confère l'article
26. L'arbitre chargé d'entendre la présente mésentente a compétence pour faire échec à une telle éventualité en ordonnant le maintien des conditions de travail actuelles par le biais d'une ordonnance provisoire et ce, afin de sauvegarder les droits des membres de l'Association;
27. La balance des inconvénients milite clairement en faveur de l'émission de ces ordonnances en ce que, déjà, les agissements de l'employeur causent préjudice aux membres de l'Association en occasionnant une modification à leurs horaires de travail et en conséquence, une perte de revenu; […]
[21] La réplique de l’Employeur aux prétentions de l’Association s’exprime ainsi, à sa requête en irrecevabilité destinée à la CRT, à l’encontre de la requête en accréditation de l’Association, en date du 24 novembre 2009 (pièce E-2):
32.
Subsidiairement,
advenant que la [Cour d’appel en vienne à la conclusion que] la CRT a compétence
pour disposer de la Requête déposée par l'Association des cadres et que, par le
fait même, elle est habilitée à trancher la
question
constitutionnelle qui en découle, ce que nous contestons vigoureusement par
ailleurs, nous soumettons que les effets pouvant possiblement résulter de cette
procédure devraient être suspendus jusqu'à ce qu'il soit décidé de la
constitutionnalité de l'exclusion prévue à l'article 1 I) par.
33. En effet, le seul dépôt d'une requête en accréditation produit des effets juridiques avant même l'émission de l'accréditation, et ce, au bénéfice de l'association de salariés requérante et des personnes qu'elle désire représenter;
34.
Notamment
mais non limitativement, en vertu de l'article
35. En l'espèce, la requête en accréditation n'a pas été déposée par une association de salariés et suivant les dispositions du Code du travail, celle-ci est irrecevable dans le régime des rapports collectifs de travail existant au Québec;
36. Par contre, la Société se retrouve donc dans une situation où une requête en accréditation a été déposée et le Code du travail prévoit que le simple dépôt d'une telle requête entraîne des effets juridiques immédiats, tel, notamment mais non limitativement, le gel des conditions de travail;
37. Pourtant, jusqu'à une décision finale sur cette question, une loi, dont le Code du travail, jouit d'une présomption de validité car il faut présumer que le législateur n'a pas entendu édicter des règles incompatibles avec la constitution ou les Chartes;
38.
Au surplus, la présomption de conformité avec les
Chartes
doit
d'autant plus s'appliquer car même si une Loi est déclarée attentatoire à un
droit ou à une liberté garanti par celles-ci, cela ne veut pas pour autant dire
qu'elle est invalide, car cette atteinte peut être justifiée en vertu des
articles
39. Malgré tout, en l'espèce, la Société est susceptible de se retrouver dans une situation où l'on voudra possiblement lui imposer, dès à présent, des obligations découlant d'une requête en accréditation qui est pourtant irrecevable en vertu du régime juridique existant et ce, malgré le principe de la présomption de la validité des lois;
40. La Requête déposée par l'Association des cadres, pourrait donc, possiblement entraîner des effets et des obligations immédiats de par son simple dépôt ce qui est incompatible avec le principe de la présomption de validité des Lois;
41. Pour éviter toute ambigüité, surtout que, eu égard aux questions soulevées par la Requête, le débat risque fortement d'être long, tant devant la Commission que devant d'autres instances, nous soumettons qu'il serait injuste et abusif, à l'égard de la Société, de ne pas suspendre les effets qui découlent normalement du dépôt d'une requête en accréditation en vertu du Code du travail, d'autant plus qu'à sa face même, l'Association des cadres ne peut prétendre avoir droit à l'accréditation; […]
[22] Certains éléments des prétentions du procureur de l’Employeur ont pris la forme suivante, dans sa requête en irrecevabilité du 17 août 2012:
VI. Le principe de la présomption de constitutionnalité des Lois
63. Évidemment, dans le cadre de sa prétendue « Requête en accréditation», l'Association des cadres demande à la Commission de déclarer que l'article 1 I), par. 1 du Code du travail lui est inopposable constitutionnellement, car cet article serait à son avis contraire au droit à la liberté d'association protégé par les Chartes;
64.0r, à ce
stade du dossier, non seulement aucune décision n'a-t-elle été rendue sur la
constitutionnalité de l'article 1 I) par.
65. En effet et tel que mentionné précédemment, un débat est présentement en cours devant la Cour appel relativement à la compétence préalable de la Commission de se saisir de cette question constitutionnelle dans le cadre du dossier d'« accréditation» de l'Association des cadres;
66. Il se pourrait donc que la Cour d'appel décide que la Commission n'ait pas compétence pour se saisir et disposer de ce dossier;
67. Il se pourrait aussi, ce que la Société conteste vigoureusement par ailleurs, qu'elle se prononce en faveur de la compétence de la Commission à cet égard;
68. Advenant le cas où la Cour d'appel se prononce en faveur de la compétence de la Commission à se saisir et à disposer de cette question constitutionnelle dans le cadre du dossier d'« accréditation» de l'Association des cadres, il est possible que la Commission entende les parties et qu'elle rejette le recours de l'Association des cadres;
70. Il est aussi possible, ce que la Société conteste vigoureusement par
ailleurs, que la Commission déclare que l'article 1 I), par. 1 du
Code du
travail
est contraire au droit à la liberté
d'association prévu aux
Chartes
et que la violation à ce droit ne peut être légalement
justifié [sic], ce qui est
par ailleurs fort à douter compte tenu des récents jugements rendus
par la Cour suprême du Canada en cette matière;
71. Dans ce dernier cas, il se pourrait alors que la Commission décide que l'article 1 I), par. 1 du Code du travail est inopposable constitutionnellement à l'Association des cadres, ce que la Société conteste vigoureusement par ailleurs et qui est fort à douter, tel que mentionné au paragraphe précédent, compte tenu des récents jugements rendus par la Cour suprême du Canada en cette matière;
72. Mais nous sommes loin d'être rendus là;
73. 0r:
i. Tant et aussi longtemps que la Commission n'aura pas été déclarée « compétente» pour se saisir et disposer de cette question constitutionnelle dans le cadre du dossier d'« accréditation» de l'Association des cadres; et
ii. Tant et aussi longtemps qu'elle ne se sera pas prononcée à l'effet que l'article 1 l), par. 1 du Code du travail porte atteinte au droit à la liberté d'association; et
iii. Tant qu'elle n'aura pas conclu que cette atteinte ne
peut être justifiée en en vertu de l'article
iv. Finalement,
tant qu'elle ne déclare pas que l'article 1 l) par.
L'article 1
I) par.
74. En effet et en vertu du principe bien connu de la présomption de constitutionnalité des Lois, tant et aussi longtemps qu'une disposition n'est pas déclarée inconstitutionnelle par un tribunal, une loi ou un règlement sera présumé valide;
75.
Dans ce
contexte et dans l'intervalle, c'est à dire tant qu'une décision finale
relativement à la constitutionnalité de l'article 1 I) par.1 du
Code du
travail
n'est pas rendue, l'exclusion des cadres prévue à l'article 1 I)
par.
62. [sic] En conséquence, il est clair, à la face même des procédures déposées par l'Association des cadres, que:
i.
Les
membres de l'Association des cadres ne sont pas des
«salariés»
au sens
de l'article 1 I) par.
ii.
Aucune
requête en accréditation au sens de l'article
iii.
L'Employeur,
la Société, n'a jamais eu l'obligation de maintenir les
conditions de travail des membres de l'Association des cadres car ils ne sont
pas des salariés au sens de l'article
iv.
Aucune
mésentente au sens de l'article
v.
Elle ne
pouvait donc requérir la nomination d'un arbitre en vertu de
l'article
76. Il vous est donc impossible de vous saisir et de disposer de la présente « mésentente», de même que des recours qui auraient pu en découler, à moins de vous-même vous pencher sur la constitutionnalité de certaines dispositions du Code du travail;
77. Or, aucune demande ne vous a été faite à cet égard et le cas échéant, votre compétence pour le faire serait contestée;
78. Dans ce contexte et compte tenu des circonstances, vous êtes liés par le principe de la présomption de constitutionnalité des lois;
VII.
Subsidiairement,
le présent Tribunal d'arbitrage devrait surseoir à la présente «
mésentente
»
déposée en vertu des articles
67. [sic] Subsidiairement, advenant le cas où le présente Tribunal d'arbitrage rejette la présente requête en irrecevabilité, ce que nous contestons vigoureusement par ailleurs, nous soumettons qu'il devrait à tout le moins surseoir à entendre ladite « mésentente », de même que les recours qui pourraient en découler, le temps qu'une décision finale soit rendue relativement au droit ou non de l'Association des cadres de bénéficier du régime des relations du travail prévu au Code du travail;
POUR CES MOTIFS, PLAISE AU PRÉSENT TRIBUNAL D'ARBITRAGE DE:
ACCUEILLIR la présente requête en irrecevabilité déposée par l'Employeur, la Société des casinos du Québec inc.;
DÉCLARER
irrecevable la mésentente
déposée en vertu des articles
REJETER
la mésentente déposée en vertu
des articles
DÉCLARER la requête pour obtenir une ordonnance de sauvegarde provisoire irrecevable;
REJETER la requête pour obtenir une ordonnance de sauvegarde provisoire irrecevable;
SUBSIDIAIREMENT:
SURSEOIR
à la [sic] l'audition
de la mésentente déposée par l'Association des cadres en vertu des articles
(Soulignés et caractères gras de l’Employeur)
Les PLAIDOIRIES sur la REQUÊTE en IRRECEVABILITÉ
Le procureur de l'Employeur
[23] Le
procureur de l’Employeur exprime l’opinion selon laquelle l’arbitre doit
d’abord statuer sur sa compétence à se saisir du litige, en vertu des articles
[24] Le procureur de l’Employeur souligne que le statut des salariés qui visent généralement l’obtention de l’accréditation ne pose pas problème. L’Association admet cependant elle-même que sa requête est controversés dans l’état actuel du droit, puisque ses membres ne répondent pas manifestement à la définition de «salariés». L’arbitre ne peut se saisir du dossier tant et aussi longtemps que le débat n’est pas tranché.
[25] La
requête de l’Association exige prudence, discernement et circonspection. L’Association
propose d’abord l’émission d’une ordonnance puis d’attendre de voir ce qu’il en
résultera devant la Cour d’appel puis, le cas échéant, la CRT. La nomination de
l’arbitre n’est pas justifiée par le dépôt par l’Association d’une requête en
accréditation. L’Employeur vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
La seule ouverture faite à l’arbitre, jusqu’à la survenance de la clarification
du dossier en Cour d’appel du Québec et, le cas échéant, devant la CRT, est
soit le rejet de la requête, soit le sursis de l’étude par l’arbitre de cette
requête en vertu de l’article
[26] Le procureur de l'Employeur a essentiellement réitéré les conclusions de sa requête.
Le procureur de l’Association
[27] Le procureur de l’Association souligne que le commissaire Cloutier s’est saisi de la requête en accréditation de l’Association. Il estime que le dossier déposé devant moi revêt une grande urgence, puisque l’Association a logé sa plainte il y a cinq mois, en avril 2012, suivie d’une demande d’émission d’ordonnance de sauvegarde, à la demande de membres visés par des réductions d’heures de travail.
[28] L’objection du procureur de l’Employeur, aux dires de celui de l’Association, porte sur le fond de la mésentente. La position de l’Association est relative à la période intermédiaire, entre le dépôt de sa requête en accréditation et la fermeture du dossier d’accréditation, d’une façon ou de l’autre. Cet intervalle met en péril la protection des conditions de travail des membres de l’Association, dans un contexte difficile, ce que vise précisément l’ordonnance de sauvegarde. En effet, cette dernière démarche offre aux salariés la protection temporaire de leurs droits. Cette protection relève de la compétence de l’arbitre et elle diffère essentiellement de la requête en accréditation même si elle en est la conséquence.
[29] Le procureur du Syndicat a conclu au rejet de la requête de l’Employeur.
La DÉCISION
Les motifs
[30] Une
requête en émission d’une ordonnance de mesure de sauvegarde, accessoire à une
plainte assise sur une mésentente que crée les articles
[31] La ligne mince qui sépare l’objet des démarches devant moi de celles destinées aux autres tribunaux impliqués dans cet écheveau complexe est d’autant plus facile à franchir par inadvertance que le débat entre les parties se mène simultanément devant la CRT, la Cour supérieure et, éventuellement, devant la Cour d’appel du Québec pour l’instant sur la recevabilité de la requête de l’Association. Selon la conclusion à laquelle arrivera la Cour d’appel du Québec, le débat pourra ensuite revenir devant la CRT.
[32] Je
n’ai pas repris, dans la présente sentence arbitrale interlocutoire, tous les
arguments des procureurs qui chevauchaient parfois cette ligne mince et
abstraite. J’ai moi-même, en délibéré et en relecture du projet de sentence
arbitrale, dû faire l’élagage et biffer des paragraphes qui transgressaient les
limites de ma compétence étroite. Je m’efforce donc de répondre ci-après à la
question précise que les parties m’ont soumise: l’arbitre de grief a-t-il, en
pareil contexte, compétence pour se saisir d’une plainte en vertu des 59 et
100.10 du
Code du travail
et, en plus, d’émettre une ordonnance de
sauvegarde conformément au paragraphe
[33] La reconnaissance par la Cour suprême du Canada de l’élargissement du droit à la négociation, corollaire du droit d’association inscrit à la Charte des droits et libertés de la personne et au Code du travail , ne permet plus de prévoir avec certitude, dans la «tranquille possession de la vérité» d’une autre réalité, le rejet, sur la constitutionnalité de la requête de l’Association.
[34] Le Code du travail ne reconnaît formellement et explicitement, à titre d’association de salariés, que deux regroupements de cadres hiérarchiques, le syndicat des contremaîtres d’Hydro-Québec et celui de la Ville de Montréal. Ces deux exceptions spectaculaires au concept de «salarié» du Code du travail auraient dans le passé rendu exorbitante la requête de l’Association, comme le commissaire Doré et madame le juge Lise Langlois du Tribunal du travail en leur temps l’ont fait. Je n’ai d’ailleurs nullement à me préoccuper de cette question dans le dossier que j’ai à trancher.
[35] La
protection de l’article
[36] Je rappelle que l’obligation que fait cette disposition ne vise ni le «gel absolu» des conditions de travail, ni la paralysie de l’employeur, mais plutôt le «maintien» des conditions de travail et des politiques de l’employeur à cet égard.
[37] La
réplique du procureur de l’Employeur, par sa lettre du 13 juin 2012, attaque ma
compétence à entendre la requête de l’Association, fondée sur les articles
Notamment, ce
n'est qu'à compter «
du dépôt d'une requête en accréditation (..)»
qu'une
mésentente fondée sur l'article
[38] Avec égards, il appert de la décision du commissaire Cloutier que la démarche entreprise par l’Association devant la CRT correspond à
[1] […] une requête, en vertu de l’article
[47] En l'espèce, la Commission, comme c'était le cas dans l'affaire Cuddy Chicks, est saisie d'une demande d'accréditation. Bien que cette demande soit déposée par une association de cadres, cela ne change rien à la nature de la demande, soit une demande d'accréditation faite en vertu du Code. D'ailleurs, en droit du travail un «cadre» répond à la définition de salarié, c'est-à-dire une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération. C'est vraisemblablement pour cette raison que le Code exclut les « cadres» de la définition de salarié.
[49] Dans le contexte de la demande d'accréditation, la Commission devra décider d'un certain nombre de questions. Elle devra d'abord répondre à la question constitutionnelle qui se pose, mais aussi, le cas échéant, se prononcer sur le caractère approprié de l'unité de négociation proposée, la liste des salariés et le caractère représentatif de l'Association.
[39] Ces paragraphes de la décision du commissaire Cloutier indiquent clairement que l’Association a saisi la CRT d’une requête en accréditation, qu’elle soit recevable ou non en fin de parcours. Le commissaire identifie même son «plan de travail» (par. [49]) et il n’estime pas que la démarche préliminaire de devoir trancher la «question constitutionnelle» modifie la nature du dépôt de cette requête. Je trouve cependant sibyllines les troisième et quatrième phrases du paragraphe [47] de cette décision, mais je n’ai pas à dire davantage.
[40] Je ne peux préjuger de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec sur les prétentions de l’Association relativement au jugement du juge Remnitz, bien que je m’interroge, comme le procureur de l’Association, sur la compréhension par le juge Remnitz de l’essence de la décision du commissaire Cloutier. Quelle que soit l’éventuelle décision de la Cour d’appel du Québec, celle du commissaire Cloutier est réputée applicable jusqu’au jugement définitif. Cette règle d’interprétation a, d’une certaine manière, préséance, en l’espèce, sur celle de la présomption de constitutionnalité soulevée par le procureur de l’Employeur en l’espèce, puisque, dans la logique de ma réflexion, elle est le point d’ancrage. Sans la décision du commissaire Cloutier, je n’ai aucune compétence à exercer. Ce n’est pas devant l’arbitre de grief que trouve application l’argument de la présomption de constitutionnalité mais plutôt devant la CRT. Je n’ai donc pas à m’en soucier.
[41] Il
appert donc de cette décision de la CRT qu’elle permet d’enclencher, en tout
respect pour les prétentions du procureur de l’Employeur, la démarche de
l’article
[42] C’est là d’ailleurs l’essence d’une mesure de sauvegarde que poursuit devant moi l’Association. Je soumets que le même raisonnement vaut relativement à la demande d’ordonnance de maintien des conditions de travail. Il ne me semble pas davantage inopportun d’émettre semblable ordonnance dans le présent contexte qu’il ne le serait dans celui, sans doute prévalent, où la contestation de la requête en accréditation s’appuie sur le caractère de «non représentativité» de l’association requérante plutôt que, comme en l’espèce, sur la recevabilité même de la requête.
[43] Tel sera en effet le sort de cette mésentente entre les parties devant moi si, dans l’hypothèse où la Cour d’appel du Québec (et peut-être, éventuellement, la Cour suprême du Canada) ferait droit à la requête de l’Employeur ou, dans le cas contraire, la CRT rejetterait la requête en accréditation de l’Association, le présent dossier de l’Association est donc, dans un cas comme dans l’autre, selon ces deux hypothèses, rejeté sur la forme ou sur le fond.
[44] Retenir l’argument du procureur de l’Employeur et rejeter la requête de l’Association équivaudrait à me substituer à la CRT et à conclure à l’accueil, en lieu et place de la CRT, de la prétention de l’Employeur quant à l’irrecevabilité de la requête en accréditation de l’Association qui ne regrouperait pas des «salariés» au sens du Code du travail et qui donc ne saurait prétendre de ce fait au statut d’«association de salariés». La procédure instruite devant la CRT m’interdit de me substituer à elle et m’oblige à présumer de la légalité de la démarche de l’Association jusqu’à ce que la CRT rende un jugement définit ou que la Cour d’appel ne lui interdise d’entendre la requête de l’Association.
[45] La position de l’Employeur relativement à ma compétence s’enferme à cet égard dans une certaine contradiction. Il me nie en effet, avec raison d’ailleurs, le droit de me prononcer sur la pouvoir de la CRT de se saisir du dossier de l’objection de l’Employeur relativement à sa propre requête en irrecevabilité. Cette interdiction de même nature qu’il me fait de me prononcer sur la requête de l’Association devant moi aurait paradoxalement l’effet contraire de ce qu’il m’interdit, à savoir présumer d’une décision négative de la CRT sur la requête en accréditation de l’Association.
Le dispositif
[46] En conséquence,
1. je rejette la présente requête en irrecevabilité déposée par l'Employeur;
2. je
déclare recevable
la
plainte de mésentente déposée par l’Association en vertu des articles
3. j'entendrai, à la demande des
parties ou de l’une d’elles, cette plainte de mésentente et la requête accessoire
en vue de l’émission d’une ordonnance provisoire de sauvegarde en vertu du
paragraphe
Noël Mallette
Arbitre de grief
Montréal, le 7 septembre 2012