Syndicat des paramédics de l'Abitibi-Témiscamingue—Nord-du-Québec - CSN et Ambulances Abitémis (Vézeau et Frères inc.) (griefs individuels, Danny Cossette et un autre)

2015 QCTA 1073

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT ABITIBI

N o de dépôt : 2016-0205

 

AUDIENCE     : Les 1 et 2 octobre 2015

DÉCISION       : Le 29 novembre 2015           

 

 

GRIEFS :         170794 (Danny Cossette) et 170795 (Serge Buttet)

 

 

ARBITRE        :           M e Pierre Lamarche, à la retraite

 

 

SYNDICAT DES PARAMÉDICS DE L’ABITIBI-TÉMISCAMINGUE-NORD-DU-QUÉBEC - CSN,

 

ci-après : « le Syndicat »

- et -

 

AMBULANCES ABITÉMIS (VÉZEAU ET FRÈRES INC.),

ci-après : « l’Employeur »

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

Code du travail, articles 100 et suivants

 

 

[1]            Les parties m’ont choisi pour entendre et décider des présents griefs. J’ai rappelé aux deux parties que j’ai conseillé et représenté tant des syndicats que des entreprises dans le secteur des services préhospitaliers d’urgence et les parties ont maintenu ma nomination;

[2]            Les audiences ont eu lieu à Rouyn-Noranda les 1 er et 2 octobre 2015;

[3]            Les parties ont admis que les griefs ont été soumis à l’arbitrage en suivant la procédure prescrite à la convention collective et que l’arbitre a été régulièrement saisi de ces griefs;

PREUVE DOCUMENTAIRE

Preuve du Syndicat :

S-1 :

Grief 170794 (Danny Cossette);

S-2 :

Grief 170795 (Serge Buttet);

S-3 :

Convention collective (24 mai 2013 - 31 mars 2015);

S-4 :

Lettre de suspension disciplinaire à Danny Cossette (2014-06-18);

S-5 :

Lettre de suspension disciplinaire à Serge Buttet (2014-06-18);

Preuve de l’Employeur :

E-1 :

Procédure d’autorisation de prise de repos pour les techniciens ambulanciers/paramédics affectés aux horaires de faction;

E-2 :

Note de service # 026 (2010-01-01) Procédure Appel d’urgence ;

E-3 :

Rencontre TAP secteur Amos, ordre du jour (2014-02-10);

E-4 :

Compilation des heures de travail et de repos pour les  horaires de faction, le 20 mai 2014 (équipe Monsieur Danny Cossette et Monsieur  Serge Buttet);

E-5 :

CD-R de l’enregistrement de l’affectation du 21 mai 2014, à 14 h 03 min 20 s;

E-6 :

Horaire de la période du 2014-05-01 au 2014-05-21 de Monsieur Serge Buttet;

E-7

Horaire de la période du 2014-05-01 au 2014-05-21 de Monsieur Danny Cossette;

PREUVE TESTIMONIALE

Preuve de l’Employeur :

L’employeur a fait entendre :

1.       Monsieur Serge Buttet, technicien ambulancier/paramédic, président du Syndicat local et Plaignant;

2.       Monsieur Danny Cossette, technicien ambulancier/paramédic et Plaignant;

3.       Monsieur Paul Vézeau, du groupe Vézeau et Frères inc., et un des propriétaires de l’entreprise Ambulances Abitémis;

4.       Monsieur David Brière, directeur du secteur Amos/Matagami;

5.       Monsieur Christian Williams, directeur général adjoint et responsable des mesures d’urgence;

6.       Monsieur Paul Marseille, directeur général;

Preuve du Syndicat :

Le Syndicat a fait entendre :

1.       Monsieur Dave Tardif, technicien ambulancier/paramédic et délégué pour le Syndicat;

2.       Monsieur Serge Buttet, technicien ambulancier/paramédic, président du Syndicat local et Plaignant;

3.       Monsieur Danny Cossette, technicien ambulancier/paramédic et Plaignant;

LES GRIEFS

[4]            Le 21 mai 2014, les deux techniciens ambulanciers/paramédics (ci-après : « T.A./P. » ) sont coéquipiers sur un horaire de faction dans le même véhicule ambulancier attribué au point de service de Amos;

[5]            La convention collective [S-3] définit ainsi l’horaire de faction :

« 1.07 Horaire de faction

Désigne tout type d’horaire qui prévoit une période de faction et une période de récupération. On entend, entre autres, par horaire de faction les horaires de types 7/14 tels que décrits à l’article 14. » [S-3]

 

« SECTION II  HORAIRE DE FACTION

14.02 L’horaire de faction de type 7/14 consiste en une période de faction de cent soixante-huit (168) heures et une période de récupération de cent soixante-huit (168) heures, le tout à l’intérieur d’une période de quatorze (14) jours civils.

 

Pour le calcul de la paie, la personne salariée à temps complet affectée à un horaire de faction de type 7/14 est réputée travailler quarante (40) heures par semaine pendant deux (2) semaines pour chaque horaire de faction de type 7/14 effectué.

 

À moins de circonstances exceptionnelles, toute absence autorisée en vertu de la présente convention collective doit être prise par période de vingt-quatre (24) heures de faction, et ce, en fonction des heures du début du quart de faction.

 

L’équation suivante sert à calculer les salaires des personnes salariées à temps partiel:

NHF X 2 X TH

4.2

TH = Taux horaire du salarié  NHF = Nombre d’heures de faction » [S-3]

 

[6]            Le 18 juin 2014, MM. Serge Buttet (ci-après : « M. Buttet » ) et Danny Cossette  (ci-après : « M. Cossette » ) recevaient chacun une lettre ayant pour objet  Suspension disciplinaire [S-4 et S-5] :

« […]

 

Objet : Suspension disciplinaire

 

Monsieur (…),

 

La présente est pour faire suite aux événements survenus le 21 mai 2014 et à notre rencontre qui s’en est suivie afin d’obtenir votre version des faits.

 

Lors de la rencontre du 21 mai 2014, vous avez requis une période de repos de huit (8) heures selon la règle du 16/8. Cette période de repos vous a été octroyée de 6 h à 14 h. Vous deviez donc reprendre vos fonctions dès 14 h et nous constatons que vous étiez, comme il se doit, à la caserne avant 14 h afin de procéder à l’échange des radios avec les salariés qui vous avaient remplacés.

 

Nous constatons qu’un appel de priorité P0 a été attribué par la centrale de répartition des appels à l’équipe composée de M. Brière et M. Tardif. Étant donné qu’il s’agissait d’un appel de priorité P0 et que votre équipe était déjà sur place, prête à partir sans délai avec le véhicule ambulancier, il était de votre devoir et de votre responsabilité d’aviser la centrale de répartition des appels pour les informer que vous étiez en position d’agir plus rapidement que l’équipe 1, à qui avait été affecté l’appel. Or, vous avez fait défaut d’agir ainsi. Ceci est un manquement important.

 

Cela a entraîné un retard important pour la mise en route du véhicule ambulancier pour cet appel de priorité P0.

 

Nous ne pouvons sous aucune considération passer sous silence un tel manquement. Il en va de la qualité même du service que nous offrons à la population. Ainsi, nous avons décidé de vous suspendre pour une période de six (6) jours (c’est-à-dire six (6) jours de salaire, soit trois (3) jours de faction et trois (3) jours de récupération). Les dates précises de votre suspension vous seront communiquées au cours des deux (2) prochaines semaines.

 

Sachez qu’en cas de récidive, vous vous exposez à des sanctions beaucoup plus sévères qui pourraient même remettre en question votre lien d’emploi.

 

Nous comptons sur votre collaboration future pour que ces gestes ne se reproduisent plus.

 

Bien  à vous,

 

Signature

Paul Marseille

Directeur général

 

[…] » [S-5]

 

[7]            Le 1 er juillet 2014, Monsieur Dave Tardif (ci-après : « M. Tardif » ) déposait le grief 170794 [S-1] au nom de M. Cossette et le grief 170795 [S-2] au nom de M. Buttet. Les deux griefs sont, à quelques termes près, rédigés de la même manière :

« Je conteste la décision de l’employeur de me suspendre 6 jours de salaire (soit 3 jours de faction et 3 jours de récupération) ainsi que la lettre émise à mon endroit remise le 16 juin 2014 par M. Paul Marseille. Parce qu’injustes et illégales.

 

Je réclame l’annulation de cette suspension, et le retrait de cette lettre de mon dossier, ainsi que le salarie perdu.

 

Et tous les droits prévus à la convention collective et dédommagement pour préjudices subis, incluant les dommages moraux et exemplaires, ainsi que le préjudice fiscal, le tout rétroactivement avec intérêts au taux prévu au code du travail, et sans préjudice aux autres droits dévolus. » [S-1]

 

LA QUESTION EN LITIGE

[8]            Il s’agit de déterminer si les Plaignants ont tous deux commis une faute et, le cas échéant, si les sanctions sont raisonnables, compte tenu des circonstances;

TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR SERGE BUTTET

[9]            M. Buttet travaille comme T.A./P. chez l’Employeur depuis 2006. Il y détient un emploi à temps complet depuis octobre 2011. Il est affecté à un horaire de faction au point de services de la Ville de Amos;

[10]       L’Employeur a plusieurs autres points de services en Abitibi et dans le Témiscamingue, qui servent de caserne pour les T.A./P. et de garage pour les véhicules ambulanciers les T.A./P. utilisent donc indifféremment les termes « point de services », « caserne » ou « garage » pour désigner le point de services;

[11]       M. Buttet connaît la formule lapidaire : « Chaque minute compte! » rendue célèbre par la parution, en 1992, du rapport du Docteur Pierre Fréchette, médecin chirurgien urgentologue, qui portait ce titre. Il reconnaît qu’elle exprime un principe fondamental des services préhospitaliers d’urgence. Il reconnaît aussi que « chaque minute compte » est un principe d’intervention qui est connu et admis par les T.A./P.;

[12]       Durant les sept jours de faction d’un T.A./P., le véhicule qui lui est attribué est stationné à la caserne. Les deux équipiers ne sont pas tenus d’attendre une affectation à la caserne. Ils peuvent être disponibles dans tout lieu y compris à leur domicile pourvu que la distance à parcourir leur permet d’arriver à la caserne en moins de cinq minutes. Son coéquipier n’a pas l’obligation d’être avec lui, mais il est tenu aux mêmes exigences de disponibilité et de distance;

[13]       Les T.A./P. reçoivent leur affectation du Centre Communication Santé (ci-après : « CCS » ) [L.R.Q. ch. S-6.2, art. 18 et suivants.]. Ils reçoivent l’appel par radio portatif. Lorsque leur équipe est appelée par le CCS, les coéquipiers répondent par code convenu qu’ils sont à l’écoute et, dès lors, le CCS leur répète par code la priorité de l’urgence de l’appel. Les deux T.A./P. se dirigent alors vers leur véhicule à bord duquel plus d’informations leur seront ensuite communiquées;

[14]          M. Buttet reconnaît que le code de priorité qui indique le degré d’urgence est une composante essentielle des services ambulanciers. Ces codes sont en ordre décroissant d’urgence : P0, P1, P2, P3, P4, P5, P6, P7 et P8. P0 et P1 sont les degrés les plus grands d’urgence, ils signifient qu’il existe une menace réelle et présente à la vie du patient. P-2 est un transport inter-établissements urgent. P3 est un appel du public pour lequel le mode de conduite est non urgent, sauf si l’intervention ne se fera pas en moins de dix minutes, auquel cas le mode de conduite devient le mode urgent. P4 est un appel en provenance du public qui est non urgent. P5 est un appel pour un transport inter-établissements non urgent et les autres codes désignent des appels de moins en moins urgents;

[15]          Le mode de conduite, désigné par le code 10-30, est le mode d’urgence, c’est-à-dire avec sirène et gyrophares. Les T.A./P. doivent s’arrêter aux feux rouge, mais peuvent repartir sans attendre les feux vert et ils peuvent aller à contre-sens dans un sens unique;

[16]          Les T.A./P. travaillent sans supervision immédiate;

[17]          Trois véhicules sont en fonction en même temps au point de service de Amos. Les trois équipes sont en mode de faction 7/14. Elles sont désignées équipe 1, équipe 2 et équipe 3. Chaque équipe a un timbre sonore particulier qui l’identifie sur les radios portatifs  lors d’un appel du CCS; durant l’horaire du jour, l’équipe 1 est affectée, de préférence, par le CCS; le soir, c’est l’équipe 2 et la nuit, l’équipe 3. Cette préférence de l’affectation ne modifie pas la disponibilité requise des trois équipes de faction et n’empêche pas qu’une équipe soit affectée pendant un horaire autre que son horaire de préférence;

[18]          M. Cossette est un coéquipier parmi les coéquipiers réguliers de M. Buttet;

[19]          À la suite de quelques rapports d’intervention (avis de correction) émis par des inspecteurs de la CSST, la Corporation des services d’ambulance du Québec (ci-après : « CSAQ » ) a rédigé une procédure [E-1], laquelle a été adoptée par l’Employeur. La première règle de cette procédure prévoit que lorsque le T.A./P.  qui travaille sur un horaire de faction a travaillé plus de douze (12) heures à l’intérieur de sa période de faction sans avoir pu bénéficier d’un repos de quatre heures consécutives, une période de repos de huit (8) heures lui est accordée au plus tard à la seizième (16) heure de travail continu. Le 20 mai 2014, MM. Buttet et Cossette ont été affectés à une intervention à 14 h 24, laquelle se termina à 15 h 20, ils furent ensuite affectés à un intervention à 15 h 25, laquelle se termina à 16 h 31, puis à 18 h ils furent affectés à un transfert du Centre hospitalier de Amos vers le Centre de santé et de services sociaux (ci-après : « CSSS » ) de Chibougamau, l’heure de leur retour au point de service était 5 h 45, le 21 mai 2014. En vertu de la procédure [E-1], MM. Buttet et Cossette ont bénéficié d’une période de repos de 6 h jusqu’à 14 h,  ce 21 mai 2014;

[20]          La politique de l’Employeur laisse aux T.A./P. le libre choix, dans les circonstances comme celles décrites au paragraphe précédent, soit de se reposer après avoir conduit le patient à son lieu d’arrivée, soit de revenir et de bénéficier lors du retour à leur point de service, de cette période de repos de huit (8) heures. Les T.A./P. ont choisi de revenir immédiatement à leur caserne et de bénéficier de la période de huit (8) heures de repos;

[21]          À leur arrivée, M. Buttet a rencontré les deux T.A./P. de l’équipe de remplacement et a remis son radio portatif à l’un d’eux. M. Cossette était déjà parti à son domicile et avait laissé, avec la permission de son superviseur, son radio portatif à la caserne pour qu’il soit remis à son remplaçant;

[22]          MM. Buttet et Cossette étaient de retour à la caserne ce même 21 mai 2014, peu avant 14 h, afin de reprendre livraison de leur radio portatif. Les deux T.A./P. qui avaient assuré leur remplacement étaient présents ainsi qu’un cinquième T.A./P. de l’équipe 3 et M. Tardif, de l’équipe 1. Ces deux derniers logent à la caserne durant leur semaine de faction puisque leur domicile est trop éloigné de la caserne;

[23]          Alors que les six discutent dans la partie garage de la caserne, à 14 h 03 min et 20 s., le CCS émet sur les ondes le timbre sonore pour appeler l’équipe 1, puis dit : « CCS pour Amos, équipe 1, êtes-vous à l’écoute pour un appel de priorité zéro [P0] à Trecesson ? » [E-5]. Cet appel est entendu sur tous les radios portatifs ouverts du point de service de Amos. Les témoins entendus lors de l’audience ne peuvent dire sur quels radios portatifs ils ont effectivement entendu l’appel, mais cet appel a été entendu sur plusieurs radios à la fois;

[24]          L’équipe 1 est composée de Monsieur David Brière (ci-après : « M. Brière » )  et de M. Tardif. MM. Buttet et Cossette forment l’équipe 2. Le radio portatif de M. Tardif est alors dans la caserne, mais dans la partie résidence. Il demande donc à M. Cossette de répondre en son nom et d’ainsi signifier que « Dave est à l’écoute ». Ce que fait M. Cossette. Le CCS répète alors l’information et donne plus de détails toujours en mentionnant qu’il s’agit d’un appel de priorité zéro (P0). À 14 h 04 min et 8 s., M. Brière, depuis son domicile, s’identifie. Il témoignera qu’il devait aller se vêtir de l’uniforme et se rendra ensuite à la caserne. À 14 h, 08 min et 42 s., alors que MM. Tardif et Brière sont à bord de l’ambulance et en route vers Trecesson, ils communiquent de nouveau avec le CCS pour obtenir tout complément d’information;

[25]          Invité par le procureur de l’Employeur à expliquer pour quel motif l’équipe 2 n’a pas signifié au CCS son immédiate disponibilité pour faire cet appel, M. Buttet dit qu’il n’a pas compris que l’appel était classé P0 et ajoute qu’il n’a même carrément pas compris l’appel;

[26]          M. Buttet témoigne qu’à son arrivée, M. Brière a dit à M. Cossette et à lui-même qu’ils auraient dû prendre l’appel. Il témoigne que M. Cossette est tout près de lui. M. Buttet témoigne avoir répondu à M. Brière : « C’est vrai que j’ai pas allumé ». Sur ce, M. Tardif, qui avait déjà sorti le véhicule ambulancier du garage, et M. Brière partent faire l’appel;

[27]          Puisque le procureur de l’Employeur insiste, M. Buttet répète : « Je n’ai pas compris la priorité, j’ai même pas compris l’appel au complet ». Il ajoute « Je n’étais pas « aguerri » pour entendre l’appel et n’ai pas véritablement écouté ce qui se disait ».  Il explique qu’il était à côté de M. Cossette lorsque celui-ci répondait au CCS à la demande de M. Tardif, mais qu’il n’était pas « frais et dispos », qu’il était encore dans les « vaps ». Il avait été réveillé dès midi, pendant sa période de repos, par le bruit du quatre roues de son voisin. Son voisin est M. Brière qui déplaçait des cabanes à pêche. Lors de son témoignage dans la preuve du Syndicat, M. Buttet ajoute que M. Brière était alors son ami et qu’il est copropriétaire avec M. Brière de ces cabanes de pêche et qu’il a décidé, ce midi du 21 mai 2014, d’aller aider M. Brière à remiser les cabanes;

[28]          Il témoigne que M. Brière, en arrivant sur les lieux, n’était pas de bonne humeur et les mots exacts qu’il prononça sont : « Les boys, c’est pas fort ça. Une priorité zéro (P0), vous êtes là tous les deux et vous ne la prenez pas! ». Ce à quoi M. Buttet répondit : « C’est vrai, j’ai pas allumé! »;

[29]          Le témoignage de M. Buttet a été interrompu momentanément pour permettre à M. Paul Vézeau (ci-après : « M. Vézeau » ) de déposer le document : Note de service # 26 (2010-01-01) Procédure appel d’urgence [E-2]. M. Vézeau fut appelé à témoigner à l’impromptu puisque M. Buttet a nié avoir déjà vu ce document [E-2] pourtant accessible sur le portail de l’Employeur dans tous les points de service;

[30]          M. Buttet dit se souvenir d’une discussion de garage au cours de laquelle MM. Brière et Paul Marseille (ci-après : « M. Marseille » ) avaient dit qu’ils aimeraient « qu’ils se manifestent plus souvent pour prendre les P0, P1 et P3 ». Il ajoute qu’il ne s’agissait que d’un souhait. Pourtant, l’ordre du jour [E-30] d’une rencontre formelle des T.A./P. , secteur Amos, tenue le 10 février 2014, où MM. Brière et Marseille étaient présents, indique les sujets suivants 

«

-           Convention 810

-           Emplacement véhicule dans le garage

-           Utilisateur du logement

-           Disponibilité appel priorité 0-1-3 et paperasse

-           Pratique (local)

-           Lavage de véhicule

-           Texto au volant

-           Rencontre avec pompier Amos

-           Vos questions et commentaires »

[E-3, souligné par l’arbitre soussigné]

 

[31]          M. Buttet dit ne pas être surpris du fait qu’il faille se manifester lorsque le CCS émet un appel de priorité zéro (P0). Mais il croit que ce ne soit qu’un souhait de l’Employeur, mais non pas une procédure. Il ajoute cependant que les T.A./P. le faisaient déjà de leur plein gré;

[32]          M. Buttet reconnaît avoir été présent à la rencontre du 10 février 2014 et dit que M. Cossette n’y était pas;

[33]          M. Buttet admet qu’il est de l’ordre du gros bon sens pour une équipe déjà prête à intervenir que de se manifester auprès du CCS pour les informer de sa disponibilité et de faire l’appel si telle est la décision du CCS;

[34]          M. Buttet dit avoir été rencontré par MM. Christian Williams (ci-après : « M. Williams » ) et Marseille pour donner sa version des faits. Bien que les représentants de l’Employeur affirment lui avoir signifié qu’il pouvait se faire accompagner d’un représentant syndical, M. Buttet le nie. Ce fait n’est toutefois, selon M. Buttet, d’aucune importance puisque la convention collective [S-3] stipule :

« […]

La personne salariée convoquée par l’employeur ou son représentant peut, lors de cette rencontre, si elle évalue que cette entrevue est d’ordre disciplinaire, suspendre l’entrevue et exiger la présence d’un représentant du syndicat. » [S-3]

 

Ce que fit justement M. Buttet après quelques minutes de rencontre.

[35]          M. Buttet témoigne qu’il lui semble qu’au cours de cette rencontre il aurait dit ne pas avoir entendu la priorité P0. Mais, ajoute-t-il, il est possible qu’il ait admis l’avoir entendu. Il reconnaît avoir dit que sur un horaire constitué d’un quart de travail (au lieu d’une faction) le problème de ne pas être « frais et dispos » ne se présenterait pas;

[36]          M. Buttet reconnaît que de ne pas se manifester constitue une faute grave;

TÉMOIGNAGE DE M. DANNY COSSETTE

[37]          M. Cossette travaille comme T.A./P. chez l’Employeur depuis 2004. Il y détient un poste à temps complet depuis 2010. Il est affecté à un horaire de faction au point de service de la Ville de Amos;

[38]          Il a rencontré M. Marseille pour donner sa version des faits, mais il dit qu’on ne lui a pas offert d’être accompagné d’un représentant syndical. Toutefois, lorsqu’il rencontre MM. Marseille et Williams et que ces derniers lui remettent la lettre de suspension disciplinaire [S-4], il était accompagné de M. Tardif, délégué syndical;

[39]          Il se souvient avoir fait un ou deux appels le 20 mai 2014 avant de faire, en compagnie de M. Buttet et d’une infirmière qui accompagnait le patient, le transfert inter-établissements du Centre hospitalier de Amos vers le CSSS de Chibougamau. Il conduisait le véhicule ambulancier à l’aller et M. Buttet conduisait au retour. Il avait apporté son bagage au cas où ils coucheraient à Chibougamau. L’état de la route, le temps qu’il fait, une dégradation possible de la condition du patient et d’autres facteurs peuvent survenir et influer considérablement sur le temps de l’aller et du retour. Les deux T.A./P. avaient décidé de revenir immédiatement et avaient prévenu la direction du secteur, mais, ajoute-t-il, comme on ne le sait jamais sûrement, il avait apporté son bagage par mesure de précaution;

[40]          La distance entre le point de départ à Amos et le point d’arrivée à Chibougamau est d’environ 430 km selon le témoin. Ils sont arrivés vers 23 h 20 à Chibougamau et, puisque l’état de la route et leur propre condition le permettaient, ils ont décidé de revenir. Le fait de coucher à Chibougamau, fait remarquer le témoin, aurait privé l’entreprise de la disponibilité d’une troisième ambulance pendant huit heures. Ils ont prévenu de leur retour afin qu’on cherche des remplaçants pour la période de repos de huit heures à laquelle ils auraient droit;

[41]          Arrivé vers 5 h 45 min à la caserne, il y laissa, avec la permission de M. Brière, son radio portatif pour son remplaçant. Il déjeuna, prit une douche et se coucha;

[42]          Il a repris son radio portatif vers 14 h. Il était très, très fatigué. Il avait peu dormi;

[43]          À la demande de M. Tardif, il a répondu « Dave - 10-01 », ce qui signifie que « M. Tardif est à l’écoute »;

[44]          Il témoigne ne pas se souvenir de la priorité de l’appel. Il dit avoir compris que la priorité de l’appel était P0 que lorsque MM. Tardif et Brière étaient à bord de l’ambulance, en route vers le lieu où était le patient et qu’ils ont demandé le 10-32. Ce code signifie que les T.A./P. sont maintenant capables de recevoir toutes les informations pertinentes et complémentaires sur l’état du patient;

[45]          Au moment de l’arrivée de M. Brière à la caserne, il croit se souvenir que MM. Buttet et Brière étaient dehors. M. Tardif avait sorti l’ambulance du garage et attendait l’arrivée de M. Brière pour partir. Et lui, il était encore dans le garage;

[46]          Puis, il dit qu’après le départ de MM. Tardif et Brière, M. Buttet lui a dit que c’était à leur équipe de faire l’appel. M. Buttet lui aurait expliqué que lors d’un appel de priorité P0 et P1, si une équipe est déjà réunie et prête à partir, alors que l’équipe appelée par le CCS ne l’est pas, il faut alors qu’elle se manifeste au CCS et indique son immédiate disponibilité. Le CCS décide alors s’il affecte cette équipe ou s’il maintient l’affectation de l’autre équipe;

[47]          M. Cossette témoigne que le 10 février 2014, il était en arrêt de travail et n’a donc pas assisté à la rencontre des T.A./P. du secteur Amos;

[48]          M. Cossette dit que lors de la rencontre du 18 juin 2014, au cours de laquelle MM. Marseille et Williams lui remirent la lettre de suspension disciplinaire [S-4], il s’attendait plutôt à être félicité pour être revenu immédiatement de Chibougamau et d’avoir ainsi épargné le coût de deux couchers à l’Employeur en plus d’avoir permis la remise en disponibilité plus hâtive d’une troisième ambulance;

[49]          Invité par le procureur de l’Employeur à rappeler les explications qu’il a donné lors de cette rencontre, il dit qu’il était dans un état de fatigue tel qu’il ne savait pas qu’il appartenait à son équipe de proposer à la centrale de faire l’appel;

[50]          Le témoin dit ne jamais avoir hésité à intervenir même sans avoir été affecté par le CCS. Il donne comme exemples, lorsqu’il s’est rendu de son propre chef auprès d’un bébé et qu’il lui désobstrua les voies respiratoires; lorsqu’en revenant de Rouyn-Noranda, il s’est arrêté pour stabiliser un automobiliste blessé dans un accident de la route; lorsqu’à Malartic il s’est rendu sur les lieux d’une urgence médicale;

TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR DAVID BRIÈRE

[51]          M. Brière est à l’emploi de l’Employeur depuis 1998. Il y travaille à titre de T.A./P. , fonction qu’il occupe six jours par quinze jours. Il est aussi directeur du service ambulancier pour le secteur Amos/Matagami depuis 2009-2010. Son rôle comme directeur consiste à faire respecter les directives de l’Employeur;

[52]          Il témoigne avoir lui-même rapporté à M. Marseille l’événement du 21 mai 2014, auquel il était mêlé. Il dit avoir téléphoné à M. Marseille dès son retour de cette affectation et se souvient lui avoir demandé : « Est-ce moi qui perd la carte ou bien ça n’a pas de bon sens »;

[53]          M. Brière, selon la procédure de l’Employeur, doit autoriser un transfert comme celui de ce patient du Centre hospitalier de Amos vers le CSSS de Chibougamau. Il était donc bien informé de ce transfert. Il doit notamment s’assurer que les T.A./P. qui feront ce long trajet pourront le faire de manière sécuritaire. Il est de la politique de l’Employeur de laisser pleine liberté à l’équipe pour décider si elle couche au lieu d’arrivée ou si elle revient immédiatement à son point de départ. À cette occasion, MM. Buttet et Cossette ont dit qu’ils essaieraient de revenir immédiatement. Ce sont eux qui connaissent leur état de fatigue, le climat, les retards que peut provoquer une subite dégradation de l’état du patient, il est donc normal que ce soit eux qui décident de coucher ou de revenir;

[54]          Il a autorisé leur repos de 6 h à 14 h ainsi que leur remplacement;

[55]          Vers 14 h 03 min, il a entendu l’appel pour l’équipe 1, dont il est un des deux T.A./P. Il était alors à son domicile. Il a répondu qu’il était à l’écoute près d’une minute plus tard. Il a revêtu son uniforme et s’est rendu à la caserne;

[56]          À son arrivée, il voit MM. Buttet et Cossette. Il dit à M. Buttet : « Franchement, deux gars à la caserne, il rentre un P0 et vous êtes pas parti. C’est pas fort. Il va y avoir des conséquences. » Puis il monte à bord de l’ambulance et part sans autre discussion. C’était une urgence, rappelle-t-il;

[57]          Il témoigne que M. Buttet était à une distance d’environ deux véhicules de lui et M. Cossette, parmi un groupe de T.A./P., était à une distance de trois véhicules de lui lorsqu’il leur a fait ce reproche. Il dit être convaincu que M. Buttet a entendu ce qu’il lui a dit et il est pas mal sûr que M. Cossette l’a entendu. Il reconnaît qu’il était fâché;

[58]          Il précise qu’il ne peut pas, lorsqu’il est affecté à un appel urgent, vérifier où sont les autres équipes. Il n’en a pas le temps. Il est affecté à une urgence et il est de son devoir de s’y rendre immédiatement. Prendre le temps de vérifier si d’autres peuvent prendre l’appel plus rapidement équivaut à retarder le service à la population. Comme tout T.A./P., s’il reçoit un appel du CCS, il doit y répondre et se rendre tout de suite à son ambulance;

[59]          Il reconnaît le document Rencontre TAP secteur Amos, ordre du jour (2010-02-10) [E - 2] puisque c’est lui-même qui anima cette réunion. À cette réunion, il a été discuté par les T.A./P. présents si la Note de service # 26 (2010-01-01) Procédure appel d’urgence [E-2] devait s’appliquer aux priorités P0, P1 et P3. Les priorités P0 et P1 n’ont jamais été questionnées. Tous convenaient que pour les P0 et les P1, l’urgence était indiscutable. Quant au P3, il a été retiré des appels urgents auxquels [E-2] s’applique;

[60]          Cette note de service s’applique dans tous les points de service de l’Employeur. M. Brière précise qu’elle est appliquée;

[61]          En contre-interrogatoire, il dit qu’il n’a pas reconnu la voix de M. Cossette qui avait pris l’appel pour M. Tardif;

[62]          Il n’a pas retrouvé la feuille de présence de la réunion du 10 février 2014. Il n’est donc pas en mesure de nommer tous ceux qui étaient présents;

TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR CHRISTIAN WILLIAMS

[63]          M. Williams est à l’emploi de l’Employeur depuis 2005, à titre de T.A./P. Il est cadre depuis 2009. Il occupe maintenant la fonction de directeur général adjoint et coordonnateur des ressources d’urgence. Il est également instructeur pour l’Agence de santé et des services sociaux (aujourd’hui le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS)) pour la mise à niveau des T.A./P., la nouvelle formation, l’évaluation du niveau des T.A./P. et pour l’assurance qualité;

[64]          Il confirme que la Note de service # 26 (2010-01-01) Procédure appel d’urgence [E-2] s’applique dans tous les points de service de l’Employeur. Il ajoute qu’elle est effectivement appliquée dans tous les points de service;

[65]          Il a été impliqué, à la demande de M. Marseille, dans l’enquête qui a mené aux mesures disciplinaires [S-4 et S-5]. Il était présent lors de la rencontre pour obtenir la version de M. Buttet. Il déclare que M. Marseille et lui-même ont offert à M. Buttet d’être accompagné d’un représentant syndical, mais M. Buttet a décliné l’offre. Il ajoute que cette procédure s’applique automatiquement à toutes les rencontres de nature disciplinaire;

[66]          M. Williams témoigne que dès le début de la rencontre, M. Buttet a déballé son sac spontanément . Il témoigne que M. Buttet a dit « Je sais pourquoi vous me rencontrez. C’est concernant la priorité 0 que je n’ai pas pris. »;

[67]          M. Williams dit que M. Buttet s’en est expliqué en rappelant qu’il venait d’effectuer un 16/8 et que 8 h de repos n’est pas suffisant pour se reposer. Il a ajouté que pour répondre plus rapidement, on devrait le mettre sur le coin de la rue (allusion à un horaire de 40 h par semaine). Lors de cette rencontre, M. Buttet a dit avoir entendu l’appel et il a reconnu que « c’est pas fort ». Il ajouta avoir compris qu’il avait fait une erreur  lorsque M. Brière est arrivé à la caserne et lui a dit : « C’est pas fort … ». M. Williams témoigne que M. Buttet a dit : « C’est à ce moment qu’il a « allumé » de son erreur ». Puis M. Buttet a quitté la rencontre pour aller rencontrer son délégué syndical. Il est revenu quelques quinze minutes plus tard pour s’excuser de son humeur;

[68]          Le témoin n’a pas assisté à la rencontre avec M. Cossette;

[69]          Il ne sait pas s’il y a déjà eu d’autres mesures disciplinaires relativement à l’application de la Politique [E-2];

TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR PAUL MARSEILLE

[70]          M. Marseille est à l’emploi de l’Employeur depuis 1982. D’abord à titre de T.A./P., puis à compter de 1999, comme T.A./P. et superviseur puis, en 2008, à titre de directeur des opérations et enfin directeur général depuis 2011;

[71]          Ses principales fonctions consistent à superviser le travail des directeurs, s’occuper des ressources humaines, faire les rencontres de la direction, faire les rencontres avec les T.A./P.  et directeurs de secteur, faire les rencontres avec le Syndicat en Comité de relations de travail;

[72]          L’Employeur emploi environ 100 T.A./P. dans l’Abitibi-Témiscamingue et possède une vingtaine de véhicules ambulanciers. Le territoire couvert est immense. Il s’agit de tout l’Abitibi-Témiscamingue à l’exception des points de service de Val d’Or, Senneterre, Parc de la Vérendrye, Belleterre, Matagami et Quévillon;

[73]          M. Marseille considère très grave que deux T.A./P. immédiatement prêts à partir ne répondent pas à un appel P0. Il dit « on est là justement pour ça   et  chaque minute compte . On avait à ce moment-là l’occasion de répondre en moins de 30 secondes, ce qui est excellent. Et P0, c’est la priorité des priorités! » ;

[74]          La rencontre pour obtenir la version de M. Buttet a eu lieu le 23 mai 2014, dans le bureau de M. Brière. M. Williams accompagnait M. Marseille. On a proposé à M. Buttet d’être accompagné d’un représentant syndical ou d’une personne de son choix, mais ce dernier a refusé. Il dit que la rencontre a été de courte durée. M. Buttet était émotif. Il a dit qu’il savait pourquoi il était là : soit l’appel P0. M. Buttet a dit ne pas avoir réagi avant que M. Brière lui fasse remarquer que « ce n’est pas fort … »;

[75]          M. Buttet a dit que pour qu’il puisse répondre immédiatement, on devrait le placer sur un horaire à l’heure au coin de la rue. Il a expliqué sa fatigue par le fait que son voisin, M. Brière en l’occurrence, jouait avec son quatre roues;

[76]          Il a quitté la rencontre abruptement puis est revenu et s’est excusé de sa mauvaise humeur;

[77]          La rencontre pour obtenir la version de M. Cossette a eu lieu le 29 mai 2014, dans le bureau de M. Brière, à Amos. Il  a offert à M. Cossette la présence d’un représentant syndical ou d’une personne de son choix. M. Cossette a répondu ne pas en avoir besoin;

[78]          La rencontre était calme. M. Cossette y aurait dit qu’il a entendu l’appel de priorité 0 mais qu’il n’avait pas « cliqué » avant que M. Brière dise à M. Buttet que « ce n’est pas fort …»;

[79]          M. Marseille témoigne qu’il a tenu d’autres rencontres dans les points de service de l’Employeur sur le sujet des disponibilités lors des appels de priorité 0 et 1;

TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR DAVE TARDIF

[80]          M. Tardif est à l’emploi de l’Employeur depuis 2009. Il occupe un poste à temps complet comme T.A./P. à Barraute, mais effectue un remplacement à Amos depuis mai 2014. Il est aussi délégué pour le Syndicat;

[81]          Le 21 mai 2014, il était le partenaire de M. Brière sur l’équipe 1;

[82]          Il demeure à la caserne lorsqu’il travaille à Amos;

[83]          Vers 14 h, ce 21 mai, il a quitté sa chambre pour aller parler avec les T.A./P. présents dans le garage, soient MM. Buttet et Cossette, les deux remplaçants de MM. Buttet et Cossette et une cinquième personne affectée à l’équipe 3 qui logeait, elle aussi,  à la caserne;

[84]          Il a alors entendu le timbre sonore de l’équipe 1 (la sienne) et l’appel entrer. Il s’est immédiatement dirigé vers sa chambre pour y récupérer son radio portatif et compléter son habillement. Il a, auparavant, demandé à M. Cossette de signifier pour lui qu’il est à l’écoute (10-01);

[85]          Il ne peut dire de quel radio portatif précisément il a entendu l’appel puisque plusieurs radios portatifs étaient ouverts;

[86]          Ayant entendu que l’appel était adressé à l’équipe 1 et qu’il était de garde, il ne s’est posé aucune question, il savait qu’il devait répondre. Il s’est donc habillé et a sorti l’ambulance du garage afin d’être prêt à partir dès l’arrivée de M. Brière;

[87]          M. Brière est arrivé 3 ou 4 minutes plus tard. Il est monté dans l’ambulance et a demandé au CCS les compléments d’information (10-32);

[88]          M. Tardif dit ne pas avoir entendu parler de la Note de service # 26 (2010-01-01) Procédure appel d’urgence [E-2] et précise qu’avant mai 2014, il était affecté au point de service de Barraute;

[89]          Il en a ensuite entendu parler dans le cadre de ses fonctions syndicales. Notamment lorsqu’il était présent lors de la remise des lettres de suspension disciplinaire [S-4 et S-5];

[90]          Il reconnaît que si deux T.A./P. sont ensemble et près de leur véhicule ambulancier, c’est une règle du simple bon sens que de se manifester au CCS;

PLAIDOIRIE DE L’EMPLOYEUR

[91]          L’Employeur souligne que MM. Buttet et Cossette, tous deux, admettent que de ne pas intervenir lors d’un appel urgent constitue une faute grave. Il souligne aussi que tous deux reconnaissent que, même sans directive, c’est une règle de simple bon sens que de se manifester au CCS lorsqu’on est capable d’intervenir plus rapidement que l’équipe affectée. D’ailleurs, précise-t-il, les deux ont témoigné l’avoir fait dans le passé. Cette procédure n’a pas besoin d’être écrite, elle s’impose d’elle-même;

[92]          Les T.A./P. travaillent en équipe sans surveillance immédiate. Il incombe donc à l’un et à l’autre de s’assurer que son partenaire agit conformément aux règles du métier. Ainsi, si l’un entend un appel de priorité 0 ou 1 et que l’autre ne l’a pas entendu, il est du devoir du premier d’aviser son partenaire;

[93]          Tous les T.A./P. connaissent et appliquent régulièrement le principe que rappelle la formule « chaque minute compte »;

[94]          Or, il est en preuve que le 21 mai 2014, à 14 h 03 min et 20 s. le CCS appelle l’équipe 1 et donne le code de priorité P0. Il s’agit du code qui indique que le niveau de menace à la vie du patient est le plus élevé;

[95]          Le code P0 et le code P1 entraînent une intervention de l’ambulance avec sirène et gyrophare et conduite en urgence (10-30);

[96]          La loi prévoit que c’est le CCS qui détermine le niveau d’urgence et le communique à l’équipe ambulancière qui doit y donner suite;

[97]          Le procureur de l’Employeur cite M. Buttet : « J’entends un appel mais je n’ai pas compris la priorité, ni l’appel au complet ». Comment fait-il pour entendre cet appel au cours duquel, à deux reprises, le CCS dit qu’il s’agit d’une priorité 0 et ne pas comprendre le niveau de priorité, se demande le procureur de l’Employeur;

[98]          Ce n’est pas M. Tardif lui-même qui signifie sa présence, mais M. Cossette pour M. Tardif. Or, se demande encore le procureur de l’Employeur, comment fait-il pour signifier la présence de M. Tardif sans comprendre à quel appel et donc à quelle priorité, il répond;

[99]          MM. Buttet et Cossette ont repris possession de leur radio portatif. M. Cossette témoigne même qu’il est attaché à son épaulette. M. Buttet témoigne qu’on a entendu cet appel à tous les radios portatifs dans le garage. Or,  ce n’est que lorsque M. Brière est arrivé et a dit « c’est pas fort … » qu’il réalise le niveau de la priorité de l’appel;

[100]     Le procureur de l’Employeur rappelle que M. Buttet a dit avoir répondu à M. Brière : « c’est vrai, je n’ai pas allumé » et non pas « j’ai pas entendu la priorité de l’appel »;

[101]     Le procureur de l’Employeur souligne qu’on ne peut, d’une part, affirmer ne pas avoir entendu le niveau P0 de la priorité de l’appel et prétendre ne pas avoir donné suite à l’appel parce qu’on « n’a pas allumé ». C’est une raison ou l’autre, mais pas les deux à la fois, car l’une exclut l’autre;

[102]     Le procureur de l’Employeur rappelle que le portail informatique de l’Employeur comprend la Note de service # 26 (2012-01-01) Procédure appel d’urgence [E-2] et que tous les T.A./P. peuvent puiser toute information sur ce portail. Il souligne que M. Buttet dit ne pas avoir vu cette note de service, mais reconnaît avoir été présent à la rencontre du 10 février 2014, où elle a été expliquée, discutée et amendée pour soustraire la priorité P3. Quant à M. Cossette, qui prétend aussi ne jamais l’avoir vu, il souligne qu’il a néanmoins, à trois reprises, effectué des interventions d’urgence puisqu’il était le T.A./P. le plus près du lieu où un patient était en détresse;

[103]     Le procureur de l’Employeur conclut que compte tenu des faits avérés qui sont reprochés aux deux plaignants et compte tenu du secteur d’activités de l’Employeur, la sanction de six (6) jours de suspension est justifiée, d’autant plus qu’en raison de la formule de rémunération prévue pour l’équipe de faction à 14.02 [S-3] de la convention collective, la perte de rémunération pour une suspension de trois (3) jours de faction et de trois (3) jours de récupération est équivalente à 4.3 jours de suspension pour un horaire de 40 heures semaine, c’est à dire :

  6 jours          x          80 heures      =          34,3 heures

14 jours

 

34,3 heures ÷ 8 heures = 4,3 jours

 

[104]     Au soutien de ses prétentions, le procureur de l’Employeur dépose :

1)

Ambulance Aimé Vézeau et Union des employés de service, local 298 (FTQ) , Me Jean-Pierre Lussier, arbitre (SA 95-04055);

2)

Corporation Urgences-Santé et RETAQ (FSSS-CSN) , Me Richard Marcheterre, arbitre ( AZ-99141301 );

3)

RETAQ (FSSS-CSN) et Corporation Urgences-Santé , Cour d’appel du Québec ( AZ-50219910 );

4)

Fraternité des policiers et policières de la Ville de Montréal et Ville  de Montréal , Me Marc Gravel, arbitre ( AZ-50355226 );

5)

Ambulance Demers inc. et SQEES, section locale 298 (FTQ) , Me Jean-Pierre Lussier, arbitre ( AZ-50608082 );

6)

Fraternité des policiers de la Régie inter municipale de police de Roussillon inc. et Régie inter municipale de Roussillon , Me André Ladouceur, arbitre ( AZ-02142121 );

7)

Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac et SCFP, section locale 280 4, André Dubois, arbitre (SA 09-06-022);

8)

Syndicat des salariés de production de portes et fenêtres de la Rive-Sud de Montréal-CSD et Fenplast inc. , Me Huguette April, arbitre ( AZ-51105279 );

9)

Corporation d’Urgences-Santé c. Me Richard Marcheterre et RETAQ (FSSS-CSN) , 2002 CanLII 12775 (QC CS);

PLAIDOIRIE DU SYNDICAT

[105]     Le procureur du Syndicat rappelle que la note de service # 026 du 1 er janvier 2010 [E-2] utilise les termes « nous comptons sur le professionnalisme de tous les techniciens ambulanciers…» et rappelle le témoignage de M. Buttet qui rapportait que L’Employeur « souhaitait » la pratique décrite à cette note. Il rappelle également que ni M. Cossette, absent à l’époque de la rencontre du 10 février 2014 où fut discutée cette question, ni M. Tardif, affecté à cette époque au point de service de Matagami, n’avaient entendu parler de cette note de service # 026 [E-2] ou d’une obligation d’une telle pratique. Il conclut que cette note de service # 026 [E-2] n’est pas claire et non équivoque, objective et qu’elle engendre la confusion en plus, soutient-il, elle date de l’année 2001 (en fait, elle date de 2010) (plus tard, le procureur du syndicat reconnaîtra l’erreur);

[106]     Il cite, pour appuyer sa thèse, la sentence arbitrale de Me Gabriel M. Côté : Le Syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier (local 24-Q) et Abitibi Consolidated, division St-Félicien [1] ;

[107]     Le procureur du Syndicat soumet qu’en plus de ne pas être claire, il n’y a pas de preuve d’un précédent où cette note de service [E-2] a été appliquée;

[108]     Le procureur du Syndicat énonce les facteurs atténuants suivants : note de service [E-2] pas claire et non équivoque, objective et engendrant la confusion; une rencontre au point de service de Amos [E-3] où cette pratique n’est qualifiée que de «  souhaitable »; l’ignorance de cette note de service [E-2] de M. Cossette; le fait que M. Tardif se soit immédiatement apprêté à répondre à l’appel d’urgence en sortant son véhicule ambulancier du garage; le fait que l’Employeur n’applique pas la note de service [E-2] dans une zone qui a été attribuée à une entreprise autre que la sienne; l’état de fatigue de MM. Buttet et Cossette; le travail professionnel de ces deux TA/P, leur nombreuses années de service ; leur dossier disciplinaire vierge et l’absence de gradation des sanctions;

RÉPLIQUE DE L’EMPLOYEUR

[109]     En réplique, le procureur de l’Employeur soumet que si la directive [E-2] est datée de l’an 2010, elle continue néanmoins d’être valide et applicable, d’autant plus qu’elle fut spécifiquement réitérée, rediscutée et expliquée, le 10 février 2014  [E-3]; cette directive n’est aucunement ambiguë et ne fait qu’énoncer, dans les termes d’une note de service, la règle du gros bon sens que reconnaissent les T.A./P.; au bout du compte, rappelle le procureur de l’Employeur, le temps de réponse à cet appel P0 a été plus long qu’il aurait dû l’être;

DÉCISION ET MOTIFS

La disponibilité des ressources ambulancières

[110]     Le premier principe qui anime les services préhospitaliers d’urgence consiste à offrir aux personnes présentes sur le territoire habité du Québec la réponse la mieux appropriée, efficace et efficiente. Pour la réaliser, l’architecture des services d’urgence prévoit une chaîne d’intervention où chaque maillon joue un rôle essentiel : le premier intervenant qui pourra éventuellement déjà agir pour maintenir la vie du patient en appliquant les conseils que lui prodiguera le CCS, le 911 qui acheminera l’appel au CCS avec déjà des indications de la localisation, le CCS qui priorisera les appels, affectera les ressources et dispensera les conseils en attente de l’arrivée des ressources préhospitalières, les premiers répondants, lorsqu’ils sont présents et disponibles, qui assureront le maintien en vie du patient, les techniciens ambulanciers / paramédics qui traiteront les patients et les conduiront vers le centre de soins médicaux le plus approprié;

[111]     L’état idéal de cette chaîne d’intervention, c’est l’état de vigie. C’est-à-dire le moment, en un lieu, où, au niveau de chacun des maillons de la chaîne, sont en disponibilité toutes ces ressources pour répondre immédiatement à un appel de détresse. Dans une société opulente, on pourrait imaginer que partout et toujours les ressources soient si nombreuses que la disponibilité serait constante. Évidemment, dans une société où les ressources financières sont limitées, l’architecture des services préhospitaliers et ses modes de fonctionnement doivent se préoccuper de prioriser les appels et mobiliser toutes les ressources pour assurer la meilleure disponibilité possible afin de répondre au prochain appel de détresse;

[112]     La disponibilité des ressources, principalement celle des TA/P, est au cœur même de l’efficacité et de la qualité des soins préhospitaliers d’urgence. C’est par cette disponibilité que peut être réduit le nombre de ces « minutes qui comptent…»;

L’horaire de faction

[113]     L’horaire de faction, qui oblige une équipe à une disponibilité continue de 168 heures à l’intérieur d’une même semaine, laquelle est ensuite suivie d’un repos continu de 168 heures pendant la semaine suivante, est un horaire de travail d’exception. Cet horaire de travail fut imaginé lors des négociations au milieu des années ’80 pour résoudre le problème de l’accès aux soins préhospitaliers dans le Parc de la Vérendrye. La grande distance de route qui traverse ce parc obligeait à y situer un point de services vers le milieu de cette route. Cette même grande distance empêchait que des techniciens ambulanciers puissent s’y rendre depuis leur domicile pour le début de leur quart de travail et puissent retourner à leur domicile à la fin de leur quart de travail. Et cela, à tous les jours ouvrables d’une semaine. Les négociateurs patronaux et syndicaux ont alors imaginé cette formule d’une présence de 168 heures continues au point de services du parc, suivi de 168 heures continues de repos à domicile. En contrepartie de cette prestation de travail singulière, les techniciens ambulancier recevaient le plein salaire d’un technicien ambulancier à temps complet, soit 40 heures rémunérées à chaque semaine de travail ou de récupération;

[114]     Plus tard, lors du renouvellement des conventions collectives de travail, en 1989, les syndicats recherchaient la stabilisation des emplois; c’est-à-dire qu’un technicien ambulancier puisse enfin « gagner sa vie » en consacrant toute son activité professionnelle aux soins préhospitaliers d’urgence;

[115]     De même, cette stabilisation de l’emploi permettait aux employeurs de régions éloignées des grands centres urbains, d’avoir accès à une main d’œuvre qui pourrait y gagner sa vie ;

[116]     Pour le Ministère de la santé, cette stabilisation de l’emploi permettait d’assurer, dans toutes les régions habitées du Québec, un service préhospitalier disponible et accessible. À cet égard, le Québec se situe parmi les rares États en Amérique du Nord qui offrent un service préhospitalier d’urgence disponible et accessible sur tout son territoire habité;

[117]     Périodiquement, cette architecture des services préhospitaliers d’urgence est révisée et, lorsque le nombre d’interventions le justifie, ces horaires sont transformés en horaires à l’heure;

[118]     Si le recours à ces horaires atypiques n’était plus possible, les coûts pour leurs substituer des horaires à l’heure seraient prohibitifs. De telle sorte que c’est l’offre même des services qui serait, au bout du compte, diminuée et, en conséquence, ce sont les services à la population qui seraient réduits;

[119]     Ces horaires atypiques ont été voulus par les associations syndicales, les associations patronales et le Ministère, à tel point que tous les groupes ont appuyé l’adoption de l’article 76 de la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence [2] , qui stipule :

« La section II du chapitre IV et l’article 78 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) ne s’appliquent pas aux salariés des titulaires de permis d’exploitation de services ambulanciers qui sont des techniciens ambulanciers et dont les horaires de travail, tels que prévus aux contrats conclus en vertu de l’article 9, sont composés de périodes de travail, de disponibilité et de récupération. »

 

[120]     Sans cette disposition législative, de tels horaires seraient contraires aux dispositions d’ordre public de la Loi sur les normes du travail [3] ;

[121]     Occasionnellement, la Commission de la santé et sécurité au travail est intervenue pour tempérer certaines exigences de ce travail comme, en l’occurrence, cette règle obligeant un repos de 8 heures lorsque les TA/P ont effectivement travaillé de manière continue pendant plus de douze (12) heures consécutives;

[122]     Pendant sa semaine de disponibilité et de travail, le TA/P affecté à un horaire de faction est assujetti aux mêmes règles professionnelles que tout TA/P au Québec : il doit être à l’écoute et répondre aux affectations que lui transmet le CCS. Il doit intervenir auprès des patients en appliquant les mêmes protocoles. Il doit transporter le patient au centre de soins le plus approprié, puis redevenir disponible pour répondre à un prochain appel;

[123]     Puisque cette disponibilité de 168 heures est continue, le TA/P est autorisé à attendre l’appel à son domicile ou en tout autre lieu d’où il peut se rendre à son véhicule ambulancier dans un délai défini. Comme tout TA/P en service au Québec, quel que soit le lieu où il se situe, c’est une composante essentielle, incontournable et directement liée à la qualité des services préhospitaliers d’urgence qu’il soit en attente active du prochain appel;

Y a-t-il eu faute?

[124]     La sentence arbitrale rendue par Me Gabriel M. Côté, dans l’affaire Abitibi Consolidated, division St-Félicien précitée, traite notamment d’interdits d’utilisation de certains matériels informatiques que l’Employeur avait imposés à un salarié seulement, lors de son retour d’une suspension de trois mois. L’arbitre en arrive à la conclusion que raisonnablement ce salarié, en raison de l’imprécision du matériel informatique interdit, avait pu, de bonne foi, ne pas savoir qu’un matériel précis lui était interdit. Cette décision arbitrale vise donc une situation particulière, unique et visant qu’un seul salarié à propos d’interdits spécifiques (« … interdiction d’utilisation de matériel informatique autre que celui requis par les postes que vous occupez . » [Page .2]);

[125]     Dans la présente affaire, il s’agit d’une note de service qui s’adresse à tous les TA/P de l’Employeur. Cette note est présente sur le portail informatique de l’Employeur et est donc accessible à tous les TA/P. Cette note de service a été discutée en rencontre de caserne, à Amos, le 10 février 2014, soit moins de quatre mois avant l’événement. Si M. Cossette est absent, M. Buttet est présent et plusieurs TA/P de ce point de service sont présents. La note de service ne fait que mettre en forme un principe connu et synthétisé par la formule « chaque minute compte ». Elle ne traite pas d’une question inconnue jusqu’alors, puisque tant M. Buttet que M. Cossette témoignent l’avoir déjà spontanément mis en pratique;

[126]      Enfin, cette note de service est plus explicite que ne le prétend le procureur du Syndicat. Elle est ainsi rédigée :

« […]

 

NOTE DE SERVICE

DATE : 2010-01-01                                                  NOTE DE SERVICE : 026

SUJET : Procédure Appel d’urgence

NOMBRE DE PAGE(S) : 1                                       ENDROIT :  Tous les secteurs

MODIFIÉE :

 

À :             Tous les techniciens ambulanciers paramédics

De :           Le Groupe Ambulances Abitémis Inc.

 

Tous les appels qui ne nécessitent pas de mesure spéciale  :

 

Lorsque le Centre d’appels d’urgence vous achemine un appel, bien vouloir vous diriger immédiatement sur l’appel, ne perdez pas de temps à demander où est l’autre équipe ou si elle peut faire cet appel.

 

Tous les techniciens ambulanciers paramédics sont sur la même fréquence radio. Nous comptons sur le professionnalisme de tous les techniciens ambulanciers paramédics qui entendent l’appel et qui peuvent faire cet appel dans un délai plus rapide que l’autre, d’intervenir.

 

Dans toutes situations, commencez par faire l’appel, suite à cet appel s’il y a des problèmes, questions, récriminations, interrogations à faire, bien vouloir les faire au bureau administratif et non au Centre d’appels d’urgence.

 

Pour toutes les mesures d’urgences qui sortent de l’ordinaire  :

 

Exemple : Vous avez besoin de matériel, équipement, de personnel, pompiers, policiers, garde-chasse, hélicoptère, bateau, motoneige, traineau d’évacuation, etc.

 

Vous devez rejoindre le CCS, à vos besoins, il vous fera parvenir l’équipement ou personnel demandé et avisera un superviseur.

 

Pour tout appel qui pose un problème, n’hésitez pas à demander conseil à un superviseur.

 

Merci !

 

La direction

 

[…]. »

[E-2]

 

[127]     Plus précisément, ce que MM. Buttet et Cossette ont spontanément invoqué comme justification de leur omission de se manifester au CCS, justification qu’ils ont tous deux répétée lors de leur témoignage en arbitrage, c’est, pour l’un : « … j’ai pas compris que l’appel était classé P.0. » et «  … j’ai pas allumé. » et, pour l’autre : « … j’ai pas cliqué. ». La connaissance de la note de service [E-2] n’est venue que tardivement et comme explication subsidiaire;

[128]     Le procureur de l’Employeur a soumis plusieurs sentences arbitrales qui examinent des fautes professionnelles. Je retiens les décisions qui surviennent en milieu des services préhospitaliers d’urgence;

1.       Ambulance Aimé Vezeau et Union des employés de service, local 298 (FTQ) [4]  :

Une deuxième mesure disciplinaire imposée par l’employeur est contestée par voie de grief par le plaignant. L’employeur lui impose une suspension sans solde de un (1) mois parce qu’il refusa de répondre à un appel urgent. Le plaignant invoquait que, n’ayant pu procéder à la vérification de l’état de son véhicule ambulancier et du matériel médical comme le prévoit la convention collective, il ne pouvait faire l’appel. L’arbitre Lussier affirme que la responsabilité de vérifier le véhicule et le matériel médical doit céder le pas advenant la nécessité d’effectuer de façon urgente le transport d’un malade. Il conclut que le refus d’obéir à l’ordre l’affectant à une intervention urgente constitue une faute grave et, à propos de la suspension d’un mois, l’arbitre M e  Jean-Pierre Lussier dit :

« Cette mesure était très sérieuse mais les circonstances exigeaient certainement une sanction sévère. On peut difficilement en effet, penser à une faute plus grave pour un ambulancier que de refuser de répondre à un appel urgent. »

[Page 19.]

 

è        En conséquence, il rejette ce grief;

2.       Corporation d’Urgences-Santé de la région de Montréal métropolitain et Rassemblement des techniciens ambulanciers du Québec (FSSS-CSN) [5]  :

Le plaignant conteste par voie de grief la suspension sans solde de trois mois que lui a imposée l’employeur pour avoir refusé de répondre à un appel urgent. Le technicien ambulancier invoquait qu’il avait faim et que le fait de ne pas avoir pu manger lui a donné mal à la tête. L’arbitre M e Richard Marcheterre écrit :

« Il ne suffit pas de dire qu’il a mal à la tête ou encore qu’il est su que lorsqu’il ne mange pas, il a mal à la tête. Il faut aussi prouver l’incapacité ou le danger.

Cette preuve n’a pas été faite. S’il est acceptable de croire qu’il avait mal à la tête, on ne peut toutefois conclure de la preuve que c’était au point où la capacité (du plaignant) était si amoindrie qu’il ne pouvait faire le travail de manière sécuritaire. »

[Page 5.]

 

L’arbitre conclut ainsi :

« Il doit aussi comprendre la haute responsabilité qu’il doit supporter du fait de son métier et qu’il doit en conséquence faire passer les intérêts des citoyens avant les siens, sauf s’il y a un danger pour lui et les autres, ce dont il a le fardeau de faire la preuve, ce qu’il n’a pu faire (en) l’espèce. En effet, tout au plus m’a-t-il convaincu qu’il avait faim et qu’il avait mal à la tête, mais il ne m’a pas convaincu que cela l’empêchait de répondre adéquatement à l’appel 10-30 (i.e. urgent ) [6] qui lui était acheminé. »

[Page 17]

 

è        En conséquence, il rejette ce grief ;

3.       Rassemblement des employés techniciens ambulanciers du Québec (FSSS-CSN) c. Corporation d’Urgences-Santé de la région de Montréal métropolitain [7] ;

L’employeur a congédié les deux techniciens ambulanciers qui ont tardé à se rendre de nouveau disponibles après avoir effectué une intervention et qui ont refusé ou négligé de porter assistance à un citoyen en détresse.

Les deux techniciens ambulanciers ont contesté par voie de griefs leur congédiement et le tribunal d’arbitrage substitua des suspensions aux congédiements imposés.  La Cour supérieure annula la sentence arbitrale et rétablit les congédiements.

La Cour d’appel maintint les congédiements. La Cour d’appel exprima, dans ces termes, le haut niveau d’exigence quant à une réponse immédiate qui s’impose dans un champ d’intervention aussi vital :

« Une personne victime d’un accident ou d’une maladie exigeant une assistance rapide et efficace se sentirait-elle en sécurité si, connaissant les faits au cœur du présent litige, elle apprenait que cette assistance dépendait des deux mis en cause ? »

 

« Aucune personne sensée ne voudrait, sans doute, se trouver dans une telle situation. »

 

[Paragraphes 19 et 20.]

 

4.       Ambulance Demers inc. (St-Jean) et Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) [8]  :

Une TA/P est suspendue pour trois jours et conteste par voie de grief. La technicienne ambulancière plaignante avait apporté le moniteur défibrillateur à l’intérieur de la caserne pour procéder à des tests de son fonctionnement. Un autre technicien ambulancier vient lui demander si elle avait été témoin d’actes de vandalisme commis sur son véhicule. Ils discutaient de cette question lorsque son coéquipier intervient et la prévient que le CCS les affecte à un appel urgent.

La technicienne, dans sa hâte à intervenir, a oublié d’apporter le moniteur défibrillateur à bord de l’ambulance. L’arbitre, M e Jean-Pierre Lussier, conclut que l’oubli du moniteur constitue une faute. Il affirme :

« Oublier à la caserne le moniteur est une négligence grave. »

[Paragraphe 31.]

 

Puis il ajoute :

« Quant à l’oubli inconscient, il faut bien réaliser que si l’omission de rapporter le moniteur au véhicule avait été consciente et intentionnelle, ce ne serait plus une négligence mais un acte volontaire extrêmement répréhensible, justifiant une sanction beaucoup plus sévère. Par définition, la négligence est non intentionnelle. Elle n’en constitue pas moins une faute grave lorsqu’il est de sa responsabilité de s’assurer que tout le matériel nécessaire à l’exécution de sa tâche est disponible et fonctionnel . »

[Paragraphe 34, soulignés par l’arbitre soussigné.]

 

è        En conséquence, il rejette ce grief ;

[129]     L’enseignement de la jurisprudence est claire. Tout défaut de répondre adéquatement à une affectation constitue une faute. Si la faute procède d’un acte volontaire, comme dans les trois premiers cas cités ci-dessus, la sanction sera plus sévère, pouvant même justifier le congédiement. Si la faute procède d’un acte involontaire, elle constitue néanmoins une faute répréhensible et une mesure disciplinaire moins sévère peut être imposée;

[130]     Dans le présent cas, peu importe leur état de fatigue, les deux Plaignants n’ont pas porté l’attention voulue à l’affectation de la plus haute priorité que lançait le CCS sur les ondes des radios portatifs des TA/P présents dans la caserne;

[131]     Or, les TA/P sont au travail pendant leur semaine de faction et ce travail consiste principalement à être disponible au cas où un appel est lancé. Cet appel a été fait et les deux Plaignants n’ont pas porté l’attention voulu ou pour le dire dans leurs termes : ils n’ont pas « allumé » ; ils n’ont pas « cliqué »;

[132]     Ce manque d’attention constitue une négligence même si ce manque d’attention n’est pas volontaire ou intentionnel. Comme le disait l’arbitre Lussier, dans le cas de cette technicienne ambulancière qui oublia de mettre à bord de l’ambulance le moniteur défibrillateur, « cela n’en constitue pas moins une faute grave »;

[133]     Je ne doute pas que les TA/P Plaignants n’ont pas agi avec malice ou avec une intention répréhensible, mais ils ont commis une faute grave en ne portant pas l’attention nécessaire à cet appel et l’Employeur était fondé d’imposer une mesure disciplinaire afin qu’ils corrigent, à l’avenir, un tel manquement;

Les sanctions disciplinaires sont-elles raisonnables?

[134]     À cause du caractère d’exception de l’horaire de faction, je me suis demandé quelle était donc la nature de la rémunération pendant la semaine de récupération. Cette question se pose puisque l’Employeur a suspendu six jours sans solde les Plaignants en précisant : trois jours pendant la semaine de faction et trois jours pendant la semaine de récupération;

[135]     La rémunération visée durant la semaine de récupération, est-elle un salaire gagné pendant la semaine de faction, mais différé pendant la semaine de récupération? Ou bien, est-elle une indemnité versée en compensation d’une présence au travail de 168 heures pendant la semaine de faction?

[136]     Je me suis aussi demandé comment l’employeur peut suspendre l’obligation du salarié de fournir une prestation de travail et, en conséquence, ne pas lui verser la contrepartie, le salaire, alors que ce salarié est en période de récupération;

[137]     Le Code civil du Québec définit le contrat de travail comme étant constitué d’une prestation de travail subordonnée en contrepartie d’une rémunération :

« Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur. »

[Code civil du Québec, art. 2085.]

 

[138]     La réponse se retrouve dans le mode de calcul du salaire du salarié à temps partiel. Ce salarié se fait monnayer les seules journées travaillées en faction. La période de récupération ne s’applique pas à lui [art. 14.02, paragraphes 2 et 4, convention collective [S-3]]. Cette formule du mode de calcul pour le salarié à temps partiel est la suivante :

NHF x 2 x TH

4,2

 

(TH = taux horaire du salarié; NHF = nombre d’heures de faction)

 

Une journée est donc payée :         24 heures x 2

4,2

 

11,43 heures sont donc payées par jour travaillé au salarié à temps partiel, à son taux horaire.

11,43 heures x 7 jours travaillés = 80 heures par semaine.

Le salaire est donc entièrement gagné durant la semaine de faction et, pour le salarié à temps complet, la moitié est différée à la semaine de récupération.

Cette interprétation est cohérente avec les termes utilisés au paragraphe qui précède celui du calcul du salaire du salarié à temps partiel qui dit :

« Pour le calcul de la paie la personne salariée à temps complet affectée à un horaire de faction de type 7/14 est réputée travailler 40 heures par semaine (…). »

[Souligné par l’arbitre soussigné.]

 

[139]     Cette méthode de calcul confirme aussi l’affirmation de l’Employeur à l’effet qu’une suspension de six (6) jours (trois (3) jours de faction et trois (3) jours de récupération) provoque une perte de salaire, sur la base d’un horaire de 40 heures par semaine, équivalant à une suspension de 4,3 jours (11,43 heures x 3 = 34,29 heures et 34,29 heures ÷ 8 heures = 4,3 jours);

[140]     Ces six jours de suspension sans solde signifient donc que les deux salariés n’entreront pas travailler trois journées de faction, que trois autres journées « de suspension virtuelle » s’appliqueront et que leur privation de rémunération sera de 34,29 heures, soit l’équivalent pour ceux qui font 40 heures par semaine, à une suspension sans solde de 4,3 jours;

[141]     Je partage l’opinion de l’arbitre, M e Francine Lamy, qui écrivait dans Teamsters, section locale 1999 et Agropur, division Natrel [9]  :

« […]

 

[36]           Je suis d’accord avec l’employeur que le rôle de l’arbitre dans ce contexte n’est pas de déterminer la sanction qu’il estime appropriée et de la substituer à celle imposée par l’employeur. L’arbitre doit contrôler la légalité de la mesure retenue par l’employeur, en lui reconnaissant une marge de manœuvre. Il n’y a pas qu’une sanction appropriée pour une faute, mais un spectre dont l’étendue varie selon les circonstances aggravantes et atténuantes. À chaque extrémité, on trouve la clémence et la sévérité des choix qui appartiennent à l’employeur. Il ne suffit pas que l’arbitre ait pu retenir une autre mesure s’il lui incombait de le faire. Il faut que l’employeur ait exercé son pouvoir de discipline de manière déraisonnable, pour conclure que la sanction ne repose pas sur une cause juste et suffisante. Une mesure sévère ne sera pas inappropriée, à moins d’être exagérée ou disproportionnelle à la faute, en considérant l’ensemble des circonstances. »

 

[142]     Cette privation de rémunération de 34,29 heures s’éloigne des suspensions d‘un mois, des trois mois ou des congédiements imposés dans le cas de refus intentionnels de répondre à un appel urgent, tels que rapportés dans les sentences arbitrales précitées. Elle se rapproche davantage à la négligence involontaire de la technicienne ambulancière qui oublia le moniteur défibrillateur à la caserne;

[143]     En conséquence, après avoir revue la  preuve, examiné la jurisprudence pertinente et sur le tout délibéré, je ne vois pas pour quel motif j’interviendrais pour casser ou modifier la décision de l’Employeur;

Je REJETTE    donc les griefs 170794 (Monsieur Danny Cossette, Plaignant) et 170795 (Monsieur Serge Buttet, Plaignant).

 

 

FAIT À LAVAL, CE 29 NOVEMBRE 2015  

 

Pierre Lamarche, Arbitre

 

Pour le Syndicat :   Monsieur Pierre Paul, CSN;

Pour l’Employeur : M e Sylvain Toupin, CLCW.



[1]   2003T-678 ; AZ-50176110 .

[2]   L.R.Q. ch. S-6.2.

[3]   L.R.Q. ch. N-1.1.

[4]   Coplanam, SA : 95-04055, M e Jean-Pierre Lussier, arbitre.

[5]   D.T.E. 99T-1114 ; AZ-9914 1301;

[6]   Note et souligné de l’arbitre soussigné.

[7]   D.T.E. 2004T-251 ; AZ-50219910 ;

[8]   D.T.E. 2010T-171 ; AZ-50608082 .

[9]   Grief 2011 - 62067 rendue le 19 juin 2014, par M e Francine Lamy, arbitre.