Ragab c. Québec (Procureur général) (Ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles)

2014 QCCS 6813

JS 1335

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-078241-133

 

 

 

DATE :

LE 11 JUIN 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.S.

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HUSSEIN MOHAMED IBRAHIM ELSAYED RAGAB

Demandeur

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, agissant pour et au nom de la Ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles

Défendeur

 

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TRANSCRIPTION DES MOTIFS

DU JUGEMENT RENDU ORALEMENT LE 28 MAI 2014

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[1]            Le demandeur demande la révision judiciaire et l’annulation d’une décision rendue le 19 juin 2013 par la direction de la révision administrative du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (« la ministre »), laquelle rejetait une demande de révision administrative déposée par le demandeur à l’égard d’une première décision rendue le 17 septembre 2012 par une conseillère à l’immigration, agissant par pouvoir délégué de la ministre.

[2]            Au cours du mois de juin 2010, le demandeur dépose une demande de certificat de sélection du Québec dans le cadre du programme des gens d’affaires, à titre d’investisseur. Il reçoit en avril 2012 une convocation à l’entrevue de sélection, laquelle convocation l’enjoint d’apporter lors de l’entrevue les documents originaux mentionnés à l’avis, dont « tous les documents originaux à l’appui des renseignements fournis dans votre demande de certificat de sélection ».

[3]            Parmi les documents que le demandeur soumet lors de l'entrevue, se trouve une confirmation de revenus pour l’année 2008, une autre datée du 15 mai 2009, deux relevés de salaire pour les mois de juin et de juillet 2009, lesquels précisent certaines retenues à la source, ainsi qu’une lettre de l’employeur datée du 17 août 2009 adressée au « Ministry of Immigration/Canada », qui mentionne, entre autres choses, la nature de l’emploi et le revenu annuel du demandeur.

[4]            D’autres pièces traitant de son emploi sont aussi remises au décideur : une lettre signée par son employeur datée du 3 septembre 2000, qui confirme son engagement à titre de « manager of supporting services » et une lettre portant la même date qui indique que le demandeur a démissionné de l’emploi qu’il occupait jusqu’alors auprès d’un employeur tiers.

[5]            Lors de l’entrevue, le demandeur était accompagné de son procureur.

[6]            Le Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers (le « Règlement ») prévoit que pour se qualifier à titre d’immigrant investisseur, le demandeur doit démontrer qu’il possède une expérience en gestion soit dans une entreprise agricole, commerciale ou industrielle licite, soit dans une entreprise professionnelle licite avec certaines conditions, soit pour un organisme international ou un gouvernement, l’un de ces ministères ou organismes [1] .

[7]            Le demandeur doit aussi démontrer :

« ii. Il dispose, seul ou avec son époux ou conjoint de fait qui l’accompagne, d’un avoir net d’au moins 800 000,00$, obtenu licitement , à l’exclusion des sommes reçues par donation moins de 6 mois avant la date de présentation de la demande. »  [2]

(Nous soulignons)

[8]            Les notes de la rencontre du 4 juillet 2012 prises par la mandataire de la ministre énoncent la preuve présentée par Monsieur et considérée aux fins de sa décision.

[9]            Il y est écrit que l’avoir net du candidat repose principalement sur la valeur de ses propriétés, et que l’entrevue porte donc essentiellement sur les revenus déclarés par Monsieur qui lui auraient permis de faire construire sa villa dans la Nouvelle Caire, ainsi que sur l’héritage reçu de son père.

[10]         Monsieur a alors témoigné qu'alors qu'il travaillait à titre de policier de 1981 à 1999, il a acquis un appartement grâce à un programme gouvernemental d’accès à la propriété offert aux policiers, et qu'il l'aurait revendu pour 133 500 EGP. L'auteure note que Monsieur ne produit pas le contrat d’achat final de la propriété ni aucune preuve des revenus qui auraient ainsi été réalisés lors de la vente de l’immeuble.

[11]         Les notes indiquent aussi qu’à la suite de cette vente, Monsieur achète un terrain qu’il dit avoir payé 336 000 EGK en 2006, et y aurait fait construire une villa pour 600 000 à 650 000 EGP, construction qui se serait terminée en 2008. Monsieur ne produit toutefois pas les contrats signés avec les architectes et ingénieurs engagés pour le projet, ni ceux conclus avec les entrepreneurs ou fournisseurs de matériaux. Il ne fournit non plus aucune preuve des paiements qui auraient, selon lui, été faits lors de la construction.

[12]         Monsieur déclare aussi avoir hérité d’un terrain agricole et de deux propriétés lors du décès de son père en 2009. L'auteure note toutefois que ses frères et sœurs, sa mère et lui sont héritiers, et que la preuve ne permet pas d'établir la valeur de la part de l'héritage de Monsieur. De plus, aucune documentation n’est produite afin de démontrer le transfert de la terre agricole et des propriétés dont Monsieur aurait hérité.

[13]         Par ailleurs, Monsieur a bien démontré, à la satisfaction du décideur, avoir détenu le poste de directeur général du département de transport et maintenance de la compagnie Gasco depuis l'an 2000. Toutefois, interrogé à propos des revenus de cet emploi, Monsieur répond avoir toujours été payé en argent comptant et ne posséder aucune preuve de leur encaissement, ni même de talon de paie (sauf les documents déjà mentionnés). Il ne produit aucun relevé de dépôts de ces sommes dans une banque ou autre institution financière, lesquels permettraient d'appuyer ses affirmations à ce sujet, pour toute la longue période d'emploi. Monsieur ne remet non plus aucune copie de ses déclarations d’impôt sur le revenu personnel aux autorités fiscales égyptiennes, et explique qu'il ne leur en a jamais transmise, affirmant, sans document à l'appui, qu'il n'avait pas à le faire, étant donné que les impôts étaient durant toute cette période déduits à la source.

[14]         Les notes indiquent que le demandeur est informé, lors de l’entrevue, des préoccupations du décideur à l’égard de la licéité de l’origine et de l’accumulation des fonds qu'il souhaite investir au Canada. Plus particulièrement, il est informé qu’il n’a pas démontré l’origine licite des fonds utilisés pour le paiement des coûts de construction de la villa aujourd’hui évaluée à 620 000 $ CA, qu’il n’a pas démontré l'accomplissement du transfert de la terre agricole et des propriétés dont il aurait hérité, et qu’il n’a pas démontré ni les revenus de 4 000 000,00 EGP qu’il déclare avoir gagnés chez Gasco depuis 2000, ni leur accumulation, revenus qui lui auraient permis de faire construire sa villa et d’accumuler son avoir bancaire.

[15]         Toujours lors de cette entrevue, les notes indiquent que le candidat répond, à l'égard des préoccupations formulées par le décideur, qu’il ne peut produire de preuve de l'origine de l'argent, ni ne peut prouver son accumulation, autrement que par sa seule affirmation que les revenus qu’il dit avoir reçus ont surtout été payés comptant ou bien déposés dans son compte de banque, mais que la banque d’Égypte ne donnerait pas de relevés bancaires pour des années antérieures à l’année courante.

[16]         Concernant la construction de sa villa, le demandeur affirme qu’il détenait un cahier de paiements pour l’achat des matériaux et le paiement aux entrepreneurs, cahier qu’il ne peut produire.

[17]         L’avocat de Monsieur, de son côté, explique alors que les fonds utilisés pour le paiement de la main-d’œuvre et des matériaux pour la construction de la villa proviennent des revenus de Monsieur et que le fait que tout ait été payé en argent comptant explique qu’il n’y ait pas de traces de ces paiements. Il explique aussi que les sociétés d’État en Égypte auraient des problèmes avec l’idée de donner des relevés de paie en raison de la compétition qui existerait entre employés qui comparent leurs salaires.

[18]         À la fin de l’entrevue, le décideur explique au demandeur et à son avocat que l’une des trois possibilités suivantes surviendra : la candidature sera acceptée; la candidature sera refusée, auquel cas le candidat aura 90 jours pour présenter une demande de révision de la décision au Service de révision administrative; enfin, certains documents lui seront demandés, auquel cas il aura un délai de 60 jours pour répondre à la demande.

[19]         Le 17 septembre 2012, le demandeur essuie un refus, tel qu’il apparaît de la décision elle-même.

[20]         Puis, le demandeur présente une demande de révision administrative de cette première décision. Le 19 juin 2013, la ministre, cette fois par le biais de Mme Collette Brochu, rejette la demande de révision comme suit :

Nous avons examiné avec attention, à la lumière de vos commentaires et des documents joints, le bien-fondé de cette décision. Cette nouvelle analyse ne permet pas de conclure que le candidat répond à la définition d'investisseur, conformément aux prescriptions du Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers.

Le candidat explique principalement l'origine de son avoir par trois sources, l'une d'elles étant ses revenus de Gasco, laquelle entreprise aurait versé plus de quatre millions de LE au candidat. Toutefois, le candidat n'a pas été en mesure de documenter la réception et l'accumulation de ces revenus. À cet effet, le candidat a déclaré au moment de l'entrevue avoir été payé en argent comptant et ne pas avoir effectué de déclaration fiscale qui viendrait attester de ses revenus.

La position des parties

[21]         Le demandeur soumet d’abord que la norme de révision applicable est double, en ce que les questions relevant de l’appréciation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, alors que les questions relatives à des infractions aux règles d’équité procédurale ou aux questions de droit (interprétation de la loi et des règlements) feraient appel à la norme de contrôle de la décision correcte.

[22]         Quant au mérite, le demandeur soumet que la ministre, par l'intermédiaire des deux décideurs n'a pas considéré toute la preuve reçue et lui a imposé un fardeau de preuve excessif.

[23]         Plus particulièrement, le demandeur propose que, puisque la ministre n’a pas expressément mentionné dans ses décisions qu’elle mettait en doute la crédibilité du demandeur, la preuve testimoniale apportée par ce dernier quant à l’origine des fonds qu’il entend investir au Canada, particulièrement quant à leur origine licite, aurait dû être considérée et retenue. Il plaide à cet égard que les règles de preuve du Code civil du Québec s’appliquent et qu’à partir du moment où le décideur ne conclut pas que le défendeur ment, alors il se devait de considérer la preuve telle que présentée. Selon lui, cette preuve menait nécessairement à la conclusion que tous les fonds qu’il entend investir au Canada sont d’origine licite.

[24]         Par ailleurs, le demandeur mentionne que si le décideur a jugé douteux son témoignage, alors il lui appartenait de le mentionner clairement au demandeur et d’exiger de lui, avant qu’il ne rende ses décisions, qu’il produise une preuve additionnelle appropriée. Ne l’ayant pas fait, le décideur aurait contrevenu aux règles de l’équité procédurale en lui cachant un élément de considération important.

[25]         De son côté, le Procureur général du Québec propose que la norme de révision applicable est celle de la décision raisonnable.

[26]         Au sujet de la légalité des décisions attaquées, le PGQ soumet que lesdites décisions sont intelligibles, qu’elles énoncent des motifs pour lesquels le demandeur a essuyé un refus, et qu’elles indiquent clairement en quoi la preuve de la licéité des fonds n’a pas été jugée satisfaisante.

[27]         À propos des allégations d'accrocs à l’équité procédurale, le PGQ soumet que le premier décideur a clairement exposé au demandeur, lequel était d’ailleurs accompagné de son avocat, ses préoccupations, ce qui lui a permis de témoigner (pour ce qui est du demandeur) et de plaider (pour ce qui est de l’avocat). Selon le PGQ, le demandeur a eu l’opportunité de présenter toute preuve utile, dont une additionnelle après avoir entendu les commentaires du décideur lors de l'entrevue, et, que lui appartient le fardeau de démontrer que les critères établis au Règlement sont rencontrés.

Le droit

a)         Le règlement

[28]         Les extraits pertinents du Règlement sont reproduits plus haut. Le Tribunal note que ce Règlement met l'emphase sur la licéité de divers éléments, dont l'origine de la somme qui est destinée à l'investissement au Canada.

b)        La norme de contrôle

[29]         La Cour suprême enseigne que le processus devant mener à la détermination de la norme de contrôle et qui sera appliquée à l’analyse d’une décision se déroule en une ou en deux étapes, selon le cas [3] .

[30]         En premier lieu, la Cour doit vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à la catégorie de questions soulevées. Au besoin seulement, donc, passera-t-elle elle-même à l’analyse des facteurs permettant de déterminer ce degré de déférence [4] .

[31]         En l’espèce, il ne fait pas de doute que la norme qui gouverne l’analyse du Tribunal siégeant en révision d’une décision par la ministre d’accorder un certificat de sélection du Québec, est celle de la raisonnabilité. La ministre et ses fonctionnaires ont une connaissance particulière du Règlement qui est l’outil de leur gestion quotidienne de mise en œuvre de la politique d’immigration [5] .

[32]         Le demandeur souhaite que le Tribunal applique la norme de la décision correcte lors de l’examen de l’application et de l’interprétation de la loi et des règlements. Cette approche est erronée : la loi et le règlement qu’a à interpréter la ministre sont des textes qui rentrent carrément dans le champ d’exercice de son mandat [6] .

[33]         Ainsi, lorsque le Tribunal doit examiner une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire exercé par la ministre et à l’interprétation d’un règlement ou d’une loi à l’égard d’une demande telle celle présentée par le demandeur, la norme de la décision raisonnable s’impose.

Analyse

[34]         Les périmètres de la norme dite de la décision raisonnable sont expliqués par la Cour suprême [7]  :

[47]. La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais plutôt peuvent donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La Cour de révision se demande dès lors si la décision et la justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[35]         Examinons donc les décisions afin de déterminer si les attributs qu’énonce la Cour suprême se rattachant aux décisions attaquées sont présents ou si, au contraire, leur absence doit entraîner leur révision. Comme on peut le constater, le seuil est très élevé.

[36]         Première évidence : les deux décisions de la ministre sont claires.

[37]         La décision du 17 septembre 2012 annonce que le demandeur n’a pas établi que son avoir net accumulé a été obtenu licitement. Afin de comprendre sur quoi cette conclusion s’appuie, la ministre, par le biais de sa mandataire, expose dans le document relaté plus haut les nombreuses lacunes documentaires qui permettraient de démontrer, à la satisfaction de la ministre, que les fonds dont dispose le demandeur sont d’origine licite.

[38]         Parmi les facteurs retenus, la ministre compte l’absence de contrats qui permettraient d’établir le montant réellement obtenu lors des transactions immobilières, l’absence de toute trace de dépôt des revenus d’emploi de Monsieur (ou de sa conjointe) qui pourrait permettre de soutenir l’affirmation de Monsieur a, au cours des années, et à même ses revenus, accumulé les sommes qu’il détient aujourd’hui. La seule preuve des revenus qui auraient permis d’accumuler la somme substantielle que Monsieur dit détenir, apparaît, outre son affirmation, d’attestations d’emploi et de salaires. Si le fardeau de démontrer que Monsieur possédait un emploi a pu en l’espèce être rencontré, la preuve produite par celui-ci ne permet certainement pas d’établir qu’il a, au cours des années, accumulé plus de 820 000 $ CA. La ministre aurait-elle pu se contenter de l’affirmation de Monsieur et des quelques documents qui démontrent qu’il possédait un emploi en Égypte? Peut-être; toutefois, là n’est pas la question. Plutôt, le Tribunal doit s’interroger, dans le cadre de la demande de révision judiciaire qui lui est présentée, si la décision de la ministre de considérer insuffisante cette preuve est une décision déraisonnable au sens établi par la Cour suprême, aussi, au contraire, cette décision en est une qui faisait partie des issues possibles.

[39]         Le Tribunal note qu’il était loisible à la ministre, étant donné la formulation de l'article 21 du Règlement, d’accorder un poids élevé à l'exigence que soit démontrée la licéité de l’origine des fonds que Monsieur souhaite investir au Canada. La ministre possède à cet égard la discrétion d’être exigeante, et le Tribunal ne voit pas dans sa décision l'exercice d’une exigence irrationnelle ni même déraisonnable.

[40]         Monsieur plaide que, puisque la décision de la ministre ne comporte aucun commentaire négatif quant à la crédibilité de Monsieur, cette dernière devait nécessairement tenir pour avérée sa déclaration quant à l’origine des fonds. Le Tribunal ne peut être d’accord avec cette proposition. Le Règlement est clair : l’origine licite de l’accumulation de l’argent est une condition qui doit être rencontrée, ce qui implique qu’elle doit être prouvée. Or, le fardeau de cette preuve appartient au demandeur.

[41]         Le demandeur soumet qu’en aucun temps la ministre, par le biais de ses mandataires, ne lui aurait mentionné que la preuve qu’il présentait pouvait être insuffisante. Cette affirmation n’est pas soutenue par la preuve. Au contraire, les notes de la rencontre démontrent clairement que le problème a été soulevé, ce qui a permis à Monsieur et à son procureur de fournir des explications additionnelles.

[42]         Monsieur reproche à la ministre de ne pas avoir exigé de lui qu’il produise des documents précis qui auraient permis de combler les lacunes de la preuve à propos de l’origine des fonds. Le Tribunal ne peut non plus être en accord avec cette affirmation, puisque la ministre n’avait aucune telle obligation.

[43]         À cet égard, la Cour d’appel a déjà souligné le fait que l’immigration n’est pas un droit, mais un privilège [8] .

[44]         Le demandeur propose que ni l’une ni l’autre des décisions de la ministre n’est suffisamment motivée. Il plaide que la ministre n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle considère insuffisante la preuve présentée par le demandeur quant à la licéité de l’origine de son argent, puisqu’elle n’explique pas en quoi le témoignage du demandeur, appuyé des quelques pièces mentionnées ci-haut, ne serait pas crédible.

[45]         Encore une fois, le Tribunal n’est pas d’accord avec cette proposition : la ministre peut certainement considérer qu’une preuve est insuffisante sans qu’elle n’ait à déclarer qu’une affirmation est fausse. L’énoncé de la preuve indiqué à la première décision de la ministre fait clairement ressortir les nombreuses lacunes de la preuve à l'égard de la licéité de l'accumulation et de la provenance des fonds.

[46]         La ministre pouvait certainement considérer, comme elle l’a fait, qu’une absence totale de preuve de dépôts bancaires, de tenues de comptes, de paiements, etc., ne lui permet pas de conclure que la somme de 820 000 $ a été accumulée licitement, tel que l'exige le Règlement. Le Tribunal réitère que la ministre n’avait aucunement besoin de conclure que la somme en question a été accumulée illégalement, puisque tel n’était pas sa tâche ni son fardeau de preuve ; il appartenait plutôt au demandeur de faire la démonstration contraire, ce qui n’a pas été fait à la satisfaction de la ministre.

[47]         La deuxième décision de la ministre est tout aussi valide que la première. S’il est exact que cette deuxième décision est succincte et tient en quelques lignes, le Tribunal ne peut ignorer le fait qu’elle réfère expressément à la première décision et qu’elle réitère le motif du refus. Le Tribunal est d’avis qu’il n’était aucunement nécessaire que la ministre réitère dans le détail les explications et les faits exposés dans sa première décision. Cette deuxième décision est, dans l’ordre des choses, tout aussi compréhensible que la première.

[48]         Ainsi, puisqu’il n’y a en l’espèce aucune atteinte à l’équité procédurale, que les décisions de la ministre sont suffisamment motivées et rationnelles et que l’issue qu'elle a choisie faisait partie des issues possibles, ses décisions sont raisonnables au sens que donne la Cour suprême à cette expression, faisant en sorte que la demande de révision judiciaire doit échouer.

[49]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[50]         REJETTE la requête en révision judiciaire;

[51]         AVEC dépens.

 

 

 

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STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.S.

 

Me Jacques Beauchemin

Beauchemin Brisson Avocats

Procureurs du demandeur

 

Me Simon Larose

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Procureurs du défendeur

 

Date d’audience :

Le 27 mai 2014

 



[1]     Article 21 (d) du Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers , RLRQ, c. i-0.2, r.4.

[2]     Id., article 21 (d) ii).

[3]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , 2008 CSC 9 , par. 62, AZ-50478101 , principe repris sous forme résumée dans Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals , 2011 CSC 59 , par. 35-36, AZ-50809290 .

[4]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , préc., note 1, par. 62 et Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals , préc., note 1, par. 30.

[5]     Goumbarak c. Québec (Procureur général) , 2008 QCCA 1704, AZ-50512079 ; He c. Québec (Procureur général) (Ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles) , 2013 QCCS 4712 , AZ-51006679 , par. 16; Najjaran c. Québec (Procureur général) (Ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles) , 2013 QCCS 3781 , par. 19, AZ-50993600 .

[6]     Chazi c. Québec (Procureur général) , 2008 QCCA 1703 , par. 15-19, AZ-50512069 ; Syndicat des travailleurs et travailleuses d'ADF-CSN c. Syndicat des employés d’Au Dragon forgé inc ., 2013 QCCA 793 , par. 31, AZ-50961925 .

[7]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , préc., note 1, par. 47.

[8]     Goumbarak c. Québec (Procureur général) , préc., note 5, par. 59; Chazi c. Québec (Procureur général) , préc., note 6, par. 41.